Suétone : Vie de Néron

 

BIOGRAPHIE DE SUETONE

LA FIN DE NERON


Abandonné de tous, déclaré ennemi public par le Sénat, Néron fuit Rome et se réfugie dans la villa d »un de ses amis, où il sera rejoint et tué. Suétone, ici, raconte ses derniers instants.

[6,48] XLVIII. Sed reuocato rursus impetu aliquid secretioribus latebrae ad colligendum animum desiderauit, et offerente Phaonte liberto suburbanum suum inter Salariam et Nomentanam uiam circa quartum miliarum, ut erat nudo pede atque tunicatus, paenulam obsoleti coloris superinduit adopertoque capite et ante faciem optento sudario equum inscendit, quattuor solis comitantibus, inter quos et Sporus erat. 2 Statimque tremore terrae et fulgure aduerso pauefactus audiit e proximis castris clamorem militum et sibi aduersa et Galbae prospera ominantium, etiam ex obuiis uiatoribus quendam dicentem: « Hi Neronem persequuntur », alium sciscitantem: « Ecquid in urbe noui de Nerone? »Equo autem ex odore abiecti in uia cadaueris consernato detecta facie agnitus est a quodam missicio praetoriano et salutatus. 3 Ut ad deuerticulum uentum est, dimissis equis inter fruticeta ac uepres per harundineti semitam aegre nec nisi strata sub pedibus ueste ad auersum uillae parietem euasit. Ibi hortante eodem Phaotne, ut interim in specum egestae harenae concederet, negauit se uiuum sub terram iturum, ac parumper commoratus, dum clandestinus ad uillam introitus pararetur, aquam ex subiecta lacuna poturus manu hausit et « Haec est », inquit, « Neronis decocta. » 4 Dein diuolsa sentibus paenula traiectos surculos rasit, atque ita quadripes per angustias effossae cauernae receptus in proximam cellam decubuit super lectum modica culcita, uetere pallio strato, instructum ; fameque et iterum siti interpellante panem quidem sordidum oblatum aspernatus est, aquae autem tepidae aliquantum bibit.

[6,49] XLIX. Tunc uno quoque hinc inde instante ut quam primum se impendentibus contumeliis eriperet, scrobem coram fieri imperauit dimensus ad corporis sui modulum, componique simul, si qua inuenirentur, frustra marmoris et aquam simul ac ligna conferri curando mox cadaueri, flens ad singula atque identidem dictitans: « Qualis artifex pereo! ». 2 Inter moras perlatos a cursore Phaonti codicillos praeripuit legitque se hostem a senatu iudicatum et quaeri, ut puniatur more maiorum, interrogauitque, quale id genus esset poenae; et cum comperisset nudi hominis ceruicem inseri furcae, corpus uirgis ad necem caedi, conterritus duos pugiones, quos secum extulerat, arripuit temptataque utriusque acie rursus condidit, causatus nondum adesse fatalem horam. 3 Ac modo Sporum hortabatur, ut lamentari ac plangere inciperet, modo orabat, ut se aliquis ad mortem capessendam exemplo iuuaret; interdum segnitiem suam his uerbis increpabat: « Viuo deformiter, turpiter – Οὐ πρέπει Νέρωνι, οὐ πρέπει(1) – Νήφειν δεῖ ἐν τοῖς τοιούτοις – Ἄγε, ἔγειρε σεαυτόν »(2). Iamque equites appropinquabant, quibus praeceptum erat, ut uiuum eum adtraherent. Quod ut sensit, trepidanter effatus:

« Ἵππων μ’ὠκυπόδων ἀμφὶ κτύπος οὔατα βάλλει »(3)

ferrum iugulo adegit iuuante Epaphrodito a libellis. 4 Semianimisque adhuc irrumpenti centurioni et paenula ad uulnus adposita in auxilium se uenisse simulanti non aliud respondit quam « Sero » et « Haec est fides ». Atque in ea uoce defecit, exstantibus rigentibusque oculis usque ad horrorem formidinemque uisentium. Nihil prius aut magis a comitibus exegerat quam ne potestas cuiquam capitis sui fieret, sed ut quoquo modo totus cremaretur. Permisit hoc Icelus, Galbae libertus, non multo ante uinculis exsolutus, in quae primo tumultu coniectus fuerat.

XLVIII-1. Revenu de ce premier mouvement, il chercha quelque retraite obscure pour reprendre ses esprits. Phaon, son affranchi, lui offrit sa villa située vers le quatrième milliaire, entre la voie Salaria et la voie Nomentane. Il monta à cheval, pieds nus et en tunique, comme il était, enveloppé d’une casaque usée, la tête couverte et un voile sur le visage, n’ayant pour suite que quatre personnes parmi lesquelles était Sporus. 2. Un tremblement de terre et un éclair le glacèrent d’effroi. Du camp voisin il entendit les cris des soldats qui faisaient des imprécations contre lui et des voeux pour Galba. Un des passants qu’on rencontra se mit à dire: « Voilà des gens qui poursuivent Néron. » Un autre demanda: « Que dit-on à Rome de Néron? » 3. Son cheval s’étant effarouché de l’odeur d’un cadavre abandonné sur la route, il découvrit son visage et fut reconnu par un ancien soldat prétorien qui le salua. 4. Arrivé à la traverse, il renvoya les chevaux et s’avança avec tant de peine à travers des taillis et des buissons dans un sentier planté de roseaux, que, pour parvenir derrière la maison de campagne, il fut obligé de mettre son vêtement sous ses pieds. 5. Phaon lui conseilla de se retirer dans une carrière d’où l’on avait extrait du sable; mais il répondit qu’il ne voulait pas s’enterrer tout vif. En attendant qu’on trouvât le moyen de pratiquer une entrée secrète dans cette villa, il puisa de l’eau d’une mare dans le creux de sa main et la but en disant: « Voilà donc les rafraîchissements de Néron. » 6 Puis il se mit à arracher les ronces dont sa casaque était percée. Enfin il se traîna sur les mains par une ouverture étroite jusque dans la chambre la plus voisine où il se coucha sur un lit garni d’un mauvais matelas et d’un vieux manteau pour couverture. Quoique tourmenté par la faim et la soif, il refusa le pain grossier qu’on lui présentait, et ne but qu’un peu d’eau tiède.

XLIX-1 Cependant on le pressait de tous côtés de se soustraire le plus tôt possible aux outrages qui le menaçaient. Il fit donc creuser devant lui une fosse à la mesure de son corps, voulut qu’on l’entourât de quelques morceaux de marbre, si l’on en trouvait, et qu’on apportât de l’eau et du bois pour rendre les derniers devoirs à ses restes. Chacun de ces préparatifs lui arrachait des larmes, et il répétait de temps en temps: « Quel artiste va périr! » 2. Au milieu de tous ces délais, un coureur remit un billet à Phaon. Néron s’en saisit, et y lut que le sénat l’avait déclaré ennemi public, et qu’on le cherchait pour le punir selon les lois des anciens. Il demanda quel était ce supplice. On lui dit qu’on dépouillait le coupable, qu’on lui passait le cou dans une fourche, et qu’on le battait de verges jusqu’à la mort. Épouvanté, il saisit deux poignards qu’il avait sur lui, en essaya la pointe, et les remit dans leur gaine en disant que son heure fatale n’était pas encore venue. 3. Tantôt il engageait Sporus à entonner les lamentations et à commencer les pleurs, tantôt il demandait que quelqu’un lui donnât l’exemple de se tuer; quelquefois enfin il se reprochait sa lâcheté en ces termes: « Ma vie est honteuse et infâme. Cela ne sied pas à Néron, non. Il faut être sage dans de pareils moments. Allons, réveillons-nous. » 4. Déjà approchaient les cavaliers qui avaient ordre de l’amener vivant. Dès qu’il les entendit, il prononça en tremblant ce vers grec: « Le galop des coursiers résonne à mes oreilles. »; puis il s’enfonça le fer dans la gorge, aidé par son secrétaire, Épaphrodite. 5. Il respirait encore lorsqu’un centurion entra. Feignant d’être venu à son secours, il appliqua sa casaque sur la blessure. Néron ne lui dit que ces mots: « Il est trop tard », et ceux-ci: « Voilà donc la fidélité! ». Il mourut en les prononçant. 6.Ses yeux étaient hors de sa tête, et leur fixité saisissait d’horreur et d’effroi tous les spectateurs. 7. Il avait surtout expressément recommandé à ses compagnons qu’on n’abandonnât sa tête à personne, mais qu’on le brûlât tout entier, de quelque manière que ce fût. 8. Ils obtinrent cette grâce d’Icelus, affranchi de Galba, qui venait d’être délivré de la prison où on l’avait jeté au commencement de l’insurrection.

  • (1) »Cela ne convient pas à Néron, cela ne lui convient pas »
  • (2) »il faut rester calme en de telles circonstances – allons, réveille-toi »
  • (3) »Le galop des chevaux aux pieds rapides frappe mes oreilles » (Iliade, X,535)