Biographie
On ne sait rien de Pythéas de Marseille, sinon qu’il effectua un voyage d’exploration au cours duquel il découvrit l’Armorique, l’Angleterre, qu’il appelle « Prittanikè », l’Irlande, et sans doute l’Islande, l’Ultima Thulé, dernière terre habitée, aux confins de la mer gelée, c’est-à-dire la banquise.
Il dut naître à Marseille entre 370 et 355 : en effet, son voyage, qui eut lieu entre 330 et 320, suppose qu’il était alors un savant et un marin très expérimenté, donc sans doute âgé de 35 à 40 ans : un homme dans la force de l’âge, au fait de toutes les recherches de son temps, notamment les calculs d’Eudoxe de Cnide, et peut-être d’Aristote, mais encore assez jeune pour supporter des conditions de navigation particulièrement éprouvantes dans ces mers inconnues, souvent tempétueuses ou glaciales…
Son récit, De l’Océan, a disparu, mais il nous est connu par de larges extraits de ses successeurs, en particulier Strabon, qui d’ailleurs ne lui accordait aucune créance. Selon cet auteur, Pythéas était pauvre – ce qui signifie probablement qu’il n’appartenait pas aux classes dirigeantes de Marseille ; ce qui ne l’empêchait pas d’être un érudit et un astronome réputé dans sa cité…
Pourquoi entreprit-il un tel périple ? Peut-être pour découvrir la provenance de deux marchandises qui arrivaient dans le port de Marseille, après avoir transité par la Gaule, et dont on ignorait la véritable origine : l’étain, minerai indispensable à la fabrication du bronze, et l’ambre, résine fossilisée dont on faisait des bijoux et parfois des vases précieux, et dont les propriétés électro-statiques lui conféraient un caractère presque magique… Mais peut-être aussi voulait-il, simplement, aller aussi loin que possible vers le Nord, poussé par la soif de connaissance..
Que devint Pythéas après son retour ? Nul n’en sait rien ; la date de sa mort est ignorée. Mais son ouvrage connut un succès certain : il fut connu, et reconnu par Ératosthène, et figurait dans les grandes bibliothèques de Pergame et d’Alexandrie… Pourtant, après le IIe s., Strabon puis Pline l’Ancien mirent en doute son récit, et il sombra quelque peu dans l’oubli.
Pythéas astronome : l’observatoire de Marseille
Comme tout savant, Pythéas est parti des données accumulées par ses prédécesseurs, et de leurs déductions. Il semblerait qu’il ait eu des rapports avec les Pythagoriciens de Crotone ; il connaissait, sans nul doute, les calculs babyloniens rapportés par les Grecs, ainsi que les observations de Thalès et d’Anaximandre.
À l’époque de Pythéas, tout le monde ou presque est désormais convaincu que la Terre est sphérique, que le Soleil se déplace sur les 12 signes du Zodiaque situés sur le plan de l’écliptique, lequel est incliné d’environ 24° sur l’équateur. Les mouvements des cinq planètes connues ont été décrits, Mercure et Vénus très proches du Soleil, Mars, Jupiter et Saturne parcourant tout le zodiaque, avec parfois des mouvement récessifs. Les astronomes ont également repéré les solstices, les équinoxes, et la durée totale de l’année, 365 jours 1/4.
Pythéas était l’astronome officiel de Marseille, chargé de donner l’heure, la saison, le signe du zodiaque ; il disposait très probablement d’un observatoire à Marseille : une belle terrasse, un « gnomon » d’une dizaine de mètres de hauteur – peut-être le fronton d’un temple, celui d’Artémis près de l’actuelle Major ou celui d’Apollon, non loin de la place de Lenche –, un horizon bien dégagé vers le Sud.
Avec des moyens rudimentaires, mais par des observations journalières rigoureuses, il parvient à calculer la latitude de Marseille en mesurant avec son gnomon la position du Soleil (46°42′ au-dessus de l’horizon) le jour de l’équinoxe.
C’est peut-être lui aussi qui parvint à déterminer l’obliquité de l’écliptique, à 24°, calcul repris par Ératosthène de Cyrène.
On ne peut qu’être admiratif devant la précision des calculs des astronomes de l’époque, pourtant limités par leurs connaissances mathématiques : ils ignoraient la trigonométrie et le calcul de la tangente, comme les nombres décimaux ; le cercle n’est pas encore divisé en degrés et minutes : ses 360° représentent douze angles correspondant aux douze signes du zodiaque, soit un angle de 30° par signe. Un angle s’exprime par une fraction de circonférence : l’angle d’inclinaison de l’écliptique est précisément de 11/166 de la circonférence, soit 23°8′.
Pythéas géographe : le grand voyage
Sur les voyages maritimes en Grèce, voir ici.
Pythéas était sans nul doute un marin expérimenté, familier de la Méditerranée qui inflige aux navires des conditions de navigation aussi imprévisibles que périlleuses, avec des vents qui se lèvent brutalement, et des courants violents. Il s’est probablement embarqué sur un navire de taille moyenne, avec une vingtaine d’hommes d’équipage. Sans doute emportait-il dans la cale quelques provisions : eau douce, blé, huile d’olive, quelques amphores de vin dont les populations celtiques sont friandes même si leur boisson habituelle est la bière, peut-être du corail rouge de Cassis… Pour se guider, il n’y a ni carte ni instrument de navigation : on se fie aux étoiles, dont Pythéas est précisément un spécialiste ; peut-être aussi aux récits de marins, dont l’Odyssée offre peut-être un exemple crypté….
À raison de 3 ou 4 nœuds à l’heure, les navires peuvent parcourir entre 150 et 180 km par jour, soit, selon Ératosthène, 1000 stades égyptiens. Le jour, il s’oriente avec le Soleil, et la nuit, avec les étoiles proches du pôle céleste, dont il connaît mieux que personne la direction. À chaque étape, il mesurait la hauteur du Soleil au méridien, et pouvait calculer la latitude du lieu, sans doute grâce à un gnomon portatif sur lequel il a dû tracer les hyperboles des solstices et la ligne équinoxiale, et en graduant la ligne méridienne selon le calendrier zodiacal.
De Marseille aux colonnes d’Hercule et au golfe de Gascogne
On ne sait à quel moment précis Pythéas a entrepris son grand voyage ; au départ de Marseille, il se dirige d’abord vers Emporion (Ampurias), comptoir grec où il fait étape ; puis il longe la côte espagnole, de Rosas au cap de la Nao (Héméroskopéion, ou « Sentinelle du Jour ») en face d’Ibiza, alliée des Massaliotes, et qui sera détruite en 267 par le Carthaginois Hamilcar. Peut-être fait-il encore escale à Malaga, juste avant le difficile franchissement du détroit de Gibraltar ? Il lui faut alors 5 jours pour gagner le « cap Sacré » (Sagrès, près du Cap St Vincent au Portugal).
Il aurait alors longé toute la côte portugaise, avant de se retrouver dans le golfe de Gascogne, qu’il aurait traversé en trois jours.
Un trajet alternatif ?
Un tel trajet était long, coûtait fort cher et n’apportait pas grand-chose en termes de connaissances nouvelles, surtout pour un savant obsédé par le grand Nord. Or il existait une autre route, terrestre et fluviale, qui permettait de s’épargner un tel détour : il suffisait de se rendre à Narbone, via Agathè (Agde) ; on suivait ensuite le cours de l’Aude jusqu’à Carcasso (Carcassonne), puis on prenait la route vers Tolosa (Toulouse), et de là, par la Garonne, jusqu’à Burdigala (Bordeaux) ; de Narbonne à Bordeaux il n’y a qu’environ 400 km, dont la moitié par voie navigable, ce qui prend sept à dix jours. Or il s’agit d’une route très fréquentée par les marchands, comme en témoignent les nombreux vases grecs à figures rouges découverts tout au long de son parcours…
C’est donc de Bordeaux, dans le vaste estuaire de la Gironde où venaient mouiller de très nombreux navires, que Pythéas se serait embarqué, en direction de l’Armorique.
À la découverte de l’Armorique
Après trois jours de navigation, Pythéas arrive en Armorique, contrée habitée par les Ostimioi (᾽Ωστιμίοι) ; il débarque sur une imposante pointe qu’il nomme Kabaion : un nom où l’on reconnaît le grec καβάλλης (le cheval de travail), qui a donné Caballus en bas-latin. Il s’agit probablement de la pointe de Penmarc’h, un nom breton signifiant « tête de cheval »… C’est là sans doute qu’il trouva un pilote capable de lui faire franchir la route effroyablement dangereuse menant à Ouessant (Uxisama, « la plus haute île »), en doublant la pointe du Raz et sa « baie des Trépassés », l’archipel de Molène et le chenal du Four… Sans l’aide d’un marin connaissant parfaitement les courants et les hauts-fonds, sortir vivant de ce véritable cimetière marin était tout simplement inenvisageable.
Ouessant, occupée depuis le Néolithique, comptait un village entier au centre, de l’époque du bronze ; c’était un petit centre artisanal ; on ne sait si Pythéas s’y est arrêté, ni s’il s’est intéressé au cromlech d’Arlan, qui, comme les alignements de Carnac ou de Stonehenge, était une sorte d’observatoire astronomique.
Le phénomène des marées
Qu’il l’ait découvert en franchissant les colonnes d’Hercule, ou, plus probablement, en partant de Bordeaux pour remonter jusqu’en Armorique, Pythéas fut confronté à un phénomène à peu près inconnu des Grecs : la marée, ce flux et reflux de l’Océan qui menace de laisser les navires à sec si l’on n’y prend pas garde… Il fut le premier à établir une corrélation entre l’amplitude des marées et les phases de la lune. Durant l’Antiquité, il était impossible de naviguer durant les mois d’hiver : Pythéas dut profiter de ses hivernages pour observer l’amplitude des marées, et la correspondance entre le cycle de la lune et celui de la marée, en 24 h et 50 minutes.
Pythéas passa pour un menteur : les Grecs, habitués aux très faibles marées de Méditerranée, refusèrent de croire que de telles masses d’eau puissent avoir des mouvements d’une telle ampleur, et qu’en outre ce soit la lune, si lointaine, qui en soit responsable. Il faudra le témoignage de César, qui tenta deux fois d’aborder en Angleterre, pour que le phénomène (et non ses causes) soit admis.
La route de l’étain : les îles Cassitérides
L’étain était un minerai particulièrement précieux pour les peuples de l’Antiquité, car, allié au cuivre, il servait à fabriquer le bronze, matériau essentiel à la production des armes, des chars, tout autant qu’à celle de vaisselle et d’objets d’art. Mais il n’était produit ni en Grèce, ni en Italie, ni même en Gaule : il dépendait du commerce des Phéniciens, qui allaient le chercher dans le Nord-Ouest de l’Espagne ou en Cornouailles, en particulier dans les îles Scilly (ou Sorlingues) à la pointe Sud-Est de l’Angleterre. Les marins phéniciens, puis carthaginois, rapportaient le minerai par Gadès (Cadix) et Carthage, mais ils en gardaient secrète la provenance. Découvrir les mythiques « îles Cassitérides » (du grec κασσίτερος, étain) était sans doute l’un des buts de l’expédition de Pythéas.
Pythéas fit probablement le tour de l’Angleterre, qu’il décrit comme une île triangulaire, dont il évalue la circonférence ; au Sud, d’Est en Ouest, il cite le cap Belérion (Land’s End) et l’île d’Ictis dans la baie de Penzance, île accessible à pied à marée basse, et qui est peut-être Saint-Michel dans la baie de Mount Batten, puis l’île de Vectis ou Mictis (Wight), escale dans le commerce de l’étain ; et enfin le Kantion, dernier cap qui a donné son nom au comté de Kent, près de l’embouchure de la Tamise. Sans doute remonte-t-il jusqu’en Écosse, sans doute en longeant la côte ouest de l’Angleterre, en faisant peut-être étape à l’île de Man, puis par le canal du Nord jusqu’aux Hébrides, ou il put s’arrêter à Lewis, à l’abri des vents de l’Atlantique. C’est là qu’il dut prendre des mesures de la hauteur du Soleil, permettant à Hipparque de calculer le parallèle de 58°13′ de latitude Nord (voir B. Cunliffe, p. 97). Il atteignit alors les Orcades où il constate l’ampleur inédite des marées ; ces îles étaient habitées depuis l’âge de pierre : peut-être Pythéas prit-il contact avec les indigènes ; il décrit en effet le mode de vie des Celtes habitant l’Angleterre : une population rurale et pastorale, récoltant des fruits et légumes, du blé et de l’orge… Il évalue le pourtour de la Grande-Bretagne à 40000 stades, soit 7400 kilomètres, ce qui n’est pas très éloigné de la réalité (7580 km). Il poursuivit ensuite sa route vers le Nord, en direction des îles Shetland.
L’Ultima Thulé
Du Nord de l’Écosse à l’île appelée Thulé, il y a « six jours de navigation », soit 6000 stades égyptiens (environ 1000 km). En réalité, s’il s’agit bien de l’Islande, celle-ci est à environ 800 km du Nord-Ouest de l’Écosse. Il a dû passer près des îles Feroé, un archipel où paissent de nombreux moutons, et où le climat, grâce au Gulf Stream, est relativement doux. C’est probablement dans ces îles, ou aux Shetlands, qu’il dut trouver des pilotes capables de l’emmener jusqu’à Thulé.
Thulé est considérée comme l’ultime terre en direction du Nord, et est l’objet de multiples légendes… Mais certains phénomènes relevés par Pythéas, et qui lui ont valu une fâcheuse réputation de menteur, appartenaient bel et bien à la réalité. L’Islande, dont on ne sait s’il en fit le tour, est proche du cercle polaire ; il semble ne pas avoir parlé des aurores boréales, ni de l’extraordinaire activité volcanique de l’île ; son intérêt s’est focalisé sur la longueur des jours et des nuits… Depuis Hérodote, on pensait que les régions glaciales, comme la région équatoriale, étaient inhabitables à cause de climats trop extrême. On considérait qu’au-delà de 54° de latitude Nord, les températures sont beaucoup trop froides pour permettre la vie humaine ; or Thulé se trouvait, selon Pythéas et Ératosthène, à 66° de latitude Nord, et le climat qu’y trouva le navigateur était de nature océanique : mais il faut y voir l’influence du Gulf Stream, totalement inconnu des Grecs…
Au solstice d’été, à la pointe extrême de l’Islande, Pythéas voit le Soleil effleurer l’horizon, puis remonter aussitôt : c’est le fameux « Soleil de Minuit ». Il repère aussi de nouvelles étoiles : le Bouvier, voisin des Ourses, et la Couronne boréale. Ce spectacle dut émouvoir profondément l’astronome expert qu’il était. Avienus le décrit dans un passage de sa Descriptio Orbis Terrae, probablement inspirée par le texte de Pythéas lui-même, dont il dut avoir connaissance, ne serait-ce que par des citations :
Longa dehinc celeri si quis rate marmora currat,
Inque Lycaonias cymbam procul urgeat Arctos,
Inueniet uasto surgentem uertice Thulen.
Hic cum Plaustra poli tangit Phœbeius ignis,
Nocte sub illustri rota solis fomite flagrat
continuo, clarumque diem nox æmula ducit.
Nam sol obliquo torquetur cardine mundi,
Directosque super radios uicinior axi
Occiduo inclinat, donec iuga rursus anhela
Deuexo accipiat cælo Notus.« Si maintenant l’on court avec son navire rapide sur la vaste surface de la mer, et que l’on presse notre vaisseau loin en direction de l’Ourse, fille de Lycaon, on trouvera Thulé surgissant en une masse imposante. Là, lorsque le feu de Phœbus touche les constellations du Pôle, la roue du soleil brûle de sa flamme continuelle sous une nuit éclairée, et la nuit rivale du jour apporte une claire lumière. En effet le soleil tourne sur le pivot oblique du monde, et plus voisin du pôle il incline ses rayons directs vers l’Ouest, jusqu’à ce que le Notus reçoive à nouveau ses chevaux haletants, le ciel s’étant incliné. »
Avienus, Descriptio Orbis Terrae.
La mer gelée et le « poumon marin »
Au Nord de l’Islande commence la banquise, ou ses premiers contreforts ; Pythéas parle d’un « poumon marin », ce qui, depuis Platon, définit un banc de méduses ; mais ici, c’est par analogie que Pythéas a nommé ce qu’il a vu, ce mélange d’eau et de glace, translucide et gluant, qui menace d’emprisonner les navires… La brume, le blizzard devaient noyer l’ensemble dans un ensemble vitreux et inquiétant… Mais l’on a pu donner d’autres interprétations à ce « poumon marin » : les pierres ponces flottant à la surface après une éruption volcanique, ou même les fumées et les cendres d’un volcan…
La route de l’ambre : la mer Baltique
Selon la légende, l’ambre serait issu des larmes des Héliades, filles du Soleil, après la mort de leur frère Phaéton. En réalité, il s’agit d’une résine fossile provenant des conifères des grandes forêts européennes ; emprisonnée dans une couche de lignite, on la récolte dans les sédiments de la mer Baltique, en Prusse orientale et dans le Jutland (la partie continentale de l’actuel Danemark). C’était un produit aussi précieux que l’or ; on s’en servait pour des bijoux, des figurines ou des coupes, et il parvenait par les routes commerciales jusqu’en Italie, en Gaule méridionale et en Grèce. Mais l’on en ignorait la provenance exacte ; comme pour l’étain, Pythéas a sans doute voulu en établir l’origine.
De l’Islande, sans doute a-t-il longé vers le Sud la côte ouest de l’Angleterre, à moins qu’il ne se soit rendu tout droit jusqu’aux côtes de Norvège. Il serait alors descendu vers le Sud, aurait contourné le Danemark, longé la Poméranie, avant d’aborder une île nommée « Abalus » selon Pline l’Ancien, et qu’il aurait, lui, appelée « île Royale ». Voici ce qu’en dit Pline l’Ancien :
« Pytheas [dicit] Gutonibus, Germaniae genti, accoli aestuarium oceani Metuonidis nomine spatio stadiorum sex milium ; ab hoc diei nauigatione abesse insulam Abalum ; illo per uer fluctibus aduehi et esse concreti maris purgamentum ; incolas pro ligno ad ignem uti eo proximisque Teutonis uendere. 36 Huic et Timaeus credidit, sed insulam Basiliam uocauit. »
Pythéas dit que l’estuaire sur l’Océan, du nom de Metuonis, d’une surface de 6000 stades, était habité par les Gutons, une nation de Germanie ; de là à un jour de navigation se trouve l’île Abalus ; là, au printemps, il y a un succin, déchet de la mer congelée ; il est apporté par les flots. Les habitants s’en servent comme de bois pour le feu et le vendent à leurs voisins les Teutons. Timée crut aussi à cela, mais il appela l’île « royale ». (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXVII, 11)
Cet énorme « estuaire » est peut-être, en fait, le large espace qui va de Dunkerque aux côtes du Jutland, comprenant les embouchures de l’Ems, de la Weser et de l’Elbe : c’est toute la côte de l’ambre, un paysage plat que Pythéas a pu prendre pour un unique estuaire et qui s’étend sur plus de 700 km. Abalus est peut-êetre l’île d’Helgoland, en face de l’estuaire de la Weser.
Quoi qu’il en soit, sur tout ce rivage, on trouve de l’ambre en abondance. C’est le point de départ de deux routes commerciales : l’une suit l’Elbe et le Rhin, puis descend le Rhône jusqu’à Marseille ; l’autre longe la Vistule, traverse l’actuelle Ukraine et rejoint la mer Noire.
On ignore si Pythéas alla beaucoup plus loin, pénétrant dans la mer Baltique, naviguant vers l’Estonie ou même la future Saint-Pétersbourg ; mais sans doute s’est-il contenté d’avoir découvert Abalus, centre névralgique du commerce de l’ambre.
Sur le chemin du retour
Après un long voyage de sans doute deux ou trois ans, Pythéas revint à Marseille. On ne sait pas grand-chose de ses différentes escales : peut-être s’arrêta-t-il à l’embouchure de la Seine, puis à celle de la Loire (à Pénestin, « la pointe de l’étain » ?)
Postérité du « grand voyage »
Personne ne refit ce voyage d’environ 10 000 miles nautiques, soit 18 520 km, ni durant l’Antiquité grecque, ni pendant la période romaine. À son retour, si Timée et Ératosthène accordèrent foi à son récit, Strabon, en revanche, refusa de le croire, allant jusqu’à nier l’existence de la mer Baltique ! Son aveuglement pesa lourd dans le destin posthume du récit de Pythéas, et dans les avancées géographiques majeures dont il fut l’auteur. Cependant, le texte de Pythéas fut largement utilisé par son ami Timée de Tauroménion (356-270 av. J.-C.), lequel fut à son tour largement cité par Diodore de Sicile et Pline l’Ancien.
Il fallut attendre le début du XVIIe s. pour qu’on le redécouvrît ; il compte aujourd’hui parmi les plus grands navigateurs.
Bibliographie
- Journès Hugues et Georgelon Yvon, Pythéas, avec des aquarelles de Jean-Marie Gassend ; éditions de la Nerthe, Ollioules, 2000, 146 p.
- Cunliffe Barry, Pythéas le Grec découvre l’Europe du Nord, IVe siècle av. J.-C., traduit de l’anglais par Marie-Geneviève L’Her, éditions Autrement, collection Mémoires n° 91, 2003, 175 p.