CICÉRON, De
Amicitia (44 av. J-C)
INTRODUCTION
:
Cicéron passe, surtout dans ses ouvrages
philosophiques, pour un maître d'humanisme et d'humanité. Les deux dialogues
de l'année 44, le De Senectute et le De Amicitia, ont une
portée philosophique, historique, artistique et littéraire ; et tous deux sont
unis par la réflexion de Cicéron sur son propre personnage, la présence de sa
vie et de son engagement.
Dans le De Officiis, Cicéron affirme
que pour obéir aux exigences de la convenance (temperantia), un homme doit se
soucier de son personnage dans le théâtre politique ; du reste, en latin,
"persona" désigne à la fois la personne et le personnage.
Cato Maior De Senectute et Laelius
De Amicitia sont des titres concrets ; les deux dialogues sont construits
autour de personnages, Caton et Laelius, qui se combinent et se présentent
comme des modèles ; les deux livres sont des "Essais" au sens où
Montaigne l'entendait, où il s'agit de "faire l'homme", de mener une
réflexion générale sur l'humanité ; cf. De Officiis : tout homme doit
être universellement homme. Et en même temps, il s'agit d'une étude
individuelle (la persona)
En 44, Cicéron a 62 ans : il écrit sur la
vieillesse quand il l'éprouve, et sur l'amitié au moment où, au risque de sa
vie, il refuse celle que lui propose Marc-Antoine.
Les circonstances
historiques sont tragiques : César, qui exerce la dictature depuis
sa victoire de Pharsale en 48, est assassiné aux Ides de Mars 44 : durant les
trois mois suivants, Cicéron est partagé entre angoisse et satisfaction ; les
meurtriers de César se montrent incapables d'exploiter le crime, et les
héritiers de César, Marc-Antoine et le tout jeune Octave (il n'a que 17 ans),
commencent les vengeances. Brutus quitte Rome pour préparer la guerre civile ;
Cicéron, qui s'est replié loin de Rome, songe à obtenir une légation en
Grèce et à assister aux Jeux Olympiques. En juin-juillet, il se livre à des
tractations avec Octave, et parvient à faire passer celui-ci du côté du
Sénat, contre Antoine. Il commence à écrire ses Philippiques... Mal
lui en prend, car dès le début 43, Octave se réconcilie avec Antoine et forme
avec lui le second triumvirat.
Même s'il est difficile de situer
précisément les deux dialogues, ils sont de l'année 44, peu après la mort de
César pour le De Senectute, et vers novembre pour le De Amicitia.
Le De
Amicitia :
Ce dialogue se penche sur la double
signification des amitiés : utilitaires ou politiques / sentimentales ou
passionnelles. Atticus ici, le grand ami de Cicéron, dédicataire du
dialogue, est ici au second plan ; c'est un ami épicurien réfugié au Jardin,
qui offre la tentation de choisir l'ami contre la Cité. Il y a beaucoup
d'épicuriens autour de César : c'est le choix de l'amitié utilitaire ou
politique.
Cicéron fait une réponse complexe : il veut
que l'amitié soit politique, mais non partisane ni utilitaire. En effet, selon
l'idéal platonicien, auquel souscrit Cicéron, la Citeé ne peut exister en
dehors de la sagesse. Si on moralise les deux notions, ciuis = amicus. Le
De Officiis, qui critique la violence en politique, relie lui aussi "amicus"
et "honestus" ; l'amitié n'est pas une chose privée, elle est
toujours liée aux exigences universelles de la vertu. L'amitié a donc un
caractère universel et absolu : mais une telle amitié existe-t-elle ? Et le De
Amicitia n'est-il pas un traité contre les amitiés vulgaires ? Le
problème est posé dans l'introduction.
Selon la solution stoïcienne, le Sage est
toujours l'ami du sage ; mais Cicéron n'est pas stoïcien, et ceux-ci ne savent
pas eux-mêmes s'il a jamais existé un Sage. Pour Cicéron, il faut viser la
perfection tout en gardant le réalisme, d'où une certaine ambiguïté.
L'amitié suppose une exigence totale, mais elle peut s'exercer comme imitation
dans la vie réelle. Elle est le fait des "boni", non des "optimi",
et elle est l'une des principales expériences de la vie morale. Cela implique
que l'on sache rompre des amitiés, que l'on applique aussi les exigences de
celle-ci : renoncement à soi-même, "communisme" de l'amitié.
"Aimer, c'est avoir quelqu'un pour qui mourir", dira Sénèque (Luc;
IX). L'amitié suppose un désintéressement infini : cf. Oreste et Pylade.
Les sources
philosophiques :
On trouve dans le textes quelques allusions à
Ariston de Chios ou à Théophraste ; mais en réalité, Cicéron s'inspire de
plusieurs auteurs grec, à l'intérieur de sa propre problématique.
La tradition :
- Pythagore : tout est commun entre amis,
l'amitié est "unité distributive".
- Platon : cf. Banquet, Phèdre, ou Lysis
: l'amitié consiste à chercher ensemble l'idéal.
- Aristote, dans l' Ethique à Nicomaque,
VII-VIII, met en rapport morale et sociologie, et insiste sur la
convenance sociale : amitié et richesse, amitié entre âges différents
etc. Par ailleurs, selon Aristote, il existe trois catégories de Biens :
les biens spirituels (vertu), les biens corporels et les biens
extérieurs, richesse, amitié... Or pour la plénitude du bonheur, les
trois sont indispensables, car l'homme est un animal politique. D'où le
double problème des rapports entre amitié et vie sociale, et entre amitié
et vie politique.
- Les Épicuriens écartent la cité,
insistent sur le rôle des corps : l'amitié est liée aux biens charnels et
s'oppose à la politique.
- Les Stoïciens reprennent la tradition
d'Empédocle : l'amitié, φίλια
universelle est le moyen d'établir l'harmonie du monde. Les Stoïciens
opposent Éros et Philia (Amor et Caritas)
Cicéron
fait donc la synthèse de toutes ces sources, surtout Platon, Aristote et les
Stoïciens - Platon étant le seul philosophe qu'il ne critique jamais.
Style
et composition :
- La
nature du dialogue :
- Aspect
socratique : interrogation ironique.
- Dialogue
aristotélicien : les dialogues d'Héraclide du Pont sont perdus
pour nous, mais étaient connus de Cicéron. A Socrate se substituaient
soit lui-même, soit des personnages historiques, des hommes d'État
(car la philosophie est logos politicos). Cicéron se rattache
plutôt à ce second genre : son dialogue se veut le discours de LA
Ville (Rome).
- Dialogue
académique, "in utramque partem" : quand une question est
douteuse, on traite les deux thèses opposées... et on maintient le
doute. Il s'agit d'un discours suivi, tenu par un philosophe ou un
anonyme. Cf. les Conférences de Carnéade ("la loi est-elle
naturelle ou de convention ?").
- La
diatribe : discours familier, conversation, genre pratiqué surtout
par les Cyniques, philosophes populaires. Cf. Épictète et les
Stoïciens, inspirés par le Cynisme. Ce genre convient davantage à la
personnalité de Caton, et donc au De Senectute.
Cicéron
choisit une voie originale, en gardant des aspects de chaque genre :
portraits historiques, anecdotes diverses, technique de l'exemplum
appartiennent au genre de la diatribe ; la démonstration in utramque partem
appartient au dialogue platonicien.
- Composition
du De Amicitia :
Le
plan semble annoncé au § 16 : "quid sentias, qualem existumes, quae
praecepta des."
- Quid
: § 18-24 : réflexion sur la définition.
- Qualem
: § 25-44. L'amitié doit-elle être recherchée "per se" ou
"utilitatis causa"?
- Quae
praecepta : § 45-61, nombre et degrés des amis ; § 62-85,
problème du commencement et de la fin des amitiés.
- Conclusion
:
- §
86-87 : tous les philosophes s'accordent sur la grandeur de l'amitié
;
- §
88-100 : problème de l'adulation, de la vérité dans l'amitié.
Il
est important que cela se termine ainsi : refus de l'impassibilité.
L'amitié est l'un des biens qui éloigne de la tranquillité, de
l'ataraxie.
- Le
style
du De Amicitia :
- Rhétorique
philosophique de la persuation : diatribe ;
- Sans
violence : esthétique de l'atticisme, classique chez Laelius (plus
archaïsant chez Caton) : langage de la philosophie-sermon imité de
Platon.
BIBLIOGRAPHIE
:
- Platon, Lysis, Belle-Lettres,
collection "classiques en poche", 6 € ;
- Platon, Le Banquet
- Aristote, Ethique à Nicomaque,
livres VIII et IX
- Cicéron, De Senectute (ce dialogue
date de la même année, et forme un tout avec le De Amicitia)
- Cicéron, De Officiis
- Montaigne, Essais, "De
l'amitié"
ÉTUDE DU
TEXTE
Prologue : I,
1-5
§ 1
-
Quintus Mucius augur : il
s'agit de Scaeuola, consul en 117, qui se signala dans les guerres contre
les Dalmates, les Marses et surtout pour sa science de jurisconsulte. Il
avait épousé l'une des deux filles de Laelius.
-
Caius Laelius : consul en 140
et ami du second Scipion l'Africain, comme son père du premier, il était
amateur de philosophie grecque.
-
eram deductus : les
jeunes gens destinés à la vie publique étaient confiés à quelques
grands personnages. Cicéron jouera un peu ce rôle auprès de Caelius : cf.
Pro Caelio.
-
discedere : se
séparer de
-
me contuli : je
m'attachai à
-
alias : une autre fois
§ 2
-
memini eum <dicere>
saepe multa... parmi beaucoup de conversation, je me rappelle...
-
hemicyclium : enceinte 1/2
circulaire, assez large pour contenir plusieurs personnes assises pour
converser. Les Anciens élevaient des constructions de ce genre dans leurs
parcs d'agrément.
-
P. Sulpicius : après avoir
été pro-patricien, il change de camp lors de son tribunat de 88 ; il fait
alors charger Marius de la guerre contre Mithridate. Sylla le fit tuer.
§ 3
-
C. Fannius : élève de
Panétius, historien et orateur.
-
Mors Africani : 129 av. J-C.
-
arbitratu meo : à ma façon
§ 4
-
agere cum aliquo : ici, faire
des instances auprès de quelqu'un
-
accipere : mot propre pour
désigner une connaissance acquise par tradition.
-
homo uetus : homme de
l'ancien temps, personnage historique
-
afficior : je suis affecté ;
ici, "j'ai l'impression"
§ 5
Entretien préliminaire
(II, 6 - IV, 15)
Scipion l'Africain
§
6
§
7
-
studio
et doctrina : par le travail et la science
-
proximis
Nonis : aux dernières Nones (quand les Augures se réunissent hors de Rome
pour prendre les Auspices)
-
obire
diem : être présent au jour fixé
-
obire
munus : s'acquitter d'un travail, d'un devoir.
§
8
§
9
-
tribuere + adv. ou + omnia,
multa : faire cas, estimer, admirer
-
non agnosco : je ne le
reconnais pas
-
Paul-Emile
a perdu ses deux fils, âgés de 14 et 12 ans, l'un cinq jours avant,
l'autre trois jours après son triomphe, en 167 av. J-C ; Caius Sulpicius
Galus était ami de Paul-Emile, et fut consul en 166 ; on ignore quand il
perdit son fils. Marcus Porcius Caton, fils de Caton le censeur et de
sa première femme Licinia et gendre de Paul-Emile, dont il était aussi le
lieutenant contre Persée, mourut en 152 ou 151, après son élection à la
prêture, ou pendant sa charge, à l'âge de 40 ans.
§
10
§
11
-
cum
illo actum esse praeclare : le sort a bien traité Scipion
-
continuo
adulescens : dès qu'il parvint à l'adolescence
-
ante
tempus : à 36 ans (en 147), alors qu'il en fallait 43.
-
duabus
urbibus euersis : Carthage, détruite en 145 et Numance en 133.
§
12
-
Quo
de genere mortis... Scipion Emilien, mortel ennemi des Gracques, fut trouvé
un matin mort dans son lit, avec, dit-on, des traces de violence sur la
tête : fut-il empoisonné par sa femme ? Étranglé par des
partisans de Caius Gracchus ? Pour éviter des troubles, on présenta sa
mort comme naturelle...
§
13
-
Les
partisans de la mortalité de l'âme sont les Épicuriens ;
cf. Lucrèce, dont Cicéron fut l'éditeur.
-
eorum
qui in hac terra fuerunt : les Pythagoriciens établis en Grande-Grèce
-
expeditissimus,
a, um : le plus rapide ou le plus facile.
§
14
-
praesagire
: avoir la vue de l'avenir. Cicéron définit lui-même ce mot : "futura
ante sentire" ; pressentiment qui provient de la sagacité et non d'une
quelconque inspiration divine.
-
extremum
fere : presque la fin... Cf. De Re Publica, VI, "le songe de
Scipion"
-
interitus,
us : la mort
§
15
-
tria
aut quattuor paria amicorum : Thésée et Pirithoüs, Achille et Patrocle,
Oreste et Pylade, Damon et Phintias. [Damon
et Phintias étaient deux philosophes pythagoriciens vivant à Syracuse sous
l'un des tyran Denys ; Phintias fut condamné à mort et obtint quelques
jours de délai pour régler ses affaires ; Damon se porta garant. Comme
Phintias ne revenait pas, Damon fut mené au lieu d'exécution ; Phintias
arriva alors in extremis, et tous deux se livrèrent à un combat à
qui voulait mourir pour l'autre. Ému, le tyran finit par les gracier.]
Exposé de
Laelius (IV, 16 - XXVII, 104)
Introduction,
§ 16-17
§ 16
- quid sentias, qualem existumes,
quae praecepta des : annonce d'un plan (définition, nature de l'amitié,
préceptes). Voir la composition du De
Amicitia.
§ 17
- L'habitude de ces discussions
philosophiques fut introduite par Carnéade (219-129) philosophe de la
Nouvelle Académie qui fit une ambassade à Rome en 156.
- quamuis subito : bien que sans
préparation
- qui ista profitentur : ceux qui
font profession de ces exercices.
Définition
de l'amitié, § 18-24
§ 18
- ad uiuum reseco : je taille dans
le vif = je prends ces mots à la rigueur.
- ad communem utilitatem : pour
l'usage ordinaire
- interpretari : définir. Il s'agit
d'une attaque contre les Stoïciens.
- Caius Fabricius Luscinus fut
l'adversaire loyal de Pyrrhus ; Manius Curius Dentatus, consul en 290,
vainquit les Samnites et Pyrrhus ; Tiberius Coruncanius, ami du précédent,
consul en 281, fut le premier plébéien grand Pontife.
§ 19
- pingui Minerua : avec une
intelligence (Minerua) épaisse = avec un gros bon sens.
- cupiditas : avidité
- libido : mépris pour toute
règle, dérèglement des mœurs, caprice et corruption
- audacia : caractère des hommes
résolus à tout, qui ne reculent devant rien : "têtes brûlées,
casse-cou" ; p. ex : Catilina.
- potior : préférable (cf. potius
quam...)
- Amicitia = à la fois amitié, et
affection, puissance d'aimer, φιλία
. Cicéron passe souvent sans prévenir d'une acception à l'autre.
§
20
- Théorie
de l'origine de l'amitié : d'une bienveillance donnée à tous les hommes,
à une affection forte, née de la "contraction" sur quelques uns
: l'amitié tient sa force de sa condensation.
- caducus,
a, um : fragile ("qui tombe")
§
21
- metiamur
< metior, metīrī, mensus sum : mesurer
§
22
- opportunitates
: avantages
- "uita
uitalis" = traduction de βίος
βίωτος ; cf. Éthique
à Nicomaque VIII, 1 et IX, 11.
- expetere
: convoiter
- opes
: tous les moyens d'action, d'influence : richesses, talent, situation.
- fungor
muneribus corporis : s'acquitter des nécessités naturelles, disposer de
tous ses moyens physiques.
- pluribus
locis : en plus d'occasions
- partiri
: partager
- communicare
: prendre une part.
§
23
- tum
illā
(commoditate) nimirum praestat (amicitia) omnibus (commoditatibus)
- Fin
du § : l'amitié comme lien social ; πολιτικὴ
δὲ φιλία
φαίνεται ἡ ὁμόνοια
(Éthique
à Nicomaque,
IX, 6).
§
24
- Agrigentinus
uir : il s'agit d'Empédocle (495-435). Les deux
principes qui régissent le monde sont pour lui φιλότης
et νείκος (amicitiam / discordiam,
attraction / répulsion, amour / haine)
- Marcus
Pacuuius : auteur tragique né à Brindisi en 219, ami de Laelius et de
Scipion ; la scène à laquelle Cicéron fait allusion est tirée de l'Oreste.
Cf. De Finibus II, 24, 79.
- hactenus...
"voilà, je crois, tout ce que je pourrais vous dire". Quaeritote,
impératif futur, est parallèle à la fin de l'introduction, § 17.
La nature
de l'amitié, § 25-44 :
§ 25
- aliud quoddam filum orationis tuae : ton
discours est d'une autre étoffe. (filum : fil, tissu. Au sens figuré :
manière de former une œuvre).
- patronus : avocat
Paragraphe de transition, destiné à rendre
plus vivant l'exposé. Fannius et Scaevola font assaut d'amabilité.
§ 26 - Origine de l'amitié : une
inclination sentimentale.
- Vim... afferre : c'est me faire violence
- studia, orum : désir, demandes empressées
- coluntur et obseruantur : sont entourés
d'honneurs et d'hommages
- temporis causa : à cause des
circonstances.
§ 27 - Confirmation
- applicatio animi : un attachement du cœur
- nacti sumus < nanciscor : rencontrer
§ 28
- Spurus Cassius Vecellinus proposa en 267 la
première loi agraire ; les patriciens le firent précipiter de la Roche
Tarpéienne. Spurus Manlius avait été tué pour des raisons analogues,
bien avant, en plein forum,par Seruitius Ahala (315). Les Optimates les
accusaient de souhaiter la royauté et s'appliquèrent à salir leur
mémoire.
§ 29 - Réfutation
- ut sit per quem... afin qu'il y ait
quelqu'un pour qui...
- minimum esse in se : qu'il a le moins de
ressource
- L'amitié n'est donc pas née de
l'indigence et du manque. Critique de Platon, qui dans le Banquet, affirme
que l'amour est fils de Poros (Expédient) et Pénia (Misère) ?
§ 30 - 31
- exigere gratiam : faire des rentrées de
fonds
- feneror, aris, atus sum : prêter à usure
§ 32
- ab his (neutre)... longe dissentiunt : ils
sont très éloignés de ce sentiment. Nouvelle attaque contre les Épicuriens.
- nisi quid ad haec forte uultis :
à moins que nous ne vouliez y ajouter quelque chose.
§ 33-34-35 - Conservation de
l'amitié.
- quamquam : malgré ce que je viens
de dire
- ut non idem expediret : qu'on
n'eût pas les mêmes intérêts
- aetate ingrauescente : avec les
progrès de l'âge. Ingrauescere ne marque pas ici le poids croissant
des années, mais la maturité, le développement, dans le sens de crescere.
- uxoriae condicio, onis : un parti,
un mariage
§ 36-37-38 - les limites de
l'amitié.
- si placet = εἰ
δοκεῖ
- quatenus
: jusqu'à quel point, à quel degré
- numne
: formule interrogative peu usitée
- Caius
Blossius était un philosophe stoïcien, originaire de Cumes ; il influença
Tibérius Gracchus. Quand les consuls Publius Popillius Laenas et Publius
Rupilius, amis de Scipions, furent chargés en 132 d'enquêter sur la
sédition de Tibérius Gracchus, Blossius se réfugia auprès d'Aristonicos,
qui disputait à Rome l'héritage d'Attale et qui était soutenu et inspiré
par les Stoïciens ; il se suicida en 129 lors de la prise de Pergame.
On voit la haine virulente de Cicéron, et des Optimates en général,
contre tous ceux qui ont voulu, par une réforme agraire, corriger
l'accaparement des terres par une poignée de grandes familles ; on peut
penser cependant, que s'ils ne s'étaient pas crispés sur leurs privilèges
comme une vulgaire junte birmane, notamment face au relativement modéré
Tibérius Gracchus, la République ne se serait pas effondrée dans des
flots de sang, quelques décennies plus tard...
§
39
- Quintus
Emilius Papus fut consul en 282 et 278, censeur en 275. Luscinus, Curius et
Coruncanius sont cités § 28. Les autres personnages
qu'on leur oppose (C. Carbo, C. Cato et C. Gracchus) furent amis et
partisans de Tiberius Gracchus. L'attaque contre les Gracques (et les
populares en général) se poursuit : le De Amicitia n'est pas seulement un
dialogue philosophique, mais aussi un texte politique, pour ne pas dire un
texte de combat.
§ 40 - digression : la responsabilité
politique.
-
eo loco locati sumus : nous en sommes venus à ce point
§
41
- serpit
deinde res : le mal depuis lors ne fait que gagner
- in
tabella : à propos du vote
- labes
: ruine, écroulement
§
42
- quorsum
haec ? Dans quel but ce discours ?
- socii
: associé. Le terme indique que Cicéron parle ici d' "amitiés
politiques", c'est à dire d'alliances tactiques.
§
43-44 - Conclusion : la loi de l'amitié.
§
43
- quod
quidem, ut res ire coepit, haud scio an aliquando futurum sit : "ce qui
assurément, au train où vont les choses, arrivera je ne sais quand".
Allusion non à l'actualité de Laelius, mais à celle de Cicéron. Est-ce
Marc-Antoine qui est visé ?
"Quae
praecepta" I : nombre et degrés des amis ;
XIII, 45 - XVII, 61
§ 45
- "partim"... Cicéron attaque ici
aussi bien les Épicuriens que les Stoïciens, qui cherchent la
tranquillité de l'âme ou l'ataraxie au détriment de l'amitié.
§ 46
- breuiter paulo ante perstrinxi : j'ai
effleuré en peu de mots un peu avant. (cf. § 26 et 29-32)
§ 47
- neque enim est consentaneum : c'est en
effet une inconséquence
- énumération de vertus et de vices en un
chiasme : bonitas / malitia, temperantia / libido, ignauia / fortitudo (1er
chiasme) ; iniusti / iusti, imbelles / fortes, flagitiosi / modesti. Elle
commence et s'achève donc par la vertu, et reprend le "canon" de
la morale antique (courage, tempérance, justice).
§ 48
- funditus (adv.) : radicalement, de fond en
comble
§ 49
- red-amare : aimer en retour (ἀντιφιλεῖν)
- uicissitudo,
dinis : échange, réciprocité
§
50
- illicio,
is, ere, lexi, lectum : tenter, séduire, charmer
- adscisco
= ascisco, is, ere, sciui, scitum : appeler à soi
- immunis
: dédaigneuse du devoir
§
51-52-53-54
- homines
deliciis diffluentes : des hommes amollis par les plaisirs. Est-il bien sûr
qu'il s'agisse des Épicuriens ? En ce cas, ou bien l'attaque serait
malhonnête, ou bien il s'agirait d'Épicuriens bien loin de l'enseignement
du Maître !...
§
55
- suppellex,
supellectilis, fem. : vaisselle, mobilier
- sed
haec hactenus : mais assez, c'est tout. Conclusion un peu abrupte ! Laelius,
après avoir fait l'éloge de l'amitié comme le meilleur des biens, et
montré que son origine ne réside pas dans l'intérêt, va passer à un
autre sujet : les limites de l'amitié.
§
56
- tanti
facere... quanti fieri : génitifs de prix
§
57-59-60-61
- dare
ansas : prêter le flanc
- emendatus
: irréprochable
- §
61 : Cicéron semble contredire la rigueur morale dont il a fait preuve
précédemment, ou du moins la nuancer : dans l'amitié, il est permis de
franchir "un peu" les bornes du droit chemin... à condition de ne
pas tomber dans les plus grands crimes. Mais toute la difficulté est
précisément de délimiter cette licence ! Jusqu'où peut-on aller trop
loin ? On voit ici que Cicéron est plus pragmatique que philosophe
dogmatique. On peut songer ainsi aux libertés prises par Cicéron avec la
vérité dans certains discours, pour obtenir l'acquittement d'un ami :
songeons par exemple au Pro Caelio...
"Quae
praecepta" II :
problème du commencement et de la fin des amitiés. XVII, 62 - XXII, 85
§ 62-63
- sustinere : maintenir, retenir ; image
poétique d'un char qu'il faut retenir, venue de Théognis, mais
familière aux Romains, friands de courses de char !
- periclitatis moribus : abl. abs. ;verbe periclitor,
aris, ari, atus sum : mettre à l'épreuve.
§ 64
- Citation d'Ennius
: poète qui sert souvent de référence à Cicéron et à ses
contemporains.
§ 65
- Importance de la notion de fides (bonne
foi, respect de la parole donnée...) qui est la caractéristique des Boni.
Remarquez la place du mot, en finale, après une virgule ; et dans la phrase
suivante, infidum en position finale (prononcer infidumst).
Champ lexical de la fides : fidelitas, fidum... et son
contraire : tortuosus
- Définition de "l'homme de bien"
identifié au Sage : cf. "Sagesse et philosophie"
ci-dessous.
§ 66
- Suauitas sermonum atque morum, comitas,
facilitas : Cicéron énumère les qualités de sociabilité de
l'amitié, dans la tradition aristotélicienne. Noter l'importance des
comparatifs, avec effet d'homéotéleutes.
§ 67-68 : les anciennes amitiés sont plus
chères que les nouvelles
- Multos modios salis... Aristote cite ce
proverbe (Éthique
à Nicomaque, VIII, 8)
- Importance de la uetustas, qui
conserve toujours une prédominance sur la nouitas aux yeux d'un
Romain.
- intractatus : indompté, non essayé (non
rodé ?)
§ 69-70-71-72 : comment se comporter
envers un inférieur
- Philus, Rupilius, ont déjà été cités (Philus
: § 14 et 21 ; Rupilius, § 37). Ils seront à nouveau cités plus loin.
Mummius est le frère du vainqueur de Corinthe.
- impertio, is, ire : faire partager
- necessitudo, dinis : lien étroit, cercle
§ 73-74
- pila, ae : paume, balle, jeu de balle
- Noter la répétition du préfixe dis- : dispare,
disparia, dissimilitudo, dissociare...
§ 75-76 : μήδεν
ἄγαν ("rien de trop") ; la
rupture des amitiés
- Elle
ne peut survenir que dans les amitiés vulgaires... L'amitié entre Sages
est garantie contre toute atteinte, puisque rien, sur le plan moral, ne peut
la subvertir.
- erumpere
: éclater, faire irruption
- eluo,es,
ere : effacer, purifier
- dissuendae
magis quam discindendae : "découdre plutôt que déchirer" ; dans
la rupture comme dans l'amitié, Cicéron préfère le pragmatisme et la
modération, et pratique la "tempérance", vertu par excellence du
Sage.
§
77-78 :
- rythme
binaire : una cautio / una prouisio, ne... neue
§
79-80-81 :
- nantibus
< nare : nager
- cicuribus
< cicur, cicuris : domestique, apprivoisé
- Longue
période oratoire, pour décrire le caractère naturel, instinctif de
l'amitié, présent même chez les bêtes.
§
82-83-84-85 :
- quos
inter : postposition. "parmi ceux..."
CONCLUSION
(§ 85-104)
§ 85 :
- plecto, is, ere : châtier
- quod uetamur uetere prouerbio : ce que nous
interdit le vieux proverbe
- ultro et citro : çà et là, mutuellement,
réciproquement
§ 86-87 : Tous les philosophes s'accordent sur la grandeur de l'amitié
;
- Longue période oratoire, contenant une amplificatio.
- uenditatio, tionis : étalage
- uspiam : quelque part
§ 88 :
- Archytas
de Tarente : philosophe pythagoricien et mathématicien, souvent cité par
Cicéron (IVème siècle av. J-C).
- adminiculum : étai, appui
- obsurdescere : devenir sourd
§ 88 (fin)-89 :
problème de l'adulation, de la vérité dans
l'amitié.
- Térence, Andrienne, v.68 ;
- praeceps, praecipitis : emporté
violemment, jeté à l'abîme.
- comitas : bienveillance, amabilité
- adsentatio : action d'abonder dans le sens
de quelqu'un par complaisance ; flatterie ;
§ 90 :
- scitum est : il y a un proverbe, une
sentence, une formule
- uacare : être libre de, être sans
- correctione gaudere : rappel de Socrate,
pour qui la plus grande chance, après celle de ne pas commettre de faute,
consiste à être puni de celles que l'on commet. Cf. le Gorgias.
§ 91-92-93-94 :
- uidicium = erreur pour iudicium
- deuius, a, um : qui s'écarte du droit
chemin, qui s'égare
- Citation de Térence, Eunuque, v.
252 ; il s'agissait dans cette réplique de l'autoportrait d'un parasite.
§ 95-96
- fucatus, a, um : artificiel, fardé, faux
- popularem, id est adsentatorem et leuem
ciuem : preuve, s'il en était besoin, de l'aspect politique de ce
dialogue ! Allusion à Caius Papirius, qui tenta de permettre aux tribuns de
la Plèbe d'être réélus. Aux yeux de Cicéron, comme de ses porte-parole
ici, Laelius et Scipion, tout ce qui tente de rééquilibrer les pouvoirs et
la fortune entre la classe des Sénateurs et la plèbe relève de la
démagogie ou du crime. La République mourra de cet aveuglement. Voir histoire
de Rome.
- religio deorum immortalium : l'art de
mettre la religion au service de l'ordre établi.
- uendibilis : qui plaît à la plèbe, en
vogue
§ 97-98-99
- Nouvelle citation de l'Eunuque de
Térence, v. 391-92
- excors : dénué de raison ou
d'intelligence
§ 100-104 : conclusion.
- § 101 : attention, les personnages cités
sont les pères de ceux que nous connaissons. Ainsi, Publius Nasica était
l'ami de Tibérius Gracchus père ; le fils de l'un fera assassiner le fils
de l'autre. Quant aux Scipions, ils étaient apparentés par alliance aux
Gracques : "petits meurtres en famille"...
- e carceribus ad calcem : métaphore
de la course ; carcer = l'enceinte d'où partent les chars, la ligne de
départ ; calx, calcis, f. = extrémité de la carrière, marquée à
l'origine par de la chaux
- Allusion à la mort prochaine de Laelius :
on ignore la date de cette mort, mais elle a dû suivre de peu le dialogue -
Cicéron date souvent ses dialogues quelques jours avant la mort du
protagoniste. Vers 129, donc, Laelius étant né vers 190. Il avait 61 ans.
- uitutem = erreur pour uirtutem
- locare : établir, disposer.
SAGESSE
ET PHILOSOPHIE DANS LE DE AMICITIA
La
sagesse est-elle distincte de la philosophie ? Cf. De Amicitia § 6 :
Laelius est appelé Sage, parce qu'il est un homme du bon sens ; les philosophes
de métier s'expriment de manière plus abstraite. Cicéron tend à revenir à
la sagesse du "bon sens".
- Présentation
très générale, caractéristique du "bon sens" : cf. maximes des
moralistes : "La nature faiblit quand il lui faut négliger la
puissance" (De Amicitia, § 63) ; l'amitié est le lieu du bon
sens, lieu de l'excellence des rapports humains. Elle est liée à la vie
politique (§ 40).
Cela appartient à la tradition grecque de vulgarisation, et à la tradition
romaine : § 65, la constantia (cohérence personnelle) repose sur la
fides, notion romaine de loyauté politique.
Il y a un fondement philosophique, une correspondance essentielle entre
les valeurs romaines et la pensée philosophique : c'est une pensée qui
suit la nature ; § 86, "consensus omnium" est une notion
philosophique. Selon la Nouvelle Académie (platonicienne), l'amitié est
objet de consensus ; elle appartient à ce qu'il y a de plus essentiel dans
l'homme, elle lui est naturelle.
La théorie du "bon sens" dépasse les systèmes particuliers mais
s'accorde avec la théorie platonicienne du dialogue des opinions.
- Le
De Amicitia prône la sagesse dans son exigence suprême : les
Stoïciens lient amitié et sagesse ; seul le sage est ami et ne peut être
ami que du sage. Cicéron corrige cette doctrine (§ 18) en substituant aux
sages les "boni", hommes de bien. Il ne peut y avoir amitié en
dehors de la recherche de la vertu (§ 44 et suivants), notamment la vertu
en politique. D'où une réflexion sur les biens et le bonheur, qui prolonge
le De Senectute.
- Attitude
envers la philosophie comme technique : Parmi les philosophies affirmant le
primat de l'esprit, figurent le stoïcisme et le platonisme ; Cicéron
choisit la seconde, car c'est la philosophie des gens de bien.
Parmi
les philosophies, Cicéron rejette l'épicurisme (sur l'épicurisme :
voir ici, et cours sur Lucrèce)
pour une raison fondamentale : il ne s'appuie pas sur le concept du souverain
bien, mais sur une analogie, discutable selon Cicéron, entre souverain bien et uoluptas.
Pour Cicéron, le Bien est l'honestum, la moralité qui réside dans
l'âme, c'est à dire une conception stoïcienne et platonicienne : cf. De
Officiis. Il formule précisément ces objections dans le De Senectute.
En conséquence, il faut rejeter un otium qui serait simple recherche du plaisir
(De Senectute, § 43-45). L'otium doit être voué à la recherche d'un
bien spirituel, et non au repos dans un jardin... Mais Cicéron critique surtout
l'égoïsme fondamental de l'Épicurisme, incapable de mettre au point une
théorie de l'amitié comme renoncement à soi, sacrifice à l'ami... Cependant,
pour les Épicuriens comme pour Cicéron, l'amitié est l'un des plaisirs les
plus purs, comme celle unissant Oreste et Pylade. Cf. Sénèque, Lucilius
9 : "aimer, c'est avoir
quelqu'un pour qui mourir".
On
retrouve cette volonté de spiritualité aussi dans la conception cicéronienne
de la mort : il affirme vraisemblable l'immortalité de gloire pour les grands,
en s'appuyant sur la mort de Socrate telle qu'elle a été transmise par
Xénophon ou Platon (Phédon, Apologie de Socrate) ; il s'oppose donc à
l'Épicurisme pour qui le corps n'est qu'une réunion d'atomes ; cf. De
Amicitia, 14 ; même dans la mort, il y a un avenir de gloire que les
Épicuriens récusent.
Cicéron
propose donc une critique radicale de l'Épicurisme, sur un plan philosophique,
mais reliée sur le plan de la sagesse : toutes les grandes vies se sont
fondées sur un renoncement au plaisir.
A
l'égard du Stoïcisme, Cicéron a une position complexe et nuancée.
(Définition du Stoïcisme : voir ici) :
il rejette une amitié qui n'existerait que chez les Sages, mais il recherche un
idéal ; il s'appuie sur des exempla, démarche conforme à la tradition
stoïcienne. Cf. De Officiis, III : de simples particuliers ont été
capables, dans l'Histoire, d'accomplir des actions morales : ils sont le reflet
de l'idéal. Par rapport à un devoir parfait, le devoir commun, medium
officium, qui appartient à la pratique quotidienne, peut, comme un tireur
à l'arc moyen, mettre quelquefois dans la cible. Il faut donc célébrer les
hommes du passé. Le Mos maiorum s'inscrit très bien dans la tradition
stoïcienne : De Officiis, III, 14 sq. : il s'agit d'un bien ponctuel.
Cicéron s'accorde avec le stoïcisme, et le dépasse en même temps : le
stoïcisme n'est pas pour lui une philosophie de la satisfaction mais de la
recherche.
Sur
les Péripatéticiens, voir les traités antérieurs de Cicéron, notamment
le De Finibus, V. Il nous apprend qu'ils ont essayé une synthèse entre
les conceptions possibles du plaisir ; pour eux le Bien suprême est la
combinaison de l'exigence du corps et de l'exigence spirituelle, un équilibre
entre uoluptas et honestum. Certains plaisirs peuvent paraître
souhaitables parce que l'homme est l'union de l'âme et du corps. Comme eux,
Cicéron insiste sur la légitimité de certains plaisirs matériels et
modérés (De Sen. 39, 44) ; les plaisirs principaux sont les plaisirs
spirituels, mais on peut se permettre certains plaisirs naturels. Dans le De
Amicitia, Cicéron se sert de la pensée péripatéticienne pour combattre
les excès, notamment politiques, de la pensée stoïcienne ; cf. De Am.
36 sq. Il s'oppose au stoïcien Blossius de Cumes mettant la cohérence de son
amitié au dessus de toute chose (cf. conception stoïcienne : le sage a
toujours raison, la seule valeur absolue est l'ὁμολογία
du sage), combattu au nom des valeurs communes et les exigences naturelles : il
faut savoir parler le langage commun et respecter la tradition (De Finibus,
IV)
Cicéron
critique donc les É
picuriens, est d'accord sur un point avec les Stoïciens ; quant aux
Péripatéticiens, il leur concède la recherche du plaisir, mais le seul
véritable plaisir est spirituel ; il n'est jamais véritablement en désaccord
avec Platon sur le thème de l'amitié comme idéal vers lequel on progresse et
comme bien spirituel ; à cela s'ajoute une idée plus profonde et métaphysique
: l'amitié est le lien qui régit l'univers (allusion à la théorie
d'Empédocle) ; autre thème pré-socratique, venu des Pythagoriciens : entre
amis tout est commun, et la différence se réduit à l'unité, du multiple à
l'Un. Il y a un "communisme" de l'amitié, idée que Cicéron reprend
tout en insistant sur le fait que l'amitié ne peut exister que dans la vertu.
Il s'agit donc bien d'une théorie
philosophique, liée à l'amour de la sagesse (et non possession totale), de
sorte qu'il n'y a jamais adhésion totale à une philosophie : si une
philosophie était parfaite, elle serait σοφία.
Cicéron a une exigence de rigueur, mais aussi de tolérance ; cf. De
Amicitia, 86. En dernière analyse, il y a un point sur lequel tous les
hommes sont d'accord, c'est la valeur de l'amitié : c'est la plus grande
probabilité possible (il n'y a pas de certitude possible) qu'il y a des
vérités naturelles.
2ème
idée, platonicienne et stoïcienne : l'amitié est une rigueur (rejet du
"parce que c'était lui, parce que c'était moi" de Montaigne) ; si un
ami a des défauts, on peut les accepter à condition qu'il s'en corrige, sinon
il faut s'en séparer. L'amitié est soumise à l'exigence de rigueur qui est
celle de la vertu.
3ème
idée : la philosophie intervient seulement dans le De Amicitia dont l'armature
philosophique est plus marquée. Idée essentielle : la tendresse de cœur,
cf. § 48 sq. L'amitié c'est la possibilité de l'émotion à l'intérieur de
la sagesse, contrairement au Stoïcisme. Le Sage cicéronien n'est pas
impassible. Il peut y avoir de bonnes émotions : l'amour et l'amitié,
occasions de rencontrer la souffrance, preuve que l'homme accepte de sortir de
lui-même pour souffrir pour autrui. Dans l'amitié, autrui l'emporte sur le
moi, et la tendresse existe. Amitié et vieillesse se justifient par
l'amour - au sens platonicien, amour de la perfection : le vieillard dépasse sa
faiblesse, l'amitié ne sombre pas dans la complaisance ; amour de l'homme et
amour de la beauté sont liés. Chez Cicéron, humanisme de l'amour et humanisme
de la vérité se joignent dans le platonisme.