Scarron, Le Roman comique (1651-1660)

Les références seront données dans l’édition de Claudine Nedelec, Classiques Garnier Poche, 2011.

Biographie de Scarron
Bibliographie
Le sens du titre
La structure du roman
Un roman fantaisiste, les sources comiques du roman Les lieux :
La vie d'une troupe de théâtre Un roman réaliste Les histoires insérées La chronologie
L'art de la parole dans le Roman comique Comique et burlesque dans le Roman comique Les continuations Quelques textes expliqués

Biographie de Scarron (1610-1660)

Né en 1610 dans la noblesse de robe, fils de Paul Scarron, conseiller au Parlement de Paris à la cour de comptes, il entre dans les ordres en 1629. Il vit au Mans de 1632 à 1640, dans l'entourage de l'évêque Charles de Beaumanoir et fréquente les salons provinciaux. En 1638, à la suite d’une chute dans la Sarthe en plein carnaval, il est atteint d'une tuberculose osseuse qui le paralyse et le rend difforme.Il commence à écrire ses premières œuvres à partir de 1643. Son Recueil de quelques vers burlesques connut un très grand succès, et mit ce genre à la mode. Il publie ensuite Le Typhon (1644), première épopée burlesque, puis de 1648 à 1652 le Virgile travesti, parodie de l'Énéide.

Il rentre à Paris et en 1652, à 42 ans, il épouse une orpheline sans fortune âgée de seize ans et demi, Françoise d'Aubigné, petite fille d'Agrippa d'Aubigné et future Madame de Maintenon – probablement pour lui éviter le couvent, à quoi la condamnait son absence de fortune. Il ouvre un salon dans le quartier du Marais, qui sera bientôt couru par tous les familiers du Louvre, en particulier Mancini et le Maréchal d’Albret, Ménage et Sarasin. Écrivain de théâtre, il publie des comédies, le plus souvent imitées de modèles espagnols, Tirso de Molina ou Francisco de Rojas : Jodelet ou le Maître valet (1645), Don Japhet d'Arménie (1653), L'Écolier de Salamanque (1654), Le Marquis ridicule ou la comtesse faite à la hâte (1655), La Fausse Apparence (1657), Le Prince corsaire (1658).

Dans le même temps, il rédige le Roman comique : La première partie est publiée en 1651, la seconde en 1657. Scarron meurt avant d'avoir écrit la troisième.

Lui-même rappelle ses souffrances dans son épitaphe :

      Celui qui cy maintenant dort
      Fit plus de pitié que d'envie,
      Et souffrit mille fois la mort
      Avant que de perdre la vie.
      Passant, ne fais ici de bruit
      Garde bien que tu ne l'éveilles :
      Car voici la première nuit
      Que le pauvre Scarron sommeille

Bibliographie

La bibliographie sur Scarron, et plus particulièrement sur le Roman comique, est étonnamment légère. On peut citer néanmoins :

Le sens du titre

Que signifie « roman comique » ? A l’époque de Scarron, ce titre peut apparaître comme un oxymore ; en effet, le terme « roman » évoque un univers héroïque et sentimental, un registre élevé sinon sublime, des personnages idéalisés, le plus souvent de sang royal. Inversement, le mot « comique » signifie un monde de petites gens, ou du moins de gens ordinaires, à qui il arrive des péripéties et des mésaventures qui suscitent le rire. Le titre est donc polysémique.

Les sources du Roman comique

Il ne s’agit nullement pour nous de revenir à une quelconque "critique des sources", mais simplement de rappeler dans quel contexte littéraire est né le Roman comique.

  1. Le Roman comique, comme quelques années avant lui l’Histoire comique de Francion, ,est né d’un rejet : celui de la fausseté et de la monotonie des romans héroïques, aux héros et héroïnes trop parfaits, au décor stéréotypé.
  2. Il s'inscrit dans une tradition :
    1. Une tradition qui vient de l'Antiquité : au XVIIème siècle, on lit encore beaucoup Lucien, Apulée et Pétrone.
    2. Une tradition qui passe par les Fabliaux, Rabelais, et les conteurs du XVIème siècl, Bonaventure des Périers et tant d'autres.
    3. Une tradition qui s'est enrichie des romans picaresques espagnols, et de l'œuvre de Cervantès : le Don Quichotte, bien sûr, mais aussi les Nouvelles exemplaires

La structure du roman

Première partie (23 chapitres)

Deuxième partie : 20 chapitres

Une troisième partie ?

Scarron obtient en 1660 un privilège pour sa 3ème partie ; par ailleurs, il en donne la première phrase dans une lettre. Mais il ne semble pas avoir commencé autrement la rédaction... De nombreux auteurs, parfois anonymes, tenteront d'écrire la suite, sans jamais donner autre chose qu'une imitation poussive. On peut néanmoins imaginer ce qu'elle aurait pu être :

Une structure relativement régulière.

Dans les deux parties existantes, nous trouvons :

Ce que léon peut résumer dans le tableau suivant (Jean Serroy, op. cit. p. 468) :

Il y a donc une alternance régulière entre la narration directe – le Narrateur raconte ce qui arrive aux personnages, non sans intervenir à de nombreuses reprises ; c’est la part du burlesque – et la narration indirecte (un personnage raconte une histoire, ou ce qui lui est arrivé), et c’est la part du romanesque. L’on retrouve donc dans la structure du roman la dualité romanesque / burlesque, qui se traduit par la double incarnation de l’auteur : Le Destin / Ragotin.

L'ensemble de la 1ère et de la 2ème parties (jusqu'au chapitre 15 inclus) s'étend sur une huitaine de jours ; l'épilogue provisoire (chapitres 16-20 de la 2ème partie) dure une quinzaine de jours. En ce qui concerne la narration directe, on ne s’écarte jamais à plus de quelques lieues du Mans. (Voir la géographie du Roman comique). Cependant, comme il n’y a pas vraiment de héros central, plusieurs actions se déroulent en même temps dans des lieux différents, et l’on peut avoir l’impression d’une narration proliférante…

Quant aux récits des personnages, plus romanesques que la vie qu’ils mènent, ils donnent de la profondeur historique et géographique à l’ensemble, tout en ayant un rapport étroit avec ce qu’ils sont en train de vivre : ainsi, l’intervention du Destin pour sauver Mlle de l’Étoile des mains de Saldagne explique la haine dont celui-ci les poursuit encore, et le double enlèvement d’Angélique (suite à une méprise) et de Mlle de l’Étoile elle-même.

La géographie du Roman comique

Une géographie restreinte.

L’essentiel de la première partie se déroule au Mans, et plus particulièrement place des Halles, à l’Hôtellerie de la Biche –deux lieux bien réels, la place des Halles, aujourd’hui place de la République, étant le cœur marchand et populaire du Mans, au XVIIème siècle comme aujourd’hui. Quelques autres lieux sont mentionnés, tous faciles à repérer :

La seconde partie est beaucoup plus vague :

La Province / Paris : deux univers qui s’opposent et se complètent.

Une ouverture sur le monde.

Elle n’existe que par l’intermédiaire des récits, qu’il s’agisse de l’autobiographie des personnages, ou des nouvelles espagnoles.

Le réalisme du Roman comique

Un réalisme qui s’oppose aux romans « idéalistes ».

Dès l’incipit, Scarron se moque ouvertement des romans « idéalistes », pastorales ou romans héroïques, de leurs métaphores alambiquées, et de leurs héros trop parfaits. Par opposition à ce genre romanesque, il cherche à décrire le « vrai » :

Un réalisme qui ne s’interdit pas la fantaisie.

Le jeu sur l’illusion réaliste.

La vie d’une troupe de théâtre.

L’on a vu (voir le sens du titre) que Scarron, dans le Roman comique, voulait faire « le roman des comédiens » ; si le roman picaresque abonde de comédiens ambulants, c’est ici qu’il faut chercher une description exacte de la vie théâtrale en cette première moitié du 17ème siècle.

Une vie de travail

Peu nombreux, les comédiens doivent être aptes à jouer tous les rôles, même si chacun a son emploi attitré ; quand l’un d’eux vient à manquer, les autres peuvent le remplacer au pied levé, et La Rancune, vieux comédien expérimenté, est capable de jouer à lui seul une pièce entière (p. 52) ; même les valets peuvent être amenés à jouer, sans toujours comprendre ce qu’ils jouent (Léandre, qui « entendait assez ce qu’il disait, et avait de l’esprit », p. 67, fait figure d’exception.) La troupe que décrit Scarron est sérieuse et bien organisée, avec son décorateur, son poète, son portier…

Une situation précaire

Souvent confondus avec des Bohémiens (voir la mésaventure des parents de La Caverne, p. 200), ils suscitent la méfiance des autorités ; les femmes sont souvent considérées comme des prostituées et traitées en conséquence : L’Étoile et Angélique, sitôt arrivées à l’auberge, sont importunées par « les plus échauffés gaudelureaux de la ville » (p. 68) . Le métier continue d’être considéré comme infamant : le père de La Caverne est invité par son beau-père à quitter la troupe, et Léandre se voit offrir une belle somme par son oncle pour la même raison.

Une évolution positive

Cependant, Scarron s’attache à montrer une évolution : s’il existe encore des comédiens à la limite du mauvais garçon, ce sont des gens qui, comme La Rancune, appartiennent à une époque révolue. Le répertoire a changé ; désormais, la comédie peut à la fois divertir et instruire (p. 227), et Louis XIII a reconnu son utilité dans l’ordonnance du 16 avril 1641 : « Nous voulons que leur exercice qui peut innocemment divertir nos peuples de diverses occupations mauvaises ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudice à leur réputation dans le domaine public », disait-il des comédiens.

Par ailleurs, la farce tend à disparaître au profit de comédies plus profondes : la troupe du Destin joue… Don Japhet d’Arménie, de Scarron, Marianne, de Tristan, Nicomède de Corneille…

La narration indirecte dans le Roman comique.

Les Récits des personnages

  1. Ils introduisent du romanesque dans une histoire burlesque : Le Destin, Léonore-Mlle de l’Étoile, Léandre, Angélique, La Caverne sont tout autres que ce que leur vie présente annonce : tous sont de bonne naissance, sinon de naissance noble ; leur caractère n’a plus rien de prosaïque, et ils peuvent se révéler héroïques, comme Le Destin sauvant Léonore des griffes d’un brutal ; tous étaient promis à un destin plus brillant, et ont connu de multiples aventures…
  2. Ils donnent une ouverture temporelle (anamnèses) et géographique au roman : Léonore et le Destin se sont rencontrés en Italie, La Caverne a voyagé jusqu’en Hollande…
  3. Ils approfondissent les caractères : Le Destin n’est pas seulement ce mauvais garçon mal habillé qui vit de rapine, présenté dans l’incipit ; il peut se montrer sensible et héroïque ; de même, la Caverne, qui n’est plus qu’une femme assez âgée qui ne joue plus que des rôles secondaires dans la troupe, a eu une vie mouvementée et passionnée…
  4. Enfin, ils réintroduisent le principe du « roman à devisants » : les autres personnages les écoutent avec le plus grand intérêt, tandis qu’eux-mêmes ménagent le suspens… au point, comme La Caverne, de ne pouvoir aller jusqu’au bout de son récit !

Les Nouvelles espagnoles

Plus encore que les récits des personnages, les Nouvelles font contrepoint au récit comique : elles introduisent le romanesque et l’exotisme – d’autant plus qu’elles interviennent dans un contexte trivial et comique. Mais elles jouent aussi un rôle d’écho, lorsqu’elles reproduisent, sur un mode romanesque et exotique, les aventures des personnages :

Alors que Mlle de l’Étoile, dans le récit, semble un personnage purement romanesque, les héroïnes des « Nouvelles » sont des femmes de chair et d’action, au tempérament bien trempé, qui prennent leur destin en main.

L’art de la parole dans le Roman comique.

Dialogues et répliques : l’art des personnages

La plupart des personnages sont des acteurs : on peut donc s’attendre à ce qu’ils manient avec la plus grande dextérité l’art de la parole. Répliques percutantes, bons mots…

Des personnages conteurs, ou le « roman à devisants »

Plusieurs personnages se font conteurs, de « nouvelles espagnoles » : Ragotin, Inezilla, M. de la Garouffière. On trouve alors la structure du « roman à devisants », célèbre depuis Boccace, Marguerite de Navarre, ou encore Cervantès. Ces nouvelles font contrepoint au récit-cadre.

Par ailleurs, certains personnages racontent leur propre histoire : La Caverne, Le Destin, Léandre.

L’art du Narrateur.

Nombreuses marques d’oralité,qui font de ce roman un conte :

Le comique et le burlesque dans le Roman comique

L’utilisation du bestiaire

On compte un bestiaire très développé dans le Roman comique : plus de 120 mentions d’animaux différents :

Tous ces animaux appartiennent au monde familier des paysans : animaux domestiques (le cheval, le chien en premier lieu) et sauvage ; peu d’animaux exotiques, tels que le singe (devenu un animal de compagnie : voir par exemple le Page disgracié). Deux exceptions : le lion (cité 6 fois) et la tigresse (2 fois), toujours dans des comparaisons un peu ridicules (p. ex. p. 93 : voulant rendre Ragotin amoureux de l’Étoile, La Rancune lui dit que «Mademoiselle de l’Étoile est une tigresse et son frère Destin un lion »).

Tantôt ils font partie de l’histoire, intervenant pour mettre en difficulté ou effrayer les personnages, comme le cheval rétif qui ridiculise Ragotin, ou le bélier qui l’attaque dans la dernière scène ; tantôt ils servent à animaliser les hommes, comme La Rancune, devenu dans l’incipit une « grosse tortue » parce qu’il porte sa viole sur son dos… Dans une bagarre, l’hôtesse mord Le Destin comme un chien (p. 578) ; les comparaisons font de Ragotin un « taureau » ou un « chien qu’on fouette » : les hommes y perdent figurent humaine !

La fantaisie verbale

Le burlesque

Les continuations du Roman comique.

Devant le succès de son livre, Scarron avait obtenu, le 24 mai 1660, le privilège pour sa 3ème partie ; mais il mourut le 7 octobre de la même année. Des continuateurs se mirent aussitôt l’œuvre, pour offrir au public la suite manquante.

1664 : la suite d’Offray

Elle est probablement l’œuvre d’un écrivain habitant Alençon, car l’histoire se déplace dans ces environs. Il s’agit essentiellement d’une histoire comique, centrée autour du personnage de Ragotin. Les autres personnages voient leur sort réglé au plus vite : le père de Léandre meurt, ce qui permet au jeune homme d’épouser Angélique ; Le Destin épouse Léonore ; l’Opérateur, sa femme, La Rancune et La Rappinière s’en vont, et Saldagne meurt dans une dernière embuscade : le sort de tous les autres personnages est donc scellé, aussi conventionnellement et platement que possible.

Il s’agit donc d’une histoire purement divertissante, à la manière de Du Souhait plus que de Scarron ! Ragotin enchaîne mécaniquement les mésaventures, jusqu’à périr noyé. Il arrive même que l’auteur anonyme répète tout simplement une scène déjà écrite dans le Roman comique.

La seule originalité de cette suite consiste dans l’histoire du prieur de Saint-Louis, personnage nouveau qui marie Angélique et Léandre, ainsi que Le Destin et l’Étoile ; mais il raconte également sa propre histoire, qui est celle d’un aventurier de type nouveau : un personnage complexe, intégré dans son époque (il participe aux guerres du temps), qui annonce déjà le roman du XVIIIème siècle.

1679 : la suite de Préchac

Romancier fécond contemporain de Mme de La Fayette, Préchac, en s’attaquant à son tour au Roman comique, est contraint d’offrir à son public quelque chose de plus nouveau : il veut associer le comique et le galant, un mélange dont il est familier. C’est pourquoi il met sur le devant de la scène deux personnages secondaires du Roman comique, l’Opérateur et sa femme Inezilla. Celle-ci raconte sa propre histoire, particulièrement aventureuse : fille d’un noble, promise au couvent, persécutée par l’Inquisition, deux fois mariée, elle est une héroïne énergique et tenace ; quant à l’Opérateur, il est moins un charlatan de foire qu’un alchimiste versé dans l’art du poison, exact contemporain de la Voisin… Tantôt complice facétieux de La Rancune, tantôt personnage romanesque, l’Opérateur présente un double visage, comme la suite elle-même, entre le romanesque et le comique.

Les autres personnages, La Caverne, Léandre et Angélique, et même Le Destin et l’Étoile, sont pratiquement abandonnés ou n’ont plus que de brèves apparitions.

Plus qu’une continuation, la Suite de Préchac se présente donc comme une variation sur le Roman comique.

1684 : Ragotin ou le Roman comique, de Champmeslé et La Fontaine.

Cette fois il ne s’agit plus d’un roman, mais d’une comédie, écrite en collaboration par Champmeslé et La Fontaine – la part de ce dernier étant probablement des plus restreintes. Les rôles sont redistribués : Le Destin se révèle frère de l’Étoile, et tombe amoureux d’une fille de La Baguenaudière ! Mais l’intrigue sert surtout à reprendre les scènes comiques du roman, en particulier les mésaventures de Ragotin. Et la troupe joue même une pièce burlesque, qui occupe tout l’acte IV !

1776 : la suite de MDL

19ème siècle : la suite de Louis Barré