- Introduction à la philosophie grecque
- Biographie d’Aristote
- Construction de l’Ἀθηναίων Πολίτεια
- Cours n° 1 : Solon
- Cours n° 2 : les Pisistratides et la réforme de Clisthène
Structure du texte
La Constitution des Athéniens est formée de deux grandes parties :
- Histoire de la démocratie athénienne, des réformes de Solon à la fin de l’oligarchie des Trente
- Situation dramatique de la paysannerie athénienne et réformes de Solon (I, 1-12)
- La tyrannie de Pisistrate et de ses fils (I, 13-19)
- La réforme de Clisthènes (I, 20-24)
- La réforme d’Éphialte (I, 25)
- Le gouvernement de Périclès et de ses successeurs ; la guerre du Péloponnèse (I, 26-28)
- Les Quatre-Cents (I, 29-34)
- Les Trente (I, 35-37)
- Le rétablissement de la démocratie (I, 38-40)
- Résumé de la partie historique (I, 41)
- Exposé des institutions athéniennes.
- L’Éphébie (II, 42)
- Le Conseil des Cinq-Cents (ἡ Βουλή) (II, 43)
- Les différentes magistratures (II, 44-62)
- Les tribunaux (II, 63-69)
Histoire du texte
Connue d’abord par des fragments, puis par un papyrus qui donnait la quasi totalité du texte, découvert en 1879, la Constitution des Athéniens faisait partie des 158 Constitutions rassemblées par les élèves d’Aristote sur l’ordre du Maître ; elle fut immédiatement attribuée à Aristote lui-même. Par la suite, on mit en doute cette paternité, en arguant du fait que le style semblait différent de celui d’Aristote, et la datation difficile à établir.
Le problème des sources
Pour la seconde partie, l’auteur pouvait avoir accès à des documents de première main, puisqu’il vivait à Athènes. Mais pour la première, de nature historique, le problème semble plus complexe. Parfois l’auteur cite ses sources (poèmes de Solon, chansons, constitutions des Quatre Cents…) ; mais parfois aussi, il ne le fait pas, comme par exemple à propos des Tyrannoctones, où il s’inspire de Thucydide sans le dire expressément.
Le célèbre chapitre IV sur la constitution de Dracon serait une extrapolation, et même un faux, né d’une littérature pamphlétaire développée à la fin du Vème siècle.
Sur les réformes de Solon, sur les Pisistratides et sur la constitution de Clisthènes, l’auteur semble s’être inspiré d’Androtion, un démocrate modéré, élève d’Isocrate.
Enfin, chaque fois que l’auteur se livre à des considérations politiques, elles renvoient à la Politique d’Aristote : s’il n’est pas de la main même d’Aristote, l’ouvrage est donc issu du milieu le plus proche du philosophe.
Pour lire avec profit la Constitution des Athéniens, il peut être utile de consulter les historiens contemporains des événements :
- Thucydide, pour la période antérieure aux Quatre-Cents ;
- Xénophon, les Helléniques, pour la période suivante ;
- Lysias, le Contre Ératosthène, un témoin direct des événements.
La constitution de Solon (I, 1-12)
Le début du texte manque ; nous ne nous attarderons donc pas sur le 1er §, assez énigmatique ; il y est sans doute question du sacrilège commis par les Alcméonides, une grande famille athénienne, durant les luttes fratricides entre les féodaux.
Ce qui nous intéresse davantage, c’est le paragraphe suivant :
L’état social avant Solon.
La situation que décrit Solon fait suite immédiatement à l’époque mycénienne, et constitue donc un témoignage – certes de seconde main – sur les « Siècles obscurs » (XII-VIIIème siècles). Nous voyons les riches propriétaires, qui se sont approprié les terres, réduire en esclavage pour dettes toute la petite paysannerie ; cette situation, dénoncée également par Hésiode dans les Travaux et les Jours (voir sa condamnation des « Rois mangeurs de présents », v. 238-249), évoque un problème récurrent dans l’Antiquité, et que l’on retrouvera dans la République romaine : le problème de l’endettement…
Aristote décrit ensuite les institutions : des magistratures qui continueront d’exister dans l’Athènes classique, mais qui avaient alors un pouvoir exorbitant, d’autant qu’elles s’exerçaient à vie… (p. 5)
- Les trois archontes majeurs (ce qui n’est pas sans rappeler la tripartition fonctionnelle indo-européenne)
- Les thesmothètes, chargés de rédiger la jurisprudence, beaucoup plus tardifs, comme en témoigne le fait que leur charge était annuelle.
- L’Aréopage (siégeant sur la colline d’Arès), cour constitutionnelle, exécutif et tribunal : la Grèce primitive ignorait donc la séparation des pouvoirs…
Le § IV, sur la constitution de Dracon, semble extrapolé. En effet, cette organisation censitaire repose sur une évaluation monétaire de la richesse de chaque classe… à un moment où la monnaie était encore fort peu employée ! « un bien d’au moins 100 mines » pour les Stratèges et les Hipparques (c’est-à-dire les officiers supérieurs), cela correspond à une fortune d’environ 10 000 drachmes, ou 500 000 €… (voir la monnaie antique) ; par ailleurs, le nombre de 401 conseillers évoque la période des 400 oligarques de 411 av. J-C….
L’archontat de Solon.
Par son origine, Solon appartient aux classes moyennes : il n’a pas la richesse des très grands propriétaires, mais il n’appartient pas non plus au peuple. Sa position sera donc celle d’un modéré, et d’un médiateur, entre les deux classes qui s’affrontent violemment. Pour en finir avec la guerre civile, il va donc procéder à des réformes radicales :
- l’abolition des dettes, avec effet rétro-actif, et l’interdiction de l’esclavage pour dettes.
- l’établissement d’une constitution et de lois écrites – ce qui met fin aux lois coutumières et à leur application arbitraire ;
- une organisation censitaire de la société : 4 classes, dont la dernière, exclue des magistratures, possède malgré tout le droit de siéger à l’assemblée.
- La plupart des magistratures sont tirées au sort sur une liste établie par chaque tribu : cela peut nous sembler étrange, mais c’est, d’une certaine manière, faire prévaloir « le choix des dieux » : ce sont les dieux qui déterminent les sorts. Ce n’est donc plus l’Aréopage, désormais privé de la plupart de ses prérogatives, qui nomme les magistrats.
- La répartition de la population en 4 tribus gentilices, chacune divisée en 3 trittyes, chaque trittye elle-même divisée en 4 circonscriptions navales (essentiellement circonscriptions fiscales) ; chaque tribu choisit 100 membres d’un Conseil des 400, ancêtre de la future Boulè.
- Une réforme judiciaire, donnait à chacun le droit de se pourvoir en justice ;
- Enfin, une réforme monétaire : 100 drachmes = une mine ; 63 mines = un talent.
Le départ de Solon.
Il part pour 10 ans en Égypte, après s’être fait haïr des deux partis – ce qui est le sort commun des médiateurs ! Et son départ marquera le début de nouveaux troubles…
Qu’est-ce qu’un citoyen athénien dans l’Athènes du VIème siècle ?
Il se définit donc d’un double point de vue :
- Géographique : il se situe dans une série de cercles concentriques, un peu comme un citoyen français d’aujourd’hui dans le « feuilleté administratif » (commune, canton, département, région, État, communauté européenne).
- Censitaire : Il se définit également, sur une ligne verticale, en fonction de sa richesse. La société athénienne ressemble donc un peu à ce schéma :
On remarquera que cette organisation n’est pas très démocratique : une petite proportion de la population, la classe la plus riche, s’octroie tous les pouvoirs, alors que le plus grand nombre n’a pour tout rôle que le fait d’assister à l’assemblée. Néanmoins, il convient de relativiser : en effet, à Athènes, ce sont aussi les plus riches qui, par leurs contributions, financent l’État – une assiette bien différente de la nôtre, où ce sont les plus riches qui, proportionnellement, contribuent le moins !
Ajoutons également qu’il s’agit d’une société assez figée, qui n’a pas encore inventé l’ascenseur social : on peut éventuellement, perdre sa fortune ; mais si l’on naît thète ou zeugite, on a toutes les chances de le rester toute sa vie, et de transmettre cet état à ses descendants.
Un État encore embryonnaire
L’État que décrit Aristote est encore relativement embryonnaire. Il dispose des grandes fonctions régaliennes : religion, justice, police, politique étrangère et guerre ; mais il ne s’occupe absolument pas de l’éducation, qui restera jusqu’à la fin de l’Antiquité une affaire privée, fort peu d’économie, et encore moins, bien sûr, de la santé…
La tyrannie des Pisistratides (I, 13-19)
Ce pouvoir connut deux phases :
- Une première phase marquée par le pouvoir du père, qui dura en tout 19 ans (avec des interruptions) ; le personnage paraît plutôt sympathique, débonnaire, et favorable au peuple : voir p. 33 et 35. Son fils aîné Hippias semble au début suivre le même chemin. Il faut se souvenir que le τύραννος grec n’est pas à l’origine un tyran : c’est tout simplement un monarque qui tire son pouvoir et sa légitimité d’une autre source que la succession dynastique. Ainsi Œdipe, qui prend le pouvoir à Thèbes après avoir vaincu la Sphynx, est-il un « τύραννος » et non un « βασιλεύς »
- La seconde phase, incarnée par ses fils, prend une allure plus franchement tyrannique, au sens contemporain du terme. On notera le rôle dévastateur du fils cadet, Thettalos, « fils de l’Argienne » : on retrouve ici la xénophobie athénienne, pour qui tout ce qui n’est pas citoyen athénien, né de père et de mère athéniens, est par définition suspect.
Le règne des Pisistratides prit fin avec l’action des « Tyrannoctones » : action purement politique, ou simple fait divers ?
Quoi qu’il en soit, il en résultat deux faits :
- la création d’un véritable mythe athénien, celui des « tueurs de tyrans », même si leur action, en durcissant le régime, fut plus catastrophique que positive ;
- une horreur viscérale du pouvoir personnel, qui va expliquer bon nombre d’institutions athéniennes :
Les réformes de Clisthène (508-507)
C’est de lui que date véritablement la démocratie athénienne, car il va mettre en place les institutions telles qu’elles existeront jusqu’au IVème siècle.
- Première division du peuple en 10 tribus (chacune présentant 50 membres à la βουλή, qui en comptera désormais 500) ;
- Chacune de ces tribus comprend trois « trittyes », l’une comportant des habitants de la plaine, l’autre du Pirée, la troisième de la ville, afin d’unifier ces trois régions de l’Attique, aux intérêts souvent divergents ;
- Enfin, la circonscription de base devient le dème (δῆμος), qui constitue l’identité de chaque citoyen : un Athénien est d’abord Untel, du dème de X, avant d’être le fils de son père, ou de sa famille : une manière de limiter l’influence des grandes familles et des clientèles…