Pline le Jeune (61-113 ap. J-C)

Pline le Jeune

Biographie

Pline est né en Gaule Cisalpine, dans l’actuelle Côme, en août 61 ou 62 ap. J-C, sous le règne de Néron. Son père étant mort rapidement, il fut élevé par son oncle, Pline l’Ancien (23 – 79 ap. J-C), qui l’adopta peu avant de mourir dans l’éruption du Vésuve ; le jeune Pline avait alors 17 ou 18 ans.

Celui-ci fit ses études à Rome, et fut l’élève du maître de rhétorique Quintilien. Après la mort de son oncle, il suit les étapes du cursus honorum ; il est proche de l’empereur Trajan, dont il prononce le Panégyrique (100 ap. J-C), discours traditionnel lorsque l’on est nommé consul. Il occupa donc d’importantes fonctions sous trois empereurs successifs, Domitien (51-96), Nerva (96-98) et Trajan (98-117).

À la fin de sa carrière, il est nommé proconsul du Pont et de Bithynie, avec un pouvoir consulaire : c’est dire qu’il jouit de l’entière confiance de l’Empereur. Il y meurt en 113, date de sa dernière lettre, ou peu après.

L’œuvre de Pline le Jeune

Outre le Panégyrique de Trajan, Pline est connu pour son abondante correspondance. Plus qu’une correspondante réelle et suivie adressée à des destinataires précis, il s’agit souvent d’exercices de style brillants, destinés à être lus en public. Le livre X, adressé à Trajan, fait exception : un seul destinataire – dont on possède parfois la réponse – et des demandes d’instructions concernant le gouvernement de sa province.

Lettres

Sommaire

  • II, 17 : vacances d’un intellectuel à la campagne.
  • III, 14 : un maître assassiné par ses esclaves
  • V, 6 : description de la Toscane
  • VI, 16 : sur la mort de Pline l’ancien et l’éruption du Vésuve
  • VI, 24 : un dramatique suicide

Livre II, Lettre 17 : vacances d’un intellectuel à la campagne

Tablette de cire et stylet (reconstitution)

Quaeris quemadmodum in Tuscis1 diem aestate disponam2. Euigilo cum libet, plerumque circa horam primam3, saepe ante, tardius raro. Clausae fenestrae manent : mire enim silentio et tenebris ab iis quae auocant abductus, et liber et mihi relictus, cogito scribenti similis ; notarium uoco et, die admisso, quae formaueram dicto. Ubi hora quarta uel quinta, ut dies suasit, in xystum me uel cryptoporticum confero, reliqua meditor et dicto. Vehiculum ascendo : ibi quoque, idem quod ambulans aut iacens4.Paulum redormio, dein ambulo, mox orationem Graecam Latinamue5 clare et intente lego. Iterum ambulo, ungor, exerceor, lauor. Cenanti mihi, si cum uxore uel paucis, liber legitur6 ; post cenam comoedus aut lyristes ; mox cum meis ambulo, quorum in numero sunt eruditi. Ita uariis sermonibus uespera extenditur… Nonnunquam ex hoc ordine aliqua mutantur : interueniunt amici ex proximis oppidis, partemque diei ad se trahunt. Venor aliquando, sed non sine pugillaribus, ut, quamuis nihil ceperim, non nihil7 referam. Datur et colonis, ut uidetur ipsis, non satis temporis, quorum8 mihi agrestes querellae litteras nostras commendant. Tu demandes comment je règle ma journée en été dans ma propriété de Toscane. Je m’éveille quand cela me plaît, d’ordinaire à la première heure, souvent avant, et rarement plus tard. Mes fenêtres restent fermées : c’est étonnant, en effet, comme éloigné par le silence et les ténèbres de ce qui me distrait, et laissé libre et tout à moi, je pense, comme si j’écrivais ; j’appelle un secrétaire, et, ayant laissé entrer le jour, je dicte ce que j’avais composé. Lorsque, à la 4ème ou 5ème heure, selon que la météo le suggère, je me promène dans une allée ou sous un portique, je compose le reste et je le dicte. Je monte dans une voiture ; là aussi, je continue la même chose que quand j’étais couché ou que je me promenais. Je dors un peu, puis je me promène : après je lis à haute voix quelque discours grec ou latin. Je me promène à nouveau ; on me frotte d’huile, je fais de l’exercice ; on me lave. Pendant que je dîne, si c’est avec ma femme ou avec un petit nombre d’amis, on me lit un livre. Après dîner, vient un comédien, ou un joueur de lyre. Puis je me promène avec mes amis, au nombre desquels il y a des savants. Ainsi se prolonge la soirée, dans des conversations variées… Quelquefois certains détails de cette routine changent  : mes amis viennent me voir des cités voisines, et accaparent une partie du jour. D’autres fois je vais à la chasse, mais pas sans mes tablettes, afin que si je n’ai rien pris, je ne revienne pas bredouille. Du temps, pas assez à leurs yeux, est consacré à mes fermiers, eux dont les plaintes rustiques mettent d’autant plus en valeur la littérature.
  1. In Tuscis : « dans ma propriété de Toscane ».
  2. Disponam : subjonctif dans une interrogative indirecte ; traduire par un indicatif présent.
  3. Circa horam primam : « vers la 1ère heure ». Attention ! Ce n’est pas à une heure du matin… mais à la première heure du jour. Voyez ici les heures chez les Romains.
  4. Il faut sous-entendre un « facio » : il continue ce qu’il avait commencé à faire, à savoir écrire dans sa tête.
  5. Pline, avocat célèbre, fait chaque jour son exercice de déclamation à titre d’entraînement, comme un musicien professionnel joue de son instrument.
  6. liber legitur : « on me lit un livre ». La lecture silencieuse était peu répandue, jusqu’à l’époque moderne ; les livres étaient lus à haute voix, devant un public plus ou moins nombreux, souvent par un esclave, plus tard un serviteur, spécialisé dans cette tâche.
  7. Ut non nihil referam : les deux négations s’annulent → mot à mot « afin de ne pas rapporter rien », d’où « afin de ne pas revenir bredouille ».
  8. L’antécédent du relatif quorum est « colonis » : « les fermiers, dont les plaintes rustiques… »

Livre III, Lettre 14 : un maître assassiné par ses esclaves

[3,14] XIV. C- PLINIUS ACILIO SUO S-
(1) Rem atrocem nec tantum epistula dignam Larcius Macedo uir praetorius a seruis suis passus est, superbus alioqui dominus et saeuus, et qui seruisse patrem suum parum, immo nimium meminisset. (2) Lauabatur in uilla Formiana. Repente eum serui circumsistunt. Alius fauces inuadit, alius os uerberat, alius pectus et uentrem, atque etiam – foedum dictu – uerenda contundit; et cum exanimem putarent, abiciunt in feruens pauimentum, ut experirentur an uiueret. Ille siue quia non sentiebat, siue quia se non sentire simulabat, immobilis et extentus fidem peractae mortis impleuit. (3) Tum demum quasi aestu solutus effertur ; excipiunt serui fideliores, concubinae cum ululatu et clamore concurrunt. Ita et uocibus excitatus et recreatus loci frigore sublatis oculis agitatoque corpore uiuere se – et iam tutum erat – confitetur. (4) Diffugiunt serui; quorum magna pars comprehensa est, ceteri requiruntur. Ipse paucis diebus aegre focilatus non sine ultionis solacio decessit ita uiuus uindicatus, ut occisi solent. (5) Vides quot periculis quot contumeliis quot ludibriis simus obnoxii; nec est quod quisquam possit esse securus, quia sit remissus et mitis; non enim iudicio domini sed scelere perimuntur. (6) Verum haec hactenus. Quid praeterea noui? Quid? Nihil, alioqui subiungerem; nam et charta adhuc superest, et dies feriatus patitur plura contexi. Addam quod opportune de eodem Macedone succurrit. Cum in publico Romae lauaretur, notabilis atque etiam, ut exitus docuit, ominosa res accidit. (7) Eques Romanus a seruo eius, ut transitum daret, manu leuiter admonitus conuertit se nec seruum, a quo erat tactus, sed ipsum Macedonem tam grauiter palma percussit ut paene concideret. (8) Ita balineum illi quasi per gradus quosdam primum contumeliae locus, deinde exitii fuit. Vale.
[3,14] XIV. – C. PLINE SALUE SON CHER ACILIUS.
Voici un attentat horrible et qui mériterait mieux qu’une lettre; Larcius Macedo, ancien préteur, a été assassiné par ses esclaves. C’était, il est vrai, un maître hautain et cruel, qui ne se souvenait pas assez, on plutôt qui se souvenait trop que son propre père avait été esclave. Il prenait un bain dans sa villa de Formies ; tout à coup ses esclaves l’entourent, l’un le saisit à la gorge, l’autre le frappe au visage, un autre lui meurtrit de coups la poitrine, le ventre et même, j’ai honte de le dire, les parties. Quand ils le croient mort, ils le jettent sur les dalles brûlantes, pour s’assurer s’il vivait. Lui, soit qu’il eût perdu le sentiment, soit qu’il feignît de ne rien sentir, restant étendu immobile, leur fit croire qu’il était bien mort. Alors seulement, prétendant qu’il avait été suffoqué par la chaleur, ils l’emportent; des esclaves restés fidèles le reçoivent, les concubines accourent avec des cris et des hurlements. Alors à la fois réveillé par le bruit et ranimé par la fraîcheur du lieu, il entr’ouvre les yeux, fait quelques mouvements, avouant ainsi (il ne risquait plus rien) qu’il vit. Les esclaves fuient de tous côtés; on en arrête un grand nombre, on recherche les autres. Le maître, ranimé avec peine pour quelques jours, mourut, non sans avoir eu la consolation de voir les coupables punis, vengé de son vivant, comme on venge les morts. Voyez à quels périls, à quels affronts, à quelles moqueries nous sommes exposés ! Et il n’y a pas lieu de se croire en sûreté, parce qu’on a été indulgent et humain; car ce n’est point par raison, mais par folie criminelle que les esclaves égorgent leurs maîtres.

Mais en voilà assez. Ce qu’il y a encore de nouveau? Vous le demandez? Rien. Sinon je l’ajouterais volontiers, car ma page n’est pas pleine, et ce jour de fête permet, de broder plus longuement. J’ajouterai un détail qui me vient à propos à l’esprit au sujet de ce même Macedo. Un jour qu’il se baignait dans un bain public à Rome, il lui arriva une aventure curieuse, et même, ainsi que l’événement l’a montré, prophétique. Un esclave de Macedo avait légèrement poussé un chevalier romain pour l’inviter à livrer passage; celui-ci se retourna et donna, non pas à l’esclave, qui l’avait touché, mais à Macedo lui-même, un soufflet si violent, qu’il faillit tomber. Ainsi le bain a été pour lui, avec une certaine gradation, l’occasion d’abord d’un outrage, puis de la mort. Adieu.

Livre V, lettre 6 : description de la campagne toscane

VI. C- PLINIUS DOMITIO APOLLINARI SUO S.

(1) Amaui curam et sollicitudinem tuam, quod cum audisses me aestate Tuscos meos petiturum, ne facerem suasisti, dum putas insalubres. (2) Est sane grauis et pestilens ora Tuscorum, quae per litus extenditur ; sed hi procul a mari recesserunt, quin etiam Appennino saluberrimo montium subiacent. (3) Atque adeo ut omnem pro me metum ponas, accipe temperiem caeli, regionis situm, uillae amoenitatem, quae et tibi auditu et mihi relatu iucunda erunt.

(4) Caelum est hieme frigidum et gelidum ; myrtos oleas quaeque alia assiduo tepore laetantur, aspernatur ac respuit ; laurum tamen patitur atque etiam nitidissimam profert, interdum sed non saepius quam sub urbe nostra necat. (5) Aestatis mira clementia : semper aer spiritu aliquo mouetur, frequentius tamen auras quam uentos habet. (6) Hinc senes multi : uideas auos proauosque iam iuuenum, audias fabulas ueteres sermonesque maiorum, cumque ueneris illo putes alio te saeculo natum. (7) Regionis forma pulcherrima. Imaginare amphitheatrum aliquod immensum, et quale sola rerum natura possit effingere. Lata et diffusa planities montibus cingitur, montes summa sui parte procera nemora et antiqua habent. (8) Frequens ibi et uaria uenatio. Inde caeduae siluae cum ipso monte descendunt. Has inter pingues terrenique colles – neque enim facile usquam saxum etiam si quaeratur occurrit – planissimis campis fertilitate non cedunt, opimamque messem serius tantum, sed non minus percoquunt. (9) Sub his per latus omne uineae porriguntur, unamque faciem longe lateque contexunt ; quarum a fine imoque quasi margine arbusta nascuntur. (10) Prata inde campique, campi quos non nisi ingentes boues et fortissima aratra perfringunt : tantis glaebis tenacissimum solum cum primum prosecatur assurgit, ut nono demum sulco perdometur. (11) Prata florida et gemmea trifolium aliasque herbas teneras semper et molles et quasi nouas alunt. Cuncta enim perennibus riuis nutriuntur ; sed ubi aquae plurimum, palus nulla, quia deuexa terra, quidquid liquoris accepit nec absorbuit, effundit in Tiberim. (12) Medios ille agros secat nauium patiens omnesque fruges deuehit in urbem, hieme dumtaxat et uere ; aestate summittitur immensique fluminis nomen arenti alueo deserit, autumno resumit.

(13) Magnam capies uoluptatem, si hunc regionis situm ex monte prospexeris. Neque enim terras tibi sed formam aliquam ad eximiam pulchritudinem pictam uideberis cernere : ea uarietate, ea descriptione, quocumque inciderint oculi, reficientur.

VI. -C. PLINE SALUE SON CHER DOMITIUS APOLLINARIS.

J’ai aimé ton souci et ton inquiétude, qui t’ont poussé, lorsque tu as entendu que j’allais, l’été, gagner ma villa de Toscane, à me persuader de ne pas le faire, parce que tu la jugeais insalubre. Il est vrai que la côte de Toscane, qui s’étend jusqu’à la mer, est pénible et malsaine. Mais mon domaine en est assez éloigné, et même elle touche au pied de l’Apennin, la plus salubre des montagnes. Du reste, afin que tu laisses toute crainte pour moi, apprends le climat, la situation de la région, l’agrément de mon domaine, qui seront agréables, pour toi à entendre, pour moi à relater.

Le climat y est froid en hiver et gelé ; il rejette et proscrit les myrtes, les oliviers, et les autres plantes qui aiment une température toujours tiède ; le laurier le supporte cependant et porte même le feuillage le plus luisant ; il périt quelquefois, mais pas plus souvent qu’aux environs de Rome. Merveilleuse douceur de l’été : l’air est toujours agité par quelque souffle rafraîchissant, mais c’est plutôt la brise que le vent. De là viennent beaucoup de vieillards ; on peut y voir les grands-pères et les arrière grands-pères d’hommes mûrs : on peut y entendre de vieux contes et des paroles d’ancêtres ; si tu venais ici, tu te croirais né dans un autre siècle.

L’aspect du pays est très beau . Imagine un immense amphithéâtre, tel que la nature seule peut le créer ; une plaine vaste et étendue, est entourée de montagnes, les montagnes ont à leur sommet de hautes et antiques forêts. Le gibier y est abondant et varié. Au-dessous, des bois taillis descendent avec la montagne elle-même. S’y mêlent de riches coteaux formés d’humus profond (car il est difficile d’y trouver le rocher, même si on le cherche), qui ne le cèdent pas en fertilité aux plaines les plus égales, et font tout autant mûrir d’abondantes moissons, un peu plus tardives seulement. Plus bas, sur tous les versants, s’étendent des vignobles, et ils tissent en long et en large un tapis uniforme ; sur leur bord inférieur, formant comme un liseré au pied de la colline, croissent des arbustes. Puis ce sont des prés et champs, des terres, que seuls des bœufs énormes et de puissantes charrues peuvent fendre. Le sol très compact, quand on le fend pour la première fois, se lève en si grosse mottes qu’il n’est dompté que par le neuvième labour. Les prairies, fleuries et brillantes comme des gemmes, nourrissent du trèfle, et d’autres herbes toujours tendres et douces et comme fraiches. Toutes en effet sont alimentées par des ruisseaux intarissables. mais là où l’eau est la plus abondante, il n’y a aucun marécage, parce que, grâce à sa pente, la terre écoule dans le Tibre toute l’eau qu’elle reçoit sans pouvoir l’absorber. Ce fleuve traverse la campagne, et,  navigable, transporte à la ville toutes les productions, mais seulement en hiver et au printemps ; en été il baisse et dans son lit desséché il abandonne son nom de grand fleuve, et le reprend en automne.

Tu prendras un grand plaisir, si tu regardes le site depuis la montagne. Tu croiras voir non des terres, mais un tableau peint avec la plus extrême beauté ; les yeux, de quelque côté qu’ils tombent, sont récréés par cette variété et cette disposition.

Livre VI, Lettre 16 : sur la mort de Pline l’Ancien.

L’éruption du Vésuve

C. PLINIUS TACITO SUO S.

1 Petis ut tibi avunculi mei exitum scribam, quo verius tradere posteris possis. Gratias ago; nam video morti eius si celebretur a te immortalem gloriam esse propositam. 2 Quamvis enim pulcherrimarum clade terrarum, ut populi ut urbes memorabili casu, quasi semper victurus occiderit, quamvis ipse plurima opera et mansura condiderit, multum tamen perpetuitati eius scriptorum tuorum aeternitas addet. 3 Equidem beatos puto, quibus deorum munere datum est aut facere scribenda aut scribere legenda, beatissimos vero quibus utrumque. Horum in numero avunculus meus et suis libris et tuis erit. Quo libentius suscipio, deposco etiam quod iniungis.

4 Erat Miseni classemque imperio praesens regebat. Nonum Kal. Septembres hora fere septima mater mea indicat ei apparere nubem inusitata et magnitudine et specie. 5 Usus ille sole, mox frigida, gustaverat iacens studebatque; poscit soleas, ascendit locum ex quo maxime miraculum illud conspici poterat. Nubes — incertum procul intuentibus ex quo monte; Vesuvium fuisse postea cognitum est — oriebatur, cuius similitudinem et formam non alia magis arbor quam pinus expresserit. 6 Nam longissimo velut trunco elata in altum quibusdam ramis diffundebatur, credo quia recenti spiritu evecta, dein senescente eo destituta aut etiam pondere suo victa in latitudinem vanescebat, candida interdum, interdum sordida et maculosa prout terram cineremve sustulerat. 7 Magnum propiusque noscendum ut eruditissimo viro visum. Iubet liburnicam aptari; mihi si venire una vellem facit copiam; respondi studere me malle, et forte ipse quod scriberem dederat. 8 Egrediebatur domo; accipit codicillos Rectinae Tasci imminenti periculo exterritae — nam villa eius subiacebat, nec ulla nisi navibus fuga -: ut se tanto discrimini eriperet orabat. 9 Vertit ille consilium et quod studioso animo incohaverat obit maximo. Deducit quadriremes, ascendit ipse non Rectinae modo sed multis — erat enim frequens amoenitas orae — laturus auxilium. 10 Properat illuc unde alii fugiunt, rectumque cursum recta gubernacula in periculum tenet adeo solutus metu, ut omnes illius mali motus omnes figuras ut deprenderat oculis dictaret enotaretque.

11 Iam navibus cinis incidebat, quo propius accederent, calidior et densior; iam pumices etiam nigrique et ambusti et fracti igne lapides; iam vadum subitum ruinaque montis litora obstantia. Cunctatus paulum an retro flecteret, mox gubernatori ut ita faceret monenti ‘Fortes’ inquit ‘fortuna iuvat: Pomponianum pete.’ 12 Stabiis erat diremptus sinu medio — nam sensim circumactis curvatisque litoribus mare infunditur -; ibi quamquam nondum periculo appropinquante, conspicuo tamen et cum cresceret proximo, sarcinas contulerat in naves, certus fugae si contrarius ventus resedisset. Quo tunc avunculus meus secundissimo invectus, complectitur trepidantem consolatur hortatur, utque timorem eius sua securitate leniret, deferri in balineum iubet; lotus accubat cenat, aut hilaris aut — quod aeque magnum — similis hilari. 13 Interim e Vesuvio monte pluribus locis latissimae flammae altaque incendia relucebant, quorum fulgor et claritas tenebris noctis excitabatur. Ille agrestium trepidatione ignes relictos desertasque villas per solitudinem ardere in remedium formidinis dictitabat. Tum se quieti dedit et quievit verissimo quidem somno; nam meatus animae, qui illi propter amplitudinem corporis gravior et sonantior erat, ab iis qui limini obversabantur audiebatur. 14 Sed area ex qua diaeta adibatur ita iam cinere mixtisque pumicibus oppleta surrexerat, ut si longior in cubiculo mora, exitus negaretur. Excitatus procedit, seque Pomponiano ceterisque qui pervigilaverant reddit. 15 In commune consultant, intra tecta subsistant an in aperto vagentur. Nam crebris vastisque tremoribus tecta nutabant, et quasi emota sedibus suis nunc huc nunc illuc abire aut referri videbantur. 16 Sub dio rursus quamquam levium exesorumque pumicum casus metuebatur, quod tamen periculorum collatio elegit; et apud illum quidem ratio rationem, apud alios timorem timor vicit. Cervicalia capitibus imposita linteis constringunt ; id munimentum adversus incidentia fuit. 17 Iam dies alibi, illic nox omnibus noctibus nigrior densiorque; quam tamen faces multae variaque lumina solvebant. Placuit egredi in litus, et ex proximo adspicere, ecquid iam mare admitteret; quod adhuc vastum et adversum permanebat. 18 Ibi super abiectum linteum recubans semel atque iterum frigidam aquam poposcit hausitque. Deinde flammae flammarumque praenuntius odor sulpuris alios in fugam vertunt, excitant illum. 19 Innitens servolis duobus assurrexit et statim concidit, ut ego colligo, crassiore caligine spiritu obstructo, clausoque stomacho qui illi natura invalidus et angustus et frequenter aestuans erat. 20 Ubi dies redditus — is ab eo quem novissime viderat tertius –, corpus inventum integrum illaesum opertumque ut fuerat indutus: habitus corporis quiescenti quam defuncto similior.

21 Interim Miseni ego et mater — sed nihil ad historiam, nec tu aliud quam de exitu eius scire voluisti. Finem ergo faciam. 22 Unum adiciam, omnia me quibus interfueram quaeque statim, cum maxime vera memorantur, audieram, persecutum. Tu potissima excerpes; aliud est enim epistulam aliud historiam, aliud amico aliud omnibus scribere. Vale.

 A son ami Tacite, salut.

Tu me demandes de raconter la mort de mon oncle, afin de pouvoir la transmettre d’une manière plus véridique à la postérité. Je t’en remercie ; en effet, je vois que sa mort en retirera une gloire éternelle, si elle est célébrée par tes soins. Bien qu’il soit mort dans le désastre qui causa la perte des plus belles terres, comme les peuples, comme les villes, et qu’il dût, semble-t-il, grâce à ce sort mémorable, vivre toujours, bien qu’il eût produit lui-même des oeuvres nombreuses et destinées à rester, cependant, le caractère éternel de tes écrits ajoute beaucoup à sa continuité. Pour ma part, j’estime heureux celui à qui il est donné, par la bienveillance des dieux, de faire des actions dignes d’être écrites, ou d’écrire des œuvres dignes d’être lues ; mais les plus heureux sont ceux à qui il est donné de faire l’un et l’autre. Mon oncle sera de leur nombre par ses livres et par les tiens. J’accepte d’autant plus volontiers, et même je revendique ce dont tu me charges.

Il était à Misène et dirigeait en personne la flotte. Le 9ème jour avant les Kalendes de septembre (le 24 août, vers 13 h), aux environs de la 7ème heure, ma mère lui fait savoir qu’un nuage d’une taille et d’un aspect inusité apparaît. Il avait pris un bain de soleil, puis un bain froid, il avait goûté et étudiait, étendu. Il demande ses sandales, monte à l’endroit d’où il pouvait le mieux observer ce phénomène. Un nuage s’élevait (on ne savait de quelle montagne, de loin ; plus tard on apprit qu’il s’agissait du Vésuve) dont la forme ressemblait très exactement à celle d’un pin. En effet, porté dans les airs comme par un tronc très long, il se déployait en rameaux ; il avait dû être projeté par une colonne d’air dans toute sa force, puis quand celle-ci s’affaiblissait, vaincu par son propre poids, il s’évaporait en s’élargissant, tantôt d’un blanc éclatant, tantôt sale et tâché, selon qu’il était chargé de terre ou de cendre. La chose parut importante et digne d’être observée de plus près, à l’homme très érudit qu’il était. Il ordonne de préparer le vaisseau liburnien [un vaisseau léger]; il m’invite, pour le cas où je voudrais venir avec lui. Je réponds que je préfère étudier, et il se trouvait qu’il m’avait donné lui-même un sujet à écrire. Comme il sortait de la maison, il reçoit un message de Rectina, femme de Cascus, terrifiée par le danger qui la menace (en effet sa villa était au pied du Vésuve, et elle n’avait d’autre moyen de fuir que par mer). Elle suppliait qu’on l’arrachât à un sort si funeste. Il changea d’avis, et ce qu’il avait commencé par curiosité scientifique, il le poursuit par générosité. Il fait sortir les quadrirèmes [gros navires, à quatre rangs de rameurs] et s’embarque lui-même pour porter secours non seulement à Rectina, mais au plus de gens possible (ce rivage agréable était en effet fort fréquenté). Il se hâte vers l’endroit d’où les autres fuient et fait route droit sur le danger, sans dévier le gouvernail, à ce point dénué de crainte qu’il dictait et consignait dans ses notes tous les mouvements de ce fléau, toutes ses figures, tels qu’il les avait surpris de ses yeux.

Déjà la cendre tombait sur les navires, plus chaude et plus denses à mesure qu’ils approchaient ; et même déjà des pierres ponces et des cailloux noirs, brûlés et brisés par le feu ; déjà un bas-fond venait de surgir et les éboulis de la montagne obstruaient les rivages. Ayant un peu hésité à revenir en arrière, bientôt il dit au pilote qui le lui conseillait : « la fortune favorise les audacieux : gagne la maison de Pomponianus. » Celle-ci se trouvait à Stabies, séparée de l’endroit où ils étaient par la moitié du golfe (en effet, insensiblement, la mer pénètre dans les rivages qui l’entourent et sont incurvés) : là, bien que le danger n’approchât pas encore, mais comme il était visible cependant, et à mesure qu’il croissait, tout proche, Pomponianus avait fait porter les bagages sur les navires, sûr de la fuite, si le vent contraire s’apaisait. Alors mon oncle, poussé au contraire par ce même vent très favorable, embrasse Pomponianus tremblant, le console, l’encourage, et afin de calmer sa peur par sa propre assurance, il se fait porter au bain. Une fois lavé il prend place sur un lit, et dîne avec bonne humeur, ou, ce qui est également grand, en affectant la bonne humeur. Entre temps, le Vésuve brillait en plusieurs endroits de flammes très larges et de colonnes de feu, dont la fulgurance et l’éclat étaient avivés par les ténèbres de la nuit. Lui, parmi l’agitation des paysans allait répétant, pour porter remède à l’effroi, que c’étaient des feux abandonnés et des fermes désertes qui brûlaient. Alors il s’abandonna au repos et s’endormit profondément. En effet, sa respiration, qu’il avait pesante et sonore à cause de sa corpulence, était entendue de ceux qui se trouvaient devant le seuil. Mais la cour par laquelle on accédait à la chambre, remplie de cendres et de pierres ponces mêlées, s’était à tel point surélevée, que s’il s’attardait plus longtemps au lit, il ne pourrait plus sortir. Réveillé, il se lève et rejoint par Pomponianus et les autres qui avaient continué de veiller. Ils se consultent pour savoir s’ils resteront dans la maison, ou iront à découvert. En effet, les maisons vacillaient en des tremblements nombreux et profonds et comme ébranlées sur leurs fondations, semblaient agitées d’un mouvement de va-et-vient. En plein air, par ailleurs, ils craignaient la chute des pierres ponces, bien que légères et poreuses. La comparaison des dangers fit choisir cependant cette solution. Et chez Pline, ce fut une raison qui l’emporta sur une autre, chez les autres, ce fut une crainte qui en vainquit une autre. Ayant posé des oreillers sur leurs têtes, ils les attachent avec des linges ; cela les protégea de ce qui tombait du ciel. Déjà, c’était ailleurs le jour, mais ici, c’était une nuit plus noire et plus profonde que toutes les autres nuits ; cependant, de nombreux éclairs et diverses lumières l’atténuaient parfois. On décida de sortir sur le rivage, et d’examiner de tout près s’il était possible de prendre la mer. ; mais elle restait agitée et hostile. Là, étendu sur un drap que l’on avait posé, il réclama plusieurs fois de l’eau froide, et la but. Puis les flammes et l’odeur de soufre qui les accompagnait jettent les autres dans la fuite, et le font se lever. S’appuyant sur deux petits esclaves, il se dressa et tomba aussitôt, je suppose, la respiration coupée et le larynx obstrué par une fumée trop épaisse, larynx qu’il avait, par nature, faible, étroit et souvent sujet à des suffocations. Lorsque le jour revint (c’était le troisième depuis celui qu’il avait vu pour la dernière fois), son corps fut retrouvé intact, sans blessure, et couvert des vêtements qu’il avait mis ; son attitude ressemblait plus à celle d’un dormeur qu’à celle d’un mort.

Entre temps, à Misène, ma mère et moi… Mais cela ne fait rien à l’histoire, et tu n’as voulu savoir rien d’autre que ce qui touche à cette mort. Je terminerai donc. J’ajouterai une seule chose, c’est que j’ai raconté tout ce à quoi j’ai assisté et ce que j’avais appris aussitôt, lorsque les choses sont rapportées le plus exactement. Tu en extrairas le principal. C’est une chose que d’écrire une lettre, c’en est une autre d’écrire l’Histoire ; et c’est une chose d’écrire à un ami, c’en est une autre de s’adresser à tous. Porte-toi bien.

Livre VI, Lettre 24 : un dramatique suicide

Le lac de Come

[6,24] XXIV. C- PLINIUS MACRO SUO S-

(1) Quam multum interest quid a quoque fiat! Eadem enim facta claritate uel obscuritate facientium aut tolluntur altissime aut humillime deprimuntur. (2) Nauigabam per Larium nostrum, cum senior amicus ostendit mihi uillam, atque etiam cubiculum quod in lacum prominet : ‘Ex hoc’ inquit ‘aliquando municeps nostra cum marito se praecipitauit.’ (3) Causam requisiui. Maritus ex diutino morbo circa uelanda corporis ulceribus putrescebat; uxor ut inspiceret exegit ; neque enim quemquam fidelius indicaturum, possetne sanari. (4) Vidit desperauit hortata est ut moreretur, comesque ipsa mortis, dux immo et exemplum et necessitas fuit; nam se cum marito ligauit abiecitque in lacum. (5) Quod factum ne mihi quidem, qui municeps, nisi proxime auditum est, non quia minus illo clarissimo Arriae facto, sed quia minor ipsa. Vale.

C. Plinius à son ami Macron.

Combien importe à un acte la personne qui le fait ! En effet, les mêmes faits, par la gloire ou l’obscurité de leurs auteurs, sont portées au plus haut ou rabaissées au plus bas. Je navigais à travers notre lac de Côme, lorsqu’un vieil ami me montra un domaine, et même une chambre qui surplombe le lac : « C’est de là, dit-il, qu’un jour une femme de notre ville se jeta avec son mari. » J’en demandai la cause. Le mari, à la suite d’une longue maladie, se putréfiait par des ulcères aux alentours de ses parties intimes ; sa femme demanda à voir cela, disant que personne ne lui dirait plus fidèlement s’il pouvait guérir. Elle vit, désespéra, l’exhorta à mourir, et l’accompagna elle-même dans la mort, ou plutôt fut son guide, son exemple, et sa contrainte ; en effet, elle s’attacha à son mari et se jeta dans le lac. Cet acte ne fut connu de moi que très récemment, à moi qui pourtant suis de la ville, non qu’il fût moins important que celui, très illustre, d’Arria, mais parce qu’elle-même était moins connue. Porte-toi bien.

Vocabulaire

  • claritas, atis : clarté, célébrité.
  • faciens, entis : participe présent de facio, is, ere.
  • Tollo, is, ere, sustuli, sublatum : leuer, souleuer, élever.
  • deprimo, is, ere : abaisser
  • Larium nostrum : notre Larius = notre lac de Côme.
  • senex, senis : vieux.
  • cubiculum, i : chambre
  • lacus, i : lac
  • promineo, es, ere : surplomber.
  • aliquando : un jour
  • municeps nostra : une femme de notre ville
  • maritus, i : mari
  • se praecipitare : se jeter
  • requiro, is, ere, requisii : demander
  • diutinus, a, um : long, qui dure longtemps
  • ulcus, ulceris, n : ulcère, plaie
  • putresco,is, ere : pourrir, se putréfier
  • sanor, sanaris, sanari, sanatus : guérir