Pseudo-Scymnos, « Circuit de la Terre » (vers 100 av. J.-C.)

Voir la géographie grecque.

Le texte du pseudo-Scymnos

Il s’agit d’un poème en trimètre iambiques dédié au roi de Bithynie Nicomède III Évergète (dont le règne dure de 127/6 à 94 av. J.-C.) entre 110 et 100 av. J.-C. Ce roi est un lettré, amateur d’art, qui entretient de bons rapports avec la Rome républicaine, et éprouve de la sympathie pour la dynastie des Attales, rois de Pergame, dont le dernier, Attale III, a légué après sa mort en 133 son royaume aux Romains. Nicomède prend la relève des Attalides pour la politique culturelle.

Il fut publié pour la première fois, à l’époque moderne, en 1600, à Augsbourg, en même temps que l’Épitomé de Marcien d’Héraclée, avec qui on l’a d’abord confondu. Quelques années plus tard, on l’attribua à Scymnos de Chios,  connu comme auteur d’une Périégésis – une attribution remise en question aujourd’hui, sans que l’on puisse définir exactement son identité.

Le Circuit de la Terre veut donner un tableau de l’ensemble de l’oikoumène, sous la forme d’un circuit (περίοδος) qui part des Colonnes d’Hercule, décrit toutes les colonies grecques de Méditerranée, et revient à son point de départ. Ses sources sont Ératosthène et Éphore de Kymè (Histoires). Celui-ci énonce trois nécessités pour le géographe :

  1. être θεατής, c’est-à-dire pratiquer « l’autopsie » au sens littéral : il faut avoir vu de ses propres yeux ;
  2. être ἵστωρ, c’est-à-dire enquêteur : il faut avoir enquêté sur les sources, y compris orales ;
  3. être ἐπεληλυθώς, que l’on peut traduire par « y être allé », « y avoir voyagé ».

Mais notre auteur préfère le savoir livresque, dans la lignée de la pensée historique alexandrine : Ératosthène, Aristarque ou Apollodore.

Pourquoi le trimètre iambique, un mètre destiné à la comédie ? Aristote, puis Ératosthène avaient contesté la valeur didactique de l’hexamètre dactylique, mètre par excellence de l’épopée et de la poésie savante ; le trimètre s’y substitue dès Apollodore, puis le pseudo Scymnos.

Il ne reste que 747 vers du Circuit de la Terre, et quelques fragments.

Prologue (v. 1-138)

Après la dédicace au Roi de Bithynie, Nicomède, notre auteur détaille son projet (v. 73-91) :

« ὥστε, βασιλεῦ, τὸν πάντα τῆς οἰκουμένης
ἔχειν σε περιορισμὸν ἐπιτετμημἐνον,

ποταμῶν τε μεγάλων ἰδιότητας καὶ ῥύσεις,          75
τὴν τῶν δύ’ ἠπείρων τε κατὰ μέρος θέσιν,
ἐν ἑκατέρᾳ τίνες εἰσὶν Ἑλλήνων πόλεις,
τίνες ἔκτισαν, κατὰ τίνας ᾤκησαν χρόνους, 
τοὺς ὁμοεθνεῖς ὀντας τε τούς τ’ αύτόχθονας,
τίν’ ἐστὶ πλησιόχωρα βαρβάρων γένη,                   80
τίνα μιγάδων λεγόμενα, ποῖα νομαδικά,
τίνες ἥμεροι, τίνες εἰσὶν ἀξενώτατοι
ἔθεσι, τρόποις <τ’> ἔργοις τε βαρβαρώτατοι,
τίνα τῶν ἐθνῶν μέγιστα πολυανδροῦντά τε,
τίσιν νόμοις ἕκαστα χρῆται καὶ βίοις,                     85
τῶν ἐμπορίων ὅσα τ’ ἐστὶν εὐτυχέστατα,
νήσων τε πασῶν τῶν πρὸς Εὐρώπην θέσιν,
ἐξῆς <τε> τῶν σύνεγγυς Ἀσίᾳ κειμένων, 
κτίσεις τε πόλεων τῶν ἐν αὐταῖς φερομένων,
ἁπλῶς θ’ ἀπάντων χωρίων διέξοδον                       90
καὶ τὴν ὅλην περίοδον ἐν ὀλίγοις στίχοις… »

« Afin que, Roi, tu aies la description complète, en abrégé, de la terre habitée, les propriétés et le cours des grands fleuves, la position des deux continents, et tour à tour, dans chacun quelles sont les cités des Grecs, qui les ont fondées, à quelles époques ils les ont habitées, ceux qui forment un même peuple, ceux qui sont autochtones, quelles sont les nations barbares situées dans le voisinage, celles que l’on dit mélangées, celles qui sont nomades, lesquelles sont civilisées, lesquelles sont les plus inhospitalières par leurs coutumes et les plus barbares par leur caractère et leurs actes, lesquelles des nations sont grandes et bien peuplées, de quelles lois et quels genres de vie usent chacune, tous les ports de commerce les plus prospères, la position de toutes les îles proches de l’Europe, puis de celles qui se trouvent dans le voisinage de l’Asie, les fondations des cités que l’on rapporte sur elles, en bref l’exposé de toutes les régions, et le circuit complet en quelques vers… »

  • ὁ πάντα περιορισμός, οῦ : la description complète
  • ἐπιτετμημένος, -η, -ον : participe parfait de  ἐπιτέμνω, « abréger » (c’est le même mot qui a donné ἐπιτομή)
  • ἡ θέσις, -εως : la position (géographique)
  • κατὰ μέρος : tour à tour
  • ὁμοεθνής, -ής, -ές : du même peuple
  • πλησιό·χωρος, ος, ον : situé dans le voisinage
  • μιγάς, -αδός : mêlé, mélangé
  • ἥμερος, -ος ou -α, -ον : doux, apprivoisé, civilisé
  • ἄξενος, ος, ον : inhospitalier, dangereux pour les navigateurs
  • πολυανδρέω -ῶ : être populeux
  • διέξοδος ου (ἡ) : description, exposé

Ce prologue énonce donc son programme : une énumération systématique des établissements grecs dans le monde méditerranéen. Il se focalisera sur la géographie humaine, même s’il ne s’interdit pas quelques indications sur les fleuves et la position des villes… Notons également qu’il ne parle que de « deux continents » : l’Europe et l’Asie. L’Afrique est donc totalement ignorée… Pourtant, elle figurait bien dans les œuvres d’Anaximandre et d’Hécatée, sans parler de périples comme celui d’Hannon…

Les sources (v. 109-127)

Notre anonyme a d’abord une connaissance livresque : il s’appuie sur des sources écrites, au premier rang desquelles figure Ératosthène de Cyrène ; puis Éphore, Denys de Chalcis, Démétrios de Kallatis, Cléon de Sicile et Timosthène, Callisthène, Timée de Tauroménion, et bien sûr Hérodote. Quelques vers manquent : sans doute citait-il également Théopompe et Hécatée d’Abdère.

L’Europe (v. 239-747)

L’auteur nous promettait « du plaisir de lecture » ; en réalité, force est de constater que le texte est à peu près aussi passionnant qu’un annuaire téléphonique. En effet, il décrit un trajet, partant de Gibraltar, passant par la Celtique (Espagne et Gaule) ; il parcourt ensuite la « mer de Sardaigne », l’Italie (y compris la Grande-Grèce), l’Adriatique et la côte dalmate, jusqu’en Thrace. Puis il s’attaque à la Grèce : c’est le passage le plus long, qui s’achève avec la Macédoine. C’est un parcours Ouest-Est, donc ; mais l’on serait en peine d’y trouver une description des lieux, des villes ou des coutumes locales, pas plus que la mention précise des distances, des reliefs (ce n’est donc pas l’équivalent écrit d’un atlas) ; tout au plus quelques allusions à des légendes de fondation ou religieuses.

Notons au passage que notre auteur mentionne Olbia (près de la plage de l’Almanarre, à Hyères) et Tauroention, qu’il nomme Tauroeis, au Brusc, près de Six-Fours :

« Εἶτεν μετὰ ταύτην Ταθρόεις κ;αὶ πλησίον
πόλις Ὀλβία κἀντίπολις αὐτῶν ἐσχάτη. »

Il s’agit donc d’une compilation de données, qui ne doit rien à une quelconque expérience personnelle – rien n’indique que le pseudo-Scymnos ait lui-même voyagé. Son principal mérite est donc de nous donner un aperçu des connaissances géographiques à la toute fin du IIe s. av. J.-C.

Les fragments

Outre les 747 vers conservés, il nous reste environ 34 fragments ; tous concernent les rivages du Pont, autrement dit la mer Noire. Là encore, l’auteur se concentre essentiellement sur les établissements grecs.

Bibliographie

  • Marcotte Didier, Géographes grecs, tome I : introduction générale ; Ps-Scymnos, Circuit de la Terre ; Paris, éditions Belles-Lettres, 2000, 310 p.