Le mythe de Prométhée

Prométhée

Antiquité

Les grandes lignes de la légende :

Fils du Titan Japet, Prométhée appartient à la lignée des « dieux antérieurs », vaincus par Zeus ; il va entrer en conflit avec lui…

Il reçoit, avec son frère Épiméthée, l’ordre de munir les êtres vivants d’armes pour se défendre et de moyens de se protéger ; il laisse faire Épiméthée… et celui-ci oublie les hommes, qui se retrouvent nus et sans défense ; Prométhée vole alors le feu à Héphaïstos pour leur en faire don, et à Athéna les arts (poterie, tissage…)

En outre, lors du premier sacrifice, il trompe Zeus en attribuant aux hommes la consommation de la viande, et aux dieux celle de la fumée – marché de dupe, d’ailleurs !

Puni par Zeus pour ce larcin et cette tromperie, il est d’abord condamné à être lié sur un rocher.

Mais il menace alors Zeus, car il détient un secret : la déesse Thétis, convoitée à la fois par Zeus et par Poséidon, enfantera un guerrier plus puissant que son père. Pour l’obliger à parler, Zeus lui inflige un second supplice : son foie sera dévoré chaque jour par un aigle, et repoussera chaque nuit.

Après une durée de 30 000 ans, Héraklès passant par là tue l’aigle et délivre Prométhée ; celui-ci révèle alors à Zeus le secret – et Thétis sera donnée en mariage au mortel Pélée, et donnera naissance à Achille…

Des origines anatoliennes ?

Prométhée appartient à une lignée de dieux très caractéristiques, que l’on retrouve notamment en Mésopotamie:

  • Les dieux «lieurs» et «liés»: dans la légende, il est proche d’Héphaistos, dieu du feu, de la forge, et dieu lieur ;
  • Les dieux créateurs et/ou protecteurs de l’humanité
  • Les dieux anciens en conflit avec des dieux plus récents…

Or la légende de Prométhée nous est pour la première fois parvenue par Hésiode, dont le père était originaire de la Cumes d’Éolide (qui par la suite fonda la Cumes de Campanie): une région en relation étroite avec la Mésopotamie ; Hésiode lui-même vécut en Béotie, non loin de Tanagra, une région également en relation commerciale avec la Mésopotamie…

Le Prométhée d’Hésiode

Le Prométhée d’Eschyle

Nous ne possédons plus que la première tragédie de ce qui devait être une trilogie + un drame satyrique : le Prométhée enchaîné.

Chez Eschyle, Prométhée est bien un dieu, en butte à l’hostilité et à l’injustice de Zeus, qui apparaît dans cette pièce comme un abominable tyran. Mais la suite est déjà annoncée: Prométhée sera délivré, et Zeus, revenant à de meilleurs sentiments, deviendra un dieu juste et protecteur, et se réconciliera avec lui.

Mais pour nous, ce qui reste, c’est l’expression tragique d’un personnage révolté, victime d’ une monstrueuse injustice: c’est l’image que l’on retiendra du mythe: la grandeur et l’inutilité de la révolte contre les dieux.

Un Prométhée comique:

Dès Eschyle:

Nous ne connaissons Eschyle que comme poète tragique, mais les Athéniens l’appréciaient également comme auteur comique de drames satyriques; or il nous reste de minuscules fragments d’un drame satyrique sur Prométhée…

Ésope:

Ce fabuliste a rassemblé des fables transmises depuis des siècles par la tradition orale; or certaines concernent Prométhée, preuve qu’à côté de la tradition tragique, il existait dans la culture populaire un personnage comique, dieu du Feu et créateur des hommes, souvent maladroit.

Aristophane:

Dans Les Oiseaux, v. 1494-1552, des hommes ayant créé entre ciel et terre la cité de Coucouville les Nuées, celle-ci s’interpose entre la terre et l’Olympe, et empêche la fumée des sacrifices de parvenir jusqu’aux dieux… ce qui affame ces derniers! (souvenir du partage originel…) Ceux-ci vont envoyer une ambassade… Mais Prométhée, tout craintif, vient en transfuge avertir les hommes de ne rien signer tant que Zeus ne leur aura pas donné Royauté en mariage! On a ici l’image d’un Prométhée toujours protecteur des hommes, mais poltron et bien peu digne… n’hésitant pas à se déguiser en esclave pour échapper au regard de Zeus!

L’image a eu du succès, puisqu’on la retrouve dans les statuettes d’argile de Tanagra… (Le Prométhée au capuchon, Musée du Louvre).

Le Prométhée des philosophes

Protagoras d’Abdère et Platon.

Comme dans les fables ésopiques, Prométhée joue un rôle dans la création non seulement des hommes, mais de l’ensemble des espèces vivantes; ce qui nous rappelle les traditions du Proche Orient ancien. Ici, Zeus n’a aucune animosité envers les hommes, ni, au départ, à l’encontre du Titan… Seule la fin du texte suggère la suite de l’histoire. La suite de l’apologue est de nature politique: la vertu politique peut-elle s’enseigner? Cela n’a plus guère de rapport avec le mythe, qui sert surtout d’illustration plaisante – et témoigne de sa popularité.

Lucien:

Le grand humoriste qui s’est moqué si allègrement de tous les dieux ne pouvait manquer d’ironiser sur le mythe de Prométhée!

Le Prométhée en paroles

On a traité Lucien de «Prométhée»: est-ce parce que ses œuvres sont aussi fragiles que celles du potier (Prométhée était le surnom des potiers, depuis que celui-ci avait façonné les hommes avec de l’argile) , ou bien à cause de ses artifices? Ou encore parce que Prométhée se reconnaîtrait dans les Sophistes, capables d’insufler la vie à leurs discours, comme Prométhée, aidé d’Athéna, le fit pour les hommes… Lucien se réfère donc au mythe d’un dieu créateur.

Le premier «Dialogue des Dieux»

C’est un marchandage sans dignité entre Prométhée, qui détient le secret de Thétis, et Zeus, qui tente de le lui extorquer en échange de sa délivrance.

Prométhée sur le Caucase

C’est un dialogue entre Prométhée, et Hermès et Héphaïstos en train de l’enchaîner sur le Caucase: une réécriture comique du prologue d’Eschyle. On reproche à Prométhée d’avoir créé des hommes trop semblables aux dieux, et il s’en défend: depuis, la terre est cultivée, la mer parcourue de navires, et partout il y a des temples aux dieux… Quant au vol du feu, il n’a causé aucun tort aux dieux, puisque d’une part, le feu demeure même si on le partage, et que d’autre part, ils n’en ont aucun besoin!

Postérité du mythe

Le mythe connaîtra une longue éclipse, entre l’Antiquité et le 18ème siècle; puis il connaîtra un vigoureux renouveau, aussi bien dans les arts plastiques qu’en littérature.

Un Prométhée chrétien

Le Prométhée d’Eschyle, qui souffre et meurt pour l’humanité, pouvait donner un caractère christique au personnage de Prométhée. Ajoutons que selon certaines légendes, dont Lucien s’était fait l’écho, Prométhée était le créateur (et non pas seulement le bienfaiteur) des hommes, qu’il avait façonnés avec le limon…

Il y aura donc quelques tentatives, d’ailleurs peu convaincantes, d’allier mythologie et pensée chrétienne, par exemple en 1838 chez Edgar Quinet (1803-1875). Dans le tableau que Gustave Moreau consacre à Prométhée, celui-ci semble surmonté d’une lumière qui évoque une auréole.

Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832)

Le poète allemand fait subir une véritable métamorphose au mythe, dans un drame inachevé en 1773, suivi d’un morceau lyrique en forme de conclusion, en 1774. Prométhée est pour lui à la fois le symbole de la volonté, de la révolte humaine contre la divinité, et comme chez Lucien, le créateur des hommes et de la civilisation – et même de Pandore, créée en accord avec Athéna. Il anime les créatures, assiste à leurs premiers émois, mais aussi à leurs premiers conflits violents.

Goethe insiste sur l’humanité de Prométhée: cela mènera à l’idée d’ «homme prométhéen», et plus tard au «surhomme» de Nietzsche.

En 1807-1808, Goethe publie une Pandora, qui, contrairement à Hésiode, symbolise l’introduction de l’idéal dans le monde humain.

Percy Bisshe Shelley (1792-1822) : Prometheus unbound (1818)

Le drame de Shelley est la suite du Prométhée enchaîné d’Eschyle. Il refuse de se soumettre par amour de l’humanité, dont il est le créateur (contrairement à Hésiode et à Eschyle). Prométhée a pitié d’un Zeus déchu, et regrette la malédiction qu’il lui a lancée; il ignore la haine, bien que Zeus, pour lui arracher son secret, lui inflige les pires supplices, sous la forme des Furies (Sartre et Giraudoux s’en souviendront pour leur Oreste). Même elles se heurtent à la pitié de Prométhée: elles disparaissent.

Shelley n’hésite pas à modifier la légende: Zeus, ignorant le secret, épouse Thétis; il en naîtra Demogorgon, qui l’enverra vers l’abîme. Prométhée,délivré, règne alors sur le monde, et instaure un nouvel âge d’or. Les spectres des Heures mortes passent en cortège, menant le Temps à sa tombe: c’est le règne définitif de l’Espérance et de l’Amour.

Mary Shelley (1818): Frankenstein ou le Prométhée moderne.

Un savant, ayant acquis le secret de voler la vie, crée un monstre qui se révélera criminel; c’est le thème du «savant fou», de la peur devant la science. Ce roman est considéré comme le 1er ouvrage de science-fiction.

André Gide (1869-1951) ou la dérision

Comme dans l’Antiquité avec Lucien, nous avons un Prométhée comique (et grinçant), avec le Prométhée mal enchaîné de Gide (1899), d’ailleurs fort mal reçu de la critique.

Prométhée, mal enchaîné sur le Caucase, peut se délier et aller se promener. C’est ainsi qu’il se retrouve dans un café, boulevard des Capucines à Paris. Il y croise Zeus devenu banquier – le symbole est transparent; son aigle, qui surgit non sans causer quelque dégât dans le café, lui vaut de se retrouver en prison. Il nourrit l’oiseau de son foie, non par suite d’une malédiction, mais pour empêcher le pauvre oiseau de mourir de faim! Et pourtant, quand l’aigle est devenu bien gras, et lui-même bien maigre, et qu’ils ont pu sortir de prison, il finira par dévorer son aigle rôti!

Le mythe ici n’est plus qu’une fable, développée avec un humour grinçant.