Pour cette question, nous renvoyons à l’excellente étude de Florence Dupont, Le Théâtre latin, Armand Colin, coll. « Cursus », 1999.
Un théâtre différent du théâtre grec
Contrairement au théâtre athénien, le théâtre romain, très populaire, n’est pas un théâtre civique ; coupé des préoccupations politiques, joué au moment des Ludi, il constitue au contraire, du moins sous la République, une parenthèse dans la vie civique et militaire. Toute allusion à l’actualité y est interdite ; Naevius faillira payer de sa vie une attaque directe contre les Metelli.
C’est un spectacle rituel, qui commence par une procession partie du champ de Mars jusqu’au temple de Jupiter Capitolin, puis jusqu’au lieu de la représentation, grand Cirque ou théâtre provisoire – il n’y aura pas de théâtre fixe avant celui de Pompée en 55 av. J-C. Pas de jury : les auteurs n’acquerront qu’un salaire et non la gloire. Quant aux acteurs, frappés d’infamie (c’est-à-dire privés de droits civiques), ils sont des professionnels, jouant avec des masques.
Les « ludi » occupent une grande partie de l’année :
- Ludi megalenses ou Jeux de la Grande Mère, du 4 au 10 avril ;
- Jeux de Cérès, du 10 au 19 avril ;
- Ludi florales ou Jeux de Flore, du 28 avril au 3 mai ;
- Ludi apollinares ou Jeux d’Apollon, du 6 au 13 juillet ; ils ont été institués pendant la deuxième guerre punique et sont organisés par le prêteur urbain ;
- Ludi magni ou Ludi Romani, Jeux Romains, consacrés à Jupiter Capitolin, du 4 au 19 septembre ;
- Ludi plebeii ou Jeux de la Plèbe, du 4 au 17 novembre, organisés par les tribuns de la plèbe.
A ceux-là il faut ajouter les jeux privés, offerts par les familles nobles dans les grandes occasions, triomphes, funérailles ou anniversaires de grands événements.
Les « jeux grecs » (ainsi nommait-on les représentations théâtrales) occupaient deux jours sur trois, avant les jeux du cirque ; ils commençaient tôt le matin et duraient longtemps.
L’architecture du théâtre

Elle aussi diffère du théâtre grec :
- Des gradins (cauea) construits en bois, puis en pierre, en dehors de toute pente naturelle ; les meilleures places se trouvent en bas (ima cauea).
- Un orchestra semi-circulaire, fermé par le mur de scène : la scène (scæna) est couverte d’un abat-son en bois ;
- Un mur de scène très élevé(frons cauea), portant des décors somptueux.
- Une immense toile (uelum) protège contre le soleil ou la pluie.
Sous l’Empire, il existe à Rome trois théâtres permanents :
- Le théâtre de Pompée (20 000 places) ;
- Le théâtre de Cornelius Balbus, construit en 13 av. J.-C. ;
- Le théâtre de Marcellus, construit par Auguste.
En Gaulle notamment on compte un millier au moins de théâtres, mais la plupart sont en bois.
Un exemple : le théâtre de Lyon-Fourvières :
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Citons aussi le théâtre d’Orange, construit au IIe s. apr. J.-C., comptant 40 000 places.
Les genres théâtraux
| Imitées du grec, traitant un sujet grec | tragédies /comédies | Fabula palliata (les acteurs portent le pallium, manteau grec) |
| Imitées du grec, sujet romain | tragédies | Fabula prætexta (toge prétexte bordée de rouge) |
| Comédies | Fabula togata (simple toge) | |
| Divertissements folkloriques et populaires | Atellanes | sketches bouffons avec des personnages de convention |
| Mimes | parodies de légendes mythologiques | |
| Pantomimes | chorégraphies sans paroles |
La comédie
- L’atellane, ou jeux osques : Il s’agit d’une farce proche de notre Commedia dell’Arte, où les acteurs, masqués, improvisent sur un canevas imposé. Ils incarnent des types : Maccus et Bucco (le maigre et le gros), Pappus le vieil avare…
- La pantomime, ou jeux étrusques : série de sketches dansés et chantés ; ce genre disparaît assez vite, pour réapparaître sous l’Empire, sous la forme de la pantomime proprement dite.
Atellane ou pantomime servaient souvent d’exodium, moment de farce qui suit une tragédie et clôt le spectacle. - Plaute et Térence : ce sont les deux principaux auteurs de comédies, qui couvrent la période entre 240 (introduction des « jeux grecs » à Rome) et 160 (mort de Térence) ; après quoi, la comédie disparaît.
La tragédie
Il ne nous reste que quelques fragments d’Ennius ; les seules tragédies qui nous soient parvenues intactes sont celles de Sénèque.
Les représentations
Le spectacle
Les représentations sont gratuites pour les spectateurs : l’État subventionne un magistrat, l’édile curule, qui prend les dépenses à sa charge. Elles ont lieu pendant les jeux publics, et accessoirement il peut y en avoir à l’occasion de la dédicace d’un temple, d’un triomphe ou des funérailles d’un grand personnage.
Le magistrat qui préside (« dator ludi« ), assisté par un curator ludorum de son choix, engage un chef de troupe (dominus gregis) : celui-ci achète à l’auteur dramatique, pour une somme modique, la pièce qu’il montera.
Les acteurs
Les acteurs (actores, histriones) et les danseurs (saltatores) sont généralement des esclaves ou des affranchis : jusqu’à l’Empire, s’exhiber en public passe pour infamant. Sauf pour les mimes, il n’y a pas de femmes : les rôles féminins sont joués par des hommes. Il y a également de nombreux figurants. Sur scène, un joueur de hautbois (tibia) accompagne le jeu.
Les accessoires
Les accessoires sont plus perfectionnés que dans le théâtre grec :
- Il y a un rideau de scène ;
- Les costumes sont somptueux, souvent excessifs ;
- La machina permet de faire descendre du ciel dieux et héros, d’où l’expression « deus ex machina« .
Le public
- Peu littéraire, le public réagit souvent grossièrement. Les incidents sont nombreux : les acteurs qui déplaisent sont chassés et battus. Le chef de troupe engage parfois une « claque », d’où des bagarres….
- Pourtant il est d’usage que le public revête la toge, vêtement de cérémonie.
- L’accès est permis à tous : femmes, enfants, esclaves…
Petite histoire du théâtre romain
- En 364 av. J-C, une peste s’abat sur Rome ; pour la conjurer, les Romains font appel à un rituel étranger : un spectacle scénique venu d’Étrurie ; ce rituel sera ensuite célébré une fois par an, et intégré aux Grands jeux, entre la procession et les jeux du cirque. Ce théâtre, proche du music-hall, est presque sans texte.
- En 240 av. J-C, Livius Andronicus traduit pour la première fois une comédie et une tragédie grecques, et donne ainsi naissance à un théâtre à texte ; celui-ci est confié à un chanteur, tandis que l’acteur danse son rôle.
- Les auteurs de pièces se multiplient, comme les jeux au cours desquels elles sont jouées ; en 235, Nævius, citoyen de Campanie, publie sa première pièce.
- Après une crise due à la deuxième guerre punique, Plaute commence sa carrière vers 212 ; Amphitryon est probablement sa première comédie. Les genres se mettent en place peu à peu.
- En 207, le collège des scribes et des histrions se transporte de l’Aventin au Palatin, colline plus aristocratique ; Ennius (239-169) écrit deux comédies, deux prétextes (tragédies en toge prétexte et à sujet romain) et des tragédies ; proche des Scipions, il connaît un très grand succès et ses textes sont conservés. Son neveu Pacuvius aura également une belle carrière.
- Au second siècle, Térence publie six comédies entre 167 et 160 av. J-C, puis il perd ses protecteurs, et disparaît.
- À cette époque naît la togata, comédie en toge qui est le pendant de la prétexte.
À la fin de la République, la comédie à texte disparaît ; elle sera remplacée par la pantomime ; mais, contrairement à la pantomime du IVème siècle, elle a désormais un sujet tiré de la mythologie grecque.
Sous l’empire, Sénèque représente l’un des seuls auteurs de tragédie dont les textes nous sont parvenus ; mais, à l’exception d’Octavie, qui a un sujet romain, Sénèque puise ses sources dans le théâtre grec.


