Une notion stylistique essentielle : l’image

Définition de l’image

De quoi parle-t-on lorsque l’on parle d’image ? Écartons tout d’abord l’image, dessinée ou peinte, qui représente (ou non) une réalité : vignette, affiche, illustration, tableau…

Nous nous intéressons ici à l’image rhétorique, c’est-à-dire textuelle, telle qu’on la trouve essentiellement en poésie, mais également en prose.

L’image visuelle ou image mentale

Il s’agit d’une description ou d’une évocation : paysage, portrait, scène… Elle peut prendre la forme d’une hypotypose. L’image n’a qu’un sens, même si celui-ci peut avoir une valeur symbolique.

Ainsi, dans le poème « Automne » d’Apollinaire,

 « Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux
Et son bœuf lentement dans le brouillard d’automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux« 

Le tableau entier peut apparaître comme le symbole de la mélancolie.

L’image littéraire

Il y a image littéraire dès lors que s’introduit un deuxième sens, analogique ou symbolique.

Une image est donc composée de deux éléments  :

  1. Le thème ou comparé : ce dont on parle.
  2. Le phore ou comparant : ce qui sert à désigner le thème d’une manière figurée

Exemple : dans « un teint de neige », le teint est le thème, ou comparé ; la neige est le phore, ou comparant.

Ce qui les unit est un rapport d’analogie, fondé sur l’isotopie de la blancheur.

Les rapports entre le thème et le phore

  • Quand le phore est plus concret que le thème (cas le plus fréquent), l’image est dite « concrète ».
    Exemple : « un secret lourd comme du plomb »
  • Quand le phore est plus abstrait que le thème (ce qui est rare), l’image est dite « abstraite ».
    Exemple : « Son parfum doux comme un secret«  (Baudelaire)

Les jeux sur l’isotopie

L’isotopie est le domaine de réalité auquel renvoient les différentes parties du texte. Dans le cas de l’image littéraire, l’isotopie est complexe, c’est-à-dire que l’un des termes se voit attribué un plus grand degré de réalité.

  • Quand le thème est « plus vrai » que le phore, on parle d’isotopie positive
    Dans l’exemple cité plus haut, le parfum, chez Baudelaire, a plus de réalité que le secret.
  • Quand le phore est « plus vrai » que le thème (c’est-à-dire quand le comparant est assumé comme totalement vrai, et le comparé seulement vrai partiellement), on parle d’isotopie négative.
  • L’isotopie est dite en équilibre quand le thème et le phore ont autant de réalité l’un que l’autre.
    La poésie de Reverdy tend vers ce type d’isotopie. L’image reverdienne reste une image, car les deux termes se figurent l’un l’autre.

Mais ce qui importe le plus dans l’analyse de l’image, ce sont les rapports sémantiques entre le thème et le phore, rapports plus ou moins évidents ou éloignés.

Toutes les recherches de la poésie moderne visent justement à revoir ces rapports, dans le sens d’un éloignement de plus en plus grand, afin de créer la surprise ou le mystère.

Parmi les textes essentiels sur l’image, relisons celui de Pierre Reverdy, paru dans la revue Nord-Sud n° 13, en mars 1913.

L’Image

L’Image est une création pure de l’esprit.

Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus on moins éloignées.

Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique.

Deux réalités qui n’ont aucun rapport ne peuvent se rapprocher utilement. Il n’y a pas création d’image.

Deux réalités contraires ne se rapprochent pas. Elles s’opposent.

On obtient rarement une force de cette opposition.

Une image n’est pas forte parce qu’elle est brutale ou fantastique – mais parce que l’association des idées est lointaine et juste.

Le résultat obtenu contrôle immédiatement la justesse de l’association.

L’Analogie est un moyen de création – C’est une ressemblance de rapports ; or de la nature de ces rapports dépend la force ou la faiblesse de l’image créée.

Ce qui est grand ce n’est pas l’image – mais l’émotion qu’elle provoque ; si cette dernière est grande on estimera l’image à sa mesure.

L’émotion ainsi provoquée est pure, poétiquement, parce qu’elle est née en dehors de toute imitation, de toute évocation, de toute comparaison.

Il y a la surprise et la joie de se trouver devant une chose neuve.

On ne crée pas d’image en comparant (toujours faiblement) deux réalités disproportionnées.

On crée, au contraire, une forte image, neuve pour l’esprit, en rapprochant sans comparaison deux réalités distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.

L’esprit doit saisir et goûter sans mélange une image créée.

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La création de l’image est donc un moyen poétique puissant et l’on ne doit pas s’étonner du grand rôle qu’il joue dans une poésie de création.

Pour rester pure cette poésie exige que tous les moyens concourent à créer une réalité poétique.

On ne peut y faire intervenir des moyens d’observation directe qui ne servent qu’à détruire l’ensemble en détonnant. Ces moyens ont une autre source et un autre but.

Des moyens d’esthétiques différentes ne peuvent concourir à une même œuvre.

I1 n’y a que la pureté des moyens qui ordonne la pureté des œuvres.

La pureté de l’esthétique en découle.

Pierre Reverdy, Nord-Sud, n° 13, mars 1918.

Que retenir de ce texte ? Tout d’abord, l’image ne découle pas des sens, ni d’un inconscient, mais de l’esprit : elle reste une création consciente, intellectuelle, volontaire – ce qui s’opposera à toute forme d’écriture automatique, ou d’arbitraire, telles qu’on les retrouvera chez les Surréalistes.

De même, Reverdy insiste sur la justesse de l’image : si elle permet de rapprocher deux réalités « plus ou moins éloignées », il doit subsister un rapport entre le thème et le phore ; l’image ne peut naître d’une simple contiguité phonique, par exemple ; et c’est de la nouveauté de ce rapport que naît la force de l’image, et donc l’émotion – but ultime du poète.

Voir l’étude de l’image dans le premier texte des Jockeys camouflés de Reverdy.

Quelques types d’images.

La synecdoque

Fondée sur un rapport d’inclusion logique, elle exploite la relation lexicale d’hypéronymie :

  • hyponyme mis pour l’hyperonyme (« pain » = nourriture dans le Pater Noster)
  • hypéronyme mis pour l’hyponyme (« animal » = le lion)

La synecdoque déplace également les limites de l’extension du mot ou de l’expression :

  • synecdoque du nombre (« la vague » pour « les vagues »)
  • synecdoque d’individu ou antonomase : « le philosophe » = Aristote

La métonymie

Elle substitue au signifié littéral un signifié dérivé, l’un étant traité, dans son entier, comme un

élément de l’autre.

  • La partie pour le tout : « une prunelle moins irritée » (Prologue de la Saison en enfer) ; la prunelle est mise pour l’œil, lui-même mis pour le regard.
  • Le tout pour la partie (rare). Ex : « laver la cuisine » = laver le sol de la cuisine.
  • métonymie de la matière : « le fer », « les vitres »
  • métonymie du contenant : « boire un verre »
  • métonymie de l’effet pour la cause
  • métonymie du lieu : un bordeaux, un camembert
  • métonymie du corps : « les cœurs » (Prologue de la Saison en enfer) = l’amour, la personne amoureuse ?

On peut observer que la métonymie prend parfois un caractère ethnologique, comparable aux aphérèses des lexiques spécialisés : Henri Suhamy cite dans son ouvrage Les Figures de style (Que Sais-je n°1889, 9ème édition, 2000, p. 47) les exemples suivants :

  • « Il a des villages et des appellations plein sa cave, mais il ne vous servira que du onze degrés.
  • « Cette cuvée vaut bien un Dom Pérignon. »
  • « Dégustez-moi ce bouquet, c’est du propriétaire, pas du négociant. »

De telles expressions risquent d’échapper totalement à qui n’a pas un minimum de connaissances œnologiques, et notamment aux étrangers !

Une forme particulière de métonymie, l’abstraction, ou métonymie par la qualité : c’est une variété de métonymie consistant à remplacer un adjectif qualificatif par le nom abstrait qui lui correspond. Forme chère aux Goncourt sur laquelle ironise Maupassant dans Pierre et Jean : « ceux qui font tomber la grêle ou la pluie sur la propreté des vitres ».

Cf. aussi le Songe d’Athalie : « C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit ». Cf. Gradus, p. 17.

Tartuffe use souvent d’abstraction : « les vains efforts de mon infirmité » ; ou « mon néant » (v. 984) ; ou encore « vos bontés »

La métaphore

On observe ici un phénomène d’intersection sémique entre les unités mises en jeu.

  • métaphore in praesentia (terme imagé présent) ou in absentia (terme imagé absent, il faut le déduire du contexte).
  • métaphore modalisée : « comme », « je dirais que »…
  • Comparaison : A est comme B
  • Analogie : A est à B ce que C est à D
  • Métaphore filée : succession de métaphores dont les imageants appartiennent au même réseau isotopique.

Il est parfois artificiel de séparer métaphores et comparaisons, l’une prenant souvent le relais de l’autre.

Un ex. dans l’Espoir, p. 488 (également cité par H. Suhamy) :

« L’hôpital… Gratte-ciel morne et meurtrier, ruine de tour babylonienne, il rêve comme un bœuf parmi les obus qui le giflent de décombres.« 

  • Le verbe « giflent » est métaphorique ; il contient le sème /animé/ qui ne correspond ni à son sujet, ni au COD.
  • « comme un bœuf » est une comparaison ; « ruine de tour babylonienne » est une métaphore. Mais il aurait suffi que Malraux écrive « Bœuf qui rêve » ou « comme une ruine » pour que le rapport soit inversé. On peut parler ici de séquence d’images.

Autre exemple d’imbrication :

« Bogaert sentit que la journée s’écoulerait bêtement et lentement, comme une rivière sans poissons devant l’ombre d’un pêcheur à la ligne ».

Pierre Mac Orlan, La Cavalière Elsa.

Ici la comparaison s’accompagne d’une syllepse, le verbe « s’écouler » ayant simultanément le sens abstrait et le sens concret.

Image impressive ou hypothétique

Introduite par « comme si » ou « on eût dit », elle passe d’un premier terme donné comme réel, à un 2ème présenté comme irréel ou fantastique. On en trouve des exemples dès Shakespeare, mais elle est utilisée surtout à partir de Chateaubriand.

L’image surréaliste

Elle transgresse la règle des ressemblances : « La terre est bleue comme une orange ».

Elle est parfois de forme A = B : « Le sommeil est une fontaine / pétrifiante » (Cocteau, Opéra).

Comme Mallarmé, qui voulait « supprimer le mot ‘comme’ du dictionnaire », les Surréalistes tendent, dans la métaphore, à supprimer délibérément le thème, c’est à dire le terme imagé ; d’où l’hermétisme, et la création de véritables métaphores-énigmes.