Introduction
La pièce date de 1636 (contemporaine du Cid) mais ne sera éditée qu’en 1639.
Les événements de l’époque :
- règne de Louis XIII et du Cardinal de Richelieu (1624-1642)
- en pleine période baroque
- en pleine guerre de trente ans
L’Illusion comique est une pièce très embrouillée.
- Un père, Pridamant, a perdu son fils, Clindor, chassé de la maison ; il cherche à le retrouver. Il s’adresse à un magicien, Alcandre, qui lui montre plusieurs épisodes :
- Clindor, devenu « agent » du soldat fanfaron Matamore, aime Isabelle que Matamore poursuit aussi. Le père d’Isabelle veut la marier à un 3ème prétendant, Adraste. Matamore est facilement évincé, mais à la suite d’un malentendu, Clindor se retrouve en prison. Isabelle et Lyse, sa servante, l’en font sortir.
- Clindor fait sa cour à Rosine, une princesse d’Angleterre ; Isabelle, sa femme, le surprend. Éraste intervient et tue Clindor.
- Désespoir de Pridamant qui croit Clindor mort… mais il l’aperçoit aussitôt après en train de compter de l’argent avec les autres : en réalité, il était devenu comédien, comme Isabelle et Éraste. Éloge du théâtre.
On a donc une structure « en abyme » :
Textes expliqués
Acte I, scène 1
Un portrait d’Alcandre
Portrait pris en charge par Dorante. Organisé en decrescendo : d’abord un être mystérieux, inquiétant, dangereux (v. 1-18) : noter le double champ lexical de la grandeur et de la nuit. L’atmosphère est la même que dans la « Solitude » de Saint-Amant.
Puis, un homme toujours puissant (noter la prétérition du v. 49 : « Je ne vous dirai point », et la série des figures : rimes intérieures, parallélisme, antithèse, anaphore. Effet de decrescendo : toute cette puissance se réduit finalement à un savoir.
Enfin, c’est un voisin complaisant (v. 69-78) ; et le portrait s’achève sur l’aspect physique, qui rappelle la figure traditionnelle de l’ermite ou du devin : maigreur presque surnaturelle, force hors du commun. Alcandre appartient à la tradition littéraire : c’est Merlin l’enchanteur.
Pridamant : une scène d’exposition.
Pridamant appartient, lui, au monde réel.
Noter les antithèses des vers 19-20, qui montrent son désarroi, ses contradictions.
Récit / et expression du sentiment : regret, culpabilité. « Dix ans » de recherche, à travers toute l’Europe : c’est une Odyssée qui nous est ici racontée.
Parallélisme : « je l’outrageais présent et je pleurai sa fuite » ; place des accents portant (v. 32) sur « injuste » et « juste ».
Autre rappel de l’Odyssée : la consultation des morts (v. 40) ; ce qui transforme Alcandre en devin, ou en sybille. Alcandre est le dernier recours, puisque les Enfers n’ont rien donné.
Après cette longue tirade, Pridamant ne prendra plus la parole que pour de brèves répliques, et des soupirs exprimant le désespoir. Oppositions (tristes jours / éternelle nuit, v. 68, cruel / doux, v. 79).
Le décor et les personnages
- On parle d’un personnage absent : effet d’attente qui rendra son entrée plus spectaculaire.
- Pas de didascalies, mais des indications dans le texte :
- lumières : opposition entre l’extérieur (où se trouvent Pridamant et Dorante) et l’intérieur (lieu d’Alcandre) : la grotte sera un lieu sombre / l’histoire de Clindor se jouera, elle, en pleine lumière
- opposition des personnages : Alcandre, grand et maigre.
Le monde familier de Dorante / le monde d’Alcandre
Dorante, ici maître de la parole (c’est lui qui sait, qui détient les informations sur Alcandre, qui a entraîné son ami), appartient au domaine de la comédie ou du roman galant. Breton, il s’est installé en Touraine (au cœur de la France, région sans mystère) ; il n’a consulté Alcandre que sur « ses amours », et a fini par se ranger : il a fait « une heureuse fin » (v. 71) : c’est l’homme du solide bon sens, l’ami sensé et raisonnable qui aura des descendants dans tous les Philinte, les Cléante… du théâtre de Molière.
Acte II, scène 2 : portrait de Matamore
Double portrait traditionnel
- le soldat (225-245 ; 313-316 ; 318-332)
- l’amoureux (245-252 ; 257-312)
→ alternance. (cf. V. 257-260 : « tour à tour ») - la poltronerie : fin de la scène.
Le délire verbal : toutes les formes de l’exagération
Clindor
Paraît soumis à son maître, mais en réalité le mène :
- déclenche d’un mot la paranoïa : « votre armée » ; complicité de Clindor avec le public : effet comique.
- parodie le style de Matamore : il entre dans la fable, relance le discours.
Fantaisie verbale, parodie et démystification du héros.
Discours sérieux (style épique de l’époque). Cf. Boileau célébrant Condé :
« Condé, dont le seul nom fait tomber les murailles
Force les escadrons et gagne les batailles »
Or, même période que le Cid !
- voc. Exotique
- voc. Héroïque
- voc. Précieux
Effets rythmiques
Importance du « je »
→ un souffle extraordinaire !
Mais… Décalage entre le dire et le faire : toute la force du personnage.
LES RÉÉCRITURES : Le Miles gloriosus de Plaute.
Acte III, scène 1 : un dialogue agonique.
Le thème, les thèses
1. Quel est l’enjeu de cet échange ? Signifie-t-il la même chose pour les deux protagonistes ? Citez les éléments lexicaux qui vous ont guidés.
La stratégie de Géronte
2. Observez les oppositions lexicales dans la 1ère réplique de Géronte ; que révèlent-elles sur ses arguments ?
3. Que traduisent le recours à l’impératif (v. 625) et aux interrogations (v. 633-634) quant à l’attitudes de Géronte ?
4. Comment ses arguments évoluent-ils dans les répliques suivantes ? Prend-il en compte la réponse de son interlocutrice ? Lorsque la discussion s’achève, Géronte a-t-il réussi à convaincre Isabelle ? S’agit-il alors d’une véritable situation d’argumentation ?
La stratégie d’Isabelle
5. Aux vers 635-637, quelles tactiques adopte Isabelle pour capter l’attention de Géronte ?
6. Dans la suite de cette tirade, quels sont ces arguments ? A quel domaine appartiennent-ils ? Pourquoi y recourt-elle ? En quoi a-t-elle parfaitement compris et contourné l’argument essentiel de son père ?
7. Observez les marques personnelles des vers 641-652 : comment qualifieriez-vous une telle énonciation ?
8. A l’aide de tous ces indices, comment qualifiez-vous l’attitude d’Isabelle ? Respecte-t-elle la situation de communication ?
Place de la scène dans l’action
9. Pouvons-nous deviner la suite ? Qu’est-ce qui, dans l’acte I, préfigure la suite de l’action ?
Tirade de Clindor, acte IV, scène 7
Explication linéaire :
Clindor, tombé dans une embuscade tendue par son rival Adraste, a tué celui-ci ; il est emprisonné et condamné à mort. Dans la scène qui précède immédiatement, le spectateur apprend que son amante Isabelle, aidée de Lyse et du Geôlier, s’apprête à le faire évader ; mais lui ne le sait pas… Il s’agit donc d’un dialogue lyrique, dans lequel le héros exprime ses angoisses et se souvient du bonheur passé.
Composition de la tirade :
- Le quatrain initial pose les termes de la contradiction, entre souvenir heureux et horreur présente ;
- 1er interlocuteur : « aimables souvenirs… » (1241-1253) : il trouve courage dans cette évocation, et une justification de son sort ; ce premier interlocuteur est relayé par « Isabelle » (1254-1256). Le bonheur semble l’emporter sur la crainte.
- Retour au « je », et à la lucidité (12571276) : révolte contre l’injustice dont il est victime, et l’horreur du supplice qui l’attend.
- De l’horreur à l’hallucination : 1277-1288 : pathétique évocation, au présent, du supplice ; Clindor est submergé par la peur.
- Retour au premier interlocuteur, « Isabelle » (v. 1289) : retour du courage et de la sérénité.
On assiste en somme à la métamorphose du héros : de personnage un peu falot, un peu terne qu’il était dans les premiers actes (un fils gâté, capricieux…), Clindor se transforme dans l’épreuve en un véritable héros, capable de surmonter sa peur. A ce moment, il devient digne d’Isabelle.
Problématique :
Montrer comment s’entremêlent les deux thèmes : les souvenirs heureux, le courage, la confiance en Isabelle, et la peur, l’horreur, pour que de ces deux thèmes entremêlés surgisse une figure héroïque.
Explication linéaire :
- V. 1237-1240 : « souvenirs » et « délices » à la césure et à la rime, comme « horreur » et « effroi » ; contraste des sonorités : [i] pour la douceur, [r] pour l’horreur. Composition en chiasme : les souvenirs encadrent l’horreur. Jeu des pronoms : apostrophe rhétorique aux « souvenirs », et v. 1240, « vous » et « moi » encadrent le vers.
- Evocation du bonheur (v. 1241-1253) : Jeu des impératifs : Clindor convoque ces souvenirs heureux en prévision de tourments à venir (futurs) ; reprise des mêmes mots : « figurez » ; il cherche aussi une justification à son sort : lexique de la faute (témérité, injuste, coupable, criminel, juste châtiment).
Retour de l’exclamation (1240-1253) ; changement d’interlocuteur, non plus les « souvenirs » abstraits et métonymiques, mais « Isabelle » elle-même. Bonheur de mourir d’amour, qui fait de lui un héros. Vocabulaire héroïque : « servie », « coups », « glorieux »… et sentence du v. 1256. Mais le v. 1255, très concret, prépare déjà la partie suivante. - Retour de l’horreur : v. 1257-1276. Nombreuses exclamations marquant la révolte, à l’évocation d’Adraste ; jeu sur le mot « glorieux » : ici, vaine gloire. Jeu sur les antithèses (v. 1262) pour marquer le caractère injuste et insolite de la situation ; jeu sur les hyperboles : « mille assassins ». Ironie funèbre : les rôles du bourreau et de la victime sont inversés : « meurtrier », « assassin », « perfidies », « déloyal »… La mort d’Adraste n’a pas apaisé Clindor. Nouveaux jeux sur les antithèses. Accusation double : Adraste d’abord, mais la société toute entière, victime de ses préjugés : Adraste, contrairement à Clindor, était noble…. A noter que dans cette partie, l’évocation d’Isabelle a totalement disparu.
- Passage insensible à l’hallucination, v. 1277-1288 : verbes au présent, verbes indiquant la vision. On passe d’une simple évocation (v. 1277-78, « je frémis ») à la vision, « je vois », et même à l’hallucination auditive : « on me lit », « j’entends » : paroxysme de la peur et de l’horreur, dans la description réaliste de l’exécution : le cérémonial (« honteux appareil »), les exécutants, la présence du public, friand de ce genre de spectacle…
- Enfin, une incantation libératrice, v. 1289 sqq. Passage du « vous » galant au « tu » passionné ; opposition entre « divins attraits » et « infâmes portraits » ; rythme haletant, marquant l’émotion. Clindor, dans cette retraite forcée qu’a été la prison, a compris le sérieux de l’existence, la force du lien amoureux par delà la mort, qu’il semble désormais accepter. Il a remporté une victoire sur la peur, donc sur lui-même. Il est passé du langage galant (« aimables délices ») au discours de la passion (« tu »), du courage physique (v. 1269) au courage moral (v. 1293-94).
Plan de commentaire :
- Une scène pathétique :
- Solitude de Clindor, qui ignore que son évasion est proche, et qui est réduit à se parler à lui-même ou à des interlocuteurs absents ;
- Les souffrances de l’emprisonnement et de l’angoisse, avec l’alternance de courage et de terreur ;
- L’évocation réaliste du supplice, qui torture par avance Clindor
- Une situation injuste et cruelle :
-
- Une victoire de l’injustice par-delà la mort
- Le rôle de la société : une parodie de justice
- La métamorphose du héros
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- De la galanterie à l’amour
- Du courage physique au courage moral
- La prison comme épreuve décisive