La Grèce, des origines aux « Siècles obscurs »

Aux origines de la civilisation grecque

La civilisation crétoise

Nous n’en connaissons que des bribes: pas un nom n’a survécu (Minos n’était pas un homme, mais une dynastie ou un titre).

Cf. le texte de Thucydide dans La Guerre du Péloponnèse, Livre I.

Avant le second Millénaire: Minoen ancien.

Cette civilisation occupait l’est de l’île, la plaine de la Messara. Elle produisait une céramique sub-néolithique, des vases de pierre, des objets métalliques révélant une influence asiatique.

2000-1700 av. J-C: Minoen moyen

C’est l’époque des premiers palais (Cnossos, Phaistos, Mallia). Il s’agissait de principautés féodales, enrichies par le commerce maritime. On trouve de la vaisselle minoenne dans les Cyclades, en Argolide, en Phénicie et en Égypte. Les Crétois construisaient des chaumières, et aussi des villes avec des maisons à terrasses. Les tombes sont variées, avec des chambres multiples. Les fresques sont peu représentées, mais on a retrouvé de l’orfèvrerie, des glyptiques, de la poterie très fine «en coquille d’œuf» (ce qui suppose un tour très rapide): style «de Camarès», géométrique, avec des motifs naturalistes peu stylisés: cette céramique a connu une large diffusion.

1700, tous les palais ont été incendiés: y a-t-il eu un raid achéen?

1700-1450: Minoen récent

Reconstruction des palais. Prédominance de Cnossos (mais aussi Tylissos, Haghia Triada). Gournia était une véritable ville d’artisans aux ruelles tortueuses.

Le palais de Cnossos

Un souverain (le Prince aux fleurs de lys) régnait dans un palais compliqué (labyrinthe < labrys, double hache , symbole plus religieux que politique); il avait autour de lui une sorte de chancellerie qui écrivait en linéaire A.

Le Prince aux lys

1500-1450 : thalassocratie crétoise (impérialisme? Les Athéniens payaient un tribut). Les rapports avec l’Égypte déclinent, ceux avec les Cyclades augmentent: avec Mélos, on faisait commerce d’obsidienne. Les relations s’étendent jusqu’à la Sicile, où l’on trouve des villes nommées Minoa: des comptoirs crétois?

1450-1380: la Crète achéenne

En 1450 se produisit une nouvelle catastrophe: Cnossos est détruite en 1430; puis apparaît le linéaire B (qui est du grec). On représente des chars, des épées: ce qui signifie un apport des achéens. Les tablettes ne portent aucune littérature, mais des comptes, des listes, peut-être des rôles d’impôts: on y mentionne du blé, des moutons… cela montre une économie bien organisée.

La destruction du palais de Cnossos en 1430 correspond à un enrichissement subit des princes locaux en Grèce; en outre, on trouve chez eux des traces d’artistes crétois: il faut en conclure que la Crète a été alors soumise aux Achéens. La Crète connaîtra alors une brillante période, jusqu’en 1380.

Après 1380, civilisation «dédalique» sous influence dorienne.

Qui sont les Crétois ?

Il s’agit peut-être d’un peuple proto-indo-européen, formé d’individus glabres, petits, d’une taille très fine. Les femmes sont coquettes et couvertes de bijoux; on les représente souvent la poitrine dévoilée sur les statuettes votives – peut-être pour des raisons religieuses.

Cnossos, « la Parisienne »

Les palais et les demeures sont opulents, et témoignent de la recherche du confort (propreté, eaux et commodités). Les palais sont très compliqués, avec une cour centrale et de multiples salles d’apparat. Le problème de l’éclairage est mal résolu par d’étroites courettes.

Pensée et religion restent inconnues de nous.

Taureau de Cnossos – musée d’Héraklion

Importance du taureau (cornes de consécration?)

Religion dominée par les principes féminins de la fécondité: influence possible de l’Orient;

Divinité suprême: une Grande Mère adorée par des prêtresses aux seins gonflés qui manipulent des serpents (symbole chthonien).

La prêtresse aux serpents – figurine en faïence, musée d’Héraklion

Rites agraires: sacrifices surtout de produits agricoles

Absence de symboles masculins, et de signes astraux

Animaux fantastiques comme les griffons, qui révèlent une influence mésopotamienne

Palais de Cnossos : un griffon

Religion funéraire: cf. le sarcophage d’Haghia Triada. Le mort semble un moment rappelé à la vie par des offrandes à son temple-tombeau; mais le sens est discuté.

Sarcophage d’Hagia Triada – musée d’Héraklion (Crète)

Aucune trace sûre de temples: culte sur les hauteurs, dans des grottes (Camarès), autout d’arbres sacrés, et dans les palais, où l’on a retrouvé des bassins (d’eau lustrale?) et des tables d’offrandes.

L’art crétois:

Fresques, reliefs peints (très restaurés);

Statuettes en métal, en pierre tendre (stéatite) ou en ivoire.

Les premiers occupants de la Grèce continentale : la civilisation mycénienne

Les tribus helléniques, achéennes, semblent avoir réparti le sol nouvellement conquis entres familles. La population antérieure a peut-être formé des groupes serfs, hilotes de Laconie ou pénestes de Thessalie, peut-être aussi les hectémores de l’Attique ; mais l’on n’a aucune preuve d’une différence ethnique, linguistique ou religieuse. Y a-t-il eu accord avec les populations conquises, symbolisé par le mariage de Zeus et d’Héra ?

La civilisation mycénienne est complexe, mêlée : art de la fortification pourvue de casemates (cyclopéennes), décoration égéenne (“coupole” des tombeaux de Mycène et d’Orchomène) ; bâtiments isolés avec un toit à double versant, et “mégaron” annonçant la structure du temple grec… Dans les arts plastiques, les Mycéniens inexpérimentés ont fait appel aux Crétois (vases au décor floral ou animal, fresques du château de Tirynthe).

Il s’agit d’un régime belliqueux, féodal : châteaux des seigneurs commandant les plaines ou, comme à Mycènes, les chemins ; agriculteurs et paysans assujettis à la corvée. Vie fastueuse des châteaux (chasse, lutte, courses de taureaux), vêtements féminins, armes venues de Crète. A la guerre, on utilise les chars, comme en Égypte ou en Assyrie.

1400-1100 : la civilisation mycénienne

Les Achéens sont des Grecs parlant le dialecte arcado-chypriote. Les relations entre les Rois sont belliqueuses : opposition aux invasions, guerres tribales, concurrence sur les plaines fertiles… Il faut donc une forte organisation du pouvoir et de l’armée. Les chefs hellènes, suivant l’exemple crétois, augmentent leurs attributions : pouvoir religieux, fonctions civiles.

Le Roi (ἄναξ) est l’incarnation, puis le rejeton du dieu de la tribu. Son pouvoir est limité par les chefs de famille (γέροντες) dont il doit réunir le conseil (βουλή, γερουσία) ; chef militaire, il est un intermédiaire entre le dieu et la communauté, arbitre dans les procès; mais le «droit commun» se règle entres familles (vendetta ou composition). Le roi trouve un appui contre les γέροντες dans la classe populaire (indigènes, bâtards, étrangers…) Il rassemble sur son territoire privé cette foule, la protège contre les nobles et contre les ennemis, la convoque en assemblées consultatives pour l’intéresser à sa politique. En revanche, il exige contributions en nature, service militaire, corvées. Au pied de la citadelle se trouvaient d’humbles demeures, dont la trace subsiste aujourd’hui. La cité était donc un foyer religieux, judiciaire, politique de la communauté.

Le Roi est le premier des nobles. Chaque noble a son domaine, où il occupe des fonctions religieuses, judiciaires; réunis, les Eupatrides peuvent annuler la force du Roi. Faste des rois épuisant leurs ressources, crises de succession: le fils est souvent chassé du trône (voir les épopées).

Xème –IXème siècles en Ionie : l’on est moins fidèle aux traditions ; il n’y a pas de Roi dans la cité représentée sur le bouclier d’Achille; les γέροντες rendent la justice sur l’agora, le peuple ne joue aucun rôle. Les rois se maintiendront dans le Nord et l’Ouest de la Grèce: voir les Rois de Macédoine.

Les «siècles obscurs»: une légende?

Pour toute cette partie, nous nous référons à l’ouvrage d’ Annie Schnapp-Gourbeillon, Aux origines de la Grèce (XIIIème-VIIIème siècles avant notre ère), la genèse du politique, Les Belles-Lettres, 2002, 426 p. Voir bibliographie.

Selon la tradition, la civilisation mycénienne se serait effondrée d’un coup, victime d’invasions doriennes qui auraient tout détruit sur leur passage ; mais les données archéologiques actuelles donnent une toute autre lecture de ces destructions, et des “siècles obscurs” (XIIème-IXème siècles) qui les ont suivis.

Tout d’abord, il n’y eut pas une vague brutale, mais des destructions qui s’étalent sur au moins 50 ans : vers 1350, après un siècle et demi de prospérité et de paix, les choses changent : l’on construit des forteresses, on renforce les murailles existantes – souvent pour protéger des citernes ou des sources : c’est la preuve d’un sentiment nouveau d’insécurité. La guerre change de méthode : on abandonne progressivement les chars, trop coûteux en construction et en maintenance et on fortifie davantage ; on préfère l’usage d’une infanterie plus mobile et moins chère. Entre le XIIIème et le XIIème siècle apparaissent les bateaux de guerre, profilés pour la vitesse : est-ce le début de la piraterie ?

L’on commence également à trouver des “objets étrangers” sur les sites : céramique barbare pour les usages ménagers, fibules, épées longues… qui montrent des relations nouvelles avec l’Italie du Nord et les Balkans, plus qu’une invasion étrangère : les dirigeants ont peut-être alors fait appel à des mercenaires, qui ont apporté ce mobilier avec eux.

L’unité culturelle mycénienne commence en tous cas à se rompre, avec un régionalisme marqué. On commence aussi à voir des destructions, mais celles-ci affectent majoritairement les palais, mais non les autres sites.

La société connaît une profonde mutation : alors que jusqu’au milieu du XIIIème siècle, l’hégémonie sans partage d’un palais imposait à la fois la paix et une grande uniformité culturelle, cette hégémonie est battue en brèche ; des subordonnés émergent, qui se partagent le pouvoir, faisant appel à des mercenaires étrangers, munis d’armes nouvelles, pour mener leurs guerres incessantes. Le système des palais a donc péri de lui-même, par une mutation politique.

Le mythe des invasions doriennes

Le mythe du “retour des Héraclides” est purement spartiate ; partout ailleurs, les Doriens sont considérés comme des Grecs, et ne viennent nullement de l’extérieur. Sparte a reconstruit sa propre histoire en la rattachant au mieux aux héros mythiques ; mais ce récit ne concerne que les Péloponnésiens, et non l’ensemble des Doriens.

La Crète est dorienne, mais ne présente aucune trace d’une invasion massive venue du Nord. Comme dans le Péloponnèse, les destructions semblent provenir de troubles internes.

Insaisissables à l’époque ancienne, les Doriens étaient probablement des mercenaires, qui ont suivi un chef qui leur avait promis des terres ; pour ces étrangers, le seul moyen – contrairement aux autochtones – d’acquérir une identité prestigieuse était de s’affirmer comme guerriers et conquérants.

La civilisation des Siècles obscurs

À partir du XIIème siècle, la Grèce va connaître une longue période de bouleversements :

  • La hiérachie palatiale disparaît, et avec elle l’architecture monumentale ;
  • L’écriture comptable (le “linéaire B”) n’est plus utilisée ;
  • Les liens avec les monarchies du Proche Orient se distendent ;
  • On ne recherche plus le luxe étranger…

Mais en Grèce, et surtout en Crète, les grands sanctuaires demeurent, de la période palatiale (et parfois même avant) à l’époque romaine, et ne présentent aucune trace d’invasion dorienne. On retrouve cette continuité cultuelle à Olympie, à partir de l’âge du Bronze. En Grèce comme en Crète, des sanctuaires sont créés au XIIème siècle (Kalapodi, en Phocide) ; En Crète, ils se trouvent près des villes, dédiés à la “déesse aux bras levés”, de la période post-palatiale à l’âge de fer. Cela prouve l’émergence d’une nouvelle organisation politique, moins centrée autour du palais.

Y a-t-il eu une catastrophe démographique ?

La mémoire collective ne garde aucun souvenir d’un fléau comparable à la Grande Peste de 1348, qui tua 75 % de la population : dans l’Iliade n’apparaît qu’une épidémie banale.

Peut-être aussi y a-t-il eu paupérisation de la population : or les pauvres sont enterrés sans sépulture, et disparaissent donc sans laisser de trace ; mais l’habitat aussi se raréfie…

Faute d’une main d’œuvre qualifiée, la construction en pierres disparaît.

Il y a eu surtout des mouvements de population : certains lieux, comme Athènes, gagnent en population.

Enfin, de nouvelles régions grecques sont conquises – et pas forcément par des réfugiés, mais aussi par des aventuriers armés, et qui arrivaient avec une partie de leur fortune.