Homère, L’Iliade

Homère

Composition de l’Iliade Le héros homérique dans l’Iliade L’Iliade comme « paideia » :

Le langage épique Les Troyens dans l’Iliade Les femmes dans l’Iliade
chant I chant II chant III chant IV chant V chant VI
chant VII chant VIII chant IX chant X chant XI Chant XII
chant XIII chant XIV chant XV chant XVI chant XVII chant XVIII
chant XIX chant XX chant XXI chant XXII chant XXIII chant XXIV

Sur Homère et la question homérique, voir ici.

Aide à la lecture de l’Iliade

Le sujet de l’Iliade et ses principaux acteurs

« Chante, Déesse, la colère d’Achille… » Le sujet de l’Iliade n’est ni la guerre de Troie (elle a commencé depuis dix ans, et nous n’aurons que quatre jours de combat, il est vrai symboliques de tout le reste), ni la chute de la ville (elle n’est pas racontée dans l’Iliade, mais dans l’Odyssée et surtout l’Enéide), ni la mort d’Achille, maintes fois annoncée et avec détails, mais se passant « hors champ » (Ulysse rencontrera Achille mort aux enfers).

Le sujet est l’évolution des sentiments d’un homme, humilié et offensé au chant I, et qui se réfugie dans la bouderie (sacrifiant les Grecs à son intérêt personnel : le patriotisme n’est pas encore à l’ordre du jour !) ; qui passe de la colère à la douleur avec la perte de son ami, son « alter ego », puis revient au combat, plein de rage et de rancœur, cette fois contre les Troyens (il s’acharnera contre Hector, vivant, puis mort), et enfin, s’apaise, découvrant dans l’ultime chant la pitié et le respect de l’autre. En ce sens, il y a une dimension humaniste dans cette épopée.

Les héros de l’Iliade

Les Grecs (Achéens, la plus importante famille ethnique, Argiens, Danaens, d’Argos)

  • Agamemnon, « protecteur de son peuple », fils d’Atrée, roi de Mycènes et d’Argos, chef de la confédération achéenne. Couramment nommé « Glorieux Atride, roi des guerriers ».
  • Ménélas, « le blond », frère d’Agamemnon, roi de Lacédémone.
  • Achille, »aux pieds rapides », fils de Pelée et de la déesse Thétis, roi des Myrmidons. Sa colère, au début du poème, son farouche retrait du combat puis son retour pour venger la mort de son ami Patrocle, sont les vrais sujets de l’Iliade.
  • Ulysse, »l’ingénieux » ou « l’artificieux », fils de Laërte, roi d’Ithaque. Il se signale par sa ruse et l’habileté de son éloquence.
  • Ajax le Grand, fils de Télamon, roi de Salamine. À ne pas confondre avec l’autre Ajax, fils d’Oïlée, avec qui il combat souvent.
  • Patrocle, fils de Menœtios, ami d’Achille.
  • Idoménée, fils de Deucalion, vieux roi de Crète.
  • Nestor, « le vieux meneur de chars », »l’écuyer de Généria », roi de Pylos, le plus âgé des chefs achéens. Il joue le rôle de conseiller.
  • Diomède, fils de Tydée, compagnon d’Ulysse.
  • Teucros, frère de lait d’Ajax

Les Troyens (et leurs alliés Dardaniens, Thrace et Lyciens) :

  • Hector, « au casque étincelant », fils du roi Priam et de la reine Hécube. Il manifeste une grande humanité.
  • Priam, roi de Troie, vieil homme, affaibli mais plein de bonté, dont la part d’héroïsme tient sans doute au chagrin de voir mourir plusieurs de ses fils (treize la dernière année du siège, dont trois en une seule journée). Pyrrhus, le fils d’Achille, le massacre sur un autel lors du sac de Troie.
  • Pâris (ou Alexandre), frère d’Hector. Il est à l’origine du conflit en enlevant Hélène de Sparte. Piètre guerrier, il est surtout remarquable par sa beauté.
  • Énée, « conseiller des Troyens », fils d’Aphrodite et d’Anchise, chef des Dardaniens. Survivant au sac de Troie, il est à l’origine de la fondation de Rome (Virgile, Énéide).
  • Sarpédon, fils de Zeus, chef des Lyciens.
  • Polybe, Agénor et Acamas, fils d’Anténor.

La composition de l’Iliade

 Chants I-X

Chant I : Agamemnon, le chef des Achéens, retient prisonnière la fille d’un prêtre troyen d’Apollon et le dieu a envoyé la peste sur l’armée. Le devin Calchas révèle la cause du mal et Achille adjure de rendre la prisonnière. Agamemnon finit par y consentir, mais prend en dédommagement Briséis, la captive d’Achille. Furieux, celui-ci se retire sous sa tente et invoque sa mère, la déesse Thétis. Celle-ci obtient de Zeus la promesse d’une victoire troyenne.

Chant II : Zeus envoie à Agamemnon un songe trompeur qui lui fait croire à la victoire. Pour mettre ses alliés à l’épreuve, le roi leur expose ce songe, puis feint de vouloir quitter le siège de Troie. Les guerriers se préparent à partir, mais Ulysse sait arrêter ce mouvement. Episode de Thersite.Les deux armées se préparent à combattre : minutieux « catalogue des vaisseaux » grecs, énumération des peuples et des chefs troyens et alliés (Dardaniens, Lyciens, Phrygiens, Thraces).

Chant III : Pâris (Alexandre) est pris de frayeur à la vue de Ménélas, dont il a enlevé l’épouse, Hélène. Devant les reproches d’Hector, il propose alors de régler le conflit par un duel qui l’opposerait à Ménélas. Alors que, du haut des remparts, Hélène présente les chefs grecs au roi Priam, le traité est conclu et le combat s’engage. Mais la déesse Aphrodite soustrait Pâris avant qu’il ne succombe.

Chant IV : Sur les conseils d’Héra, Zeus ordonne à Athéna de faire en sorte que les Troyens violent les premiers le traité de paix. Celle-ci convainc alors Pandaros de tirer une flèche sur Ménélas. Après une revue des troupes par Agamemnon, la bataille s’engage.

Chant V : Les dieux eux-mêmes sont mis à mal par les hommes : Diomède blesse Enée et sa mère Aphrodite venue l’assister. Les Troyens faiblissent puis se reprennent avec le retour d’Enée, sauvé par Apollon. Pour soutenir les Grecs, Héra et Athéna descendent à leur tour et, grâce à celle-ci, Diomède peut blesser Arès lui-même. Les dieux regagnent l’Olympe.

Chant VI : Les Troyens faiblissant, Hector demande à sa mère Hécube de prier Athéna, et les femmes troyennes se rendent à son temple. Il rencontre sa femme Andromaque près des portes Scées et, devant ses reproches et ses larmes, justifie sa place au combat. Puis, ayant serré contre lui son fils Astyanax, il rejoint les troupes avec Pâris.

Chant VII : Conseillé indirectement par les dieux, Hector provoque les chefs grecs en duel. Le tirage au sort désigne Ajax. Leur duel est interrompu par la nuit. Celle-ci est mise à profit pour l’enterrement des morts et la construction par les Grecs d’un fossé et d’un mur devant leur camp, ce que réprouve le dieu Poséidon.

Chant VIII : Zeus veille à ce que les dieux restent neutres. Sur le mont Ida, il va observer le combat et pèse le destin des deux armées. La balance penche en faveur des Troyens. De fait, ceux-ci prennent l’avantage grâce à Hector.

Chant IX : Agamemnon propose d’abandonner le siège, ce à quoi s’opposent Nestor et Ulysse. Le roi offre alors de rendre Briséis à Achille. Envoyé en ambassade, Ulysse tente de fléchir le héros qui reste intraitable et annonce même son intention de regagner la Grèce.

Chant X A la faveur de la nuit, Diomède et Ulysse font une incursion dans le territoire troyen et éliminent l’espion Dolon.

Chants XI-XXIV

Ces chants sont centrés sur trois personnages : Achille, Patrocle, son ami, dont la mort va déterminer le héros à retourner au combat, et Hector, meurtrier de Patrocle. On peut les grouper ainsi :
– XI-XVIII : Exploits et mort de Patrocle
– XIX-XXII : Retour au combat d’Achille qui tue Hector
– XXIII : Funérailles de Patrocle
– XXIV : Remise à Priam du cadavre d’Hector.
On note, grâce à ces simples indications, que 12 chants sont consacrés à des combats aboutissant à la mort d’un héros et que les deux derniers sont des thrènes douloureux en l’honneur d’un guerrier pleuré l’un par son ami, Patrocle, l’autre par son père et son peuple, Hector. Le récit se fait rapide pour raconter les luttes, puis le temps se dilate, en quelque sorte, pour évoquer la douleur et le deuil.

Essai de définition d’un genre : l’épopée.

les héros et les dieux

Première impression : celle de la toute-puissance des Dieux, perpétuellement présents, et qui interviennent sans cesse, pour adresser des messages (incarnations en soldat, femme du palais etc., songes), détourner une flèche, enlever un guerrier au combat…
Mais les Dieux sont constamment liés aux hommes, et n’interviennent que pour ou contre un homme. Apollon proteste même (chant XXI : ce serait folie de partir en guerre contre Poséïdon pour de simples mortels) ; mais normalement, les Dieux sont suspendus au sort des hommes.
Les Dieux, en revanche, sont parfois aussi cruels, à la limite du sadisme ; mais les hommes écrasés gardent leur fierté face à eux. Ex de Patrocle : XVI, 793-806 : les Dieux arrachent son armure à Patrocle, et Hector triomphe ; mais Patrocle proteste (v. 846) : victoire facile… De même Achille, XXII, 19.
Les hommes se contentent d’un bref commentaire quand ils constatent la trahison des Dieux : cf. Hector, XXII, 297-303. Puis l’homme se redresse : «Eh ! bien non, je n’entends pas mourir sans lutte ni sans gloire, ni sans quelque haut fait dont le récit parvienne aux hommes à venir. » La cruauté des Dieux rehausse l’héroïsme humain. Cf. aussi Ajax (XVII, 629-633), Achille (XIX, 420-425)…

Le merveilleux

En réalité, le merveilleux est bien moins développé que dans d’autres épopées, ni même dans l’Odyssée (Cyclopes, sirènes…) : ici pas de monstres ! Pas de métamorphoses en plantes, bêtes etc.
Les dieux eux-mêmes, quand ils veulent intervenir, se manifestent en prenant des formes … humaines ! Et leurs miracles ressemblent à l’expérience humaine : une flèche détournée (quand on rate sa cible, on incrimine la malchance… ou le matériel), un rajeunissement brutal (on se sent parfois « rajeuni de 10 ans…), un dieu qui parle à un homme, comme une voix intérieure… Le merveilleux d’Homère s’inscrit dans l’expérience, le quotidien. Ce n’est pas une rupture brutale avec le réel. Ce merveilleux est peut-être plus proche du fantastique, pour lequel se superpose toujours une explication rationnelle possible aux phénomènes étranges.

Quelques miracles quand même : la pluie de sang qui salue la mort de Sarpédon,quand Zeus lui-même doit céder au destin. C’est aussi la dernière victoire de Patrocle, qui annonce sa propre mort, et le retour d’Achille au combat : c’est donc un épisode absolument décisif. Autre moment décisif, le cheval d’Achille qui, au moment du combat, lui prédit sa mort. (XIX, 408-417) : mort déjà annoncée en termes plus vagues par Thétis, ici très précise.
Le merveilleux intervient donc pour souligner un moment décisif. Exemple des chants XX et XXI, où il est plus présent qu’ailleurs : le retour d’Achille au combat.

Le héros homérique dans l’Iliade

Des héros à la fois différenciés et « génériques ».

Absence de descriptions physiques, contrairement à d’autres épopées comme leLivre des Rois en Perse ou les Mille et une nuits : le lecteur (ou l’auditeur) peut prêter au héros, et à l’héroïne, les traits qu’il veut.
Absence d’analyses psychologiques ou de commentaires moraux : en voyant agir les personnages, on les reconnaît, mais aucun détail ne nous est donné sur leur éducation, leurs opinions etc. « Béhaviourisme » avant la lettre ! Exemple : Achille, toujours « bouillant », passant d’un sentiment à l’autre au cours de scènes et d’attitudes bien concrètes (geste réprimé à temps, cri, prostration…) ; il est toujours reconnaissable : on ne pourrait le confondre avec Ulysse ou Hector. L’amitié entre Achille et Patrocle, passionnée, n’est cependant jamais décrite. On peut donc lui prêter tous les caractères que l’on veut, de la pure amitié d’enfance quasi fraternelle à l’amour homosexuel. En somme, les héros d’Homère ont un caractère de généralité qui les éloigne des héros de roman.

Des héros humains.

Les héros sont supérieurs à la moyenne humaine : mais ils restent humains. Pour comparer, cf. l’épopée irlandaise : Cuchulaïn est né après trois ans et trois mois de grossesse ; il a des cheveux de trois couleurs, sept pupilles dans chaque œil, sept doigts aux mains et aux pieds ; il soulève trente guerriers à la fois, tient quatre épées dans chaque main etc. Idem en Arménie ou en Perse. La grande particularité d’Homère, c’est qu’il crée une épopée à échelle humaine.
Les héros sont mortels, et même Zeus ne peut soustraire son propre fils à son destin.
Achille n’est pas invulnérable : l’histoire de son talon est ignorée de l’Iliade. Même dans l’ordre moral, les héros ne sont pas invulnérables : la colère d’Achille est une faute grave, une désertion ; les autres personnages sont accessibles à la peur, cruels, vaniteux (Agamemnon)… Ils sont accessibles au doute : avant le combat final, Hector a été soumis aux supplications de son père et de sa mère ; lui même a un moment d’hésitation, puis se reprend : « mais qu’a besoin mon cœur de disputer ainsi ?» – formule reprise par Ulysse dans une circonstance analogue (XI, 404-412) ; idem Ménélas : XVII 91-108, sur le point de céder. Les héros affrontent la mort, mais sans jamais ignorer le prix de la vie : ce ne sont pas des têtes brûlées.

Des héros qui ignorent la haine et le racisme.

Parfaite égalité de traitement entre Troyens et Grecs : aucune différence n’est perceptible entre les cultures, les religions, les cultes… Rien de ce qui apparaîtra plus tard avec les guerres médiques.
– Priam n’a aucun ressentiment à l’égard d’Hélène, qu’il traite avec une parfaite courtoisie ; elle est l’instrument du destin (III, 162-164) ; de même Briséis, la captive troyenne, pleure sur le corps de Patrocle (XIX, 300-301)
-Respect de l’hospitalité : en plein combat, les hôtes se reconnaissent et évitent de se faire du mal (VI, 215 sqq.)
Fin de l’épopée : non la mort d’Hector, mais un double deuil parallèle : XXIII, deuil grec pour Patrocle, XXIV, deuil troyen pour Hector. Pitié d’Achille pour Priam (XXIV, 507-518) : aucune épopée au monde ne s’achève sur une telle scène de fraternisation. Les héros peuvent s’insulter, se massacrer dans le feu du combat, à froid ils se respectent : naissance des valeurs de la chevalerie.

« L’humanité est donc partout, dans cette première épopée. Elle est la marque des héros, grâce à la façon dont Homère choisit ce qu’il veut taire ou bien montrer. Elle est dans son génie de tout ramener à l’humaine condition et dans son refus de toute limitation ethnique ou particulariste. A cet égard, l’Iliade inaugure en fait ce qui deviendra le désir d’universalité propre à notre culture, et l’ouverture aux autres que, contrairement à bien des civilisations, elle inscrit en tête de ses valeurs. »
Jacqueline de Romilly, Pourquoi la Grèce ? Editions de Fallois, Paris, 1992.

L’Iliade comme « païdeia ».

Pendant des siècles, l’Iliade a servi aux enfants grecs à la fois de livre d’histoire(s), et de recueil d’ « exempla » ; ainsi, au IIIème siècle avant J-C, soit plus de 400 ans après Homère, Alexandre voulait être une réincarnation d’Achille [en transposant : comme si quelqu’un, aujourd’hui, voulait incarner les valeurs du Cid…]: l’épopée est donc à la fois le témoignage et l’expression des valeurs d’une société. Il faut se demander quelles valeurs étaient enseignées par les épopées en général, et l’Iliade en particulier.

Les valeurs épiques

Les valeurs incarnées par les héros : l’arétè.

Ici, l’excellence (ἀρετή) ne fait jamais l’objet d’un débat ; il y a consensus. Elle se définit par
courage, vertu, considération, honneur, le tout manifesté physiquement par la beauté. Auxquels s’ajoute l’Aidôs : le sentiment de l’honneur (« honte »)
– La colère d’Achille est justifiée : le butin = reconnaissance sociale de ses exploits, donc de sa condition de héros.
– La gloire a pour prix la mort, une mort acceptée dans la force de l’âge (choix d’Achille) et qui survient dans le face à face, sans échappatoire.

La mort affrontée dans le face à face :
L’épreuve reine, c’est le face à face, dans laquelle le héros, sous le double regard des siens et des ennemis, révèle ses qualités, mais aussi ses limites, ses défaillances. La mort prend le visage de l’adversaire ; elle n’est plus anonyme. En affrontant l’autre, en un combat singulier, générateur de gloire, le héros se mesure d’abord à lui-même.

S’avancer et s’exposer :
Le contraire du face à face, c’est la fuite, ou le retrait, au milieu de la foule des siens. Le héros retrouve là une certaine sécurité. A plusieurs reprises, Hector chancelant à la suite d’un coup violent, « recule aussitôt, rentre dans la foule » (XI, 360) ou bien après avoir vainement frappé Ajax, « fuyant la mort, se retira parmi ses compagnons » (XIV, 408). Redoutant bien plus encore Patrocle désarmé qu’il vient pourtant d’affaiblir en le blessant mortellement, Euphorbos se protège de même (XVI, 827-828). Tous savent que la foule, protectrice, permet d’échapper à la mort certaine.

Ne pas en sortir ou la regagner préserve sa vie, au risque d’être raillé par ses ennemis : c’est pourquoi l’archer, qui combat de loin, sans contact, est considéré comme un lâche.  Ainsi, touché au pied par une des flèches lancées par Pâris le célèbre archer, Diomède se moque de lui : « si tu combattais face à face contre moi, tes flèches te seraient d’un vain secours… Le trait d’un lâche est aussi vil que lui » (XI, 382-389). Et à Hector abandonnant le cadavre de Patrocle en voyant surgir Ajax, Glaucos reproche également de n’avoir qu’un courage de façade « tu as l’aspect du plus brave des hommes, mais tu n’es pas tel dans le combat, et tu ne mérites point ta gloire, car tu ne sais que fuir » (XVII, 143-144).

Même les plus vaillants d’entre eux, conscients des risques accrus, faiblissent. Car l’affrontement suppose un courage toujours égal, une ferme tranquillité devant la mort. Même s’ils finissent par se mentir à eux-mêmes en légitimant leur repli, certains découvrent ne pas disposer de cette vertu supérieure. Parmi ceux-ci Ménélas, afin de venger la mort de Patrocle, enlève les armes d’Euphorbos. Apercevant Hector qui s’avance vers lui avec d’autres Troyens, il recule, le cœur troublé. Certes, il ne leur tourne pas le dos et continue de leur faire face, mais ce double abandon des armes de l’ennemi et du corps de son compagnon n’en constitue pas moins une dérobade, et moins que son impuissance, l’aveu reconnu de sa peur de mourir et la justification qu’il s’en donne (XVII, 9299). Bien différente est l’attitude des deux Lapithes qui, seuls devant les portes du mur érigé par les Achéens, font bravement face à la multitude des Troyens « attendant d’être morts ou vainqueurs » (XII, 170-171), ou encore celle d’Ulysse qui, voyant son isolement, tenté de rentrer dans la foule, reconnaît que « seuls les lâches reculent dans la mêlée. Le brave, au contraire, combat de pied ferme, soit qu’il frappe, soit qu’il soit frappé » (XI, 409-410).

L’affrontement :
L’affrontement commence assez souvent par un duel verbal : il s’agit d’intimider l’autre. Conscient de la portée et de l’enjeu des propos d’Achille à son endroit, Enée lui rétorque: « N’espère point, par des paroles, m’épouvanter comme un enfant, car moi aussi je pourrais me répandre en outrages » (XX, 102-103).
Dans ce temps où deux héros se font face, temps souvent bref tant l’intensité de lutte est à son acmé, la rapidité d’action, l’habileté, la force et la fermeté d’âme représentent des qualités primordiales. C’est bien ce que rappelle Achille à Hector qui, après tourné trois fois autour d’Ilion, s’apprête enfin au combat singulier: « C’est maintenant que tu vas avoir besoin de toute ton adresse et de toute ta vigueur, car tu n’as plus de refuge… » (XXII, 269.) Dans ce combat, où chacun est pour l’autre une cible rapprochée, où interviennent la lance et l’épée, la victoire réside dans un enchaînement de perceptions, actions, réactions. voir, viser, toucher, se protéger.
Le visage n’est plus qu’une cible, et au lieu de faire apparaître le caractère plus humain des guerriers, le corps à corps semble, au contraire, introduire une distance intérieure. N’est-ce pas ce qui rend alors possible la férocité de l’engagement ? Paradoxalement, si le face à face rapproche physiquement les hommes, il exige de manière implicite, en ce qu’il a de paroxystique, que chacun éloigne l’autre de soi. Il le fait par le biais des regards, des paroles, et de la brièveté d’action.
Car l’autre danger d’une telle confrontation, et non des moindres, pourrait résider en la mansuétude qui risquerait, en ouvrant le chemin de la pitié, de perdre le héros dans sa propre humanité. Ne doit-il pas alors surmonter le dernier obstacle que serait l’imploration de son adversaire démuni ou blessé à mort afin d’accomplir l’acte fatal qui le grandira ? A Lykaôn, à ses genoux, le suppliant de l’épargner une seconde fois, Achille entre douleur et soif de vengeance dit: «Ami, meurs! » (XXI, 105.)

Une contre-épreuve : Thersite (chant II, 211-277).

Il n’y a qu’un seul « anti-héros » dans l‘Iliade, pour faire contre-poids au culte du héros.

Au début du chant II, Agamemnon est sûr de la victoire, trompé par les Dieux et surtout par sa propre vanité. Mais il a l’idée saugrenue de tester le moral des troupes, en leur proposant… d’abandonner la partie ! Ruée sur les navires : si Ulysse n’était intervenu, c’était la débandade – preuve d’un manque criant de psychologie chez un chef…
Tout semble rentrer dans l’ordre, mais un certain Thersite intervient.
Le poète commence par en faire un portrait bien peu valorisant :

« Les autres donc s’assoient et consentent enfin à demeurer en place. Thersite, seul, persiste à piailler sans mesure. Son coeur connaît des mots malséants, à foison, et, pour s’en prendre aux rois, à tort et à travers, tout lui semble bon, pourvu qu’il pense faire rire les Argieris. C’est l’homme le plus laid qui soit venu sous Ilion. Bancroche et boiteux d’un pied, il a de plus les épaules voûtées, ramassées en dedans. Sur son crâne pointu s’étale un poil rare. Il fait horreur surtout à Achille et Ulysse, qu’il querelle sans répit. Cette fois, c’est le tour du divin Agamemnon. Avec des cris aigus, il s’en va débitant contre lui force injures. Il est vrai que les Achéens gardent contre le roi, dans le fond de leur coeur, une rancune, un dépit furieux. Mais lui, c’est à grands cris qu’il cherche querelle à Agamemnon. » (211-224)

Trois caractéristiques font du personnage un anti-héros :

  • il est laid, difforme, faible physiquement : tout le contraire du héros, caractérisé par sa force souvent démesurée, et dont la beauté va tellement de soi que le poète dédaigne de nous en faire le portrait physique ;
  • il parle plus qu’il n’agit : comme plus tard les trois « anti-héros » d’Henri V, ce n’est pas un foudre de guerre, comme Ulysse le lui rappellera cruellement.
  • Enfin, il ne se tient pas à sa place : homme sans naissance, membre du « laos » (le peuple en tant que masse, la troupe, par opposition au « démos », le peuple comme entité politique), il s’attaque aux grands, troublant ainsi l’ordre du monde. Il fait preuve d’hybris, cet orgueil démesuré qui appelle le châtiment des dieux. Et il n’a pas les moyens de son audace : qu’Ulysse le frappe, et au lieu de se rebiffer, il recule et pleure – ce qui le ravale au rang des femmes et des enfants, c’est à dire, pour les Grecs, le contraire de l’héroïsme.

La sanction d’ailleurs tombe immédiatement : les autres Grecs se moquent de lui, et n’éprouvent à son égard aucune solidarité.

Quelques interprétations de cet épisode

  • On peut penser, avec Olivier Got (Ellipse 2000, p.62-67) que Thersite est le symbole de l’irresponsabilité et de l’agitation populaires, comparées, juste avant l’épisode qui nous occupe, au « fracas des flots d’une mer bruyante » (v. 209), et fréquemment stigmatisées par les écrivains de l’époque classique (Thucydide, Euripide, Aristophane).
  • On peut également considérer, en reprenant les thèses du philosophe René Girard, que Thersite concentre en lui tout le « mal » qui peut infester la société héroïque : laideur, bassesse de naissance et de caractère, insolence populaire, refus des valeurs héroïques : il serait alors une sorte de « pharmakos », de victime expiatoire, de bouc émissaire, portant sur lui tous les péchés de la société ; chassé ou tué (la violence du coup de sceptre et le sang qui coule symboliseraient le sacrifice), il purifie ainsi la société. De fait, après cet épisode, Thersite disparaît : les héros restent « entre eux ».
  • Mais une autre interprétation peut également être donnée : Thersite est avant tout le représentant du « Laos », la troupe, le peuple ; à ce titre, il devrait être réduit au silence. Or ce n’est pas le cas, et il faut l’intervention pour le moins brutale d’Ulysse pour le faire taire… Mais il ne peut pas faire qu’il n’ait pas parlé ! Cette voix grinçante et obstinée ne serait-elle pas la toute première occurrence de celles qui par la suite se multiplieront, dénonceront la guerre, la voix de ceux qui n’ont pas choisi d’être là, la voix de ceux qui paient au prix fort l’héroïsme des autres, sans en cueillir les fruits, ceux qu’Henri V sera bien obligé, lui, d’entendre, juste avant Azincourt ? Thersite est l’ancêtre de Bates et de Williams, et des « vrais » soldats que Fabrice rencontrera sur la plaine de Waterloo.

La voix de Thersite, c’est la première faille dans le mythe héroïque, et il fait peur au héros : ne leur rappelle-t-il pas qu’il n’y a de héros que par le consentement de ceux qui le suivent, et qu’il suffirait que les Achéens écoutent cette voix discordante pour que c’en soit fini de l’Iliade et d’eux-mêmes !
La voix de Thersite, c’est, pointant le bout de son nez, la grande peur de tous les généraux : la mutinerie des troupes.

Postérité littéraire

  • Plus tard, au IIème siècle, Lucien de Samosate implique Thersite dans un dialogue grotesque, où il prend part, dans le royaume des morts, à un concours de beauté, prouvant ainsi qu’Homère qui le décrivait comme hideux était bel et bien aveugle.
  • L’« éloge de Thersite » s’est développé comme exercice rhétorique. Par exemple, au IVème siècle, une telle œuvre a été écrite par l’orateur Libanios, qui réhabilite l’agitateur, dont il vante la prise de position courageuse contre les puissants.
  • On le retrouve ensuite dans Troïlus et Cressida de Shakespeare, où il est à la fois un infâme diffamateur, et un homme intelligent capable de déjouer les ruses d’Ulysse et de Nestor.
  • Il est cité dans les Confessions de Rousseau (livre III) : « « Dans l’ordre successif de mes goûts et de mes idées, j’avais toujours été trop haut ou trop bas; Achille ou Thersite, tantôt héros, tantôt vaurien. »
  • En 1907, Stefan Zweig en fait le héros d’un drame
  • En 1919, il est l’un des personnages du roman Elpenor de Jean Giraudoux.

Sur le personnage, et l’étymologie de son nom, un intéressant article de Pierre Chantraine (L’Antiquité classique, 1963)

 

Les Dieux: des anti-héros, qui mettent l’héroïsme des hommes en valeur.

  • Du côté des Grecs : Athéna (qui sera, dans l’Odyssée, la protectrice d’Ulysse) ; Thétis, mère d’Achille ; Héra.
  • Du côté des Troyens : Aphrodite, mère d’Énée, et protectrice de Troie depuis le choix de Pâris ; Apollon ;
  • Des dieux incertains : Poséidon, Zeus.

Quelques passages (servantes-robots d’Héphaïstos … ) soulignent le pouvoir magique des divinités, mais Homère limite ce merveilleux que d’autres auteurs épiques, comme Apollonios de Rhodes dans les Argonautiques, multiplieront.
De plus, les dieux sont imprévisibles, opposés entre eux, injustes, et, s’ils plaignent parfois les humains (XVII, 445 ; XXI, 460), ils n’ont pas le pouvoir de changer le destin (XVI, 233). Caractérisé par la vitesse de ses déplacements (XIV, 201), le dieu a malheureusement la même mobilité dans l’esprit que dans le corps :

  • Arès (un dieu essentiel à la guerre !) tantôt veut aider les Achéens (XV, 113) tantôt aide les Troyens (XX, 38-74 ; XXI, 391-415) ;
  • l’égide toute-puissante qu’Athéna porte contre Troie (XVIII, 216) peut être portée par Apollon contre les Grecs (XV, 229),
  • Zeus qui doit assurer l’accomplissement du destin a des moments d’absence, qu’il soit séduit par Héra ou tout simplement qu’il regarde ailleurs!

Souvent le pouvoir d’un dieu est équilibré par celui d’un autre: Thétis embaume le corps de Patrocle (XIX, 28), Aphrodite et Apollon celui d’Hector (XXIII, 187). Même l’aide d’un dieu (son père ou sa mère) acquise à un demi-dieu ne peut jamais en faire un immortel et le destin perfide peut jouer la rencontre d’un demi-dieu contre un autre (Achille et Enée, XX, 65-352), il n’y a donc ni logique ni cohérence ni même toute-puissance du divin.
Les dieux sont de parti pris, chacun soutenant son camp ; leur comportement est injuste (Héra accélère la nuit parce qu’Achille n’a plus d’armes: XVIII, 239), vaniteux (XVII, 567), trompeur : Poséidon dupe les deux Ajax (XIII, 43-65) ou propulse Enée loin d’Achille (XX, 322). Ils prennent des apparences humaines familières pour faire naître de faux espoirs, cruellement : Athéna leurre Hector (XXII, 227) ; ils se dupent même entre eux: Poseidon trompe Zeus (XIV, 401). Ils n’hésitent pas à frapper dans le dos (XVI, 79 1), ne savent pas tout (XIII, 521 ; XV, 1 10).
Ainsi la théomachie est à l’image humaine (V, 382-415): duels, insultes grossières, Héra qualifie aimablement Aphrodite de « mouche à chien! » (XXI, 421) mais c’est une épouse battue (XV, 17) et par un époux qui a peur d’elle (XVI, 458) ! L’alternance des scènes humaines et divines souligne combien ces dieux sont semblables parfois à des humains fort ordinaires.

Cependant, les banquets aristocratiques où les aèdes récitent ces vers à un public de soldats (connaisseur passionné par la précision des scènes de bataille et attentif à la beauté des armes) n’ont rien à voir avec des cérémonies religieuses, ce sont des délassements joyeux et somptueux où l’on se préoccupe plus de gloire que de théologie; donc, si ces dieux sont parfois trop humains, il ne faut pas en déduire un rejet du divin car ils sont en même temps bien au-delà de l’homme puisqu’immortels et capables de faire faire et penser à tout homme ce qu’ils veulent, puisque par une double causalité, tout acte a une cause humaine mais aussi une cause divine.

Le langage épique

(résumé du texte d’après Isabelle Lejault dans L’Iliade, Analyses et réflexions (Ellipses, 2000).

L’Iliade est une épopée, c’est-à-dire une narration d’actions héroïques. Le rô;le du langage est ici primordial. C’est à travers lui que seront exaltés les dieux et les héros, que seront mis en valeur les faits exceptionnels, que seront magnifiés dialogues et discours. Et c’est aussi, surtout, une poésie.

Epithètes et formules

Les épithètes homériques

Tout le monde connaît – et a retenu – ces épithètes homériques, que l’on appelle aussi épithètes de nature: « Ulysse aux mille tours », « Achille aux pieds légers », « Zeus l’assembleur de nuées » ou « Zeus qui brandit l’égide », « Athéna aux yeux de chouette », « Poséidon, l’Ebranleur du sol », « l’Aurore en robe de safran » ou « l’Aurore aux doigts de rose ». Ces épithètes attribuent à chaque personnage (dieu ou héros) un signe distinctif : Ulysse est rusé, Achille est rapide, Zeus est puissant …
Les épithètes individualisent les personnages : dans l’Iliade, certains , Poséidon en particulier, ou Héphaïstos, ne sont la plupart du temps désignés que par leur épithète.
Mais d’autres épithètes, tout aussi récurrentes, sont moins marquées et sont donc interchangeables: « nourrisson de Zeus », « engendré par Zeus », sont appliquées indifféremment à tous les héros et manifestent le caractère divin d’Ulysse, d’Ajax, d’Hector.
Ces épithètes permettent donc de caractériser un individu en rappelant ses particularités. Elles contribuent aussi, en rangeant dans une même descendance divine tous les héros de l’Iliade, à renforcer le contexte héroïque du poème.

Les formules et les vers formulaires

Renforçant les effets de répétition créés par les épithètes, les formules récurrentes et les vers formulaires constituent aussi une caractéristique remarquable des textes homériques. Nous trouvons ainsi un certain nombre de vers figés : « Alors il prononça ces paroles ailées. », « Quelle parole a franchi la barrière de tes dents ? », qui ouvrent ou ferment les discours. Certains sont moins imagés: ainsi les vers 145 et 154 du chant XIX qui sont presque semblables: « Achille aux pieds rapides en réponse lui dit » et « L’industrieux Ulysse en réponse lui dit ». Seuls changent les sujets: « Achille aux pieds légers », « L’industrieux Ulysse », qui, en grec, s’inscrivent exactement dans le même schéma métrique. Cela nous permet de voir le rô;le des épithètes et des vers formulaires : ils constituent des chevilles faciles à placer dans le poème par l’aède, permettent des parallélismes ou des oppositions aisément repérables par les auditeurs, facilitent aussi la compréhension en signalant nettement les changements de locuteurs.
Nous trouvons aussi dans le texte d’autres exemples de répétitions: au chant XIV, Héra prononce à cent vers d’intervalle presque exactement les mêmes mots (v. 200-207 ; v. 301-306) : « je m’en vais, aux confins de la terre féconde, visiter Océan, le père des dieux, et Téthys, leur mère. Ce sont eux qui, dans leur demeure, m’ont nourrie et élevée, du jour où ils m’avaient reçue des mains de Rhéa, dans les temps où Zeus à la grande voix avait mis Cronos sous la terre et sous la mer infinie. je vais les visiter et mettre fin à leurs querelles obstinées. Voilà longtemps qu’ils se privent l’un l’autre de lit et d’amour, tant la colère a envahi leurs âmes. ». Héra, s’adressant à deux interlocuteurs différents (Aphrodite d’abord, Zeus ensuite), se sert de la même introduction, ce qui permet de mieux différencier ce qui va suivre. La ruse de la déesse apparaît ainsi plus nettement, à travers son double langage.

Le sens épique : pourquoi ces épithètes et ces formules figées ?

Tout d’abord, pour conférer au texte un certain hiératisme. Il est clair que nous ne sommes pas dans le monde réel, mais dans le monde épique, où personnages et événements ont une autre dimension.
Les dieux et les héros, caractérisés par leurs épithètes, deviennent ainsi des êtres entiers, peu malléables, clairement définis. Chacun est donc investi d’un rô;le particulier, répondant à ses qualités propres. Nous sommes dans un monde clairement lisible, défini, sans nuances.

Comparaisons et métaphores

Les comparaisons

Il y a dans l‘Iliade un grand nombre de comparaisons et peu de métaphores. Les comparaisons, nous allons le voir, servent la plupart du temps à évoquer les combattants et, même si elles sont nombreuses, on peut assez facilement les classer car elles reprennent les mêmes comparants.

  • Les animaux sont des comparants privilégiés :
    • fauves, oiseaux de proie, ils qualifient les guerriers vaillants ; troupeaux affolés de faons ou de brebis, ils désignent les soldats en déroute. Le lion, occupe dans le réseau des comparaisons une place de choix.Mais l’on trouve aussi toutes sortes d’oiseaux de proie ; : Hector au chant XV (v. 690-692) est représenté comme un aigle qui fond sur d’autres oiseaux, au chant XVI Patrocle est comparé à un milan (v. 582-583), et Ménélas au chant XVII lui aussi à un aigle (v. 674-678). Les héros allient, comme ces oiseaux, la force et la vitesse, et la sûreté du coup d’œil qu’ils jettent sur leurs proies.
    • Les victimes, troupeaux faibles et effarés, sont des faons (XXII, v. 1 et v. 188), des bœufs et des brebis (XV, v. 323-325), ou même des sauterelles (XXI, v. 12).
  • Les éléments naturels (eau, feu, tempête) servent aussi à traduire l’impétuosité des héros : Le combat des Achéens contre les Troyens devient ainsi une lutte cosmique, ce que traduisent bien les vers 394-401 du chant XIV :

« Ni le flot de la mer ne crie aussi fort en heurtant la terre, quand, de tous cô;tés, il se lève au souffle du cruel Borée, ni le feu bruyant qui flamboie dans les gorges de la montagne, quand il s’est mis à embraser une forêt; ni le vent qui se fait entendre autour des hauts chênes feuillus et qui, dans ses jours de colère, a des mugissements à nul autre pareils – tant la voix est puissante des Troyens et des Achéens, lorsqu’avec des cris effroyables ils se ruent les uns sur les autres. »

  • D’autres comparaisons, beaucoup moins nombreuses, sont empruntées à la vie quotidienne: au chant XI, les Achéens et les Troyens sont comparés aux moissonneurs d’une bien cruelle moisson (v. 67-71). Plus surprenante, enfin, est la comparaison d’Ajax et d’Ulysse, les deux lutteurs du chant XXIII, avec des chevrons (v. 712-713) : « on dirait les chevrons qu’un charpentier fameux assemble au haut d’une maison, pour la garder des violences du vent ».

Les métaphores

Les comparaisons sont nettement délimitées : les mots-outils de la comparaison sont toujours exprimés – ce que la traduction française rend par « ainsi », « comme », « tel », « on dirait » – et les deux éléments-clefs de la comparaison ne sont jamais confondus, comme c’est le cas dans les métaphores.
Celles-ci, nous l’avons dit, sont peu nombreuses, et elles font partie de ces métaphores que l’on dit « lexicalisées » ou « mortes », tant elles sont devenues des lieux communs et ne sont plus ressenties véritablement comme des métaphores. Nous pouvons en citer deux: « le gouffre de la mort » (par exemple au vers 155 du chant XVII) et « un noir nuage de chagrin » (XVII, v. 591 ; XVIII, v. 22), porteuses d’un sens beau et émouvant, mais qui jouent dans le texte le rôle des épithètes de nature.

L’univers des comparaisons

Les comparaisons permettent, en effet, de renforcer le caractère héroïque des personnages et contribuent à la grandeur épique du texte.
Nous avons vu qu’elles concernent les héros (Achille, Hector, Agamemnon, Ajax) et surtout les héros guerriers: Ulysse « échappe » aux comparaisons, et il nous paraît significatif que l’Odyssée, consacrée à Ulysse, en comporte fort peu. Les comparaisons homériques insistent sur la vaillance, la force, la rapidité; la ruse d’Ulysse et sa modération n’ont pas ici leur place.
Nous touchons ici à la dimension épique des comparaisons: l’eau et le feu combattent sous les traits des héros, comme ils combattront aussi au chant XXI, par la lutte du Scamandre contre le feu d’Héphaïstos. Mais c’est à Achille que le Scamandre s’était d’abord attaqué, reconnaissant ainsi dans le fils de Pélée un adversaire digne de lui, à la mesure du monde.
Le poète sait aussi quitter ces hauteurs sublimes et ramener son auditoire à d’humaines réalités : animaux domestiques et travaux des champs figurent en bonne place dans les comparaisons de l’Iliade, comme ils sont représentés sur le bouclier du valeureux Achille, au chant XVIII.

Les discours

La parole omniprésente

Les discours sont nombreux dans les chants de l‘Iliade. Certains chants sont presque tout entiers composés de discours: le chant XIV par exemple, constitué des débats entre les Achéens. Ce phénomène peut surprendre dans un texte que l’on pourrait croire essentiellement narratif, et consacré à la geste des héros. Or, il apparaît que l’épopée passe aussi – et en grande partie – par la parole.
Tout le monde se parle : dans un même camp, mais aussi entre adversaires – au point que le discours paraît parfois plus étendu que l’action. Dans le passage du chant XXII que nous venons de citer, sur cent quatre vers, on compte soixante-dix vers de discours. C’est dire l’importance de ces échanges verbaux au moment de la mort d’un des héros de l’épopée. Hommes et dieux communiquent aussi par la parole; mais la parole est ici souvent voilée, parfois perfide (c’est le cas de celle d’Athéna au chant XXII) : les dieux peuvent être trompeurs et se jouer des humains.
Elle permet également aux femmes d’entrer dans l’épopée; les déesses, bien sûr, y sont à leur place, mais les femmes des héros, dans un texte aussi guerrier que l’Iliade, ne peuvent prendre part à l’action. C’est donc par la parole qu’elles vont exister : la mère d’Hector, Hécube, succède à son époux Priam au chant XXII pour se lamenter sur le sort de son fils (v. 82-89), et son discours, même s’il est beaucoup plus bref que celui de Priam, est très émouvant, avec la belle image du sein maternel « où s’oublient les soucis » (v. 83). Nous la verrons ensuite déplorer la mort d’Hector (v. 431-436) avant qu’une autre femme, l’épouse du héros, n’entre à son tour en scène: toute la fin du chant XXII (v. 477-514) est occupée par le désespoir de la jeune veuve, et le dernier vers du chant (v. 515 : « Ainsi dit-elle, pleurante, et les femmes lui répondent par des sanglots. ») se termine en grec par gunaikes, « femmes » ». Par le biais de la parole, l’univers des femmes accède au statut épique.

Le style sublime

La parole manifeste aussi le grandissement épique : qu’elle soit celle des dieux, celle des héros, ou celle du poète, elle magnifie les sentiments ou les actes et les rend véritablement héroïques.
Nous assistons à une sacralisation du langage, et cela à plusieurs niveaux.
La parole, d’abord, peut être prophétique: c’est le cas de la parole divine, relayée par les devins. Poséidon, au chant XIII, apparaît sous les traits de Calchas pour mieux faire passer le caractère divinatoire de son discours. Thétis prédit à Achille qu’il mourra bientô;t (XXIV, v. 131-132: « déjà, à tes cô;tés, voici la mort et l’impérieux destin ») ; Xanthe lui-même, le cheval d’Achille, se met à parler pour prédire à son maître une mort prochaine, avec les mêmes mots qu’emploiera un peu plus tard Thétis: « Mais le jour fatal est proche pour toi. Nous n’en sommes point cause, mais bien plutô;t le dieu terrible et l’impérieux destin. » (XIX, vers 409-410.)
Cette parole épique, d’autre part, n’est pas remise en doute et apparaît comme le fondement même du monde héroïque : les prophéties se réalisent, les menaces sont menées à leur terme. La fin des héros est prévue, annoncée, attendue.

Les Troyens dans l’Iliade

Les Troyens dans le texte d’Homère

On trouve mention un peu précise des Troyens et de leurs alliés dans trois passages de l’Iliade :

  1. Chant II : énumération des différentes peuples
  2. Chant VI : Hector revient à Troie et retrouve sa femme et son fils sur le rempart, à la porte Scée
  3. Chant XXIV : Priam vient chercher le corps d’Hector dans le camp grec, et rencontre Achille.

Dans ces trois passages, Homère nous dépeint l’autre, l’ennemi &ndash ; celui qui devrait être l’Autre par excellence, et qui se révèle un Même.

Chant II

Homère énumère les peuples qui constituent le camp adverse, p.75-77.   « Les alliés sont nombreux parmi la grand-ville de Priam. Chacune a sa langue à soi parmi les multiples races humaines. Que chaque héros donne donc ses ordres aux hommes à qui il commande, puis, après les avoir rangés, se mette à la tête des siens » (p. 75)

S’ensuit alors une énumération :

  • Troyens —>Troade (Anatolie du nord-ouest)
  • Dardaniens (d’Ilionie) —>Dardanie (Anatolie du nord-ouest)
  • Bithyniens —>Bithynie (Anatolie du nord-ouest : Adrastée, Percote, Zélée…)
  • Pélasges —>Larissa (Anatolie de l’ouest)
  • Thraces —>Dardanelles (Thrace du sud-est)
  • Cicones —>Ciconie (Thrace du sud)
  • Paeoniens (Paioniens) —>Paeonie (Thrace de l’ouest)
  • Paphlagoniens (Enètes) —>Paphlagonie (Anatolie du nord)
  • Halizones —>Cappadoce (Anatolie centrale)
  • Mysiens —>Mysie (Anatolie de l’ouest)
  • Phrygiens —>Phrygie (Anatolie du nord-ouest)
  • Méoniens (Lydiens) —>Lydie (Anatolie de l’ouest)
  • Cariens —>Carie (Anatolie du sud-ouest)
  • Lyciens —>Lycie (Anatolie du sud-ouest)

On constate que la plupart des peuples proviennent soit de Grèce du Nord, soit du plateau Anatolien, là où s’était épanouie la civilisation hittite, dont Homère n’a par ailleurs aucun souvenir. Les Troyens étaient-ils des Hittites?

Si certains alliés, comme les Cariens « parlent une langue barbare » (cf. p. 77), les Troyens eux-mêmes semblent parler grec ; ils communiquent en effet sans interprète, et rien ne laisse supposer qu’ils aient une langue différente. Mieux encore : ils s’interpellent selon les mêmes procédés (insultes, déclinaision de la généalogie…) et se découvrent parfois des liens d’hospitalité, qui traduisent une connaissance mutuelle de longue date : voir la scène entre Diomède et Glaucos, au chant VI, p. 138-141 : en pleine bataille, ils se reconnaissent, et échangent aussitôt leurs armes !

Le chant VI

Hector revient à Troie pour décider son frère, Pâris-Alexandre, à venir au combat ; il rencontre d’abord sa mère, puis se rend sur le rempart, où se tient Andromaque et son fils, un tout petit garçon. S’ensuit alors une scène familière et pathétique : Andromaque supplie son mari de rester près d’elle ; ému, il refuse (il ne peut se déshonorer en fuyant le combat) ; il dit alors adieu à sa femme et à son fils, mais l’enfant est effrayé par le casque de son père… Nous assistons alors à une scène extrêmement rare dans la littérature grecque, où s’exprime toute la complicité de jeunes parents devant leur enfant, malgré le tragique de la situation ; le « rire en pleurs » d’Andromaque est resté justement célèbre.

L’auteur adopte ici totalement le point de vue troyen &ndash ; qui n’est en rien un point de vue étranger ; la scène est émouvante, mais pourrait tout aussi bien mettre en scène des Grecs.

La rencontre de Priam et d’Achille au chant XXIV

Priam vient trouver Achille, pour lui demander le corps de son fils. Afin d’attendrir le héros, il commence par un parallèle entre lui-même et le vieux Pélée, père d’Achille, et celui-ci en est bouleversé. Or, cela eût été impensable si Priam avait été, aux yeux d’Achille, un Barbare ! Or tout au contraire, il le traite avec respect, et même une sorte de tendresse : il le fait manger, l’invite à dormir, veille sur sa sécurité…

Ajoutons qu’une fois encore, Grecs et Troyens ont les mêmes références culturelles : ils révèrent les mêmes dieux, et lorsqu’Achille invoque la légende de Niobé, il ne doute à aucun moment que le vieillard la connaisse aussi bien que lui !

Les Troyens d’Homère sont donc… des Grecs.

La réalité historique

Schliemann et le « trésor de Priam »

Heinrich Schliemann (1892)

Archéologue amateur et quelque peu aventurier, Schliemann découvre, sur le site d’Hissarlik, un empilement de villes, dont certaines, détruites par le feu, pourraient correspondre à la Troie homérique.
Mieux encore : il découvre, près d’une porte identifiée comme la « porte Scée », un extraordinaire trésor (bijoux en or, pièces, vases…) qu’il va immédiatement considérer comme la « parure d’Hélène » (il se dépêchera d’ailleurs d’en parer sa jeune épouse Sophia)… en négligeant le fait que le trésor date du 3ème millénaire, soit 1000 ans au moins avant la guerre de Troie… Ce trésor, ramené à Berlin, se trouve aujourd’hui au musée Pouchkine de Moscou, confisquée en 1945 et conservé à titre de « dommages de guerre ».

Les dernières révélations archéologiques permettent aujourd’hui de se faire une idée précise de la véritable Troie : une cité anatolienne prospère, située aux confins du monde oriental et dressée face à un Occident qui s’arme et s’organise. Carrefour commercial des routes maritimes et terrestres vers l’est, Troie suscite au XIIIe siècle avant notre ère la convoitise des Grecs qui durent mener plusieurs expéditions militaires, avant que la cité ne soit dévastée par un violent incendie puis abandonnée cinq cents ans. Troie renaît comme colonie grecque à l’époque d’Homère qui, ne sachant rien des Hittites, prête à ses Troyens les mœurs de son propre monde.

Les archéologues vont continuer à s’intéresser au site d’Hissarlik : Carl Blegen, de 1935 à 1938, John Manuel Cook, de 1970 à 1973, Manfred Korfmann, de 1988 à 2005, et, encore en 2006, Ernst Pernicka. Les différentes campagnes de fouilles ont mis au jour les restes superposés de neuf villes, étiquetées de la plus ancienne (Troie I, entre 3000 et 2500 avant notre ère) à la plus récente, d’époque romaine. Aucune ne correspond vraiment à la cité de Priam, même si les traces d’un incendie dévastateur ont pu être relevées sur les ruines de Troie VII a, découverte par Carl Blegen, dont les dates pourraient coïncider (entre 1300 et 1260) ; toutefois la taille en semble bien médiocre, mais la tradition orale a pu exagérer l’importance de la cité… En revanche, Troie VI, datée entre 1800 et 1300, laisse imaginer une grande ville avec des fortifications impressionnantes ; Dörpfeld y croyait, bien qu’il fût établi qu’elle n’avait pas été détruite par un siège, mais par un tremblement de terre, vers 1275.

Il y a donc bien eu une cité troyenne, quel qu’en soit le nom, qui a connu son apogée au moment du Bronze récent.

Le mythe de l’origine troyenne

On le sait, Troie n’est pas prise dans l’Iliade, mais Homère en raconte la fin dans l’Odyssée. Troie a été brûlée et détruite, mais… il y a eu des survivants, qui connaîtront par la suite, à l’époque romaine et durant le Moyen-Âge, une surprenante postérité.

Les Romains, des descendants d’Énée ?

Énée, héros troyen, s’enfuit comme on sait de Troie en flammes, et parvint, après bien des aventures racontées par Virgile dans l’Énéide en Italie, où son fils Ascagne, ou Iule, fonda Albe. Les Romains, et plus particulièrement la gens Iulia, dont le plus illustre représentant fut Jules César, étaient donc les descendants des Troyens…

Les Bretons, descendants des Troyens ?

Toute une tradition fait du Roi Arthur un descendant de Brutus de Bretagne, petit-fils d’Énée : ainsi s’imbriquent les deux grandes traditions du roman médiéval, le roman antique et la matière de Bretagne.

Des descendants partout en Europe !

Citons, parmi les traditions qui plongent leurs racines dans le passé troyen :

  • Les Francs, descendants d’un certain Francion, fils d’un frère d’Énée
  • Les Gaulois (et le nom de Paris viendrait d’Alexandre-Pâris, calamiteux fils de Priam !)
  • Les Vénètes et la Vénétie, fondée par des Troyens échappés de leur ville en flammes
  • Il n’est pas jusqu’aux Normands, qui ont – sans grand succès – revendiqué une origine troyenne…

Les femmes dans l’Iliade.

Chryséis, Briséis, Hélène : trois femmes à l’origine de tout.

L’Iliade, récit de guerre, est avant tout une affaire d’hommes, où les femmes ne devraient tenir aucune place. Et pourtant, c’est à trois femmes que l’on doit le conflit.

Hélène

Fille de Zeus et de Léda, sœur jumelle de Clytemnestre et des Dioscure, Hélène est considérée comme la plus belle femme du monde ; et c’est à ce titre qu’elle a été donnée (sans que sa volonté intervienne !) à Pâris-Alexandre, fils de Priam, après que celui-ci eut accepté de juger la beauté d’Héra, Athéna et Aphrodite, et accordé à cette dernière la primauté.

Arrachée à Ménélas et à sa patrie, enlevée dans ce qui ressemble plus à un rapt ou une razzia qu’à une fugue amoureuse, elle est donc l’objet du conflit ; c’est pour la récupérer que les chefs grecs, Agamemnon en tête, partent pour une expédition punitive à Troie.

Elle apparaît au chant III, où elle présente à Priam les chefs grecs qui assiègent Troie ; elle est traitée avec bienveillance. En la voyant, Priam l’interpelle : « tu n’es, pour moi, cause de rien : les dieux seuls sont cause de tout ; ce sont eux qui ont déchaîné cette guerre, source de pleurs, avec les Achéens. »

Femme fatale malgré elle, elle n’est donc qu’un objet, un bien que l’on se dispute ; pourtant, très vite on la considérera comme responsable, et des auteurs comme Isocrate ou les Sophistes devront prendre sa défense. Elle- même est sa première accusatrice : elle ne cesse de se nommer « face de chienne, méchante », alors qu’elle n’a été que la victime d’un rapt…

Chryséis

Fille du prêtre d’Apollon Chrysès, elle a été emmenée de force par les Grecs, et elle fait partie du butin accordé à Agamemnon. C’est le refus de celui-ci de la rendre à son père, et les insultes dont il abreuve le vieillard, qui sont à l’origine de la colère d’Apollon et de la peste qui va décimer le camp grec. Agamemnon sera finalement contraint de la rendre… et s’emparera alors de la captive d’Achille, déchaînant la rage de ce dernier ! Là encore, Chryséis ne joue aucun rôle ; elle n’est dans l’Iliade qu’une silhouette, une « part de butin ».

Briséis

Privé de Chryséis, Agamemnon se dédommage en prenant Briséis à Achille ; là encore, la jeune fille n’est qu’un objet d’échange, et si Achille pleure, c’est de dépit d’avoir dû céder devant le roi d’Argos… Homère écrit cependant : « ἡ δ’ἀέκουσ’ ἅμα τοῖσι γυνὴ κίεν, la femme les suit à regret » (v. 352) ; pour la première fois, elle semble éprouver un sentiment personnel, peut-être parce qu’il s’agit d’Achille…

Hécube et Andromaque, femmes, épouses, reines, victimes

Deux autres femmes apparaissent dans l’épopée :

Hécube

Cette femme déjà âgée, et promise après la chute de Troie à un sort tragique, représente tout ce que la guerre fait subir aux femmes. Épouse de Priam et reine de Troie, elle est aussi la mère de nombreux héros troyens, puisqu’elle a eu 19 fils. Parmi les plus connus, Pâris et Hector seront tous deux tués ; elle est aussi la mère de Polyxène et de Cassandre… Devenue esclave, elle assistera à leur mort.

Dans l’Iliade, elle apparaît surtout comme suppliante, lorsqu’elle tente d’empêcher Hector d’affronter Achille (chant XXII).

Andromaque

Elle est l’épouse d’Hector ; dans la célèbre scène de la porte Scée, elle vient à la rencontre d’Hector avec, dans les bras, son fils Astyanax encore bébé ; c’est une très rare scène de bonheur intime et conjugal, où se devine une complicité amoureuse entre les époux ; mais c’est un instant fugitif : Hector ordonne à Andromaque de rentrer au palais, et il part accomplir son devoir – et mourir.

Ce faisant, il ne peut que la condamner, elle, au mieux à l’esclavage, au pire au supplice.

Conclusion

Les femmes ont donc une réelle présence dans l’Iliade, discrète mais non inexistante. Victimes de la violence masculine, impuissantes et angoissées par la guerre, elles ne peuvent que subir leur destin, mais elles confèrent à cette épopée virile une touche de douceur et d’humanité.

En somme, les seuls êtres féminins qui agissent, ont un pouvoir sur leur destin, et usent de toutes les armes à leur disposition, de la ruse à la séduction et au mensonge, ce sont les déesses, au premier rang desquelles Athéna et Héra, qui ne pardonnent pas le choix de Pâris et ont résolu la perte de Troie, et Aphrodite qui leur fait face. Mais ces déesses elles-mêmes, combatives et manipulatrices, doivent finalement céder au pouvoir de Zeus…


Chant I

Composition du chant

  • Un prologue très bref
  • Premier épisode : Agamemnon refuse à Chrysès, prêtre d’Apollon, de lui rendre sa fille prisonnière : le dieu envoie la peste aux Grecs.
  • Second épisode : le devin Calchas explique aux grecs la volonté d’Apollon : Agamemnon devra rendre Chryséis.
  • Troisième épisode : violente dispute entre Achille et Agamemnon : celui-ci exige la captive d’Achille ; Athéna intervient pour empêcher Achille de tuer Agamemnon.
  • Quatrième épisode : Achille décide de ne plus participer, ni aux combats, ni aux assemblées.
  • Cinquième épisode : tandis que le reste de l’armée fait route vers Chryse pour restituer Chryséis, deux hérauts viennent prendre Briséis à Achille ; Thétis, sa mère, promet d’intervenir auprès des dieux.
  • Sixième épisode : l’assemblée des dieux ; malgré l’opposition d’Héra, favorable aux Grecs, Thétis obtient de Zeus la victoire des Troyens, jusqu’à ce qu’Achille soit honoré comme il le mérite. Le chant s’achève sur le banquet des dieux, qui s’enivrent, puis vont se coucher.

Les relations de pouvoir

La société qui nous est décrite dans l’Iliade apparaît comme extrêmement sommaire et archaïque, sans rien de commun avec les monarchies bureaucratiques de l’époque mycénienne : Le monde de l’Iliade apparaît comme strictement hiérarchisé, et cette organisation a fortement marqué les Grecs, dans la mesure où, durant des siècles, ils ont appris à lire, à écrire, dans les épopées d’Homère, que personne, pas même Platon, ne mettait en doute.

Les Rois

Tous les héros (Achille, Ulysse, Nestor) sont des rois parfaitement indépendants, venus chacun avec sa propre armée combattre Troie ; Ils ont choisi pour chef suprême Agamemnon, roi d’Argos et frère de Ménélas, qui est à l’origine de la guerre, pour deux raisons :

  • il est le plus puissant des Grecs, comme le dit Nestor (« puisqu’il règne sur un plus grand nombre de guerriers ») : il est le seul à pouvoir aligner 100 navires, et à en fournir à des rois moins riches.
  • Il est directement concerné par cette affaire privée et familiale qu’est la guerre de Troie, puisqu’il est le frère de Ménélas, la « victime ».

Une inégalité acceptée, tant qu’elle reste dans des bornes raisonnables… Mais justement, à deux reprises, Agamemnon a outrepassé ces limites, et trangressé la « Thémis » (θέμις, ιστος : ce qui est permis par le Destin et les dieux, loi divine, droit coutumier…) :

  • – en insultant le prêtre Chrysès, et à travers lui Apollon ;
  • en négligeant l’avis des Grecs et en insultant Achille ; le risque, dans ce cas, c’est de n’être plus obéi. Nestor le lui dira (IX, 100) : « il te faut,encore plus que d’autres, parler et écouter ».

Ce pouvoir, comme en témoigne la querelle entre Achille et Agamemnon, est fréquemment contesté. Agamemnon n’est qu’un « princeps inter pares »…

Dans l’assemblée, même si le dernier mot lui revient, chacun prend la parole à son tour. Il règne une certaine égalité entre les héros-rois, mais finalement, c’est la hiérarchie qui doit avoir le dernier mot, comme le dit le sage Nestor :

ήτε σύ, Πηλεΐδη, ᾿θελ’ἐριζέμεναι βασιλῆι
ἀντιβίην, ἐπεὶ οὔ ποθ’ ὁμοίης ἔμμορε τιμῆς
σκηπτοῦχος βασιλεύς, ᾧ τε Ζεὺς κῦδος ἔδωκεν.(v. 277-279)
Et toi, fils de Pélée, ne t’obstine donc pas à quereller un roi en face : l’honneur n’est pas égal, que possède un roi porte-sceptre, à qui Zeus a donné la gloire.

Achille finalement doit s’incliner – mais désormais il refuse d’obéir, rejetant ainsi la prééminence d’Agamemnon.

Cette hiérarchie se matérialise dans le partage des dépouilles, le γέρας (la part d’honneur) : Achille souligne à de multiples reprises le fait qu’Agamemnon, en tant que chef suprême, s’arroge la part du lion, sans pour autant participer toujours aux combats. Une inégalité acceptée, tant qu’elle reste dans des bornes raisonnables…

Les prêtres

Devins, comme Calchas, ou prêtres comme Chrysès, ils représentent la parole des dieux ; à ce titre ils méritent le respect. Agamemnon, en piétinant l’honneur d’un prêtre d’Apollon, commet une faute, dont la souillure rejaillit sur l’ensemble des Grecs, sous la forme d’une peste. Pourtant, les prêtres restent des inférieurs par rapport aux Rois, et leur sont donc soumis : avant de parler, Calchas demande la protection d’Achille contre la colère d’Agamemnon.

Les guerriers

Anonymes le plus souvent, ils représentent le « laos », le peuple – masse indifférenciée, qui n’a pas la moindre parcelle de pouvoir et doit obéir ; l’épisode de Thersite, au chant II, en témoigne.

L’Assemblée (ἀγορή)

Elle est convoquée, généralement à l’aube, et pas forcément par le chef suprême : la seconde, ici est appelée par Achille (v. 54 : τῇ δεκάτῃ δ’ ἀγορὴν δὲ καλέσσατο λαὸν Ἀχιλλεύς) ; elle reste informelle, ne vote pas et ne prend aucune décision.

Ici, Achille parle 6 fois, Agamemnon 4, mais c’est à lui que revient la décision finale, que nul ne conteste, à l’issue d’un duel verbal pour lequel les autres ne sont que spectateurs. Et c’est lui qui décide de rompre l’assemblée (v. 304-305 : Ὡς τώ γ’ ἀντιβίοισι μαχεσσαμένω ἐπέεσσιν / ἀνστήτην, λῦσαν δ’ ἀγορὴν παρὰ νηυσὶν Ἀχαιῶν.)

Dans une telle assemblée, seuls les aristocrates (et les prêtres, qui sont peut-être des aristocrates non guerriers) peuvent prendre la parole ; ils se lèvent, en tenant le sceptre ; ils sont alors inviolables (Calchas ne craint pas des coups immédiats, d’Agamemnon, mais des représailles plus tard). Personne ne les interrompt, et lorsqu’ils ont terminé, ils se rassoient. Dans sa colère, Achille jette à terre son sceptre (p. 4)

Le peuple ne manifeste son avis que par des acclamations ; mais le roi peut n’en tenir aucun compte et décide seul. Il est anax (ἄναξ) dans l’assemblée des Rois comme dans sa maisonnée (οἶκος).

Les femmes

Dans l’Iliadecf. plus haut.

La situation n’est guère meilleure dans l’Odyssée :

  • Calypso, Circé apparaissent comme des femmes libres – mais ce sont des déesses ;
  • Arètè, épouse d’Alcinoos, semble jouer un rôle prépondérant auprès de son mari ; mais d’une part, c’est une reine étrangère, aux confins du monde réel, et d’autre part elle est vite rappelée à l’ordre quand elle prend trop d’initiatives. Sa fille Nausicaa, qui n’attend que le mariage, se dit « fille d’Alcinoos » et non d’Arètè…
  • Quant à Pénélope, elle est en butte aux menées des prétendants, et sous la menace que son père la marie de force à l’un d’eux, celui-ci ayant essentiellement en vue l’acquisition d’un riche οἶκος… Là encore, on peut parler d’échange de marchandise : le père choisit le prétendant qui offre les plus beaux présents ; en échange, celui-ci recevra une dot considérable…

Les dieux

Avec l’intervention de Thétis, nous quittons le domaine humain pour entrer dans celui des dieux de l’Olympe ; ceux-ci, totalement anthropomorphisés, semblent reproduire exactement la société humaine : au sommet, Zeus doit tenir compte des requêtes et des désirs des autres dieux, en particulier d’Héra, favorable aux Grecs (et dans d’autres épisodes, d’Aphrodite, qui elle est du cô;té des Troyens). Il s’efforce de conserver un équilibre, tout en affirmant, en dernier recours, sa toute-puissance.

Comme les hommes, ils pratiquent le « don-contre-don » : Thétis a naguère rendu service à Zeus, celui-ci est donc « obligé » de lui rendre service à son tour. Même pratique à l’égard des hommes : en échange d’une hécatombe, Apollon met fin à la peste.

Ils respectent des rituels humains : les gestes du suppliant (embrasser les genoux, toucher le menton), et participent à des sacrifices.

Des relations assez comiques entre Héra et Zeus : bien que tout-puissant (et il sait le lui rappeler !) Zeus semble redouter le caractère acariâtre et la langue bien pendue d’Héra…

Malgré le fort caractère d’Héra, la même hiérarchie prévaut entre les dieux qu’entre les humains : Zeus ordonne à Héra d’aller s’asseoir en silence, exactement comme Télémaque peut ordonner à Pénélope de retourner à ses occupations féminines ! Et son propre fils, Héphaïstos, renchérit en conseillant à sa mère soumission et diplomatie… Dans d’autres épisodes, Zeus ordonne à Poséïdon, son frère, de se retirer du combat ; furieux, celui-ci doit néanmoins obéir. Le pouvoir de Zeus est celui d’un ἄναξ : absolu et qui ne se discute pas.

Enfin, le monde grec archaïque ignore la compassion à l’égard des plus faibles : Héphaïstos a manifestement un rôle subalterne au milieu des Dieux, un rôle de bouffon : moins parce qu’il travaille de ses mains (il est forgeron et architecte) que parce qu’il est difforme…

Très proches des hommes (dont ils sont parfois les parents), ils les assistent, les conseillent, guident leur conduite : ainsi Athéna intervenant pour empêcher Achille de frapper Agamemnon, et Thétis consolant son fils et lui promettant la vengeance.

Chant V

Énée exhorte Pandaros à combattre Diomède (Iliade V, 159-191)

Ἔνθ᾽ υἷας Πριάμοιο δύω λάβε Δαρδανίδαο
εἰν ἑνὶ δίφρῳ ἐόντας Ἐχέμμονά τε Χρομίον τε.
Ὡς δὲ λέων ἐν βουσὶ θορὼν ἐξ αὐχένα ἄξῃ
πόρτιος ἠὲ βοὸς ξύλοχον κάτα βοσκομενάων,
ὣς τοὺς ἀμφοτέρους ἐξ ἵππων Τυδέος υἱὸς
βῆσε κακῶς ἀέκοντας, ἔπειτα δὲ τεύχε᾽ ἐσύλα·
ἵππους δ᾽ οἷς ἑτάροισι δίδου μετὰ νῆας ἐλαύνειν.
Τὸν δ᾽ ἴδεν Αἰνείας ἀλαπάζοντα στίχας ἀνδρῶν,
βῆ δ᾽ ἴμεν ἄν τε μάχην καὶ ἀνὰ κλόνον ἐγχειάων
Πάνδαρον ἀντίθεον διζήμενος εἴ που ἐφεύροι·
εὗρε Λυκάονος υἱὸν ἀμύμονά τε κρατερόν τε,
στῆ δὲ πρόσθ᾽ αὐτοῖο ἔπος τέ μιν ἀντίον ηὔδα·
Πάνδαρε ποῦ τοι τόξον ἰδὲ πτερόεντες ὀϊστοὶ
καὶ κλέος; ᾧ οὔ τίς τοι ἐρίζεται ἐνθάδε γ᾽ ἀνήρ,
οὐδέ τις ἐν Λυκίῃ σέο γ᾽ εὔχεται εἶναι ἀμείνων.
Ἀλλ᾽ ἄγε τῷδ᾽ ἔφες ἀνδρὶ βέλος Διὶ χεῖρας ἀνασχὼν
ὅς τις ὅδε κρατέει καὶ δὴ κακὰ πολλὰ ἔοργε
Τρῶας, ἐπεὶ πολλῶν τε καὶ ἐσθλῶν γούνατ᾽ ἔλυσεν·
εἰ μή τις θεός ἐστι κοτεσσάμενος Τρώεσσιν
ἱρῶν μηνίσας· χαλεπὴ δὲ θεοῦ ἔπι μῆνις.
Τὸν δ᾽ αὖτε προσέειπε Λυκάονος ἀγλαὸς υἱός·
Αἰνεία Τρώων βουληφόρε χαλκοχιτώνων
Τυδεΐδῃ μιν ἔγωγε δαΐφρονι πάντα ἐΐσκω,
ἀσπίδι γιγνώσκων αὐλώπιδί τε τρυφαλείῃ,
ἵππους τ᾽ εἰσορόων· σάφα δ᾽ οὐκ οἶδ᾽ εἰ θεός ἐστιν.
Εἰ δ᾽ ὅ γ᾽ ἀνὴρ ὅν φημι δαΐφρων Τυδέος υἱὸς
οὐχ ὅ γ᾽ ἄνευθε θεοῦ τάδε μαίνεται, ἀλλά τις ἄγχι
ἕστηκ᾽ ἀθανάτων νεφέλῃ εἰλυμένος ὤμους,
ὃς τούτου βέλος ὠκὺ κιχήμενον ἔτραπεν ἄλλῃ.
Ἤδη γάρ οἱ ἐφῆκα βέλος, καί μιν βάλον ὦμον
δεξιὸν ἀντικρὺ διὰ θώρηκος γυάλοιο·
καί μιν ἔγωγ᾽ ἐφάμην Ἀϊδωνῆϊ προϊάψειν,
ἔμπης δ᾽ οὐκ ἐδάμασσα· θεός νύ τίς ἐστι κοτήεις.
Puis il s’en prend à deux fils de Priam le Dardanien, montés tous deux sur un seul char, Échemmon et Chromios. Comme un lion saute sur un troupeau et rompt le cou d’une vache ou d’une génisse qui broutait dans un taillis, ainsi le fils de Tydée les contraint à quitter, piteusement et malgré eux leur char, puis les dépouille de leurs armes. Leur chevaux il les donne à ses compagnons pour qu’ils les poussent vers les bateaux.
Quand Énée le voit ainsi porter ses ravages aux rangs des guerriers, il part à travers la bataille et le fracas des javelines, cherchant où trouver Pandaros égal aux dieux ; il trouve le fils de Lycaon, puissant et sans reproche, il s’arrête devant lui, et lui dit en face ces paroles : « Pandaros, qu’as-tu fait de ton arc, de tes flèches ailées et de ta gloire ? Nul homme ici ne rivalise avec toi, et en Lycie personne ne se vante d’être meilleur que toi. Allons, tends les mains vers Zeus ; puis décoche ton trait contre l’homme qui triomphe ici et qui a déjà fait tant de mal aux Troyens, en rompant les genoux de tant de héros – à moins que ce ne soit là quelque dieu en courroux contre les Troyens, qui leur en veut d’un sacrifice oublié. Pénible est la colère d’un dieu. »
Le glorieux fils de Lycaon réplique : « énée, bon conseiller des Troyens à la cotte de bronze, pour ma part je reconnais en tout le brave fils de Tydée : je le reconnais à son bouclier, à son casque à long , et en voyant ses chevaux. Mais je ne sais pas avec certitude s’il est un dieu. Mais s’il est l’homme que je dis, le brave fils de Tydée, ce n’est pas sans l’aide d’un dieu qu’il se déchaîne ainsi, mais quelqu’un des Immortels se tient près de lui, les épaules vêtues d’un nuage, qui a détourné mon trait rapide qui touchait au but. Déjà en effet je lui avais jeté un trait, et je l’avais atteint à l’épaule droite, bien en face, à travers le plastron de sa cuirasse ; et je disais que je l’enverrais vers Hadès, et pourtant je ne l’ai pas abattu : un dieu, donc, m’en veut… »

Le chant VIII

Fragment de papyrus datant du 1er ou 2e s. apr. J.-C. ; reproduit les vers 433-447 du livre VIII. CLIQUEZ SUR L’IMAGE POUR L’AGRANDIR.

Ce fragment de papyrus datant du Ier-IIe s. apr. J.-C.  Il montre les lignes 433-447 du livre VIII, qui traite de l’intervention des divinités pour modifier l’issue de la guerre, ayant pris le parti des Grecs ou des Troyens. Zeus, roi des dieux, appelle à un rassemblement de tous les dieux et interdit à tout le monde d’interférer avec les conflits des humains. Ce fragment contient la partie dans laquelle l’arrivée des dieux au mont Olympe est décrite.

Voici le texte que l’on peut reconnaître :

Ὥς ἄρα φωνήσασα πάλιν τρέπε μώνυχας ἵππους·
τῇσιν δ᾽ Ὧραι μὲν λῦσαν καλλίτριχας ἵππους,
καὶ τοὺς μὲν κατέδησαν ἐπ᾽ ἀμβροσίῃσι κάπῃσιν,
ἅρματα δ᾽ ἔκλιναν πρὸς ἐνώπια παμφανόωντα·        435
αὐταὶ δὲ χρυσέοισιν ἐπὶ κλισμοῖσι κάθιζον
μίγδ᾽ ἄλλοισι θεοῖσι, φίλον τετιημέναι ἦτορ.
Ζεὺς δὲ πατὴρ Ἴδηθεν ἐΰτροχον ἅρμα καὶ ἵππους
Οὔλυμπον δὲ δίωκε, θεῶν δ᾽ ἐξίκετο θώκους.
Τῷ δὲ καὶ ἵππους μὲν λῦσε κλυτὸς Ἐννοσίγαιος,        440
ἅρματα δ᾽ ἂμ βωμοῖσι τίθει κατὰ λῖτα πετάσσας·
αὐτὸς δὲ χρύσειον ἐπὶ θρόνον εὐρύοπα Ζεὺς
ἕζετο, τῷ δ᾽ ὑπὸ ποσσὶ μέγας πελεμίζετ᾽ Ὄλυμπος.
Αἳ δ᾽ οἶαι Διὸς ἀμφὶς Ἀθηναίη τε καὶ Ἥρη
ἥσθην, οὐδέ τί μιν προσεφώνεον οὐδ᾽ ἐρέοντο·         445
αὐτὰρ ὃ ἔγνω ᾗσιν ἐνὶ φρεσὶ φώνησέν τε·
τίφθ᾽ οὕτω τετίησθον Ἀθηναίη τε καὶ Ἥρη;

Ayant dit ces mots elle fit tourner ses chevaux aux sabots massifs ; les Heures leur délièrent les chevaux aux belles crinières et les attachèrent devant les crèches divines, et elles appuient les chars sur le mur resplendissant en face de l’entrée ; les déesses elles-mêmes s’assirent sur des sièges d’or au milieu des autres dieux, affligées en leur cœur. Mais le vénérable Zeus venu de l’Ida pressait son char aux bonnes roues et ses chevaux vers l’Olympe, et il arriva à l’assemblé des dieux. L’illustre Ébranleur du sol lui dételle ses chevaux et place son char sur une estrade, après l’avoir couvert d’une toile de lin ; Zeus lui-même à la grande voix s’assit sur un trône d’or, et sous ses pas l’ grand Olympe fut ébranlé. Seules Athéna et Héra se tenaient à l’écart de Zeus, sans dire un mot ni poser une question ; mais il comprit en son esprit et dit : « pourquoi êtes-vous à ce point affligées, Athéna et Héra ? »

Le chant XXIV : l’apaisement.

Le dernier chant de l’Iliade commence après les cérémonies et les jeux qui ont accompagné les funérailles de Patrocle ; toujours furieux contre Hector, Achille s’acharne sur son cadavre et le traîne derrière son char, mais Apollon protège le mort de toute défiguration.

Peintre de Diosphos, Lécythe à figures noires : Achille traînant le corps d’Hector. Vers 490 av. J-C. (Musée du Louvre)

Les dieux finissent par s’en émouvoir, et ordonnent à Thétis, sa mère, de lui communiquer la volonté de Zeus : il devra rendre le corps d’Hector et accepter la rançon. De son côté, Iris, messagère des dieux, dit à Priam de se rendre au camp grec pour récupérer le corps de son fils.

Priam se rend donc auprès d’Achille, guidé par Hermès qui a pris l’aspect d’un mortel. Et alors se déroule une scène étonnante, unique dans la littérature épique : les deux ennemis mortels non seulement se parlent, mais ils échangent même des larmes, et partagent un instant leur douleur ; Achille voit en Priam l’image de son propre père, il le traite avec bienveillance, fait tout pour éviter quelque éclat, lui offre un repas et un lit pour dormir.

Le chant XXIV s’achève par le retour de Priam à Troie, et les funérailles d’Hector.

L’Iliade ne se termine donc pas par des scènes de combat,mais par une suite de chants de deuil, et une forme d’apaisement, voire de fraternisation (toute provisoire, certes !) entre les belligérants ; des scènes de vie civile, en somme (banquets, jeux, simple repas, ensevelissement des morts…) comme si une paix provisoire suspendait les combats.