Clément Marot (1496-1544) : L’Adolescence Clémentine (1532-1538)

Portrait présumé de Marot par Corneille de Lyon (musée du Louvre)

 

Biographie Bibliographie Composition de l’Adolescence Clémentine Dialogue et dialogismes : une poésie orale et un « style bas »
La dimension autobiographique, la représentation du Moi La naissance de la notion d’auteur Le rire dans l’Adolescence Clémentine Les sources antiques :
Virgile
Ovide
Martial
Lucien
Le genre de l’épître dans l’Adolescence Clémentine Marot et la religion Naissance de l’Humanisme Marot et la musique
Éros et Antéros Marot et Pétrarque Marot et la Grande Rhétorique Marot et la politique

Nous utiliserons l’édition exigée par le concours 2011 de l’ENS de Lyon-LSH : Clément Marot, l’Adolescence Clémentine, édition de Frank
Lestringant, Poésie / Gallimard, 2006.

Bibliographie

Œuvres de Marot

  • Clément Marot, l’Adolescence Clémentine, édition de Frank Lestringant, Poésie / Gallimard, 2006
  • Clément Marot, Œuvres complètes, Présentation par François Rigolot, Garnier-Flammarion, 2007, tome I, 703 p. , tome II, 803 p.

Études et critiques :

  • Berthon Guillaume et Le Flanchec Vân Dung, Clément Marot, l’Adolescence Clémentine, coll. « clefs concours – lettres XVIème s. », Atlande, Paris, 2006, 316 p.
  • Collectif, sous la direction de James Dauphiné et Paul Mironneau, Clément Marot, à propos de l’Adolescence Clémentine, actes des Quatrièmes journées du Centre Jacques de Laprade, Biarritz, Cahiers du Centre Jacques de Laprade, 1996, 171 p.
  • Collectif, sous la direction de Christine Martineau-Génieys, Clément Marot et l’Adolescence Clémentine, Journées d’étude du XVIème siècle de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, 10 janvier 1997, 100 p.
  • Gérard, Le Poète en son jardin, étude sur Clément Marot et
    « l’Adolescence Clémentine », Paris, Champion, 1996, 283 p.
  • Marot, Rabelais, Montaigne. L’écriture comme présence, Paris /Genève, Champion / Slatkine, 1987.
  • Frank, Clément Marot, de l’Adolescence à l’Enfer, éditions Paradigme,
    Orléans, 2006, 186 p.
  • La Religion de Marot, Paris, Nizet, 1973, 188 p.
  • Mayer C-A, Clément Marot et autres études sur la littérature française de la
    Renaissance
    , Paris, Champion, 1993, 394 p.
  • Florian, Clément Marot et les métamorphoses de l’auteur à l’aube de la
    Renaissance
    , Droz, Genève, 2004, 183 p.

Biographie de Clément Marot

  • 1496 : naissance de Clément, à Cahors, de Jean Marot, originaire de Caen, et établi comme chapelier à Cahors depuis 1471. Ce père est également « grand Rhétoriqueur », et à ce titre protégé par la baronne de Soubize, qui le fit venir auprès d’Anne de Bretagne, épouse de Louis XII.
  • Fin 1505-début 1506 : Jean Marot quitte le Quercy et devient secrétaire de la reine Anne de Bretagne ; il compose pour elle le Voyage de Gênes. Le jeune Clément est confié à divers régents.
  • 1509-1510 : Jean Marot compose le Voyage de Venise, son œuvre maîtresse,
    où il fait beaucoup usage de l’alexandrin.
  • Vers 1514 : Alors que son père entre au service du futur Roi François Ier, après la mort d’Anne de Bretagne (9 janvier 1514), premiers essais poétiques de Clément Marot, la
    Première Églogue de Virgile et le Jugement de Minos, d’après Lucien.Le jeune poète est conseillé par Lemaire de Belges, à l’apogée de sa carrière. Il entre comme page au service de Nicolas Ier de Neufville, seigneur de Villeroy et secrétaire des finances du roi.
  • Après 1515, et après des études de droit à Orléans, où il fait la connaissance de son ami Lion Jamet, il devient clerc de chancellerie ; il est affilié à la Basoche (voir les Ballades I, II et IV). Il publie sa première œuvre imprimée, Le Temple de Cupidon.
  • 1518 : il compose la Ballade VII et le Rondeau XIII.
  • 1519 : il entre au service de Marguerite d’Angoulême, duchesse d’Alençon. Il compose les Épîtres I et VI.
  • 1520 : il assiste à l’entrevue du camp du Drap d’or entre François Ier et Henri VIII (Ballade VIII et Rondeau XXXII)
  • 1521 : il suit le duc d’Alençon dans la campagne de Hainaut contre Charles Quint : abondante production officielle (Épîtres II et III, Ballades IX et X, Rondeaux XXXIII et XXXIV).
  • 1526 : Clément Marot est incarcéré au Châtelet pour avoir « mangé le lard en carême » : Épître « à son ami Lion » ; il est ensuite transféré et assigné à résidence à Chartres, sur la requête de Louis Guillard, évêque de Chartres. Il y compose l’Enfer, puis est relâché le 1er Mai. En août ou septembre, il lit devant le Roi sa traduction du Premier livre des Métamorphoses d’Ovide, et peut-être aussi l’Enfer. A la fin de l’année, son père meurt (en réalité, la date de cette mort est incertaine. Gérard Defaux propose (op. cit. p. 86-87) de la « remonter » à 1524, voire 1516 ou 1517.
  • 1527 : « alliance » avec Anne d’Alençon, nièce de ses protecteurs : amour platonique jusqu’en 1538. Il lui dédiera de nombreuses œuvres. En octobre, il est à nouveau emprisonné pour avoir « recouru » un prisonnier des mains de la police : Épître au Roi pour être délivré de prison. Il est délivré en novembre. En décembre il compose la Déploration de Florimond Robertet.
  • 1528-1534 : grande faveur de Clément Marot à la cour : il appartient officiellement à la Maison du Roi. Il se marie et a un fils et une fille. En 1528, Renée de France épouse Ercole d’Este : Marot célèbre l’événement par un Chant nuptial imité de Catulle et inspiré par l’évangélisme.
  • 1529 : Querelle des Gracieux Adieux aux dames de Paris, qui circulent sous le nom de Marot, et insultaient les Parisiennes.
  • 1531 : Marot, malade, est volé par son valet : Épître au Roi pour avoir été dérobé.
  • 1532 : nouvelle affaire du lard : cette fois, Marot est protégé par Marguerite de Navarre. Première édition de l’Adolescence Clémentine, qui rencontre un grand succès.
  • 1533 : Le Psaume VI, traduit par Marot, est inséré dans le Miroir de l’Âme pécheresse, de Marguerite de Navarre. La Sorbonne demande à examiner l’ouvrage, mais François Ier intervient pour protéger sa sœur. En octobre-novembre, alliance du pape Clément VII et de François Ier pour combattre l’hérésie : début des persécutions religieuses, dont est victime le poète Nicolas Bourbon, ami de Marot.
  • 1534 : Suite de l’Adolescence Clémentine ; première dispute avec François Sagon. 17-18 octobre : affaire des placards ; Marot, à Blois, doit fuir sans pouvoir se justifier ; son domicile parisien est perquisitionné. Il est alors arrêté à Bordeaux, puis relâché.
  • 1535 : condamné par contumace à Paris, il quitte la Navarre et se réfugie en Italie, auprès de Renée de France, duchesse de Ferrare. Il adresse à François Ier « l’Épître au Roi, du temps de son exil à Ferrare ».
  • 1536 : il compose à Ferrare le Blason du Beau Tétin, lançant la mode du blason anatomique. Au printemps, il rencontre Calvin, de passage à Ferrare. Bastonné en juin en pleine rue, Marot doit fuir à Venise ; il compose l’Épître envoyée de Venise à Mme la Duchesse de Ferrare. Il reçoit en octobre la permission de rentrer en France, et à Lyon abjure « l’erreur luthérienne », échappant ainsi à l’excommunication.
  • 1537 : il retrouve toute sa faveur à la cour, participe au banquet célébrant la grâce du Roi à Étienne Dolet, aux côtés de Rabelais et Budé ; il continue de se disputer avec Fagon.
  • Œuvres de Clément Marot, dont il avait présenté le manuscrit au Connétable de Montmorency (manuscrit de Chantilly).
  • 1539 : publication de l’Enfer ; traduction de Six sonnets de Pétrarque. Il reçoit du Roi une maison à Paris.
  • 1541 : publication des Trente Psaumes, avec l’autorisation de la Faculté de Théologie ; Histoire de Leander et Héro, traduite du poète grec Musée.
  • 1542 : interdiction des Psaumes ; Marot se réfugie à Genève, où il est bien accueilli par Calvin mais est en butte aux tracasseries du Consistoire.
  • 1543 : Marot édite Vingt autres psaumes, qui sont aussi publiés anonymement en France. En décembre, Marot quitte Genève pour la Savoie, et cherche à rentrer en France.
  • 1544 : Marot séjourne en Savoie, puis en Piémont. En septembre, il meurt à Turin.

La composition de l’Adolescence Clémentine

L’édition de référence est celle de 1538 : préparée avec soin par Marot lui-même et son ami Étienne Dolet. Une seconde édition, par Gryphe, paraît quelques jours après, causant une brouille entre Marot et Dolet. Les deux éditions se valent. Il y avait eu une première édition, assez différente, en 1532 : quelques pièces figurant dans l’édition de 1532 ont en 1538 trouvé place, soit dans la Suite, soit dans d’autres recueils, comme le Dizain de May, ou le Blason de la Rose.

La composition est double : à la fois par genres (« opuscules », épîtres, ballades, rondeaux…) et par époques, avec ce que G. Defaux appelle une « pulsion autobiographique » : il commence par la « Première Églogue », œuvre de jeunesse très imparfaite, puis il se laisse guider « par un souci très évident de mimesis, de représentation des événements majeurs de son existence jusqu’à la fin de 1526. » (Defaux, op. cit. p. 159).

Le texte que nous aurons à étudier est composé de la manière suivante :

Les Opuscules :

  • La Première Églogue de Virgile
  • Le Temple de Cupido
  • Le Jugement de Minos
  • Les Tristes Vers de Philippe Béroalde
  • L’Oraison contemplative devant le Crucifix
  • L’Épître de Maguelonne

Les Épîtres, au nombre de 10 

Les Complaintes (2)

Les Épitaphes (13)

Les Ballades

  • 14 ballades
  • Chant Royal de la conception Notre-Dame

Les Rondeaux (67)

Les Chansons (42)

Le sens du titre

« Adolescence » ne doit pas s’entendre au sens actuel (un adolescent a aujourd’hui entre 13 et 20 ans), mais au sens latin du terme : on était « puer » jusqu’à 15 ou 16 ans, puis « adulescens » jusqu’à 30 ans ; « iuuenis » de 30 à 45-50 ans (on était consul à Rome, sous la République, à partir de 43 ans), et enfin «senex »… L’Adolescence Clémentine comprend donc les pièces composées avant les 30 ans du poète, c’est-à-dire jusqu’en 1526, date précisément de son premier emprisonnement. Il s’agit donc de « coups d’essai » et d’œuvres de jeunesse. C’est probablement pourquoi Marot a exclu des pièces écrites avant 1526, mais jugées trop sérieuses, comme l’Enfer ; inversement, il y a ajouté des Rondeaux composés ultérieurement, comme le « Rondeau parfait », parce que le Rondeau est un genre utilisé dans sa jeunesse, et à peu près abandonné ensuite. Enfin, l’Adolescence Clémentine se termine par des chansons, art à la fois populaire et musical, et genre léger par excellence. A titre de comparaison, la Suite, elle, s’achèvera par les Oraisons.

Quant à « clémentine », adjectif qu’il n’utilise pas ailleurs dans son œuvre, le mot répond à plusieurs intentions :

  • Insister sur le prénom plus que sur le nom, c’est donner une coloration pastorale à l’expression : Tityre, Mélibée, ou plus tard Robin ou Jaquet (« Églogue au Roi sous les noms de Pan et Robin ») sont des personnages de pastorale.
  • Par ailleurs, fils de poète, Marot devait se « faire un prénom » ;
  • Enfin, il joue, notamment dans l’Enfer, sur la signification de ce prénom : « clément suis… » (v. 342-358).

Les sources antiques

Virgile

Dès sa première œuvre, Marot s’inspire directement de Virgile : en effet, il traduit, ou plutôt adapte la « Première Églogue » des Bucoliques. C’est la première fois qu’il s’identifie à « Maro », nom de Virgile. Il est ici à la fois Tityre, le berger comblé par la faveur du « dieu » Auguste, et Mélibée, condamné à l’exil, au malheur et à la précarité, sans que l’on sache ce qui justifie une telle différence de traitement.

On retrouve l’influence virgilienne dans le Temple de Cupido, en 1514 : il s’inspire en effet du Temple à Auguste dans les Géorgiques (III, v. 13-16) :

Et uiridi in campo templum de marmore ponam
Propter aquam, tardis ingens ubi flexibus errat
Mincius et tenera praetexit harundine ripas.
In medio mihi Caesar erit, templumque tenebit.
Et dans une verte plaine je bâtirai un temple de marbre, près de l’eau, là où le Mincius immense erre en lents détours et entrelace ses rives de tendre roseau. Au milieu j’y mettrai César, et il occupera le temple.

L’on retrouvera l’influence virgilienne tout au long de l’œuvre de Marot, en particulier dans
l’Enfer, dont la structure reproduit celle du chant VI de l’Énéide.

Ovide

Ovide était un poète très connu et apprécié ; Octovien de Saint-Gelais avait traduit les Héroïdes à la fin du XVème siècle et André de la Vigne, vers 1500.

Il y a un lien entre la destinée d’Ovide, d’abord comblé d’honneurs par Auguste, puis condamné à un exil sans retour, et celle de Marot ; aussi peut-on voir une sorte de « compagnonnage » entre les deux poètes. Marot traduira en effet les Métamorphoses, et l’influence d’Ovide est très présente dans le Temple de Cupidon : l’on y trouve une allusion à l’Héroïde V (vers 5) : la « Pégasis aux beaux yeux » est la Naiade aimée par Pâris avant qu’il ne rencontre Hélène, et qui lui écrit cette épître ; la seconde strophe de la description du temple (v. 153-162) s’inspire directement du mythe de Daphné et d’Apollon (Métamorphoses, I, v. 452 et suivants). On trouve également dans la strophe 10 (v. 236) une allusion à Byblis, amoureuse de son frère Caunos, dont Ovide raconte l’histoire dans les Métamorphoses (IX, 418-662) ; et Marot lui rend directement hommage dans la strophe 19 (v. 323) : il est le premier cité des « maîtres d’Amour », avec Alain Chartier, Pétrarque
et Jean de Meun (que l’on croyait alors seul auteur du Roman de la Rose). L’Art d’Aimer d’Ovide est même devenu un Évangile du Temple de Cupidon ! (strophe 26, v. 400)

Mais on peut aussi penser que, dès la Première Églogue, dans l’image pathétique de Mélibée exilé, se discerne aussi celle du poète des Tristes. L’Épître de Maguelonne, quant à elle, est une Héroïde inspirée par Ovide.

La dédicace de Marot à son livre (p. 35) est directement inspirée du premier texte des Tristes.

Martial

L’auteur des Épigrammes a également beaucoup inspiré Marot, auteur lui-même d’Épigrammes (qui en 1538 seront insérées dans la Suite de l’Adolescence Clémentine).

Lucien

Lucien, cet auteur grec de l’époque impériale, a connu une vogue exceptionnelle tout au long du XVIème siècle ; il a inspiré RabelaisBonaventure des Périers et également Marot. Celui-ci s’en est inspiré notamment dans le « Jugement de Minos », qu’il a connu par une traduction latine de l’italien Joannès Aurispa, elle-même traduite en 1457 par Jean Miélot, rhétoriqueur à la cour de Bourgogne. Là où l’auteur grec ironisait sur l’arrogance d’Alexandre et d’Hannibal, Marot (et avant lui Aurispa) en profite pour dessiner une figure de prince idéal, certes bon guerrier et dévoué à sa patrie, mais avant tout homme vertueux, désintéressé, généreux, ami des lettres ; le texte s’achève sur une dénonciation des « seigneurs de guerre », remplis de

«l’outrageux désir […] de prendre tout plaisir
à (sans cesser) épandre sang humain
Et ruiner de foudroyante main
sans nul propos, la fabrique du monde »…

 

Marot et la Grande Rhétorique

Les Grands Rhétoriqueurs

La Grande Rhétorique dite aussi «Seconde rhétorique » est un courant poétique de joyeux érudits ayant choisi d’écrire dans la langue vulgaire, la langue du peuple, c’est-à-dire en français, mais en faisant appel de manière systématique, mais surtout ludique, aux figures de style issues de la rhétorique traditionnelle.

Outre la ballade, le rondeau et le rondeau-virelai, on rencontre le prosimètre qui permet le discours allégorique et l’invective. En entremêlant des strophes allégoriques et des passages en prose offrant des commentaires, les Grands Rhétoriqueurs cherchaient à user de toutes les ressources du langage. Parmi les formes poétiques développées est le chant royal. Conformément à ce qu’écrit Baudet Herenc dans son Doctrinal de seconde rhétorique, de nombreux autres genres sont à dispositon des poètes mais leurs recherches portent surtout sur les jeux et les figures de mots et en particulier les rimes, qu’elles soient léonines (riches), couronnées (redoubées), équivoquées, batelées, rétrogrades ou serpentines.

Georges Chastellain (1404 ? – 1475)

Connu essentiellement comme prosateur, et auteur des Chroniques des ducs de Bourgogne, il fut aussi poète ; cet aspect de son œuvre est aujourd’hui assez oublié. Les Douze dames de rhétorique sont une série de 17 épîtres, en vers et en prose, adressées notamment à Florimond Robertet.

Jean Meschinot (1422-1491)

Il est le premier des Grands Rhétoriqueurs. Au service des ducs de Bretagne, il en est le
thuriféraire obligé. Dans les Lunettes des Princes (1461-1464), Dame Raison apparait au poète harcelé par Désespoir et sa troupe et lui fait présent de « lunettes perfectionnées » pour regarder le monde. Dans cette œuvre mêlée de prose et de vers, l’auteur révèle le pessimisme de toute une époque. Son poème « Princes qui mains tenez » a été mis en musique par le groupe nantais Tri Yann.

Olivier de la Marche (1425-1502)

C’est un officier, un poète et un chroniqueur de la cour bourguignone, notamment connu
pour ses Mémoires parues à titre posthume en 1562. On a aussi de lui un poème, le Chevalier délibéré (1483), et deux ouvrages en prose et en vers, le Parement et le Triomphe des dames d’honneur (1501), et la Source d’honneur pour maintenir la corporelle élégance des dames .Voici un rondeau d’Olivier de la Marche :

Pour amour des dames de France

Pour amour des dames de France
Je suis entré en l’observance
Du tres renommé saint François,
Pour cuidier trouver une fois
La doulce voye d’alegence.

Ceint suis de corde de souffrance,
Soulz haire d’Aigre Desirance,
Plus qu’en mon Dieu ne me congnois.
Pour amour des dames de France
Je suis entré en l’observance.

Soubrement vis de ma Plaisance
Et june ce que Desir pense,
Mendiant par tout ou je vois,
Je veille a conter, par mes dois,
Les maulx que m’a fait Esperance
Pour amour des dames de France.

Jean Molinet (1435-1507),

Chroniqueur officiel de la Cour de Bourgogne, fut considéré par ses contemporains comme le plus grand poète de son temps et ses œuvres constamment rééditées jusqu’à la moitié du XVIe siècle. Le Chappelet des Dames est en quelque sorte l’ancêtre du blason qui se développera au XVIème siècle. Dans cette guirlande, il s’agit de passer en revue de manière systématique toutes les fleurs dont peuvent se parer les femmes. On y retrouve le mélange de prose et de vers typique des Grands Rhétoriqueurs. Il est aussi l’oncle et le maître de Jean Lemaire de Belges.

Voici un extrait de La Ressource du petit peuple, où l’on voit que Molinet, comme plus tard Marot, condamne la guerre…

On trouve aux champs pastoureaux sans brebis,
Clercs sans habits, prêtres sans bréviaire
Châteaux sans tours, granges sans fouragiz,
Bourgs sans logis, étables sans seulis,
Chambres sans lits, autels sans luminaire,
Murs sans parfaire, églises sans refaire,
Villes sans maire et cloîtres sans nonnettes
Guerre commet plusieurs faits deshonnêtes.

Chartreux, chartriers, charetons, charpentiers
Moutons, moustiers, manouvriers, marissaux,
Villes, vilains, villages, vivandiers,
Hameaux, hotiers, hôpitaux, hôteliers,
Bouveaux, bouviers, bosquillons, bonhommeaulx,
Fourniers, fournaulx, fèves, fains, leurs et fruits
Par vos gens sont indigents ou détruits.

Par vos gens sont laboureurs lapidés,
Cassis cassés, confrères confondus,
Gallans gallez, jardiniers gratinez ;
Rentiers robez, receveurs rançonnez,
Pays passez, paysans pourfendus,
Abbés abbus, appentis abattus,
Bourgeois battus, baguettes butinées,
Vieillards vanez et vierges violées. […]

Guillaume Cretin (vers 1460-1525)

Il fut trésorier de la Sainte-Chapelle de Vincennes, puis chantre de la Sainte-Chapelle de Paris et aumônier ordinaire du roi François Ier. On a de lui des chants royaux (1527), loués par ses contemporains. Reconnu comme un maître, notamment par Jean Lemaire de Belges et Clément Marot, toutes ses œuvres poétiques sont de circonstance. Il est l’un des grands virtuoses de la rime équivoquée (par exemple, l’Espistre à Honorat de la Jaille (vers 1510).

Jean Marot (vers 1450- 1526)

Protégé d’Anne de Bretagne, épouse de Louis XII, il fut son secrétaire en 1506 et son poète en
titre ; et, par son ordre, il suivit Louis XII dans ses expéditions de Gènes et de Venise, avec mission expresse de les célébrer c’est ce qu’il fit dans deux poèmes intitulés l’un Voyage de Gênes, l’autre Voyage de Venise. Louis XII mort, il entra au service de François Ier comme valet de garde-robe. On connaît de lui, en plus de ses Voyages,

  • deux Épîtres :
    • Des dames de Paris au roi François Ier étant delà des monts, après la défaite des Suisses,
    • des mêmes dames aux courtisans de France étant pour lors en Italie.
  • Un grand nombre de rondeaux, amoureux, chrétiens et autres, parmi lesquels on remarque un recueil de vingt-quatre rondeaux, intitulé le Doctrinal des princesses et nobles dames, qui traite de tout ce qui peut leur attirer l’estime et l’amour, depuis l’honnêteté jusqu’au beau maintien et à l’habit.

Octovien de Saint-Gelais (1468-1502)

Dans sa jeunesse il fait partie de la cour de Louise de Savoie à Cognac et il est connu comme poète. Il étudie la théologie, entre dans les ordres en 1494, et, à 26 ans Charles VIII le nomme évêque d’Angoulême. Durant l’épidémie de peste de 1502 il se retire à Vars où il meurt à l’âge de 36 ans. Clément Marot qu’il a beaucoup influencé a écrit : « Octavien rend Cognac éternel ». Le poète et musicien Mellin de Saint-Gelais est son neveu ou son fils naturel. On connaît de
lui Le séjour d’honneur publié à titre posthume en 1519 ; il est également l’auteur de traductions en vers de l’Énéide de Virgile, de comédies de Térence et des Héroïdes d’Ovide, qui inspireront Marot.

André de la Vigne (1470- après 1515)

Poète, traducteur vers 1500 des Héroïdes d’Ovide, il est l’auteur de la Sotie à huit personnage, de la Moralité de l’Aveugle et du Boiteux (1496).

Jean Bouchet (1476-1557)

Jean Bouchet est un écrivain français, né à Poitiers en 1476, mort vers 1550. Il exerçait la profession de procureur. Il composa un grand nombre d’ouvrages historiques ou de fantaisie en vers et en prose, parmi lesquels :

  • Les Regnards traversant les voies périlleuses de ce monde ;
  • Le Labyrinthe de fortunes (1522) ;
  • Annales d’Aquitaine ;
  • Antiquité du Poitou ;
  • Épitaphes des Roys de France ;
  • Épîtres morales et familières (1545).

Il est le premier qui ait fait alterner les rimes masculines et féminines.

Jean Lemaire de Belges (1473-1524) :

Ce disciple de Crétin et de Molinet était le neveu du chroniqueur et poète Jean Molinet. Il fait ses études à Valenciennes auprès de son oncle. Après avoir reçu une brillante éducation il entra, en 1498, au service du duc Pierre II de Bourbon en tant que clerc de finances. C’est en 1503, à l’occasion du décès de son protecteur, qu’il donna le premier de ses poèmes, le Temple d’honneur et des vertus, Panégyrique du duc de Bourbon adressé à sa veuve Anne de Beaujeu. La même année, il composa La plainte du désiré où il déplore la mort de Louis de Luxembourg-Ligny. Il poursuit sa carrière de poète lors du décès de Philibert II de Savoie, en 1504.

Cette même année, il se rattache à la maison de Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, dont son oncle était bibliothécaire. Il écrivit en son honneur ses livres des regrets sur la mort du roi d’Espagne, Philippe 1er, frère de Marguerite, et ses deux Épîtres de l’amant vert (en fait le perroquet favori de Marguerite).

À la mort de son oncle Molinet, il hérita de sa charge de bibliothécaire et devint, en 1508, indiciaire de la Maison de Bourgogne et historiographe de Marguerite. C’est alors qu’il commença son ouvrage intitulé L’illustration des Gaules dont la première partie parut en 1509 et la seconde 3 ans après.

Lorsque Jean se fut établi en France, le roi Louis XII (1462 – 1515) lui offrit, en 1513, la place d’historiographe du Roi. Ce roi le chargea de plusieurs missions en Italie et il prit la plume pour le roi de France contre le pape. À la mort de Louis XII, il perdit sa place d’historiographe et, rejeté par l’Église, il fut vite réduit à une vie de misère.

Marot, héritage et nouveauté

Temple de Cupidon et Les temples allégoriques des Grands Rhétoriqueurs

La description imaginaire d’un temple allégorique est l’un des exercices favoris des Grands
Rhétoriqueurs et des poètes qui les ont précédés : voir L’Hospital d’Amour, d’Alain Chartier (1385-1449), Le Temple de Vénus et Le Temple d’Honneur et de Vertu, de Jean Lemaire de Belges, Le Temple de Mars de Molinet… Inspirés du Roman de la Rose, ils se détachent du modèle initial.

Marot rend hommage à ses devanciers : voir le Temple de Cupidon v. 323-324 (p. 65) ; d’autre part il pratique volontiers les jeux des Grands Rhétoriqueurs : rimes équivoquées (v. 280-282, Bacchus / bas culs ou 389-390 : mari a / Maria) ou dérivatives (v. 389-392 : prêtre / archiprêtre et laisser / délaisser).

Les genres pratiqués dans le Temple sont ceux du Moyen-Âge finissant : « rondeauxballades,
virelais / Mots à plaisir, rimes et triolets » (v. 328-329) : des genres que Marot pratique lui-même, et contre lesquels la Pléiade, sous la plume de Du Bellay, émettra une définitive condamnation.

Mimesis et représentation du Moi dans l’Adolescence Clémentine

Une dimension autobiographique évidente :

Marot n’a certes pas inventé la subjectivité : bien avant lui, Rutebeuf, Eustache Deschamps, Colin Muset et surtout Villon avaient parlé d’eux-mêmes ; mais plus que Villon il inscrit son nom dans son œuvre et multiplie les jeux onomastiques.

Clément Marot, tout au long de son œuvre, y compris dans l’Adolescence Clémentine, cherche à donner une représentation de son moi, des principaux événements de son existence, ou de ceux auxquels il a assistés. En cela, il préfigure le Du Bellay des Regrets, ainsi que Montaigne. Nous assistons à un livre, et à un moi, en train de se faire concomitamment. C’est une évolution radicale : l’auteur se met à parler d’une voix personnelle : « Toute l’œuvre de notre poète, à partir de l’Adolescence Clémentine, peut dès lors se comprendre comme une peinture du moi, une tentative de reconstruire un tracé biographique », selon Florian Preisig (2004, p. 27). Et il ajoute que « Peu d’auteurs français ont si ouvertement parlé d’eux-mêmes avant Montaigne » (p. 91).

Si les « Opuscules » – première Églogue, Temple de Cupidon, Épître de Maguelonne…appartiennent de toute évidence à la fiction, on peut y discerner une part d’expression personnelle : la constante recherche de « Ferme Amour », le tiraillement entre la faveur et l’exil…, les Épîtres dessinent une sorte de récit, de celle du « Dépourvu » aux prises avec l’incertitude de son avenir et la hantise de la page blanche, à l’Épître II « du camp d’Attigny », où Bon Vouloir l’arrache à cette hantise : il accompagne alors le duc d’Alençon, époux de Marguerite, sa protectrice, dans la campagne du Hainaut… Les épîtres III et IV font également allusion à cet épisode de sa vie.L’épître V est peut-être purement fictive, à moins qu’elle ne s’adresse à Marguerite ; mais l’épître VI, « Petite Épître au Roi », est une sorte d’autoportrait en poète misérable (ce qui est très exagéré…) cherchant à conquérir la faveur royale. Mais l’exemple le plus net est le « récit de la prison » de 1526 qui comprend :

  • Le rondeau « De l’inconstance d’Isabeau » (la trahison de l’aimée)
  • La Ballade XIV (la dénonciation)
  • L’Épître IX « A Monsieur Bouchart »
  • L’Épître X « à son ami Lyon »
  • Le Rondeau parfait (la délivrance)

On verra plus loin qu’il faut être prudent sur l’interprétation de l’épisode.

D’autres textes évoquent , ou prétendent évoquer des moments de sa vie : la Ballade IV, « de soi-même, du temps qu’il apprenait à écrire à Paris », évoquant son renoncement au « mauvais Éros », la Ballade V de 1519, où il supplie Marguerite d’Alençon de « le coucher en ses états », c’est-à-dire de le prendre à son service ; le Premier Rondeau, dialogue avec un poète débutant, le Rondeau II « à un créancier », peut-être le Rondeau XXIII, le Rondeau XXXIV («Au Roi, pour avoir argent au déloger de Reims » – on voit qu’ily a toute une thématique, probablement inspirée de Villon, du poète désargenté. Les rondeaux XXXVIII, XXXIX et XL forment également un cycle, avec le rondeau LI, en hommage à Anne d’Alençon, nièce de Marguerite, et « sœur d’alliance » de Marot
entre 1527 et 1538.

Mais il ne suffit pas que la première personne apparaisse dans un texte pour que ce « je » représente Marot lui-même ! Il s’agit le plus souvent d’un « je » purement fictif, à l’instar de l’Épître de Maguelonne.

L’Églogue au Roy sous les noms de Pan et Robin (1539 – œuvres complètes, t. II, p. 266-273) témoigne de cette veine autobiographique. A cette époque, Marot est tiraillé. D’un côté il est revenu d’exil, a retrouvé toute sa place à la Cour, a publié ses œuvres en 1538 ; mais de l’autre, alors que lui-même traduit les Psaumes, l’Enfer est publié à Anvers sans son
consentement, au moment même où l’ennemi, la Sorbonne, se fait de plus en plus menaçant. Marguerite de Navarre s’éloigne de la Cour, Jean du Bellay est en Italie, le Cymbalum Mundi de Bonaventure Des Périers a été condamné l’année précédente… Après un récit d’enfance (« le printemps ») imité de Lemaire de Belges tout autant qu’autobiographique, le pâtre Robin sent venir la vieillesse, l’hiver : il demande à François Ier un « abri » pour son « troupeau menacé par les loups ». Le sens allégorique est transparent : il demande au Roy la protection des Évangéliques contre les persécutions…

Je ne quiers pas (ô bonté souveraine)
Deux mille arpents de pastis en Touraine
Ne mille bœufz errants par les herbis
Des montz d’Auvergne, ou autant de brebis.
Il me suffit que mon troupeau preserves
Des Loups, des Ours, des Lyons, des Loucerves,
Et moy du froid ; car l’yver qui s’appreste
A commencé de neiger sur ma teste.

Le Roi répondra ironiquement, en lui donnant effectivement une maison à Paris ! En revanche, les persécutions ne cesseront pas…

Moi réel, moi fictif, les difficultés de la représentation

Il est souvent bien difficile de savoir ce qu’il faut croire de ce qu’il nous raconte, dans la mesure où son œuvre est souvent le seul document existant. Pourtant, à d’autres moments, on peut le prendre en flagrant délit de mensonge, ou du moins de transformation du réel – et il est aisé de prendre pour une confidence autobiographique ce qui relève de la fiction, voire de la tradition littéraire. Ainsi de l’affaire de 1526 : a-t-il réellement « mangé le lard » en public, ou s’agit-il d’une métaphore, signifiant simplement qu’il rejetait le caractère trop formaliste de certains rites, à l’instar des Évangélistes et de Rabelais ? A-t-il réellement été dénoncé par une femme, l’inconstante Isabeau,
ou bien imite-t-il en cela son illustre prédécesseur François Villon, dont il est par ailleurs l’éditeur ? En effet, aucune trace n’a été retrouvée d’une Ysabeau, dont le nom n’apparaît d’ailleurs que dans l’édition de 1538. La femme traîtresse est appelée Luna dans L’Enfer, un nom emprunté au poète italien Chariteo. Quoi qu’il en soit, une grave accusation de luthérianisme, lourde de menaces, se transforme ainsi en anecdote insignifiante et amusante : une simple vengeance de femme. L’Adolescence Clémentine, datée de sa « trentième année » comme le Testament de Villon, (ou de la trentième année du siècle, 1530), se ferme sur la libération d’une prison – comme chez Villon.

De même – mais cela ne figure pas dans l’Adolescence Clémentine, a-t-il fui Ferrare après une violente agression à main armée, ou bien simplement parce que, luthérien notoire, il était devenu persona non grata aux yeux du Duc de Ferrare ou de l’Inquisition locale ?

Marot ne livre donc de lui-même que ce qu’il veut bien dire : nous ne saurons jamais la vérité, ni sur sa fuite de Ferrare, ni, plus tôt, sur l’altercation qui l’opposa au guet, pour délivrer un ou des prisonnier(s) dont il taît le nom. Plus que de mimesis, c’est d’imitatio qu’il est question : il retrouve toutes les recettes de ses prédécesseurs, à commencer par Villon, mais aussi Charles d’Orléans (refrain du « Rondeau parfait »)… Ainsi, le « valet de Gascogne » qui l’a volé (Épître au Roi pour avoir été dérobé) est un stéréotype littéraire.

Les « personae » de Marot :

Marot parle souvent de lui-même à la 3ème personne, ce qui établit une distance, et en outre il « force le trait » ; on peut repérer un certain nombre de « masques » ( personae) sous lesquels il se représente, et qu’il même constamment, comme il mêle tous les genres dans ses recueils :

  • Le Dépourvu : homme de mince extraction, dépourvu de ressources, volé, trompé…Confidence personnelle, ou imitation de Villon ?
  • Le « pastoureau », présent dès la première Églogue. C’est un thème à la fois bucolique, issu de Virgile et de Théocrite, et Chrétien ; il va de pair avec le choix du « sermo humilis » (style bas), identifié à la Sancta Simplicitas du Christ, et de la « Belle Christine », l’Église réformée.
  • Le « Maro » français, avec un jeu onomastique sur le nom de Virgile (P. Vergilius Maro) et celui de Marot. Notre poète s’identifie volontiers à Virgile, dans la première Églogue, où il est à la fois Tityre et Mélibée, dans le « Temple de Cupidon », inspiré des Géorgiques (III, v. 13-16), dans L’Enfer (v. 361-366, p. 255), lorsqu’il tente d’influence François Ier et d’en faire un Auguste…
  • Ovide, autre très grand poète latin ; Marot traduira ses Métamorphoses, s’inspirera de ses Héroïdes, et s’identifiera à lui surtout dans l’exil.

Marot et la naissance de l’auteur

Pour cette question, nous renvoyons à l’ouvrage de Florian Preisig 2004 (voir bibliographie), auquel nous devons beaucoup. Voir aussi « la création poétique au 16ème siècle ».

Marot appartient à une époque de transition, où manuscrits et livres imprimés coexistent :l’imprimerie est arrivée vers 1470 à Paris, et les échoppes des imprimeurs sont devenues des lieux de rencontre entre intellectuels. Marot lui-même donne des manuscrits aux Grands – ainsi au Connétable de Montmorency – et en même temps fréquente les imprimeurs, Dolet, Gryphe, Claude Nourry, François Juste, et a lui-même une importante activité d’éditeur, pour Villon ou pour son propre père, ou encore pour le Miroir de l’Âme pécheresse, de Marguerite de Navarre. Cette importance nouvelle des imprimeurs et des éditeurs n’est pas sans conséquence sur le statut de l’auteur : celui-ci n’est plus isolé, en tête-à-tête avec son protecteur, comme l’étaient encore les Grands Rhétoriqueurs (Jean Marot, par exemple, ne mentionne jamais de confrères dans ses œuvres ; il ne s’adresse qu’à Anne de Bretagne) ; il rencontre ses pairs, échange avec eux, et ainsi naît la conscience d’appartenir à une classe : l’auteur commence à acquérir un statut, que les « Grands Rhétoriqueurs » n’avaient pas encore, même si une conception plus moderne du « métier » semble se dessiner, par exemple chez Guillaume Crétin.
Mais globalement, les Grands Rhétoriqueurs sont en retrait par rapport à leurs aînés Christine de Pisan, Machaut ou Deschamps : « Appointés par des potentats locaux, ils n’avaient pas encore conscience de former un corps reconnu et nécessaire. Les auteurs naîtront dans la cour royale, cette « maistresse d’école » ainsi que la nommera si justement Marot. » (Yves Delègue, Le Royaume d’exil. Le sujet de la littérature en quête d’auteur, Paris, Obsidiane, 1991.)

Par ailleurs, l’imprimerie permet de toucher un nouveau public, plus large et plus composite ; si l’auteur y gagne une certaine liberté par rapport à ses protecteurs, il subit désormais une nouvelle contrainte : une certaine servitude par rapport à l’imprimeur-éditeur, qui parfois se permet de publier sans l’aveu de l’auteur… (voir la préface de l’Adolescence Clémentine, p. 45). Mais du moins, dans l’échoppe de l’imprimeur, il apprend à découvrir les œuvres de ses confrères, en particulier le groupe des poètes néo-latins, un groupe constitué, sûr de lui et de son prestige, dominé par la figure de Salmon Macrin, que Marot fréquente vers 1534.

Le paratexte de l’Adolescence Clémentine

Pour comprendre la conception nouvelle de l’auteur selon Marot, il faut s’intéresser au paratexte de l’Adolescence Clémentine, c’est-à-dire à la préface et aux épigraphes latines.

La Préface :

Dans la préface de 1532 de l’Adolescence Clémentine apparaît clairement ce nouveau statut de l’auteur : Marot y revendique la propriété de son œuvre, et il s’adresse, non à un protecteur ou à un destinataire particulier, mais à un lecteur générique, « A un grand nombre de Frères qu’il a, tous enfants d’Apollo »… Ce destinataire est différent de celui de chaque pièce prise isolément. Par une vraie « stratégie commerciale » selon les termes de F. Preisig (voir bibliographie), il s’agit désormais de toucher un plus large public que les traditionnels protecteurs, seuls dédicataires jusque là des œuvres. Une telle préface est un cas unique dans la poésie vernaculaire : c’est d’ordinaire un espace que s’approprie l’éditeur ; l’auteur ne s’y exprime jamais. Marot ici ouvre la voie, et sera très vite imité, dès octobre 1532, dans les Épîtres Vénériennes de Michel d’Amboise.

Les épigraphes latines :

Encore une rareté dans la poésie vernaculaire, et héritée sans doute de la poésie néo-latine qui en use largement. L’épigraphe a essentiellement une valeur publicitaire, et vaut davantage pour ses auteurs que par son contenu : il s’agit d’attirer l’attention d’un public déjà formé. Dans l’édition de 1532, il y en a trois : l’une d’un Pierre Brisset par ailleurs inconnu, une de Tony, imprimeur du Roi, humaniste et réformateur, notamment de l’orthotypographie, et la troisième, la seule figurant sur le frontispice, de Nicolas Bérault, grand humaniste, ami d’Érasme et de Budé.

La dédicace à son livre (1538) :

Placée en tête de l’Adolescence Clémentine dans l’édition de Dolet, avec la variante « Racler je veux » – racler étant la traduction de « dolo », qui évoque le nom de Dolet – et « Oster » dans l’édition Gryphe, elle est évidemment inspirée d’Ovide (Tristes, 1ère élégie) ; mais le ton est bien différent. Ici Marot veut expurger son œuvre de textes qu’on lui a faussement attribués. On trouve dans ce texte à la fois le goût de Marot pour le dialogisme, et la volonté d’affirmer son identité d’auteur, et même sa fierté : il se revendique à la fois comme poète courtisan, proche du Roi, et poète populaire.

Le paratexte est donc une vitrine, qui participe à la « constitution d’un espace littéraire défini par un système de reconnaissance mutuelle » (Preisig) : cet espace est désigné par la métaphore du « jardin » ou du « verger » des Muses, et plus tard le Parnasse : voir par exemple l’Épigramme IV, 28. On pourrait presque parler, selon F. Preisig, d’un « corporatisme » de Marot, qui, à l’instar de Guillaume Budé, cherche à défendre une profession qui n’existe pas encore : celle d’auteur.

Les Rondeaux : dialogue avec les confrères.

Les Rondeaux ont souvent passé pour la partie la plus archaïque – le père de Marot était un maître du rondeau – et la moins intéressante de l’Adolescence Clémentine. C’est en effet une forme close, contraignante. Cependant, et c’est une nouveauté, beaucoup de ces pièces mettent en scène un dialogue avec d’autres poètes, professionnels ou amateurs.

  • Rondeau I : c’est un faux début, une réponse à un rondeau absent, dont l’auteur, manifestement un amateur, reste anonyme
  • Rondeaux III, VII, XIV : dialogue avec des personnages réels, appartenant à « l’école de Marot » : le rondeau XIV est adressé à François Ier, qui était également poète.
  • Rondeaux XVII (Étienne Clavier) et XX (Jeanne Gaillarde) sont allographes ; mais au XVIème siècle, rien n’indiquait, dans la typographie, cette différence d’auteur.
  • Le Rondeau LXII, « De l’Amour du siècle antique », volontairement archaïsant, ne peut se comprendre sans la réplique ironique du « rondeau responsif » de Victor Brodeau (LXIII) : tous deux font également partie du recueil, et du projet de Marot. C’est donc un jeu avec la tradition, qui dans un même mouvement lui rend hommage, et la met à distance.

Les Rondeaux apparaissent comme l’illustration de « l’Épître à [son] amy Lyon » : tout service aura sa contrepartie, et il s’agit ici souvent d’un échange de bons procédés. En même temps se met en place un discours encomiastique dédié à la littérature, et qui valorise le statut d’écrivain. Le « Prince des poètes » n’est pas François Ier, mais Marot, qui se pose en maître et en juge.

L’iconographie de Clément Marot :

Dans cette même première moitié du XVIème siècle, fait sans précédent, des écrivains se font portraiturer, ce qui est encore un signe de la dignité nouvelle de l’auteur :

  • Érasme, par Quentin Metsys en 1517, Albrecht Dürer en 1520, Holbein en 1520 et 1523 ;
  • Thomas More par Holbein (1527) ;
  • Guillaume Budé par Jean Clouet (1526) ;
  • Marot par Corneille de Lyon en 1536-37 (tableau présent au Louvre).Mais les représentations de Marot sont rares, et ne figurent jamais avec ses poèmes. Pour le connaître, il faut donc se contenter de l’image qu’il donne de lui-même dans ses textes.

En cette première moitié du XVIème siècle, les poètes et les humanistes acquièrent donc un nouveau statut, et s’emparent du débat d’idée, qui sort de l’Université. Ainsi, la « Querelle
des Femmes », qui, au XIVème-XVème siècle avait été l’affaire de la Sorbonne, devient au XVIème siècle celle des Humanistes.

Autour de Marot se crée une véritable école, qui publie beaucoup entre 1534 et 1543 : ainsi les Fleurs de Poésie française (1534), comprenant des textes de Marot, Marguerite de Navarre, François Ier, Victor Brodeau, le Cardinal de Tournon, Claude Chappuys et Melin de Saint-Gelais, ainsi qu’une traduction de l’Hecatomphile d’Alberti, due à Melin de Saint-Gelais. C’est un recueil pétrarquiste, condamnant l’Amour idolâtre, et lui opposant « l’honnête et ferme Amour » ; tous les poèmes sont signés. C’est contre cette école que la Pléiade s’affirmera, notamment avec la Défense et Illustration de Du Bellay en 1549.

De l’artisan au poète inspiré : nouvelle image de l’auteur chez Clément Marot.

Voir ci-dessus, les « personae » de Marot.

C’est aussi avec Marot et les siens que l’image du poète se transforme, passant de l’artisan au poète inspiré. Face au pouvoir, il souligne, en particulier dans l’Enfer, le caractère problématique de ce statut face au pouvoir : « Maro ne suis pas » ; si le Roi n’est pas un Auguste, Maro ne peut exister.

Cependant, le poète n’est plus seulement un pauvre qui quémande pensions et rétributions (bien qu’une grande partie de son œuvre y soit encore consacrée) ; il est aussi devin, presque divin, inspiré par les Muses. Dans l’Enfer, il peut se permettre de rappeler le Roi à ses devoirs, en porte-parole des opprimés. Voir aussi l’Épître au Roy, du temps de son exil à Ferrare.

Du coup, commence à s’opposer le simple « rimailleur », l’artisan ne disposant que de la technique et privé d’inspiration (comme Sagon) au « poète véritable » : le choix du « sermo humilis » est aussi lié au refus d’une poésie purement formelle et technique, comme l’était celle des Grands Rhétoriqueurs.

Pour conclure, laissons la parole à Florian Preisig :

« Dans cette République des Lettres en chantier, Marot fait preuve d’une rare habileté : il parvient comme nul autre à être toujours là où il faut et participe à tous les projets novateurs (les Fleurs, les Blasons, les Psaumes etc.). Surtout, il sait asseoir sa notoriété et jongler avec ses différentes images. Reléguant les innovations de Gringore, Lemaire et Molinet dans un passé qui apparaît déjà lointain, il imprime l’image de l’auteur non seulement dans le paratexte, mais aussi dans le texte lui-même, par les divers moyens qu’on a évoqués. Il n’est sans doute pas entièrement faux de dire qu’il s’est lui-même sacré « Prince des Poètes ». Si son coup n’a pas entièrement réussi – Rabelais et Ronsard lui ont pendant des siècles volé la vedette –, il reste qu’il a de son vivant atteint une royauté poétique sans précédent en France. » Op. cit. p. 126.

Marot : un humanisme naissant

Si la période précédant la publication de l’Adolescence Clémentine donne l’impression, sur un plan poétique, d’être assez vide (Jean Marot, Guillaume Crétin et Jean d’Auton sont morts entre 1524 et 1527, les poètes vivants sont en province, comme Jean Bouchet à Poitiers ou Gringore en Lorraine ; Michel d’Amboise commence juste à publier, et Melin de Saint-Gelais débute), en revanche c’est l’explosion de l’humanisme :

  • 1511 : Éloge de la Folie, d’Érasme
  • 1512 : Commentaires sur Paul, de Lefebvre d’Étaples
  • 1515 : De Asse, de Guillaume Budé
  • 1522 : Commentaires sur les Évangiles, de Lefebvre d’Étaples
  • 1525 : traductions d’Érasme et de Luther par Berquin.

Un réseau d’intellectuels se tisse autour d’Érasme (qui a ses entrées chez Charles Quint, François Ier et Henri VIII d’Angleterre), comprenant Thomas More, Budé, Mélanchthon, Luther… Tous font un usage intensif de l’imprimerie.

La France sous Louis XII et François Ier devient une nation unifiée politiquement et linguistiquement ; l’État commence à jouer un rôle prépondérant dans la défense des lettres : création du Collège de Lecteurs Royaux (futur Collège de France), voisin et rival de la Sorbonne, et de la Bibliothèque Royale ; soutien aux intellectuels et aux poètes, en leur attribuant des postes de prestige, traductions en français des poètes italiens et des historiens grecs et latins ; influence de la sœur du Roi, Marguerite de Navarre, qui regroupe lettrés latinistes et vernaculaires, et encourage lestraductions de Luther et d’Érasme.

Clément Marot, tout naturellement, en entrant au service de Marguerite de Navarre, se rapproche de ce courant humaniste.

Dès les premières œuvres se dessine la figure d’un poète humaniste, cherchant à éduquer le Roi, condamnant la guerre, la violence, la torture, en des termes qui préfigurent Rabelais.

Dans le « Jugement de Minos », il ignore sans doute que le dialogue qu’il traduit est originellement de Lucien ; il y met particulièrement en valeur la figure de Scipion, véritable modèle de prince humaniste, qui préfigure Grandgousier : vaillance, refus de la « vaine gloire », dévouement total au peuple et à l’État, humanité et courtoisie…

Dans le « Temple de Cupidon », présenté en même temps, il incite le futur François 1er à choisir la seule sorte d’Amour digne d’un prince : l’amour ferme, en se défiant de l’amour « légère » et plus encore de la « chaleur vénérique ». Les deux textes forment donc une sorte de distique, une « institution du Prince », antérieure à Rabelais, Érasme ou Budé.

La condamnation de la guerre est tout aussi évidente et constante : de l’Enfer aux Cantiques de la Paix ; mais elle est présente dès les œuvres de jeunesse. En 1521, accompagnant le Duc d’Alençon en Champagne et en Hainaut, il rédige, en bon chroniqueur, la Ballade IX, très guerrière ; mais il la flanque de la Ballade X, vigoureuse condamnation de la guerre. Et dans le même temps, il envoie deux Épîtres à Marguerite : l’ « Épître du champ d’Attigny », complétée de l’émouvante Épître en prose. Clément Marot a donc rompu avec les Heureux Voyages de son père, qui célébraient les victoires de Louis XII. Là encore, il préfigure La Bruyère

Comme ses contemporains Rabelais et Bonaventure des Périers, Marot rejette à la fois la métaphysique et le dogmatisme. S’il adhère au luthérianisme (voir plus bas, Marot et la religion), c’est qu’il y voit une foi épurée, confiante dans les capacités de l’homme à discerner le bien du mal et le vrai du faux (voir L’Épître au Roi, du temps de son exil à Ferrare, œuvres complète Garnier-Flammarion, t. II, p. 207-213). Sa philosophie est essentiellement morale ; lorsque le réformisme de Luther et Calvin, à son tour, deviendra dogmatique, il sera mal vu et cherchera à rentrer en France. D’ailleurs, peu d’œuvres de Marot sont proprement religieuses, à l’exception de la Déploration de Florimond Robertet, où il semble s’intéresser au dogme, sous l’influence de Thomas Malingre. Comme le dit C. A. Meyer dans La Religion de Marot (voir bibliographie),

« La seule foi qu’il exprime constamment tout au long de sa vie, c’est sa foi dans l’homme. Ses vers les plus émouvants lui sont arrachés par la vue des souffrances humaines, par la haine de la cruauté, de la méchanceté, de la stupidité, de toutes les doctrines qui avilissent l’homme. » (p. 138.)

Marot et la religion.

La rencontre avec la « Belle Christine » – allégorie de l’Église véritable – représente pour lui une véritable conversion, qu’il raconte dans le Balladin (v. 225-235).

Une position qui semble quelque peu brouillonne…

Dans les débuts de l’Adolescence Clémentine, Marot semble tributaire d’une tradition formelle et conventionnelle, comme le montrent des textes comme l’Épître de Maguelonne en 1519 ou le « Chant Royal de la Conception Notre-Dame » (p. 169) présenté à Rouen en 1521 ; dans ce premier texte, une héroïde inspirée à la fois d’Ovide et du roman médiéval, il évoque la « Vierge très hautaine » (v. 159), et surtout « Rome sainte et digne » (v. 179), culte marial et ville papale à l’égard desquels il n’aura guère de sympathie par la suite ; puis sa pensée gagne en profondeur, sous l’influence de Marguerite d’Alençon et du Cercle de Meaux : on le voit dans l’Enfer, la Déploration de Florimond Robertet ou les Épîtres IX et X de l’Adolescence Clémentine. Mais il est bien difficile de déceler un véritable itinéraire spirituel : s’il est traducteur d’Érasme, on ne sait s’il a une connaissance directe de Luther ; de plus la composition par genre de l’Adolescence Clémentine fait qu’il regroupe des chants de Noël d’inspiration populaire, des textes strictement orthodoxes comme une apologie du carême, et d’autres qui relèvent d’une réflexion évangéliste… L’Adolescence Clémentine, en particulier, montre un auteur hésitant, parfois contradictoire. Comme le dit Frank Lestringant dans sa préface (p. 23),

« Marot se borne à reprendre à son usage, pour les faire siens, les fragments d’un discours religieux que l’époque de transition et de crise où il vit livre à son appétit de croire et à sa soif de justification. Indécise comme sa vie même, cette part non négligeable de sa production […] doit aux loci communes du temps son air de familiarité, de bonhommie et aussi de franche disparate. »

Néanmoins, le message évangélique est présent dès l’Adolescence Clémentine, comme en témoignent les adresses aux « treschers Frères » réitérées à maintes reprises dans la préface (p. 45-46), l’allusion dans cette même Préface à « celui à qui seul est dû honneur et gloire » (p. 45), la prière à Dieu et l’allusion à sa « grâce » qui terminent le texte (p. 46), et bien sûr le contenu du « Jugement de Minos », de « l’Épître de Maguelonne », des Épîtres sur la campagne de Hainaut… La Déploration de Florimond Robertet, pièce contemporaine de l’Adolescence Clémentine, lui fut ajoutée en 1532 : elle renforce encore ce caractère évangélique. Elle sera
supprimée de l’édition de 1538.

Marguerite d’Alençon et le « cercle de Meaux »

Née en 1492 à Angoulême, Marguerite est la sœur aînée de François 1er. En 1509, elle épouse Charles, duc d’Alençon – un mariage malheureux, sans enfant. À la mort de son mari, en 1526, elle épouse en 1527 Henri d’Albret, roi de Navarre ; elle sera la mère de Jeanne d’Albret, future reine de France, et mère d’Henri de Navarre, qui deviendra Henri IV.

Ouverte aux idées nouvelles, protectrice des arts et des lettres, elle-même écrivain de
premier plan, elle fréquente le « cercle de Meaux » fondé en 1521 par Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux, qui deviendra son directeur spirituel, et son vicaire Lefebvre d’Étaples. Elle protègera les membres du Cénacle lorsque celui-ci se trouvera en butte aux persécutions de la Sorbonne, et en particulier du théologien Jérôme Bédier. En 1525, le cercle doit néanmoins disparaître.

Or Clément Marot est au service de Marguerite depuis 1519 ; à ses côtés ou à ceux du duc d’Alençon, il participe au Camp du Drap d’or, et plus tard aux opérations de Champagne-Ardennes. Mais on ne sait ce qu’il advint entre 1521 et 1526… Lorsqu’il réapparaît, c’est pour nous faire part de ses démêlés religieux et judiciaires : il a été emprisonné pour avoir « mangé le lard » et avoir été dénoncé par une femme, Isabeau : voir le Rondeau LXVI, « De l’inconstance d’Isabeau », la Ballade XIV, « Contre celle qui fut s’amie », les Épîtres X et XI, et enfin le « Rondeau parfait, à ses amis, après sa délivrance ». Aucune de ces pièces ne figure dans l’Adolescence Clémentine de 1532… On ne sait si l’histoire est véridique ou non ; quoi qu’il en soit, en 1526, Marot est considéré comme hérétique et fait partie des suspects, comme l’ensemble des membres du « Cercle de Meaux », accusés d’être luthériens.

A plusieurs reprises, dans l’Enfer (v. 344-345), dans l’Épître « A Monsieur Bouchart, Docteur en théologie », ou plus tard dans « L’Épître au Roi du temps de son exil à Ferrare », il se défend d’être luthérien ; mais on ne le croit pas, et toute sa vie, les autorités le considèreront comme un dangereux hérétique. Il est vrai qu’il n’éprouve aucun respect pour l’église de Rome, qu’il nomme volontiers « la grande Symonne » (la « simonie » est « la volonté délibérée de vendre ou d’acheter un bien spirituel ou intimement lié au spirituel (bénédictions, grâces, bénéfices ou dignités ecclésiastiques) pour un prix temporel (somme d’argent, présent matériel, protection ou recommandation); ou la pratique qui en résulte » (Trésor de la langue française)). Il est donc, comme Rabelais ou Érasme, évangéliste.
Il prend ouvertement parti contre l’orthodoxie : cf. la ballade III, « D’ung qu’on appelait Frere
Lubin ».

Les années 1521-1526 sont probablement des années de maturation, auprès de Marguerite. Si l’Adolescence Clémentine reste pour l’essentiel orthodoxe – mais l’on perçoit l’influence du cercle de Meaux, notamment dans la Ballade IV, qui annonce le très luthérien « Second chant
d’amour fugitif » de la Suite – l’Enfer et la Déploration de Florimond Robertet contiennent des passages très nettement évangélistes, pour ne pas dire luthériens. C’est d’ailleurs peut-être à l’occasion de la mort de Florimond Robertet, le 29 novembre 1527 à Blois, que Marot assista aux sermons de Thomas Malingre, un Jacobin acquis au luthérianisme, qu’il retrouvera en 1542 lors de sa fuite à Genève. Celui-ci était devenu pasteur d’Yverdon, et il adressa au poète une épître de bienvenue.

Dans le même temps, Marot traduit plusieurs Colloques d’Érasme ; contrairement au « Cercle de Meaux », mais comme Rabelais, Dolet ou Berquin, Marot se passionne pour l’œuvre d’Érasme.

Il participe activement au grand mouvement d’évangélisation impulsé par Érasme, et par le Cercle
de Meaux : il publie L’Instruction et foy d’ung Chrestien, qui fait partie de toute une série de publications du même genre, œuvre des Évangélistes, visant la pédagogie, et il participe, en décembre 1533, au « Miroir de l’Âme pécheresse » de Marguerite de Navarre, en traduisant deux oraisons de Sebald Heyden, et le sixième Psaume de David.

C’est aussi en 1534 qu’il publie l’Épître à Monsieur Bouchart, docteur en théologie (Épître IX p. 126-127). Il s’y défend d’être luthérien par ces vers :

[…] Qui t’a induit à faire
Emprisonner, depuis six jours en çà,
tien amy, qui onc ne t’offensa ?
Et vouloir mettre en luy crainte & terreur
D’aigre justice, en disant que l’erreur
Tiens de Luther ? Point ne suis Lutheriste
Ne Zwinglien, encores moins papiste
Je ne fus onq, ne suys et ne seray
Sinon Chrestien, & mes jours passeray
S’il plaist à Dieu, soubz son filz JESUS christ.

Si Luther et Zwingli furent en effet des Réformés, Marot, en refusant d’être « papiste », rejette en fait également l’orthodoxie catholique : il ne se reconnaît « qu’en Dieu » – ce qui est précisément le fait des Luthériens. En 1538, par prudence, il change ces vers dangereux par

[…] Point ne suis Lutheriste,
Ne Zwinglien, et moins Anabaptiste :
Je suis de Dieu par son fils Jésus-Christ.

Certes il ne rejette plus l’accusation d’être « papiste » et fait allusion à une secte obscure et fanatique, les Anabaptistes : mais le 3ème vers reste une proclamation évangéliste et luthérienne.

Et tout au long de sa vie, quels que soient les risques, il continuera dans son œuvre de divulgation de la parole sacrée : malgré les persécutions et l’exil, malgré l’abjuration qui lui sera imposée, il continuera à traduire et à publier les Psaumes.

La satire anti-cléricale

Dans le Second Chant d’Amour fugitif, Marot montre toute une foule de moines en train d’écouter avidement la complainte de Vénus ; et il ajoute :

« Que diray plus ? Bien loger sans danger,
Dormir sans peur, sans coust boyre & manger,
Ne faire rien, aulcun mestier apprendre,
Riens ne donner, et le bien d’aultruy prendre,
Gras et puissant, bien nourry, bien vestu,
C’est (selon eux) pauvreté et vertu. »

C’est une détestation universelle à l’époque : Louise de Savoie et François Ier eux-mêmes l’ont exprimée, en termes similaires. Mais plus loin, Marot condamne le vœu de chasteté comme contraire à la Nature, suivant en cela Luther.

  • Dans l’Enfer, et dans la Déploration de Florimond Robertet, il a mis les prêtres en accusation ; dans le second texte il va jusqu’à critiquer la messe, et il dépeint l’Église comme une Dame romaine, dont la devise est « Le feu à qui en grogne ».
  • Dans ses Coqs-à-l’âne, il s’en prend au Pape et à nouveau à l’Église (« l’Ânesse de
    Jérusalem ») ; il ironise sur le dogme du Purgatoire – et sur le profit que les Papes pouvaient en tirer, par la vente des indulgences – sur celui du salut par les œuvres (dans lequel Luther voyait un pur « marchandage » avec Dieu), et celui des Saints et des reliques.
  • Enfin, dans l’Épître au Roi du temps de son exil à Ferrare, il consacre un long passage satirique à la Sorbonne et à ses « Sorbonniqueurs ».

Marot se montre donc un adversaire ferme et conséquent de l’orthodoxie catholique ; il en
condamne les institutions – couvents et monastères, église, papauté, commerce des Indulgences, Sorbonne – et les dogmes (culte des Saints, salut par les œuvres, dogme du Purgatoire). Il faut toutefois noter qu’aucune de ces attaques ne figure dans l’Adolescence Clémentine, bien que certains textes datent de bien avant 1532. La Déploration de Florimond Robertet, qui date de 1527, est publiée à part.

Les persécutions, l’exil et la mort.

Pour Marot comme pour l’ensemble des Évangélistes, l’affaire des Placards de 1534 marque une rupture totale. Alors qu’en 1533, ils avaient cru triomphé et avaient multiplié les prises de position audacieuses, cette affaire marque le glas d’une certaine liberté d’expression. Le Roi prend peur, se rapproche de la frange la plus conservatrice de son clergé et commence de terribles persécutions. Marot, suspect depuis 1526-27, doit fuir d’abord en Navarre, puis, probablement sur le conseil de Marguerite, à Ferrare, auprès de Renée de France, toute entière acquise à la cause évangéliste.

L’écriture de Marot change : au poète de cour spirituel et léger se substitue de plus en plus un militant évangéliste audacieux : cf. « L’Épître au Roi nouvellement sorti de maladie » : après un badinage où il demande au Roi de le reprendre à son service, il ajoute :

Je ne suis pas si laid comme ilz me font :
Miré me suis au cler ruisseau profond
De verité, et à ce qu’il me semble
À Turc ne Juif en rien je ne ressemble.
Je suis chrestien, pour tel me veulx offrir,
Voire plus prest à peine & mort souffrir
Pour mon vray Dieu et pour mon Roy, j’en jure,
Qu’eulx une simple et bien petite injure :
Ce que croiras, Sire, je t’en supplye… »
(v. 53-61)

Après un bref retour en grâce, il repart en exil en 1542, pour ne plus revenir, malgré ses
efforts.

L’Adolescence Clémentine représente donc le temps de l’insouciance, un temps où des pièces de piété traditionnelle pouvaient voisiner sans encombre avec une inspiration plus légère, voire grivoise. C’est aussi pour des raisons esthétiques, pour la construction de sa propre image, que Marot en a retiré toutes les pièces plus graves, témoignant d’un engagement de plus en plus fort du côté évangéliste, et luthérien. C’est pourquoi la « Déploration de Florimond Robertet », qui marque une rupture, se trouve toujours publiée immédiatement après l’Adolescence Clémentine ; et c’est pourquoi les textes plus engagés, comme le Second chant d’Amour fugitif (OC, tome I, p. 336-338) figurent dans la Suite de L’Adolescence Clémentine.

L’Éros et Antéros chez Clément Marot

Le discours d’Éros

Il y a dans l’Adolescence Clémentine un discours amoureux, à la fois gaillard et sensuel, et qui utilise toute la gamme des registres, de la chanson populaire fort leste au lyrisme courtois. Ainsi le Rondeau IV allie une contre-morale ironique à une sensualité, annonçant à la
fois Ronsard et Baudelaire (la « main fastueuse / soulevant, balançant le feston et l’ourlet ») :

«  Ce serait grand diffame,
Si vous perdiez jeunesse, bruyt et fame,
Sans esbranler Drap, Satin et Velours.

Même conseil épicurien dans le Rondeau LIII :

Certes c’est bien à toi grand cruauté,
De user en deuil la jeunesse et beauté,
Que t’a donné Nature sur la terre,
Par seule amour.
En sa verdeur se réjouit l’été,
Et sur l’hiver laisse joyeuseté,
En ta verdeur plaisir doncques asserre…

L’évocation des femmes revêt souvent une allure sensuelle, colorée ; les seins sont comparés à
des « pommes pareilles » (Maguelonne, v. 43) ou à des « groseilles » (Rondeau XLV) ; le baiser est souvent décrit : Maguelonne, v. 44-45, Rondeau LVII. Quant au plaisir sexuel, il est clairement évoqué, par exemple dans le Rondeau XLVI : le narrateur, entre des « draps odorants », obtient des « biens plantureux » et cueille un « fruit savoureux » ! Les appétits naturels s’expriment parfois crûment, comme dans l’envoi de la Ballade IV p. 156, ou le Rondeau LXIV, ou de manière plus raffinée (Rondeau LVI ou XXXIX, chanson XX et ses allusions au « point »…) On peut aussi
songer au Temple de Cupidon, dans lequel les autels sont « beaux lits… où se font d’amour les sacrements / De jour et nuit sans aucun luminaire » ! (v. 370-372)

Cependant, c’est rarement une voix personnelle qui parle : Marot est plus souvent spectateur de la passion amoureuse que véritablement concerné. Citons Simone Perrier (« La poésie amoureuse dans l’Adolescence Clémentine », in Clément Marot et l’Adolescence Clémentine, sous la direction de Christine Martineau-Génieys, Journées d’étude du XVIème siècle de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, 10 janvier 1997 :

« Son affaire de poète est d’exploiter toutes les figures traditionnelles, de la maquerelle au vérolé en passant par les « languards » ; d’employer tous les registres, de la fiction courtoise (cœurs gravés, échangés, des rondeaux LIV et LVIII) aux gaudrioles villageoises ; d’occuper toutes les places énonciatives, de plaider pour la Brune et pour la Blanche d’être celle qui veut et celle qui ne veut pas être infidèle, celui qui se contente du cœur (XLVII) et celui qui le laisse au mari (« J’auray pour moy le gent Corps de la belle / Toutes les nuictz », XLV) ; de faire pivoter sur le même « tant seullement » l’humble requête (LIV) et son refus cinglant (LXIV)… » (p. 12)

Cette mise à distance rappelle le « projet » défini dans l’épître liminaire du Temple de Cupidon, datée de 1515, au Roi (Œuvres complètes tome I, p. 233-234 : en effet,

En sa jeunesse ung prince de valeur
Pour eviter ennuy plain de malheur
Le noble estat des armes doibt comprendre
Et le beau train damourettes apprendre
Sans trop aymer venerique chaleur.

Le discours d’Antéros :

Il y a chez Marot un rejet de l’amour ordinaire, de la passion amoureuse, qui ne peut mener qu’à la désillusion et à la tristesse, et une nostalgie d’un amour parfait, constant. Ce rejet de l’amour se retrouve à maintes reprises dans l’Adolescence Clémentine, par exemple dans les Rondeaux : « D’être amoureux n’ai plus l’intention » (IX, p. 180)

Bien avant la redécouverte de Platon et l’avènement du néo-platonisme, chez Marguerite de
Navarre et Marot, apparaît une volonté de transformer le discours amoureux, dans la même optique que le discours religieux : afin qu’il ne soit plus occasion de perdition, mais d’édification. Dans le Temple du Cupidon, ou l’Épître de Maguelonne, il s’agit de critiquer le discours érotique traditionnel, depuis le Roman de la Rose, dans la lignée de Jean de Meung (continuateur du Roman de la Rose), qui oppose à « Folle Amor », Éros, la sérénité et la grandeur de « Bonne Amor », qui vient de « Raison » et de « Charité ». Ce thème sera repris par Christine de Pisan et Gerson.

Marot n’a donc pas inventé le discours antérotique, (peut-être s’est-il inspiré de Lemaire de Belges, pionnier du mouvement « antérotique » avec ses Trois contes de Cupido et d’Atropos).
mais dès le Temple de Cupidon, en 1514, bien avant d’être au service de Marguerite d’Alençon, il lui donne sa forme définitive et efficace. Sous une apparence conventionnelle appartenant à la tradition érotique médiévale, il trace une voie nouvelle pour la poésie des trente ans à venir. A l’égard de Cupidon, il éprouve non le désir, mais la crainte, et le désir de le fuir. Blessé par la flèche de Cupidon, il se rebelle, entreprend un « voyage lointain » à la recherche de Ferme Amour… Il croit la trouver dans le Temple de Cupidon ; d’abord séduit par la beauté du Temple, il se rend vite compte de la vraie nature, impitoyable, du Dieu et de sa mère :

Joie y est, et deuil rempli de ire,
Pour un repos, des travaux dix :
Et bref, je ne saurais bien dire
Si c’est Enfer ou Paradis.
Mais par comparaison je dis
Que celui temple est une rose
D’épines et ronces enclose :
Petits plaisirs, longues clamours.
(v. 413-420)

On trouvera également une allusion dans le « Jugement de Minos », dans la bouche du sage et vertueux Scipion :

« Des Dieux aussi la bonté immortelle
Que cruauté, et injustice au bas
Je déjetai, et ne mis mes ébats
Aux vanités, et doux plaisirs menus
De Cupido le mol fils de Vénus,
Dont les déduits et mondaines enquêtes
Nuisantes sont à louables conquêtes.
»
(v. 347-354)

Quant à « Maguelonne », elle va dans le même sens, dans un style plus naïf et populaire : d’abord simple « Héroïde » imitée d’Ovide et de Virgile, Maguelonne n’est pas une Didon : elle renonce à la violence de la passion, passe de l’Éros à l’Agapè, devenant une « petite sœur des pauvres » avant la lettre…

Ce thème est constant chez Marot : dans les années 1530, il se met à traduire Ovide ; en 1540, il traduit l’Histoire de Léander et Hero, de Musée : ces « histoires » constituent aux yeux du poète comme à ceux des humanistes de véritables mythes pré-chrétiens, mettant en scène « le seul amour parfait ».

Dans l’Adolescence Clémentine, on trouve des exemples probants de cette nouvelle conception de l’amour : rondeaux XLVII, LXI, LXII,qui exaltent la constance amoureuse, le rondeau XLIX (un amoureux reste constant malgré l’abandon de sa Dame), ou le rondeau LXV, où l’amour n’est pas partagé, mais où la constance empêche la faute. Ferme Amour est encore chantée dans la ballade VI ou la chanson XII.

L’Amour, chez Marot, est donc le don de soi à une seule personne ; il peut mener au malheur, mais aussi au bonheur et à la jouissance. L’envers de Ferme Amour, c’est à la fois l’inconstance et la légèreté – la figure de Jason est présente dès le Temple de Cupidon – mais aussi
la passion destructrice de Didon.

On le retrouve à la fin de sa vie, dans « l’Épître aux Dames de France » ; dans les années 1537-1544, « Marot, pour ses contemporains, s’identifie naturellement à « Ferme Amour » et « Ferme Amour» à Marot ». (G. Defaux, p. 219)

Dialogue et dialogismes : une poésie orale et un « style bas »

Polyphonie, dialogue, dialogismes : dimension ouvertement orale de cette poésie.

  1. Dialogue de Tityre et Mélibée dans la 1ère Églogue
  2. Assez peu de dialogue dans le Temple de Cupidon : 74-84
  3. Jugement de Minos, entièrement dialogué
  4. Épître de Maguelonne : adressée à Pierre ; très peu de discours direct
  5. Épître du Dépourvu, entièrement dialoguée
  6. Épître IV, v. 18-22
  7. Épître VI, v. 9-20 et 24-26, adressée au Roi, et où il s’invente un interlocuteur, « Henri Macé » pour la rime !
  8. Épître VII, dialogue avec le Désespoir, v. 24-28
  9. Dialogue du lion et du rat dans l’Épître X
  10. Complainte du Baron de Malleville, dialogue
  11. Les rondeaux : apparaissent souvent comme un bout de conversation avec un interlocuteur, une réponse, ou une interpellation. Ils contiennent parfois eux-mêmes du dialogue, comme le rondeau X, le rondeau XLVI ou le rondeau XLVII (p. 203)
  12. Chanson VII (p. 222), chanson XXIII (p. 231)
  13. On peut citer également les « Chansons », en particulier la chanson XVIII p. 229, qui cite le refrain d’une chanson populaire médiévale, « Allégez-moi, douce plaisant Brunette ».

Nombreuses marques de l’oralité

  • Le « tu » et l’adresse à un destinataire
  • Les parenthèses
  • Le jeu des questions/réponses
  • Le recours fréquent à des expressions populaires : jeu sur les dérivés de « rime » dans l’Épître VI, vocabulaire…
  • Ex du rondeau II « A un créancier » :
    • S’adresse à un destinataire bien précis mais anonyme ;
    • Jeu de mots et plaisanterie sur « baille, baille » : style familier, humour ; la première
      strophe dresse un portrait charge du créancier.
    • « Sur moi ne faut… » : Marot donne des conseils à son interlocuteur (formule injonctive), et argumente son propos (« car… »)
    • Usage plaisant du « on » pour un « je » ; parenthèse ironique et hyperbolique ;
    • Nouvelle apostrophe, nouvelle injonction : « ne vous chaille »…
  • La formulation même suppose le dialogue, comme dans les expressions : « et pourquoi non ? » (Rondeau IV) ou « hélas, pourquoi ? » (Rondeau VIII)

Refus du « style haut », volonté de retrouver la spontanéité et le naturel du Cicéron des « Lettres à Atticus », du Sénèque des Lettres à Lucilius, ou des épîtres d’Érasme, ce qui lui vaudra l’incompréhension et le mépris des censeurs, de Du Bellay dans la Défense et illustration de la Langue française (il reviendra sur ces préventions dans les Regrets) à Voltaire, qui lui reprochait de « n’avoir qu’un style », que le sujet soit léger ou grave. La rhétorique, pour lui, est une « parole fardée » contraire à la Vérité. En ce sens, il préfigure La Bruyère… (cf. Les Caractères, « De la Chaire »)

Le rire dans l’Adolescence Clémentine

Nous nous référerons au texte de Frank Lestringant, « Le rire de l’Adolescence », in Clément Marot, de l’Adolescence à l’Enfer, 2006, p. 41-60.

Un rire gaillard et rabelaisien.

  • Ballade I, qui évoque le folklore de la Basoche
  • Ballade II, rire moqueur mais qui ne s’attaque pas à la personne
  • Ballade III, « D’ung qu’on appelait Lubin » : satire anticléricale traditionnelle
  • Rondeau VII, « Ung Poëte ignorant », comparé à un veau qu’on mène au champ.
  • Chanson XXV, « Du jour de Noël », avec une équivoque : faut-il voir dans la seconde strophe une leçon religieuse d’une stricte orthodoxie (la Vierge Marie, femme parfaite, a enfanté un enfant parfait), ou bien une allusion grivoise, induite par la première strophe, qui met en scène un couple de pastoureaux ? d’autant que la chanson précédente, sur le même schéma strophique, développe un « programme d’amour » on ne peut plus profane… On retrouve ici la culture traditionnelle médiévale, qui ne voyait pas de contradiction entre l’Évangile et sa parodie gaillarde.
  • Chanson XXVI, gauloise
  • Chanson XXXII, pastiche d’une chanson à boire

Mais, poète de cour, Marot ne tombe jamais dans la grossièreté : son public ne l’eût pas admis. Seule exception, l’Épître IX, épître fatrasique, fondée sur une équivoque obscène.

Un rire badin.

Marot serait, selon Gabriel Naudé, l’inventeur du burlesque.

  • Petite Épître au Roy
  • Épître « A mon amy Lyon »
  • Rondeau XXIII, qui évoque déjà le « coq-à-l’âne », genre que Marot pratiquera après l’Adolescence Clémentine

Le rire a ici pour fonction de créer une connivence avec le lecteur, tout en écartant les méchants, les envieux, les ennemis. C’est la complicité des rieurs contres les « agélastes » (les ennemis du rire), comme chez Rabelais.

Le rire du fou : les épitaphes burlesques.

  • Épitaphe de Jouan (X, p. 145) : la folie est une figure inquiétante, que le rire apprivoise ; liens ambigus de la folie et de la mort, dès le Moyen-Âge : cf. les danses macabres. Le fou dénonce la fausse sagesse du monde… Jouan est d’abord le cocu paradoxal (il n’est pas marié) : son nom fonctionne comme une antonomase. Mais par jeu de mots il est aussi « jouant » :celui qui joue et se moque. Il commence par déraisonner – craignant que trop de visiteurs ne troublent son sommeil – mais il termine par un avertissement qui renvoie dos à dos les Sages et les fous : « faut-il rire d’un trépassé ? »
  • Épitaphe de « Jehan Serre, excellent joueur de farces » (XIII, p. 146) : ici la folie est feinte ; si Jehan Serre joue à la perfection « le badin et l’ivrogne », c’est qu’il ne l’est pas : Rabelais rappelle dans le Quart Livre que l’on confiait ces rôles au plus expert de la troupe. Et pourtant il y a ambiguité : il a la tête de l’emploi ! Il adhère donc à son rôle… De même, l’attitude des visiteurs devant la tombe est ambigue, comme celle de Gargantua dans Pantagruel, qui ne sait s’il doit rire ou pleurer devant sa femme morte ; ici, en évoquant le mort, ils « rient aux larmes », ne savent plus s’ils rient ou pleurent. Et comme dans l’épitaphe X, le texte s’achève par une mise en garde plus grave :

e

« Vous feriez beaucoup mieux (en somme)
De prier Dieu pour le pauvre homme. »

Contrairement au roman de Rabelais, où tout s’achevait par un banquet, ici la fin est grave : le deuil l’emporte sur le rire.

La « gélodacrye » : le rire qui fait mal, ou le deuil joyeux.

Formé des verbes grecs γελᾶν (rire) et  δακρύειν (pleurer), ce néologisme a été mis en vogue plus tard par le poète-médecin protestant Jacques Grevin (1536-1570), ami de Ronsard. Mais si le mot apparaît tardivement, la notion existe, elle, dès le Temple de Cupidon ; voir par exemple la description du cimetière, v. 315-316 :

Arbres plantés, ce sont les croix :
De Profundis, gaies chansons.
Et plus loin, v. 415-416 :
Et bref, je ne saurais bien dire
Si c’est Enfer ou Paradis.

La Gélodacrye vient en réalité de plus loin : c’est une des figures privilégiées de la plainte élégiaque dans la lyrique médiévale, en particulier chez Villon (Ballade du « Concours de Blois »), Alain Chartier et surtout Charles d’Orléans, chez qui, par bienséance ou par orgueil, la douleur prend le masque de la joie (Ballades X, XI, XXV…)

Mais chez Marot, c’est surtout dans le domaine religieux que s’exprime la contradiction du rire-larmes, par exemple dans le Rondeau XXX « Du Vendredi Saint », qui exprime par son « rentrement », « Deuil ou plaisir », la situation paradoxale du Chrétien partagé entre douleur et joie : devant le cadavre du Christ, il éprouve une douleur qui ouvre sur l’espérance. On retrouve ce dialogisme du rire et des larmes dans toute une série de poèmes religieux, parmi lesquels deux traductions, les Tristes Vers, l’Oraison contemplative.

  • Les Tristes Vers de Philippe Béroalde commencent par 142 vers de deuil et de déploration, suivis de 26 vers de liesse célébrant la Résurrection. La transition se fait par une oxymore :
    « O douce Mort… »
  • L’oraison contemplative (p. 91-95) est construite sur le même schéma : après 160 vers durant lesquels le locuteur se plaint et se flagelle, 8 vers de joie et de liesse.

Enfin, chez Marot, la gélodacrye est à l’image même de sa destinée, constamment oscillant entre le triomphe et la peine, la faveur et l’exil ; la forme du Rondeau, forme ronde convenant à la contradiction et au retour, l’exprime parfaitement. Elle trouve sa plus parfaite expression dans le Rondeau Parfait :

« C’est bien, et mal. Dieu soit de tout loué. »

Cette dialectique du Bien et du Mal se retrouve dans l’Enfer, en particulier dans les premiers vers :

« Comme douleurs de nouvel amassées

Font souvenir des liesses passées,

Ainsi plaisir de nouvel amassé

Fait souvenir du mal qui est passé.

Je dis ceci, mes très chers Frères, pource

Que l’amitié, la chère non rebourse

Les passe-temps et consolations

Que je reçois par visitations

En la prison claire et nette de Chartres

Me font records des ténébreuses chartres,

Du grand chagrin et recueil ord et laid

Que je trouvai dedans le Châtelet. »

Marot et la musique

La Renaissance connaît un grand développement de la musique profane : les musiciens se détachent de l’emprise de l’Église, qui n’y voyait qu’un moyen pour la prière ; le regain d’intérêt pour l’antiquité gréco-latine pousse à se pencher sur les textes théoriques concernant la musique – c’était tout ce qui restait de la musique antique. Dans le même temps, le développement de l’imprimerie permet une plus grande diffusion des partitions : l’imprimerie musicale apparaît.

De son côté, de grands compositeurs, comme Josquin des Prés ou Palestrina renouvellent la musique sacrée.

C’est également à cette époque que se découvrent ou se développent des instruments tels que la viole de gambe, le luth, la harpe…

Parmi les grands musiciens profanes, citons Clément Janequin (1485-1558), qui mit en musique des textes de François 1er, Clément Marot et plus tard Ronsard, et qui triompha dans la « chanson descriptive », pleine d’onomatopées et d’harmonies imitatives, ancêtre de la « musique à programme » : La Guerre, La Chasse, Les Cris de Paris…

Pour découvrir cette musique Renaissance, il faut visiter le site d’ Alain Naigeon, où l’on peut entendre de multiples extraits.

Malgré ce qu’il dit dans les premiers vers de la Déploration de Florimond Robertet, Marot n’a probablement jamais mis lui-même ses textes en musique ; du moins, aucune partition n’en atteste. Et pourtant la musique est partout dans son œuvre, des « Chansons » de l’Adolescence Clémentine aux Psaumes de la fin de sa vie.

Les allusions au chant dans l’Adolescence Clémentine :

  • Chansons des bergers de Virgile dans la 1ère Églogue
  • Ballade IV, v. 1-12 (avec le refrain d’une chanson populaire)
  • Ballade XI, « du jour de Noël » (les « Noëls » étaient des chants ; le titre original était « Noël en forme de ballade, sur le chant ‘j’ai vu le temps que j’étais à Bazac’ »

En outre, on trouve de nombreuses citations de chansons dans toute l’œuvre : outre la Ballade IV ci-dessus, la Complainte II réemploie systématiquement des refrains de chansons pour clore chaque strophe.

Les Chansons

Dès 1532, 28 des 32 chansons du recueil ont déjà paru dans des anthologies musicales ; les quatre autres (X, XI, XXI, XXVII) seront mises en musique plus tard. Parmi les musiciens qui les ont appréciées, on cite Claudin de Sermisy, sous-maître de la chapelle du Roi. Il est probable que Marot a fréquenté beaucoup de musiciens de la cour, et que, jusqu’à son exil en Italie, il a écrit de nombreuses pièces en vue d’une mise en musique. C’est le cas des chansons.

Dans beaucoup d’entre elles, chaque strophe peut être divisée en deux groupes de vers indépendants, de ton et parfois de rythme différent, correspondant à deux voix. La chanson est elle-même souvent en deux parties, l’une sur un rythme A répété deux fois, l’autre, plus longue, sur un rythme B. Ce schéma s’applique aux chansons II-III, VII-IX, XII, XIV-XVI, XVIII, XXII, XXIV… La chanson XII, « Tant que vivrai en âge florissant » est particulièrement significative à cet égard, avec son brutal changement de rythme au vers 7 et au vers 20. Elle a été mise en musique par Claudin de Sermisy, et a connu un succès foudroyant.

Les Chansons appartiennent donc à la poésie populaire ; elles ont permis à Marot d’être connu même de ceux qui n’avaient pas accès à ses livres : d’où un caractère relativement impersonnel et général des textes ; en effet, pour qu’un interprète puisse les faire siens, il ne faut pas qu’ils contiennent des allusions trop particulières ou personnelles ; mais cette impersonnalité est compensée par une très grande diversité rythmique ; il est rare que deux chansons de même structure se suivent, excepté celles conçues par paires. De même, les titres individualisés disparaissent dans les chansons. Elles ont aussi un caractère collectif : rares sont les chansons monodiques. En somme ce sont les chansons qui donnent au recueil sa tonalité populaire et « marotique ».

En revanche, les dernières chansons de 1538 (XXXIII-XLII) seront moins liées à la musique : seules les chansons XXXIV, XXXV et XXXVI seront mises en musique dès 1538, et une seule autre (XL) du vivant de Marot en 1540. Peut-être est-ce le signe que Marot privilégie désormais, pour ses « chansons », la musicalité littéraire plutôt que l’exécution musicale.

Autres textes chantés :

  • Ballade III (envoi mis en musique par Gabriel Coste)
  • Ballade XI
  • Épitaphe VI
  • Une vingtaine de rondeaux

Marot et Pétrarque

Le pétrarquisme a pénétré en France dès la fin du XVème siècle, et en particulier grâce au père de notre poète, Jean Marot.

S’il n’est pas sûr que les blasons, dont Clément Marot a contribué à lancer la vogue en France avec le « Blason du Beau tétin », soient d’origine italienne – ils ont pu tout aussi bien s’inspirer de Villon – en revanche, l’influence de Pétrarque est patente dans les œuvres de notre poète :

  • Hors de l’Adolescence Clémentine : le Chant Royal dont le Roy bailla le refrain (« Desbender l’Arc ne guérit point la Playe ») est fondé sur un vers de Pétrarque (Piaga per allentar d’arco non sana), et commence par des allusions au « laurier » qui montrent que l’œuvre de Pétrarque était connue. Les Épigrammes et de nombreux poèmes d’amour de la Suite, et des Œuvres diverses montrent aussi une forte influence italienne, comme le Dizain de May, le Blason de la Rose (tous deux faisant partie de l’Adolescence Clémentine de 1532), le Dizain du départ, le Dizain de neige…
  • Dans l’Adolescence Clémentine : le « Rondeau par contradictions » (Rondeau XXVIII, p. 191) est fondé sur des antithèses, concetti pétrarquistes parmi les plus fréquents, non seulement chez Pétrarque lui-même, mais chez ses continuateurs italiens, comme Tebaldeo et Serafino. On retrouve une antithèse similaire (l’eau et le feu) dans le Rondeau V (p. 178), dans le 1er vers du Rondeau IV (p. 177) ; le concetto de « l’échange des cœurs », fréquent chez Serafino, se trouve dans le Rondeau LIV, p. 207-208, le Rondeau LVIII, p . 210. Le concetto de la blessure reçue par les yeux ou la bouche de l’Aimée se trouve dans le Rondeau LI (D’alliance de sœur, p. 206) ou le Rondeau XI (De l’amant douloureux, p. 181). Les thèmes pétrarquistes sont constants dans les Rondeaux : la nature colorée par la douleur du poète (Rondeau XLVIII p. 204), la comparaison avec un oiseau, ici l’aronde (Rondeau XLIV, p. 201), l’amant malheureux chérissant son malheur (Rondeau XXVII, p. 191, un thème repris par Louise Labé), la perfection de la Dame et l’invitation à jouir de sa jeunesse (un thème ronsardien, déjà !) : Rondeau XLII, p. 200 et aussi « A la jeune dame mélancolique et solitaire », LIII p. 207.

Mais il n’est pas toujours facile de retrouver la source de tel ou tel poème : Marot procède rarement par imitation pure, mais par emprunts divers, tantôt à Pétrarque lui-même (p. ex. le vers 11 du Rondeau XLVIII rappelle l’expression « mio sole » qui désigne, chez Pétrarque, Laure), tantôt à Serafino : ainsi le Rondeau LIV semble inspiré par le strambotto de Serafino :

El cor te dedi, non chel tormentasti,

Ma che fusse da te ben conservato ;

Servo ti fui, non che me abandonasti,

Ma che fusse da te remeritato :

Contento fui che schiavo m’acatasti,

Ma non de tal moneta esser pagato :

Or poi che regna in te poca pietade

Non ti spiacia s’io torni in libertade.

(Opere, Venise, 1508. Cité par C. A Mayer, 1993, p. 57)

Par ailleurs, il faut parfois trouver la source de son inspiration chez des poètes italiens moins connus, comme Chariteo et Olimpo, qu’il avait pu lire soit par les Italiens nombreux à la cour de France, soit par des Français de retour des armées d’Italie.

Le genre de l’épître dans l’Adolescence Clémentine

L’Adolescence Clémentine de 1532 comportait 9 épîtres, y compris l’Épître de Maguelonne ; celle de 1538 en comprend 10, mais l’Épître de Maguelonne est mise hors section (c’est en réalité une héroïde, dont l’épistolière est Maguelonne, un personnage de fiction), et deux pièces ont été ajoutées : « l’Épître à Monsieur Bouchart, Docteur en théologie », et « l’Épître à [son]ami Lyon », qui auraient été écrites en prison en 1526.

Les épîtres  – lettres en vers ou en prose – sont un genre très prisé depuis l’antiquité ; il faut évidemment songer à celles d’Horace, qui sont le modèle absolu en matière d’épître profane, mais également, pour l’épître de fiction, aux Héroïdes d’Ovide ; il faut y ajouter un modèle plus prestigieux encore, particulièrement important pour le XVIème siècle : les épîtres de Paul de Tarse.

Les genres des Épîtres :

Les Épîtres appartiennent à tous les genres répertoriés par Érasme :

  • Genre délibératif :
    • Amatoria (Épître de Maguelonne)
    • Petitoria (Épître I)
  • Genre démonstratif : Épîtres II et III
  • Genre familier :
    • Mandatoria : Épîtres IV, V
    • Lamentatoria : Épîtres VIII
    • Iocosa / petitoria : Épîtres VI, VII, X
  • Genre judiciaire : Épître IX

On voit que les épîtres familières sont les plus nombreuses ; nombreuses sont celles qui célèbrent l’amitié : de l’Épître X « A mon Amy Lyon », à l’Épître IV adressée à « notre Amie très chère », à l’Épître V à la nouvelle alliée, et jusqu’à l’Épitre IX, où Marot feint d’évoquer une prétendue amitié ancienne avec le théologien : même les Épîtres qui n’appartiennent pas spécifiquement au genre familier s’en rapprochent.

La composition des Épîtres

Très variées dans leur sujet et leur fonction, les Épîtres retrouvent leur unité dans la forme, inspirée de la tripartition édictée dans la Summa dictaminis de Guido Faba au XIIIème siècle : exordium ou cause, narratio ou intention, petitio ou conséquence :

Épître VIII :

  • Vers 1-24 : exorde, ou cause : il s’agit de donner des nouvelles d’une malheureuse victime de la « guerre féminine »
  • Vers 25-63 : le récit des malheurs
  • Vers 64-74 : les souffrances sont adoucies par le récit (conséquence plus que demande)

La longueur respective des trois parties peut varier : dans l’Épître I, l’exorde devient le récit d’un songe ; dans l’Épître III, en prose, après un exordium célébrant les exploits guerriers, la narratio détaille les malheurs de la guerre, et la petitio est un appel à la Paix : toute l’Épître devient donc une condamnation, humaniste et évangéliste, de la guerre.

Les exordes

Ils peuvent être directs, et constituer une captatio beneuolentiae : c’est le cas des épîtres IV, V, VI, VII, VIII et IX, ainsi que de l’Épître de Maguelonne.

Il y a aussi des exordes indirects : par exemple dans l’Épître I (Du Dépourvu), où le désir d’écrire se manifeste par un débat entre Mercure, Crainte et Bon Espoir ; dans l’Épître II (Du Camp d’Attigny), Bon Vouloir annule la hantise de la page blanche, qui paralysait le narrateur ; enfin, dans l’Épître X (A mon amy Lyon), après un véritable catalogue des genres poétiques, le narrateur annonce la Fable. Il y a donc tout un discours métapoétique dans l’épître, inspiré de la célèbre Épître aux Pisons, ou Art Poétique d’Horace.

La narration, ou intention

  • Narration au passé, avec insertion du présent et du discours rapporté (I, VI, VIII) ou fable (X)
  • Description (II, III) – à laquelle on peut rattacher l’Épître IX, véritable profession de foi à la 1ère personne.
  • Demande (I, V, VII, IV)

La conclusion (petitio, conséquence)

Selon la Rhétorique à Hérennius, elle devrait comporter trois parties : récapitulation, amplification, appel à la pitié. Si l’amplification est absente des épîtres – le genre, trop bref, ne s’y prête pas – on trouve les deux autres parties :

  • Récapitulation (I, III, VIII, X)
  • Appel à la pitié, partout sauf dans l’épître V ; elle se double d’une prière à Dieu dans les épîtres I, II, III, IV et X.

Marot et la politique

L’Adolescence Clémentine n’est ni un traité ni un pamphlet ; cependant des préoccupations politiques affleurent parfois au fil de l’œuvre, lorsque le sort collectif est intériorisé. Ainsi, dans la Ballade de Paix et de Victoire, la strophe 2 offre le spectacle des horreurs de la guerre :

Mon triste cœur l’œil en fait larmoyer
Mon faible sens ne peut plus rimoyer
Fors en dolente et pitoyable histoire.

Touché personnellement, le poète s’engage alors pour la paix, comme le montre l’envoi.

La politique s’invite donc dans l’œuvre de Marot, sous deux espèces : l’institution du Prince, la défense de la paix.

L’institution du Prince

Le « Temple de Cupidon » se présente comme une « leçon », car un « Prince de valeur » doit « le beau train d’amourettes apprendre ». Ce petit « traité » est dans la tradition des « régimes du Prince » ; les humanistes pensent alors qu’un bon Prince, semblable au roi-philosophe de Platon, garantirait la paix et la prospérité du royaume, idéal partagé par Rabelais dans Gargantua (1534). Rappelons que le Prince de Machiavel a été publié en Italie en 1532, et le Livre du Courtisan, de Balthasar Castiglione, paru à Venise en 1528, a été traduit en français par Jacques Colin d’Auxerre en 1537 : de tels livres d’instruction étaient donc à la mode.

De même, le « Jugement de Minos », également offert à celui qui n’est encore que duc d’Angoulême, oppose la figure d’Hannibal et d’Alexandre, également arrogants et belliqueux, à celle pleine de sagesse et de modération d’un Scipion directement inspiré de Cicéron, ce qui ne manque pas d’originalité, adressé à celui que l’on compare plutôt à un César ! Pour Marot, comme plus tard pour Érasme (Institution du Prince), la vertu l’emporte sur la valeur guerrière.

L’appel à la paix

Dans la 2ème Épître de la Suite, composée probablement en 1529, (OC, tome I, p. 311) il énonce tout un programme :

Je blâmerais Guerre, qui fait gésir
Journellement par terre en grand outrance
Les vieux soudards et les jeunes de France.
Ou emplirais la mienne blanche carte
Du bien de Paix, la priant qu’elle parte
Du haut du ciel pour venir visiter
Princes chrétiens, et entre eux habiter.

Dans l’Adolescence Clémentine, Marot parvient à la fois à offrir au duc d’Alençon un éloge traditionnel de la victoire, tout en peignant les horreurs de la guerre et en laissant entrevoir l’espoir de la paix (cf. plus haut, naissance de l’humanisme). Dès sa première Églogue, il oppose le bonheur de la paix, rendue possible par un « Dieu fort grand » (Octave pour Virgile, le futur François Ier pour les contemporains) au malheur antérieur.

Au début de son règne, François Ier parut vouloir être garant de la paix : le traité de Londres, signé en octobre 1518, puis la rencontre du « camp du drap d’or » en 1520 semblaient promettre une paix perpétuelle fondée sur l’entente entre le monarque français et Henri VIII d’Angleterre : la ballade VIII et le rondeau XXXII font écho à cette actualité. Il y est fait allusion aux noces de Thétis et Pélée, noce fastueuse à laquelle tous les dieux avaient assisté, sauf Éris, la Discorde ; et de fait la paix devait être scellée par le mariage du Dauphin de France, François (âgé de 2 ans) avec Marie Tudor (4 ans)…

La rencontre n’apporta pas la paix attendue, comme en témoignent les pièces sur les campagne du Hainaut, qui à la fois célèbrent la victoire et dénoncent la guerre. En 1529, la « paix des Dames » est à nouveau l’occasion d’une allusion mythologique (Rondeau LIX) : Marguerite d’Autriche, tante de Charles Quint, Marguerite de Navarre et Louise de Savoie (sœur et mère de François Ier) forment un trio de déesses ; mais contrairement à Vénus, Minerve et Junon, ce n’est pas la pomme de discorde qu’elles se disputent, mais le rameau d’olivier, symbole de paix…

Enfin, la « Demoiselle négligente de venir voir ses amis » (IV, p. 120-121) est probablement une allégorie de la Paix.

Pour le christianisme du XVIème siècle, très influencé par les Épîtres de Paul, la guerre est un fléau de Satan : « cette impitoyable Serpente », dit Marot dans l’épître IV. La Paix au contraire est œuvre de Dieu. Cet enseignement est repris par Érasme ; en la paix seule existe la Charité, l’agapè grecque, la première des vertus cardinales.