L’histoire de Calypso est disséminée dans plusieurs chants de l’Odyssée :
- Dès le chant I, au cours de l’assemblée des Dieux (v. 11-79), nous apprenons qu’Ulysse n’est pas mort, mais que la fille d’Atlas, la nymphe Calypso, amoureuse de lui, le retient prisonnier dans sa grotte, aux confins du monde ; Athéna, protectrice du héros, obtient de Zeus qu’il ordonne son retour, malgré l’opposition de Poséidon,
et qu’il envoie Hermès annoncer cet ordre à Calypso. - Le chant V raconte l’arrivée d’Hermès auprès de la Nymphe ; celle-ci, contrainte d’obéir, ordonne à Ulysse de construire un radeau pour repartir. C’est l’épisode le plus long, où nous voyons vraiment la jeune femme avec le héros. (v. 50-269).
- Lui-même y fera une brève allusion au cours de son récit à la première personne, tout au début (Chant IX, v. 29-30) puis à la fin (chant XII, v. 446-450).
chant V, vers 50-86
Hermès a été chargé par Zeus d’annoncer à Calypso qu’elle doit laisser partir Ulysse. Le dieu arrive auprès de la jeune femme…
[50]Πιερίην δ᾽ ἐπιβὰς ἐξ αἰθέρος ἔμπεσε πόντῳ· σεύατ᾽ ἔπειτ᾽ ἐπὶ κῦμα λάρῳ ὄρνιθι ἐοικώς, ὅς τε κατὰ δεινοὺς κόλπους ἁλὸς ἀτρυγέτοιο ἰχθῦς ἀγρώσσων πυκινὰ πτερὰ δεύεται ἅλμῃ· τῷ ἴκελος πολέεσσιν ὀχήσατο κύμασιν Ἑρμῆς. [55] ἀλλ᾽ ὅτε δὴ τὴν νῆσον ἀφίκετο τηλόθ᾽ἐοῦσαν, ἔνθ᾽ ἐκ πόντου βὰς ἰοειδέος ἤπειρόν δε ἤιεν, ὄφρα μέγα σπέος ἵκετο, τῷ ἔνι νύμφη ναῖεν ἐυπλόκαμος· τὴν δ᾽ ἔνδοθι τέτμενἐοῦσαν. Πῦρ μὲν ἐπ᾽ ἐσχαρόφιν μέγα καίετο, τηλόσε δ᾽ὀδμὴ [60]κέδρου τ᾽ εὐκεάτοιο θύου τ᾽ ἀνὰ νῆσονὀδώδει δαιομένων· ἡ δ᾽ ἔνδον ἀοιδιάουσ᾽ ὀπὶ καλῇ ἱστὸν ἐποιχομένη χρυσείῃ κερκίδ᾽ ὕφαινεν. ὕλη δὲ σπέος ἀμφὶ πεφύκει τηλεθόωσα, κλήθρη τ᾽ αἴγειρός τε καὶ εὐώδης κυπάρισσος. [65] Ἔνθα δέ τ᾽ ὄρνιθες τανυσίπτεροι εὐνάζοντο, σκῶπές τ᾽ ἴρηκές τε τανύγλωσσοί τε κορῶναι εἰνάλιαι, τῇσίν τε θαλάσσια ἔργα μέμηλεν. ἡ δ᾽ αὐτοῦ τετάνυστο περὶ σπείους γλαφυροῖο ἡμερὶς ἡβώωσα, τεθήλει δὲ σταφυλῇσι. [70]Κρῆναι δ᾽ ἑξείης πίσυρες ῥέον ὕδατι λευκῷ, πλησίαι ἀλλήλων τετραμμέναι ἄλλυδις ἄλλη. Ἀμφὶ δὲ λειμῶνες μαλακοὶ ἴου ἠδὲ σελίνου θήλεον. Ἔνθα κ᾽ ἔπειτα καὶ ἀθάνατός περἐπελθὼν θηήσαιτο ἰδὼν καὶ τερφθείη φρεσὶν ᾗσιν. [75]Ἔνθα στὰς θηεῖτο διάκτοροςἀργεϊφόντης. Aὐτὰρ ἐπεὶ δὴ πάντα ἑῷ θηήσατο θυμῷ, αὐτίκ᾽ ἄρ᾽ εἰς εὐρὺ σπέος ἤλυθεν. Οὐδέ μινἄντην ἠγνοίησεν ἰδοῦσα Καλυψώ, δῖα θεάων· οὐ γάρ τ᾽ ἀγνῶτες θεοὶ ἀλλήλοισι πέλονται [80]ἀθάνατοι, οὐδ᾽ εἴ τις ἀπόπροθι δώματα ναίει. Οὐδ᾽ ἄρ᾽ Ὀδυσσῆα μεγαλήτορα ἔνδον ἔτετμεν, ἀλλ᾽ ὅ γ᾽ ἐπ᾽ ἀκτῆς κλαῖε καθήμενος, ἔνθα πάρος περ, δάκρυσι καὶ στοναχῇσι καὶ ἄλγεσι θυμὸνἐρέχθων. Πόντον ἐπ᾽ ἀτρύγετον δερκέσκετο δάκρυα λείβων. [85]Ἑρμείαν δ᾽ ἐρέεινε Καλυψώ, δῖα θεάων, ἐν θρόνῳ ἱδρύσασα φαεινῷ σιγαλόεντι· |
« Plongeant du ciel vers la Piérie il tomba dans la mer. Ensuite il courut sur le flot, semblable au goéland, qui sur les vagues terribles de la mer stérile, pêchant des poissons, mouille deau de mer son épais plumage. Hermès semblable à lui était transporté par les vagues nombreuses. [55] Mais lorsqu’il arriva sur l’île qui se trouvait au loin, sortant alors de la mer couleur de violette il alla sur le continent, il alla vers la grande caverne dans laquelle habitait la nymphe aux belles boucles ; il la trouva à l’intérieur. Un grand feu brûlait dans son foyer, de loin l’odeur du cèdre facile à fendre et du thuya qui brûlaient se répandait sur l’ile ; elle, à l’intérieur, chantant dune belle voix travaillant à une trame, tissait de sa navette dor. Autour de la grotte un bois florissant avait poussé, de saules, de peupliers et d’odorants cyprès. Là les oiseaux aux ailes portant au loin avaient leur nid, coucous, éperviers, et cormorans criards, à qui la mer donne du travail. Une vigne en pleine vigueur s’étendait là-même, autour de la grotte creuse, et était fleurie de grappes. Quatre sources à la suite coulaient de leur onde claire, proches l’une de l’autre, puis divergeant l’une d’un côté, l’autre de l’autre ; tout autour fleurissaient de douces prairies de violettes et de persil. Alors même un immortel venu ici pouvait avoir sujet d’admirer en voyant cela, et d’être charmé en son âme. Se tenant là le dieu aux rayons clairs admirait. Mais lorsqu’il eut tout admiré en son cœur, aussitôt il entra dans la vaste caverne. L’ayant vu en face, elle ne le méconnut pas, Calypso, divine entre les déesses ; jamais en effet les dieux immortels ne s’ignorent entre eux, même si l’un habite une demeure éloignée. Hermès ne trouva pas Ulysse au grand cœur à l’intérieur, celui-ci, assis sur le promontoire pleurait, là où d’habitude, il déchirait son cœur de larmes, de sanglots et de souffrances. En versant des larmes il regardait la mer stérile. Calypso, divine entre les déesses, interrogea Hermès, l’ayant fait asseoir sur un trône à l’éclat brillant. |
- Πιερίη : Piérie, région au nord de l’Olympe, en Macédoine ; l’accusatif marque la direction : « vers »
- λάρῳ ὄρνιθι ἐοικώς : « semblable au goéland ». Hermès ne se transforme pas en goéland : la comparaison montre seulement l’aisance et la rapidité de sa course.
- ἀτρυγέτοϲ : adjectif au sens incertain : stérile ? infini ?
- τέτμεν : aoriste à redoublement de la racine –τμ- : rencontrer, trouver
- v. 60-61 : le Maroc est une des rares régions méditerranéennes, avec la Crète et le Liban, où poussent des forêts de cèdres ; en outre, encore à l’époque romaine, le Maroc exportait du bois de thuya ; c’est donc probablement là, près de Gibraltar, qu’il faut situer l’île de Calypso.
- Πίσυρες = τέτταρεϲ (forme éolienne et épique)
- σελίνου : de persil. L’île de Pérégil, près de la côte africaine de Gibraltar, doit son nom au persil de mer qui couvre encore ses rochers.
- ἔπειτα : comme souvent chez Homère, a le sens premier de « alors »
- πάρος : ici, « d’habitude »
Alors que les descriptions sont absentes de l’Iliade, elles abondent dans l’Odyssée ; le paysage autour de Calypso comporte des indices réalistes (végétation…) mais aussi des éléments symboliques. La grotte, l’eau vive, les arbres évoquent un jardin d’Éden.
Calypso joue un rôle ambigu : déesse et femme, elle retient Ulysse dans un lieu sacré ; elle est à la fois image de mort (d’où le désir qu’a le héros de s’échapper) et de vie. Elle évoque un chaman : à la fois être humain et divinité, sorcier et médecin, qui parfois se livre à des voyages au cours desquels il rencontre les âmes des morts.
Quand le chaman est une femme, on la trouve dans un lieu particulier, luxuriant, et elle chante merveilleusement… En outre, la violette et le persil sont des plantes sacrées liées au culte des morts.
Vers 86-115 :
- τίπτε : conjonction homérique signifiant «pourquoi donc ? »
- χρυσόρραπις, ιδος : à la baguette d’or (épiclèse d’Hermès)
- εἰλήλουθας : forme archaïque de ἐλήλυθας, avec allongement métrique du ε initial.
- Αἰδοῖος : vénérable, digne de respect
- Μέν (v. 89) : cependant
- Πάρος : auparavant ; signifie « jusqu’ici », et avec un verbe au présent « d’habitude » (sens fréquent chez Homère)
- Θαμίζω : venir fréquemment, hanter
- ἄνωγεν : imparfait sans augment de ἀνώγω : exhorter à, pousser à.
- τετελεσμένον : si la chose a déjà été faite = si elle est possible
- v. 91 emprunté à l’Iliade XVIII, 387. Προτέρω (adv.) : plus en avant
- θείω : subjonctif à voyelle longue pour un verbe athématique (τίθημι)
- διάκτορος : messager
- ἡ ἐδωδή, ῆς : aliment, nourriture
- καὶ τότε δή : alors
« Pourquoi donc, Hermès à la baguette d’or, es-tu venu, toi que je respecte et que j’aime ?D’habitude, pourtant, tu ne me fréquentes pas. Dis ce que tu as en l’esprit ; mon cœur me pousse à le réaliser, si je le peux le faire et si la chose est possible. Ayant parlé ainsi, la déesse approcha une table couverte d’ambroisie, et elle versa le nectar rouge ; le messager tueur d’Argos but et mangea. Il dîna et réjouit son cœur avec ce repas. Alors, lui répondant par ces paroles, il dit :
- Εἰρωτᾷς = ἐρωτᾷς (allongement métrique de la voyelle ε devant ρ )
- Νημερτέως : avec sincérité
- ἐνίσπω (futur ἐνισπήσω) : parler
- τὸν μῦθον : ce que j’ai à te dire
- ἁλμυρός, ός, όν : salin, salé
- ἄσπετος, ος, ον : inexprimable, infini
- ἄγχι : proche de (+ G.)
- ἔξαιτος : choisi, distingué
- ἀλιῶσαι : inf. aoriste de ἀλιόω-ῶ : rendre vain, détruire
- εἰναέτης, ης, ες : de 9 années
- πέρσαντες < πέρθω : ravager, ruiner
- ἀλίτοντο : aoriste moyen de *ἀλιταίνω : se rendre coupable envers un dieu`(présent inusité). Ajax, fils d’Oïlée, avait violenté Cassandre dans le temple d’Athéna. (III, 135)
- ἀπέφθιθεν < ἀποφθίνω : faire périr. Au passif : périr (-θεν = -θησαν)
- πέλασσε < πελάζω : faire aborder, jeter
- τῇδε : par ici = sur cette île
- αἶσα : lot, destin
- νόσφι(ν) : à l’écart, à part
- ἑήν = ἥν
« Tu me demandes, toi une déesse, pourquoi moi, un dieu je suis venu ; hé bien je vais te dire sincèrement ce que j’ai à te dire. C’est Zeus qui m’a envoyé ici, contre mon gré ; qui en effet parcourrait volontiers une si grande étendue d’eau salée, infinie ? Il n’y a même pas à proximité, de cité de mortels qui font des sacrifices aux Dieux, et de belles hécatombes. Mais il n’y a aucun moyen qu’un autre Dieu transgresse ou réduise à néant la volonté de Zeus qui tient l’égide. Il dit que près de toi réside un homme, le plus misérable des autres hommes qui combattirent durant neuf ans autour de la ville de Priam, et la dixième année, ayant ravagé la cité, rentrèrent chez eux. Mais en partant ils offensèrent Athéna, qui déchaîna contre eux un mauvais vent et d’énormes vagues. Là tous ses autres nobles compagnons périrent, mais lui, le vent et la vague le jetèrent ici. A présent, il t’ordonne de le renvoyer le plus vite possible. Son lot n’est pas en effet de mourir sur cette île, à l’écart, loin des siens ; mais son destin est de revoir les siens, de retourner dans sa maison au toit élevé et dans sa patrie.
Vers 116-148 : discours de Calypso et départ de Mercure.
- ῥιγέω-ῶ : frissonner, être saisi de crainte ou de froid
- ἔξοχον : grandement, supérieurement ; +G. = avant
- ἀγάομαι-ῶμαι : s’étonner, envier
- εὐνάζεσθαι : se coucher auprès de quelqu’un, avoir commerce avec
- ἀκοίτης, ου : époux
- Ὠαρίωνα : forme ancienne d’ Ὠρίωνα. Orion, chasseur géant célèbre
pour sa beauté fut enlevé par Aurore. Tué par Artémis, il devint l’une des plus brillantes constellation. (cf. v. 274) ; la légende affirme qu’il avait voulu violenter Artémis, ou l’une de ses suivantes, et que la déesse lui aurait envoyé un scorpion. - ἁγνός, ή, ον : pur, saint
- Ortygie : nom ancien de Délos (mot à mot : l’île aux cailles)
- ἀγανός, ή, όν : aimable, doux. Se dit des flèches d’Apollon et d’Artémis, qui procurent une mort douce.
- ἐποίχομαι : s’approcher de, attaquer
- κατέπεφνον = verbe qui n’existe qu’à l’aoriste : tuer
- εἶξας < εἴκω : céder, abandonner à
- μίγη : aoriste passif épique de μίγνυμι : avoir commerce avec
- νειός τρίπολος : la jachère trois fois retournée
- ἄπυστος : qui n’est pas informé, qui ignore
- βεβαῶτα < βαίνω περὶ τρόπιος : ayant enfourché sa quille (Ulysse est arrivé à califourchon sur la quille de son navire)
- κεάζω : fendre
- Les vers 137-138 reprennent ironiquement les paroles d’Hermès, v. 103-104.
- ἐρρέτω < ἔρρω : aller à sa perte. Impératif, 3ème pers. Sing.
- ἐποτρύνω : pousser quelqu’un à faire qqch.
- ἀνώγω : pousser, exhorter à
- ἐπήρετμος, ος, ον : garni de rames
- ἐπικεύθω, futur ἐπικεύσω : cacher
- οὕτω v. 146 : « comme tu viens de le dire »
- ἐποπίζομαι : révérer, craindre
- κοτεσσάμενος < κοτέω-ῶ : garder rancune, être irrité (+ dat.)
- κρατύς, εῖα, ύ : fort, puissant
Il parla ainsi ; Calypso, divine entre les déesses, frissonna, et s’adressant à lui, prononça ces paroles ailées : « vous êtes misérables, vous les dieux, jaloux entre tous, qui vous indignez contre les déesses qui couchent ouvertement avec des hommes, si l’une d’elles veut en faire son mari. Ainsi, lorsque Aurore aux doigts de rose prit Orion, alors les dieux qui vivent dans la facilité l’envièrent, jusqu’à ce que la pure Artémis au trône d’or, à Ortygie, l’attaquant de ses doux traits, le tue. Ainsi, lorsque Déméter aux belles boucles, s’étant abandonnée en son cœur à Iasion s’unit à lui par son amour et sa couche dans une jachère trois fois retournée, Zeus ne resta pas sans être informé, qui le tua en lui jetant sa foudre étincelante. Et c’est ainsi qu’à présent, dieux, vous m’enviez, parce qu’un mortel est près de moi. Moi je l’ai sauvé, chevauchant seul la quille, lorsque Zeus, le poursuivant de sa foudre brillante, eut fendu son navire rapide au milieu de la mer vineuse. Là, tous ses autres braves compagnons périrent ; lui, le vent qui le portait et la houle le jetèrent ici. Moi je l’ai aimé, je l’ai nourri et je lui ai promis de le rendre immortel et jeune pour l’éternité. Mais puisqu’il n’y a aucun moyen qu’un autre Dieu transgresse ou réduise à néant la volonté de Zeus qui tient l’égide, qu’il aille à sa perte, si celui-ci le pousse et l’entraîne sur la mer stérile. Mais je n’ai aucun moyen pour le renvoyer ; en effet je n’ai ni bateaux équipés de rames, ni compagnons, pour le renvoyer sur le large dos de la mer. Mais je me proposerai comme conseillère, et je ne lui cacherai pas, comment rentrer sain et sauf dans sa patrie. » Le messager tueur d’Argos lui répondit : « renvoie-le comme tu viens de le dire, crains la colère de Zeus, de peur qu’en retour, te gardant rancune, il ne s’irrite contre toi. » Ayant parlé ainsi, le puissant tueur d’Argos disparut.
Vers 149-191 : Dialogue entre Ulysse et Calypso.
- ἤιε : imparfait du verbe εἶμι (augment à voyelle longue), avec désinences thématiques par analogie avec ἔλυον.
- ἐπικλύω : écouter (+ G.)
- ἀγγελιάων : génitif pluriel de ἀγγελία, ας , annonce, nouvelle, message
- ὄσσε δακρυόφιν τέρσοντο : ses yeux étaient secs de larmes
- κατείβομαι : s’écouler, se passer
- ἀνδάνω : être agréable, plaire.
- ἤτοι : certes
- ἰαύεσκον : aoriste itératif de ἰαύω : dormir, se reposer ; νύκτας, passer les nuits
- ἠϊών, όνος : bord de la mer
- vers 157 (omis dans certains manuscrits) = vers 83
- δερκέσκετο : imparfait itératif de δέρκομαι : regarder
- ἀγχοῦ (adv. et prép.) : auprès de
- κάμμορος, ου : malheureux
- φθίνω : s’écouler, se consumer
- πρόφρασσα = πρόφρων : qui agit de lui-même, de bonne grâce, plein de bonne volonté
- δοῦρα, ατος = δόρυ, δόρατος : poutre, planche, ou bois équarri tiré d’un tronc d’arbre
- σχεδία, ας : toute construction légère et faite à la hâte, radeau, embarcation
- ἴκριον, ου : plancher, château ou gaillard d’un navire
- ὑψοῦ : en hauteur
- ἠεροειδέα < ἀερόεις : brumeux
- μενοεικής, ής, ές : qui réjouit le cœur
- ἐρύκω : écarter, repousser
- ἀμφιέσσω : futur de ἀμφιέννυμι, revêtir
- οὖρος, ου : vent favorable
- κρῆναι < κραίνω : accomplir, réaliser (infinitif de but)
- ἄλλο (v. 173) est attribut
- πομπή, ῆς : fait de renvoyer, retour
- περάαν = περᾶν : traverser
- ἀργαλέος, α, ον : difficile, pénible, terrible (apposé à περάαν : chose terrible et difficile)
- ὠκύπορος, ος, ον : qui s’avance rapidement
- Les vers 177-179 sont peut-être interpolés.
- ἀέκητι σέθεν : en dépit de ton ordre ; ἂν… ἐπιβαίην, affirmation atténuée : « je ne saurais monter »
- τλαίης : opt. aor. 2ème pers. de τλάω : supporter, se résigner à, avoir le courage de
- κατέρεξεν < καταρρέζω : flatter de la main, caresser
- ἀλιτρός : qui commet une faute è brigand, ou « qui me juge mal »
- οὐκ ἀποφώλια εἰδώς : qui ne sait pas des choses vaines è qui n’est pas un insensé, c’est-à-dire expérimenté entre tous
- ἐπεφρασθης : tu as eu l’idée de (plus que parfait passif)
- ἴστω : impératif 3ème sing. de οἷδα ; prend ici le sens de « j’en atteste »
- ἐναίσιμος, ος, ον : honnête
La vénérable nymphe alla auprès d’Ulysse au grand cœur, puisqu’elle écoutait les messages de Zeus. Elle le trouva assis sur le promontoire ; jamais ses yeux n’étaient secs de larmes ; sa douce vie s’écoulait pour lui qui pleurait son retour, puisque la Nymphe ne lui plaisait plus. Et certes par nécessité il passait les nuits au creux de ses cavernes, auprès d’elle qui voulait, lui qui ne voulait pas ; mais le jour, assis sur une pierre au bord de la mer, il déchirait son cœur de larmes, de sanglots et de souffrances, et versant des larmes, il regardait la mer stérile. Se tenant auprès de lui, la divine entre les déesses prit la parole. « Malheureux, ne te plains plus ici à cause de moi, que ta vie ne se consume plus ; désormais en effet, de bon gré, je vais te renvoyer chez toi. Hé bien, coupe de grands bastings, assemble-les avec le bronze en une large embarcation ; puis fixes-y en hauteur des gaillards, afin qu’elle te porte sur la mer brumeuse ; quant à moi j’y déposerai la nourriture, l’eau et le vin rouge qui réjouit le cœur, tout ce qui écarte la faim, je te donnerai des vêtements, et je t’enverrai un vent arrière, afin que sain et sauf tu arrives dans ta patrie, si les dieux le veulent, qui habitent le vaste ciel, qui sont plus puissants que moi pour décider et accomplir. »
Elle parla ainsi ; le divin Ulysse aux mille tourments frissonna et s’adressant à elle prononça ces paroles ailées : « Ce n’est pas mon retour, c’est quelque chose d’autre que tu médites, déesse, toi qui m’invites à traverser sur un radeau le grand abîme de la mer, chose terrible et difficile ; même les navires à l’allure rapide ne le traversent pas, poussés par le vent favorable de Zeus. Je ne saurais monter sur un radeau en dépit de ton ordre, si tu n’as pas le courage, déesse, de me jurer le grand serment, que tu ne prépares contre moi-même aucun autre mauvais fléau. »
Il parla ainsi ; Calypso, divine entre les déesses, sourit, le flatta de la main et l’appelant par son nom lui dit : « assurément tu es un brigand, et expérimenté entre tous ; quels mots tu as eu l’idée de prononcer ! J’en atteste la Terre et le vaste Ciel au-dessus, et l’eau tombante du Styx, ce qui est le plus grand et le plus terrible serment pour les mortels bienheureux, je ne prépare contre toi aucun cruel fléau, mais j’envisage et je médite pour toi je que je méditerais pour moi-même, si un si grand besoin m’arrivait. Et j’ai un esprit honnête, et je n’ai pas un cœur de fer dans ma poitrine, mais un cœur compatissant.
Commentaire :
On peut noter une certaine ironie d’Homère à l’égard de son héros : il pleure sur son retour impossible… dès lors que Calypso a cessé de lui plaire (v. 153) : il faut croire que l’accueillante Nymphe avait su, au début, lui faire oublier Pénélope… Ulysse est un héros humain, avec sa grandeur et ses faiblesses. Παρ’οὐκ ἐθέλων ἐθελούσῃ (v. 155) : sans doute l’origine du fameux jeu de mots de Tacite, inuitus inuitam… même si, ici, la situation est inversée ! Récit itératif (ici marqué par des formes grammaticales spécifiques en –εσκω) : on notera que pour une fois, la formule « la mer stérile » est parfaitement en situation. Image pathétique d’un couple qui ne fonctionne plus. Calypso, cependant, feint de prendre l’initiative de renvoyer Ulysse : elle ne lui dit pas qu’elle y est contrainte par Zeus : elle veut en faire une ultime preuve d’amour. Elle est proche de Bérénice, qui accepte finalement l’inévitable avec grandeur d’âme : prototype des héroïnes tragiques.
Extrême méfiance d’Ulysse – qui plus d’une fois il est vrai a été échaudé : il exige un serment par le Styx. Si un immortel trahissait un tel serment, il sombrait dans une paralysie d’un an, puis était exclu durant neuf autres années des conseils et banquets divins.
Vers 192-227 : Soirée d’adieu.
- ἴχνια : les traces
- ἵξον : ils parvinrent (aoriste « mixte », sigmatique + désinences secondaires) < ἵκω
- ἐδωδή, ῆς : aliment, nourriture
- ὄνειαρ, ατος – τὰ ὀνείατα : aliments, mets
- ἕτοιμος, ος /η, ον : prêt, apprêté
- χεῖρας ἴαλλον : ils portaient les mains sur…
- τάρπησαν : quand ils se furent rassasiés de (sens ancien de τέρπομαι)
- ἔμπης = ἔμπας : après tout
- ἡ αἶσα, ης : décision d’un dieu, lot, destinée
- τὸ κῆδος, ους : chagrin, souci, deuil
- ἀναπλήσαι < ἀναπίμπλημι : combler la mesure de
- Οὐ μέν θην : assurément non
- Εὔχομαι : ici, se flatter de
- [215] χώομαι : se fâcher
- Οὕνεκα = ὅτι
- ἀκιδνός, ή, όν : faible, fade
- ἄντα : en face de
- ῥαίω : briser, ruiner par un naufrage
- ταλαπεντής, ής, ές : qui subit le deuil
- δύω, ἔδυν : se coucher, s’enfoncer
- τὸ κνέφας : l’obscurité, le crépuscule
- : partie la plus reculée d’une maison ou d’une grotte
Ayant parlé ainsi la divine entre les déesses l’emmena rapidement ; lui suivait les traces de la déesse. L’homme et la déesse parvinrent à la grotte creuse ; il s’assit là, sur le trône qu’avait quitté Hermès ; la Nymphe place devant lui toutes sortes de mets, pour manger et boire, ce que mangent les mortels. Elle-même s’assit en face du divin Ulysse. Des servantes placèrent devant elle l’ambroisie et le nectar. Ils portèrent les mains sur les plats préparés et servis. Mais lorsqu’ils se furent rassasiés de nourriture et de boisson, Calypso, divine entre les déesses, commença à parler pour eux deux.
« Divin fils de Laërte, Ulysse aux mille ruses, ainsi tu veux partir tout de suite, maintenant, chez toi, dans ta patrie ? Hé bien, adieu après tout. Mais si tu savais en ton cœur de quelle mesure de chagrin le sort t’a comblé avant que tu n’arrives dans ta patrie, restant ici avec moi tu serais le gardien de cette maison et tu serais immortel, même si tu désires revoir ton épouse, à laquelle sans cesse tous les jours tu aspires. Pourtant, assurément je me flatte de ne pas lui être inférieure, ni de taille ni d’allure, puisqu’en aucune manière il ne semble que les mortelles rivalisent, par la taille ou la beauté, avec les immortelles. »
Lui répondant Ulysse aux mille tours lui dit : « Vénérable déesse, ne t’irrite pas contre moi de la sorte ; je sais moi aussi tout cela, que en face de toi la sage Pénélope serait fade à voir, par sa beauté et sa taille. Elle est une mortelle ; toi tu es immortelle et éternellement jeune. Et pourtant je veux et je désire chaque jour rentrer chez moi et voir le jour du retour. Si à nouveau l’un des dieux me fait faire naufrage sur la mer couleur de vin, je souffrirai en ma poitrine, ayant un cœur endeuillé. J’ai déjà subi beaucoup de maux, beaucoup de peines sur le flot et à la guerre. Que cela s’ajouteaux autres maux. »
Il parla ainsi. Le soleil se coucha et le crépuscule survint. Tous deux allant au plus profond de la grotte creuse, se rassasièrent d’amour, demeurant l’un près de l’autre.
Commentaire :
Cette scène fait exactement pendant à la réception d’Hermès, v. 86-115 : même trône, mêmes gestes d’hospitalité… En même temps, la scène est exactement inverse : c’était un dieu, c’est un mortel ; Calypso fêtait une arrivée, ici, c’est un départ… Calypso, avec un brin de coquetterie, fait mine d’éprouver un dépit amoureux ; mais elle n’insiste pas, sachant qu’il est inutile de retenir Ulysse. La scène se termine sur un duo amoureux… qui dément quelque peu la légendaire fidélité d’Ulysse !
Vers 228-269 : Construction du radeau et départ.
-
- Ἦμος : lorsque (+ indic.)
- ἠριγένεια : fille du matin.
- ἡ χλαῖνα : manteau ou grande cape de laine qui se porte sur la tunique pour se protéger du froid ou de la pluie ; elle sert aussi de couverture pour les lits. Le χιτών est une tunique masculine sans doute en lin, maintenue par une ceinture. Enfin le φᾶρος est une écharpe teinte ou non en pourpre, qu’hommes et femmes portent par-dessus la tunique. Le mot désigne aussi les voiles du radeau d’Ulysse (v. 258).
- ἀργύφεος, η, ον : éclatant de blancheur
- ἡ ἰξύς, ύος : taille, région au-dessus des hanches
- καλύπτρα, ας : voile de femme
- ἄρμενον ἐν παλάμῃσι < ἀραρίσκω : pris en main
- ἀμφοτέρωθεν ἀκαχμένον : aiguisée des deux côtés ; c’est donc une hache de bucheron, qui s’oppose à la doloire, aiguisée d’un seul côté et qui sert à aplanir le bois.
- Τὸ στελεόν (épique στειλειόν) : manche de cognée
- ἐναρηρός (ἐναραρίσκω) : bien attaché.
- Σκέπαρνον : doloire
-
- ἐΰξοος : bien poli
- ἡ ἐσχατιά, ᾶς : extrémité, bord d’une île
- κλήθρα, ας : aune
- αἴγειρος : peuplier noir
- ἐλάτη : sapin (bois dont on fait les rames)
- οὐρανομήκης, ης,ες : qui va jusqu’au ciel
- περίκηλος, ος, ον : sec, desséché
- ἐλαφρός, ά, όν : léger
- αὖος, η, ον : sec, desséché
- τὰ… πλώοιεν : qui pourraient flotter
- θοῶς : rapidement
- ἀνύω : venir à bout, accomplir
- ξέω : polir
- ἰθύνω : aligner
- στάθμη, ης : cordeau
- τὸ τέρετρον : tarière (ancêtre de notre perceuse)
- ὁ γόμφος, ου : cheville de bois ou de fer pour lier ensemble les pièces d’un navire
- ἁρμονία, ας : assemblage de planches, emboîtement
- ἀράσσω : assujettir
- ἔδαφος,ους : fond, cale
- τορνόω-ῶ : travailler en rond, donner une forme arrondie (comme aux bateaux de commerce, par opposition à la forme allongée des bateaux de guerre) : subjonctif de généralité, courant dans les comparaisons.
- Le navire de charge, ou cargo (φορτὶς νηῦς), de forme arrondie, est presque aussi large que long pour contenir dans ses cales le maximum de marchandises ; lent et peu maniable, il est aussi très stable. Il peut naviguer à la voile, mais il est aussi équipé de 20 rames.
- ἴκριον, ου : plancher, château ou gaillard d’un navire (cf. v. 163)
- ἀραρών : en faisant un assemblage
- θαμέσι : datif de l’inusité *θαμής ou *θαμύς , = θαμειός : nombreux, qui se succède continuellement
- σταμίν ou σταμίς, σταμῖνος montants des gaillards d’un navire, c’est-à-dire montants verticaux qui, prolongeant les couples de l’avant et de l’arrière, supportaient les gaillards ou le plancher des châteaux. (couples : Deux membres ou côtés d’un bâtiment qui s’élèvent d’un même point de la quille et sont opposés l’un à l’autre – Trésor de la Langue française)
- ἐπηγκενίδες, ων : voliges (planches minces) : elles constitueront le plancher du gaillard ; c’est là que le héros s’installera pour manier le gouvernail et les voiles.
- ἱστός, οῦ : mât
- τὸ ἐπίκριον, ου : vergue (Espar = longue pièce de bois, généralement cylindrique, effilé aux extrémités, disposé à diverses hauteurs sur les mâts et destiné à porter, à tendre la voile qui y est fixée et à faciliter son orientation par rapport au vent)
- τὸ πηδάλιον, ου : gouvernail, ou partie plate du gouvernail qui plonge dans l’eau
- φράσσω, ἔφραξα : serrer, enserrer. Μιν (v. 256) = le radeau. Ulysse fait un bastingage pour se protéger des vagues.
- Τὸ ῥῖπος, ους : claie
- Οἰσύϊνος, η, ον : en osier
- Διαμπερές : d’un bout à l’autre
- εἷλαρ ἔμεν (= εἶναι) : pour être une protection
- ἐπιχέω, ἐπιχεύσω, ἐπέχευα : verser sur, répandre ; ὕλη : du matériau de bois (latin : materies), pour servir de lest, ou peut-être pour réparer d’éventuelles avaries, car le lest, en principe, est fait de pierres faciles à jeter par-dessus bord en cas de danger.
- Vers 258 = v. 246 : apparitions successives de Calypso, apportant à chaque fois un outil ou un élément du bateau. (ici de la toile – φᾶρος – pour faire des voiles (τὰ ἱστία)
- ἡ ὑπέρα, ας : drisse, cordage fixé au bout de la vergue pour la faire mouvoir
- ὁ κάλος, ου = ὁ κάλως, ω : câble pour manœuvrer les voiles, ralingues (Cordage qui est cousu sur les bords d’une voile afin de les renforcer)
- ὁ πούς, ποδός : bouline, cordage pour la manœuvre des voiles, ou écoute, Cordage fixé à l’angle arrière inférieur d’une voile, pour la maintenir et régler son orientation par rapport au vent
- ἐνδέω : attacher à
- μοχλός, οῦ : barres ou rouleaux de bois pour déplacer un navire
- κατερύω : tirer vers le bas, mettre un vaisseau à la mer
- θυώδης, ης, ες : qui a une odeur d’encens, parfumé
- ὁ ἀσκός, οῦ : une outre
- κώρυκος, ου : sac de cuir, besace
- ᾖα = τὰ ἤια : provisions de bouche, vivres
- τὸ ὄψον, ου : tout aliment préparé sur le feu, ou qui se mange en accompagnement ; friandise
- μενοεικής, ής, ές : qui réjouit le cœur, agréable
- ἀπήμων, ων, ον : exempt de malheur, prospère, inoffensif.
- Λιαρός, ά, όν : tiède, doux
- Γηθόσυνος, η / ος, ον : joyeux, content
- Πετάννυμι : déployer, ouvrir (les voiles d’un navire)
Lorsque parut Aurore aux doigts de rose, fille du matin, aussitôt Ulysse revêtit sa tunique et sa cape, et la Nymphe elle-même mit un grand châle éclatant de blancheur, léger et gracieux, et autour de sa taille elle jeta une belle ceinture d’or, sur sa tête un voile, et alors elle songea au retour pour Ulysse au grand cœur. Elle lui donna une grande hache bien prise en main, en bronze, aiguisée des deux côtés ; en elle un beau manche en bois d’olivier, bien attaché ; elle lui donna ensuite une doloire bien polie, elle lui montra le chemin à l’extrémité de l’île, là où avaient poussé de grands arbres, il y avait de l’aune, du peuplier noir et du sapin qui monte jusqu’au ciel, morts depuis longtemps, secs, légers et qui pourraient flotter. Puis lorsqu’elle lui eut montré là où poussaient ces grands arbres, Calypso, divine entre les déesses, alla dans sa demeure. Lui coupa des bastaings ; il accomplissait rapidement son ouvrage ; il jetait bas vingt arbres en tout, les équarrit avec le bronze, les polit savamment et les aligna au cordeau. Alors Calypso, divine entre
les déesses, apporta des tarières. Il perça tous les bastaings et les attacha les uns aux autres, et il assujettit le radeau avec des chevilles et des pièces d’assemblage. Autant de cale un homme qui sait bien travailler donne à un large navire de charge, autant en fit Ulysse à son large radeau. Ayant dressé des gaillards, il les fabrique en les fixant avec de nombreuses poutrelles, puis il achève avec de grandes voliges ; il y met un mât et une vergue fixée à lui. En outre il se fit un gouvernail, jusqu’à ce qu’il soit aligné, puis il enserra le radeau avec des claies d’osier d’un bout à l’autre, pour le protéger des vagues, et il y versa beaucoup de bois. Alors Calypso, divine entre les déesses, lui apporta de la toile pour faire des voiles ; lui les fabriqua bien, elles aussi, à bord, il y attacha les drisses, les ralingues et les écoutes, et sur des rouleaux, il le tira vers la mer divine.
C’était le quatrième jour et tout était terminé pour lui. Le cinquième jour la divine Calypso le renvoya de l’île, l’ayant baigné et revêtu d’habits parfumés. A bord la déesse plaça une outre de vin noir, et une autre, plus grande, d’eau ; elle mit dans un sac de cuir des vivres, et elle y plaça pour lui beaucoup de friandises douces au cœur. Elle fit souffler un vent doux et inoffensif ; le divin Ulysse, joyeux, déploya ses voiles au vent.
Commentaire :
Une image épique du héros, qui reprend l’initiative, et montre l’extraordinaire habileté manuelle qui est l’une de ses qualités majeures (cf. le lit nuptial construit de ses mains). Quatre jours représentent évidemment une durée invraisemblable, épique. Il s’agit de faire l’éloge d’un savoir-faire, celui des navigateurs et des charpentiers de marine, ainsi glorifiés : le vocabulaire est donc très précis, technique, et les auditeurs devaient immédiatement se représenter de quelle embarcation il s’agissait.
Nous sommes naturellement moins armés pour comprendre le texte, qui nous échappe en grande partie. Il faut lire à ce sujet Le Périple d’Ulysse, de Jean Cuisenier, notamment les pages 341-347, très précieux pour des lecteurs qui ne seraient pas aussi des marins. On peut, dit-il s’interroger sur la σχεδίη : simple radeau de survie, comme celui de la Méduse, ou véritable petit navire, sur le modèle des cargos ? Assemblé par tenons et mortaises, ou par ligatures ? Enfin, le bois de construction embarqué est-il un lest destiné à équilibrer un radeau, ou pour lester un petit navire ?
Les auditeurs, princes ou commerçants bien informés, ou gens de mer, ne se posaient sûrement pas autant de questions : tous savaient comment on construit des embarcations de fortune avec les matériaux dont on dispose, selon le cas, chaloupe ou petit navire, ou simple radeau. Mais quoi qu’il en soit, ici, Homère rend hommage aux charpentiers de marine, aux côtés des guerriers. L’Odyssée n’a peut-être donc pas le même public que l’Iliade…
Enfin, c’est la dernière image que nous ayons de Calypso : une femme aimante et généreuse, qui, comprenant qu’elle ne pouvait retenir l’homme qu’elle aimait malgré lui (et malgré les Dieux), fait tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter son voyage. Discrète et efficace, elle lui fournit tout ce dont il a besoin, bois, outils, voiles. Elle remplit les cales du navire, non sans y ajouter une attention particulière – des douceurs ! Calypso est la dernière étape dans le monde « extra-humain » des monstres affrontés par Ulysse ; elle est aussi la première figure véritablement humaine qu’il rencontre sur sa route. Elle appartient à cette galerie de femmes séduisantes et touchantes, Andromaque dans l’Iliade, Nausicaa et Pénélope dans l’Odyssée, qui tranche avec le monde de brutes des héros – et qui en est trop souvent la victime !