Voltaire, théâtre

Voltaire

Peinture par Quentin de la Tour (1737) – domaine public

Introduction

La grande édition des oeuvres complètes de Voltaire, publiée en 1778 peu avant sa mort, commençait par le théâtre : à ses yeux, celui-ci constituait, avec sa poésie épique, son meilleur titre de gloire. En effet, Voltaire a été perçu par ses contemporains, et s’est considéré lui-même comme le plus grand poète dramatique du XVIIIème siècle, ce qui doit bien évidemment nous surprendre : aujourd’hui on ne joue plus ses pièces, et d’autres auteurs, comme Beaumarchais et Marivaux, et dans une moindre mesure Diderot, ont pris toute la place.

Tantôt en effet, on le juge à l’aune de la tragédie classique, et il apparaît comme un pâle épigone de Racine, tantôt on l’oppose à l’énergie et à la truculence du Romantisme, et il fait pâle figure face à Shakespeare redécouvert (le programme 2018 de l’ENS de Lyon fait encore écho à cette comparaison), et à Hugo.

Voltaire lui-même a d’ailleurs contribué à cet effacement, en sacralisant à outrance l’oeuvre de Racine – ce qui mènera à l’éreintement définitif prononcé par V. Hugo dans les Contemplations :

« Sur le Racine mort le Campistron pullule ».

Il serait temps, cependant, de le lire pour lui-même, et de redécouvrir pourquoi ses pièces lui ont valu un triomphe quasi universel.

Les principales pièces de Voltaire

  • 1718 : Œdipe connaît un véritable triomphe et une trentaine de représentations à la Comédie française. Voltaire n’a alors que 24 ans, et remporte le plus grand succès tragique de la Régence.
  • 1724 : Hérode et Mariamne
  • 1730 : Brutus
  • 1732 : Eriphyle ;  ces trois pièces ne remportent qu’un succès mitigé. Il se lance alors dans la rédaction fiévreuse de Zaïre, qu’il termine en 22 jours.
    Zaïre va connaître un succès phénoménal, et sera jouée plus de 300 fois au cours du siècle. Elle ne disparaîtra du répertoire qu’en 1934.
  • 1734 : Adélaïde du Guesclin
  • 1735 : La Mort de César ; la pièce ne compte que trois actes, et est une adaptation de Shakespeare ; mais elle obéit en cela aux règles spécifiques aux tragédies de collège, et ne constitue donc pas une révolution.
  • 1736 : Alzire (tragédie) et L’enfant prodigue (comédie)
  • 1741 : Mahomet
  • 1743 : Mérope dans sa Préface, témoigne d’un nouveau credo esthétique de son auteur : refus des tragédies « romanesques » ou « galantes », et retour vers la « simplicité grecque ». Il contredit ce qu’il avait affirmé dans la préface de Zaïre : « il faut de la tendresse et du sentiment« .
  • 1748 : Sémiramis
  • 1750 : Oreste ; Rome sauvée ou Catilina
  • 1755 : L’Orphelin de la Chine sera joué jusqu’en 1919, puis connaîtra une reprise en 1965, à l’occasion de la reconnaissance officielle de la République de Chine.
  • 1759 : Socrateune tragédie qui fait du philosophe athénien un déiste persécuté pour ses opinions religieuses, par les prêtres et les dirigeants corrompus : Voltaire ne s’embarrasse guère de la vérité historique…
  • 1760 : Tancrède
  • 1774 : Sophonisbe
  • 1778 : Irène, sa dernière pièce, qui lui valut, la veille de sa mort, un magnifique triomphe.

Voltaire, un auteur comique

Plus oublié encore que son théâtre tragique, le théâtre comique de Voltaire mériterait d’être redécouvert.

Il occupe une gamme extrêmement variée, de la haute comédie (Le Comte de Boursoufle, le Droit du Seigneur, La Femme qui a raison) à la comédie larmoyante (Nanine, L’Enfant prodigue).

Voltaire, un auteur « racinien »

Alors même que d’autres auteurs s’interrogeaient et remettaient en question un certain nombre de règles classiques – par exemple en substituant « l’unité d’intérêt », centrée sur un personnage, à l’unité d’action – ou souhaitaient l’introduction de la tragédie en prose (ce sera le cas, par exemple, de La Motte), Voltaire, lui, s’arc-boute sur les canons de la tragédie racinienne : strict respect des trois unités, souci de la vraisemblance et des bienséances, emploi quasi exclusif de l’alexandrin.

En cela, il se montre en accord avec la Comédie française, qui jouit toujours du monopole de la tragédie, et impose un jeu codifié, des décors et costumes « à la française », somptueux mais conventionnels, et une mise en scène qui n’évolue pas.

Le renouvellement des sujets

Néanmoins, si l’Antiquité grecque et romaine est toujours à l’honneur, de nouveaux sujets renouvellent le genre, et Voltaire n’est pas le dernier à s’y intéresser.

  • L’Histoire nationale est à l’honneur, en particulier avec un goût pour le Moyen-Âge et le « style troubadour » (Zaïre nous parle du 13ème siècle, et introduit pour la première fois l’histoire de France dans la tragédie ; et l’on peut citer aussi Adélaïde du Guesclin, en 1734, qui fut sifflée à sa création, mais remporta un grand succès lorsqu’elle fut reprise en 1765) ;
  • L’on s’intéresse, hors d’Europe, aux Croisades (Zaïre) ou à la colonisation (Alzire) ;
  • L’exotisme et l’extrême-Orient font leur entrée au théâtre (L’Orphelin de la Chine).

Le théâtre est souvent, pour Voltaire, l’occasion de mettre en avant ses idées philosophiques, en déjouant la censure : contre le fanatisme et l’intolérance, contre les tyrans…

L’influence de Shakespeare ?

Voltaire fut exilé à Londres en 1726 ; il y découvrit Shakespeare (voir la 18ème des Lettres Philosophiques), et, dans un premier temps, apprécia beaucoup cette esthétique libératrice : absence d’unité, mélange des genres et des registres, ignorance des bienséances, mélange de vers et de prose, langage imagé et souvent brut ; mais très vite, il la rejeta, car trop éloignée de son « esprit français » ; et à la suite d’une cabale contre sa Mort de César, il ne vit plus en Shakespeare qu’un « Sauvage ivre » (préface de Sémiramis).

L’influence de Shakespeare, qu’il contribua à introduire en France, reste néanmoins importante : Zaïre a pu passer pour une adaptation – assagie et plus politique – d’Othello ; les spectres qui apparaissent dans Sémiramis et Eriphyle, le caractère sanglant de la Mort de César proviennent de cette influence. Voltaire a été sensible au caractère spectaculaire de ces pièces.

La question du sentiment amoureux

Dès le XVIIème siècle, on s’était disputé sur la question de savoir si le sentiment amoureux, source inépuisable de pathos, avait sa place dans la « grande » tragédie ; et l’on opposait (sans nuance) Racine et le « trop tendre » Quinault.

Voltaire n’a pas toujours été d’une grande cohérence sur ce sujet : après avoir affirmé dans la préface de Zaïre « il faut de la tendresse et du sentiment », il dit le contraire dans celle de Mérope, quelques années plus tard, se ralliant ainsi à la frange la plus conservatrice des défenseurs de la tragédie. Il revient pourtant au sentiment amoureux, par exemple dans Socrate, où le point de départ de l’intrigue est un amour contrarié entre deux enfants qu’il a élevés… L’avenir donnera pourtant raison à sa première intuition, tant dans le futur drame bourgeois que dans les tragédies larmoyantes, puis romantiques du siècle à venir.

Le couronnement de Voltaire… et sa chute

En 1778, à l’issue de la représentation de sa dernière tragédie, Irène, Voltaire est couronné sur scène comme le prince de la tragédie classique ; sa pièce, de facture parfaitement régulière, témoigne à la fois de sa parfaite maîtrise du canon classique, et de son impuissance à le transformer en profondeur.

Mais cette reconnaissance sera de courte durée : dès 1830, ses pièces disparaissent du répertoire ; seuls survivront L’Orphelin de la Chine (jusqu’en 1919, et repris en 1965), et Zaïre jusqu’en 1934.