Eschyle, « Prométhée enchaîné »

Prométhée enchaîné

Sur le mythe de Prométhée, voir ici.

Prologos

Vers 1 à 38

Le fond de l’orchestra représente un massif rocheux. Pouvoir et Force entrent, conduisant Prométhée. Héphaistos suit en boitant ; il porte ses outils de forgeron.

Κράτος :

Χθονὸς μὲν ἐς τηλουρὸν ἥκομεν πέδον,

Σκύθην ἐς οἷμον, ἄβατον εἰς ἐρημίαν.

Ἥφαιστε, σοὶ δὲ χρὴ μέλειν ἐπιστολὰς

ἅς σοι πατὴρ ἐφεῖτο, τόνδε πρὸς πέτραις

ὑψηλοκρήμνοις τὸν λεωργὸν ὀχμάσαι

ἀδαμαντίνων δεσμῶν ἐν ἀρρήκτοις πέδαις.

τὸ σὸν γὰρ ἄνθος, παντέχνου πυρὸς σέλας,

θνητοῖσι κλέψας ὤπασεν. τοιᾶσδέ τοι

ἁμαρτίας σφε δεῖ θεοῖς δοῦναι δίκην,

ὡς ἂν διδαχθῇ τὴν Διὸς τυραννίδα

στέργειν, φιλανθρώπου δὲ παύεσθαι τρόπου.

Ἥφαιστος :

Κράτος Βία τε, σφῷν μὲν ἐντολὴ Διὸς

ἔχει τέλος δὴ κοὐδὲν ἐμποδὼν ἔτι·

ἐγὼ δ᾽ ἄτολμός εἰμι συγγενῆ θεὸν

δῆσαι βίᾳ φάραγγι πρὸς δυσχειμέρῳ.

πάντως δ᾽ ἀνάγκη τῶνδέ μοι τόλμαν σχεθεῖν·

ἐξωριάζειν γὰρ πατρὸς λόγους βαρύ.

τῆς ὀρθοβούλου Θέμιδος αἰπυμῆτα παῖ,

ἄκοντά σ᾽ ἄκων δυσλύτοις χαλκεύμασι

προσπασσαλεύσω τῷδ᾽ ἀπανθρώπῳ πάγῳ

ἵν᾽ οὔτε φωνὴν οὔτε του μορφὴν βροτῶν

ὄψει, σταθευτὸς δ᾽ ἡλίου φοίβῃ φλογὶ

χροιᾶς ἀμείψεις ἄνθος. ἀσμένῳ δέ σοι

ἡ ποικιλείμων νὺξ ἀποκρύψει φάος,

πάχνην θ᾽ ἑῴαν ἥλιος σκεδᾷ πάλιν·

ἀεὶ δὲ τοῦ παρόντος ἀχθηδὼν κακοῦ

τρύσει σ᾽· ὁ λωφήσων γὰρ οὐ πέφυκέ πω.

τοιαῦτ᾽ ἐπηύρω τοῦ φιλανθρώπου τρόπου.

θεὸς θεῶν γὰρ οὐχ ὑποπτήσσων χόλον

βροτοῖσι τιμὰς ὤπασας πέρα δίκης.

ἀνθ᾽ ὧν ἀτερπῆ τήνδε φρουρήσεις πέτραν

ὀρθοστάδην, ἄυπνος, οὐ κάμπτων γόνυ·

πολλοὺς δ᾽ ὀδυρμοὺς καὶ γόους ἀνωφελεῖς

φθέγξῃ· Διὸς γὰρ δυσπαραίτητοι φρένες.

ἅπας δὲ τραχὺς ὅστις ἂν νέον κρατῇ.

Κράτος :

εἶεν, τί μέλλεις καὶ κατοικτίζῃ μάτην;

τί τὸν θεοῖς ἔχθιστον οὐ στυγεῖς θεόν,

ὅστις τὸ σὸν θνητοῖσι προὔδωκεν γέρας;

Pouvoir : 

Nous voici arrivés sur le sol d’une terre lointaine, vers le chemin de Scythie, vers une terre déserte, sans humains. Héphaïstos, il te faut t’occuper des instructions que t’a données ton père : enchaîner ce scélérat sur ces rochers escarpés, dans les entraves indestructibles de liens d’acier. En effet, ta fleur, l’éclat du feu utile à tous les arts, il la vola pour l’offrir aux mortels ; d’une telle faute il doit rendre des comptes aux dieux, afin qu’il apprenne à supporter la tyrannie de Zeus, et à cesser de jouer les bienfaiteurs des hommes.

Héphaïstos :

Pouvoir et Force, la mission de Zeus pour vous deux est achevée et rien ne vous retient plus ; mais moi, je n’ose lier de force un dieu, mon frère, à ce pic battu des tempêtes. Pourtant il est nécessaire que j’ai l’audace de le lier : car négliger les ordres d’un père est une faute lourde. Fils aux nobles pensées de la sage Thémis, contre mon gré et contre le tien je vais te clouer, avec des liens d’acier infrangibles à ce rocher inhumain, où tu ne percevras plus ni la voix ni la forme des mortels, mais brûlé par le feu brillant du soleil, tu perdras en échange la fleur de ton teint ; à ta grande joie la nuit parsemée d’étoiles cachera la lumière et le soleil à nouveau dispersera le givre de l’aurore, et toujours le poids écrasant de ton malheur présent t’écrasera : car celui qui te libèrera n’est pas encore né. Voilà ce que tu as gagné à jouer le bienfaiteur des hommes ; dieu qui ne craint pas la colère des dieux, tu as donné aux hommes leur part d’honneur en transgressant le droit ; en échange de quoi tu vas monter une garde douloureuse sur ce rocher, toujours debout sans sommeil, sans plier les genoux ; tu profèreras bien des plaintes et des gémissements inutiles ; car le cœur de Zeus est inexorable ; toujours cruel est celui qui vient de prendre le pouvoir.

Pouvoir :

Hé bien, pourquoi tardes-tu et te lamentes-tu en vain ? Ne détestes-tu pas le dieu haï des dieux qui a donné aux mortels ta part d’honneur ?

Éclaircissements linguistiques

  • Χθονὸς ἐς τηλουρὸν πέδον : mot à mot « vers le sol lointain d’une terre » ; en réalité nous avons ici un bel hypallage, et il faut traduire « vers le sol d’une terre lointaine ».
  • ἡ οἶμος, ου : le chemin
  • ἡ ἐπιστολή, ῆς : ce mot a ici son sens originel : ordre ou avis transmis par un message verbal ou écrit. On parle aujourd’hui encore des « Lettres » d’un ambassadeur ou d’un diplomate…
  • ἐφεῖτο : indicatif aoriste moyen de ἐφίημι, donner, ordonner
  • ὁ λεωργός, οῦ : scélérat, criminel
  • ὀχμάζω : tenir assujetti, retenir fortement
  • ὑψηλόκρημνος, ος, ον : aux escarpements élevés
  • ἀρρήκτος, ος, ον : indestructible, qu’on ne peut briser
  • ἡ πέδη, ης : entrave, lien pour les pieds
  • τὸ σέλας : éclat, lumière, brillance
  • ὀπάζω : donner, transmettre
  • στέργω : ici, se résigner à, supporter
  • ἡ φάραγξ, φάραγγος : rocher abrupt, escarpement
  • σχεθεῖν (n’existe qu’à l’infinitif aoriste) : tenir, retenir
  • εὐωριάζω : négliger
  • πάγος, ου : rocher, montagne, colline
  • αἰπυμῆτα : vocatif de αἰπυμήτης, ου : aux pensées élevées
  • προσπασσαλεύω τινά τινι : clouer contre
  • σταθευτός : brûlé peu à peu
  • ἀμείβω : donner en échange
  • ἄσμενος, ος, ον : joyeux, content
  • ποικιλείμων, ονος : au manteau tacheté ; ici, « parsemé d’étoiles »
  • πάχνη, ης : gelée, givre
  • σκεδάω : futur attique de σκεδάννυμι, disperser, chasser
  • ἡ ἀχθηδών, όνος : poids accablant, souci, chagrin
  • ὁ λωφήσων, οντος : participe futur substantivé de λωφάω-ῶ : soulager, délivrer
  • ὁ ὀδυρμός, οῦ : plainte, lamentation
  • ὁ γόος, ου : gémissement
  • φθέγγομαι : proférer
  • δυσπαραίτητος, ος, ον : inexorable
  • τραχύς, εῖα, ύ : rude, dur, cruel

Commentaire

Ce texte est l’incipit de la tragédie. Prométhée, qui a volé le feu à Héphaïstos, est condamné par Zeus à être cloué sur un rocher, où un aigle (oiseau de Zeus) viendra continuellement lui ronger le foie.

Une lutte de pouvoir est ici engagée, entre Zeus, récent vainqueur des Titans (selon certaines sources, Prométhée est d’ailleurs un Titan), et donc tout nouveau chef, obsédé par la nécessité d’imposer son autorité – un nouveau chef est toujours cruel, dit Héphaïstos – et Prométhée, qui le défie. Zeus est en effet présenté comme un « tyran » (τὴν Διὸς τυραννίδα, v. 10), assisté sans états d’âme par ses deux sbires, « Pouvoir » et « Force ». Il est à noter que le nom de ces deux allégories est caractéristique :

Pouvoir (Κράτος) désigne en fait la force brute, la puissance physique ; le pouvoir de Zeus est donc uniquement fondé sur la force.

L’autre acolyte, muet ici, est « Force », en grec Βία ; mais ce mot désigne surtout la violence, la brutalité.

Le Zeus dépeint ici n’est nullement un monarque élu, son pouvoir ne repose que sur la puissance matérielle. On est très loin du Zeus juste, pacificateur, décrit par Hésiode dans la théogonie…

Inversement, malgré sa faute, l’humanité est du côté de Prométhée, fils de « la sage Thémis », antique déesse de la Justice.

Enfin, la « victime » de Prométhée, Héphaïstos, à qui l’on a volé le feu, semble éprouver de la sympathie pour lui, et un certain malaise devant la tâche qui lui incombe. Prométhée est pour lui un « dieu frère », συγγενῆ θεὸν (v. 14) ; Zeus en revanche, ce jeune tyran impitoyable, lui paraît pour le moins inquiétant… La punition de Prométhée serait-elle un message adressé à tous les autres dieux ?

Vers 88-127, tirade de Prométhée

Προμηθεύς

ὦ δῖος αἰθὴρ καὶ ταχύπτεροι πνοαί,
ποταμῶν τε πηγαί, ποντίων τε κυμάτων
ἀνήριθμον γέλασμα, παμμῆτόρ τε γῆ,              90
καὶ τὸν πανόπτην κύκλον ἡλίου καλῶ.
ἴδεσθέ μ᾽ οἷα πρὸς θεῶν πάσχω θεός.
δέρχθηθ᾽ οἵαις αἰκείαισιν
διακναιόμενος τὸν μυριετῆχρόνον ἀθλεύσω.   95
τοιόνδ᾽ ὁ νέος ταγὸς μακάρων
ἐξηῦρ᾽ ἐπ᾽ ἐμοὶ δεσμὸν ἀεικῆ.
φεῦ φεῦ, τὸ παρὸν τό τ᾽ ἐπερχόμενον
πῆμα στενάχω, πῇ ποτε μόχθων
χρὴ τέρματα τῶνδ᾽ ἐπιτεῖλαι.                               100
καίτοι τί φημι; πάντα προυξεπίσταμαι
σκεθρῶς τὰ μέλλοντ᾽, οὐδέ μοι ποταίνιον
πῆμ᾽ οὐδὲν ἥξει. τὴν πεπρωμένην δὲ χρὴ
αἶσαν φέρειν ὡς ῥᾷστα, γιγνώσκονθ᾽ ὅτι
τὸ τῆς ἀνάγκης ἔστ᾽ ἀδήριτον σθένος.                105
ἀλλ᾽ οὔτε σιγᾶν οὔτε μὴ σιγᾶν τύχας
οἷόν τέ μοι τάσδ᾽ ἐστί. θνητοῖς γὰρ γέρα
πορὼν ἀνάγκαις ταῖσδ᾽ ἐνέζευγμαι τάλας.
ναρθηκοπλήρωτον δὲ θηρῶμαι πυρὸς
πηγὴν κλοπαίαν, ἣ διδάσκαλος τέχνης               110
πάσης βροτοῖς πέφηνε καὶ μέγας πόρος.
τοιῶνδε ποινὰς ἀμπλακημάτων τίνω
ὑπαιθρίοις δεσμοῖς πεπασσαλευμένος.
ἆ ἆ ἔα ἔα.
τίς ἀχώ, τίς ὀδμὰ προσέπτα μ᾽ ἀφεγγής,             115
θεόσυτος, ἢ βρότειος, ἢ κεκραμένη ;
ἵκετο τερμόνιον ἐπὶ πάγον
πόνων ἐμῶν θεωρός, ἢ τί δὴ θέλων ;
ὁρᾶτε δεσμώτην με δύσποτμον θεόν
τὸν Διὸς ἐχθρόν, τὸν πᾶσι θεοῖς                           120
δι᾽ ἀπεχθείας ἐλθόνθ᾽ ὁπόσοι
τὴν Διὸς αὐλὴν εἰσοιχνεῦσιν,
διὰ τὴν λίαν φιλότητα βροτῶν.
φεῦ φεῦ, τί ποτ᾽ αὖ κινάθισμα κλύω
πέλας οἰωνῶν; αἰθὴρ δ᾽ ἐλαφραῖς                       125
πτερύγων ῥιπαῖς ὑποσυρίζει.
πᾶν μοι φοβερὸν τὸ προσέρπον.

Prométhée

Ô divin éther, vents aux ailes rapides, sources des fleuves, rides innombrables  des vagues de la mer, terre, mère universelle, et j’appelle aussi le cercle soleil qui voit tout, voyez ce que je subis, moi, un dieu, de la part des dieux. Voyez, déchiré de quels mauvais traitements je vais devoir lutter durant des milliers d’années. Voilà quelle ignoble chaîne le jeune chef des bienheureux a trouvée pour moi. Hélas, hélas, je gémis de ma peine présente et future ; comment faut-il que s’achèvent un jour ces tourments ? Mais que dis-je ? Je connais d’avance tout ce qui va arriver, et nulle peine imprévue ne m’arrivera jamais. Il faut supporter le mieux possible le sort fixé par le destin, sachant que la force de la nécessité est invincible. Mais je ne puis ni me taire, ni ne pas me taire sur mes malheurs. En effet, c’est en offrant des dons aux mortels que je me suis attiré ces maux, malheureux ! J’ai enfermé la source du feu au creux d’une férule et l’ai volée, feu qui est devenu pour les mortels le maître de tous les arts, et une grande ressource. Je subis le châtiment de telles fautes en étant attaché à ces liens battus des vents. Ah, ah, ah !…

Quel bruit, quelle odeur vole près de moi, envoyée par les dieux, ou mortelle, ou mélangée ? Vient-il à l’extrémité de cette colline pour voir mes peines, ou dans quel but ? Vous me voyez, dieu infortuné, prisonnier, ennemi de Zeus, objet de la haine de tous les dieux qui entrent à la cour de Zeus, pour avoir trop aimé les mortels. Hélas, hélas, pourquoi entends-je à nouveau le vol des oiseaux près de moi ? L’air siffle des souffles légers des oiseaux. Tout ce qui vient me terrifie.

Épisode II, v. 436-528

PROMETHÉE.

Si je me tais, ce n’est point par orgueil ou par dédain; mais la fureur dévore mon âme, quand je me vois attaché à cette roche. Et, toutefois! à quel autre qu’à moi ces nouveaux Dieux doivent-ils leurs honneurs? N’en parlons plus : ce serait dire ce que vous savez. Ecoutez seulement quels étaient les maux des humains, et comme, de stupides qu’ils étaient, je les ai rendus inventifs et industrieux; je le dirai, non comme ayant à me plaindre d’eux, mais pour vous exposer tous mes bienfaits. Avant moi, ils voyaient, mais voyaient mal; ils entendaient, mais ne comprenaient pas, pareils aux fantômes des songes, depuis des siècles, [450] ils confondaient tout. Ne sachant se servir ni de briques, ni de charpente, pour construire des maisons éclairées, ils habitaient, comme l’avide fourmi, des antres obscurs, creusés sous la terre. Ils ne distinguaient à nul signe certain la saison des frimas, de celle des fleurs, des fruits, ou des moissons. Sans réflexion, ils agissaient au hasard, jusqu’au moment où je leur fis observer le lever, et, ce qui est encore plus difficile à connaître, le coucher des astres. Pour eux, j’ai trouvé la plus belle des sciences, celle des nombres, j’ai formé l’assemblage des lettres et fixé la mémoire, mère des sciences, âme de la vie. J’ai, le premier, accouplé les animaux sous le joug, afin qu’asservis aux hommes, attelés ou chargés, ils succédassent à leurs pénibles travaux. Par moi, les coursiers, accoutumés au frein, ont traîné des chars pour la pompe du luxe opulent. Nul autre que moi n’a inventé ces vaisseaux errant sur la mer, voitures ailées des matelots. Infortuné! après tant d’inventions pour aider les mortels, je ne trouve pour moi-même aucun moyen de terminer les maux que j’endure.

LE CHŒUR.
Tu as manqué de jugement, et tu en portes une peine incroyable. Mais, mauvais médecin, dans tes propres maux tu désespères et ne sais quel remède y appliquer.
PROMÉTHÉE .
Entends le reste, et tu admireras bien plus les arts et l’industrie que j’ai donnés aux mortels. Avant moi, et c’est ici mon bienfait le plus grand, étaient-ils attaqués de quelque maladie, nul secours pour eux, soit en aliments, soit en potions, soit en topiques, nul médicament; ils périssaient. Aujourd’hui, par les compositions salutaires que j’ai enseignées, tous les maux se guérissent. J’ai fondé dans tous les genres la divination. J’ai, le premier, distingué, parmi les songes, les visions véritables; j’ai expliqué les pronostics difficiles et les présages fortuits en voyage. J’ai défini exactement le vol des oiseaux aux serres recourbées, et ceux de ces animaux, qui, de leur nature, sont d’un augure heureux ou sinistre ; leur vie habituelle, et ce qu’il règne entre eux de haine, ou d’amour et d’union ; enfin, ce que le poli et la couleur des entrailles des victimes a d’agréable aux Dieux, et la beauté diverse des formes du fiel et du foie. Etendant sur le feu, dans une enveloppe de graisse, les viscères et les cuisses des animaux, j’ai conduit les mortels à une science difficile et fait parler à leurs yeux des signes flamboyants jusqu’alors invisibles. [500] Ce n’est pas tout : ces biens utiles, enfouis dans la terre, l’airain, le fer, l’argent et l’or, qui se vantera de les avoir découverts avant moi ? nul, sans doute, s’il ne veut être un imposteur. En un mot, tous les arts, chez les humains, sont dus à Prométhée.
LE CHOEUR.
Après avoir trop fait pour les mortels, ne t’abandonne point toi-même dans le malheur. Je suis persuadée que tu pourrais, délivré de ces liens, être encore aussi puissant que Jupiter.
PROMÉTHÉE.
Non; ce n’est pas ainsi que l’a réglé le sort inévitable. C’est après avoir subi des tortures, des peines infinies, que je sortirai de ces fers; l’art est faible contre la nécessité.
LE CHŒUR.

Et la nécessité, qui donc la dirige?

PROMÉTHÉE.

La triple Parque, et les Furies qui n’oublient rien.

LE CHOEUR.

Quoi! Jupiter est moins fort que ces Déesses?

PROMÉTHÉE.

Oui, lui-même n’évitera point son destin.

LE CHŒUR.

Son destin! quel est-il, sinon de régner toujours ?

PROMÉTHÉE.

Ne me le demande point; n’insiste pas.

LE CHOEUR.

Il est donc bien redoutable, ce secret que tu gardes?

PROMÉTHÉE.
Brisons là : il n’est pas temps de révéler ce mystère : qu’il reste plus caché que jamais; c’est de ma discrétion que dépend ma délivrance de ces indignes fers, et la fin de mes peines.