Anaxagore de Clazomènes, en Ionie, a passé la plus grande partie de sa vie à Athènes et fut un familier de Périclès ; Socrate assista, affirme le Phédon, à une lecture publique de son traité. Il paya cher ses amitiés politiques : en 438-437, un décret autorisant à poursuivre « ceux qui nient les choses divines ou qui répandent dans leur enseignement des théories sur les phénomènes célestes » le vise personnellement, et lui vaut d’être traduit en justice et condamné : il passa la dernière partie de sa vie en exil. Cf. Plutarque, Vie de Périclès, § 32. Un peu plus tard, Mélétos, accusateur de Socrate, essaya de confondre celui-ci avec Anaxagore :
Μέλητος — ταῦτα λέγω, ὡς τὸ παράπαν οὐ νομίζεις θεούς.
Σωκράτης — ὦ θαυμάσιε Μέλητε, ἵνα τί ταῦτα λέγεις ; [26d] οὐδὲ ἥλιον οὐδὲ σελήνην ἄρα νομίζω θεοὺς εἶναι, ὥσπερ οἱ ἄλλοι ἄνθρωποι ;
Μέλητος — μὰ Δί᾽, ὦ ἄνδρες δικασταί, ἐπεὶ τὸν μὲν ἥλιον λίθον φησὶν εἶναι, τὴν δὲ σελήνην γῆν.
Σωκράτης — Ἀναξαγόρου οἴει κατηγορεῖν, ὦ φίλε Μέλητε ; καὶ οὕτω καταφρονεῖς τῶνδε καὶ οἴει αὐτοὺς ἀπείρους γραμμάτων εἶναι ὥστε οὐκ εἰδέναι ὅτι τὰ Ἀναξαγόρου βιβλία τοῦ Κλαζομενίου γέμει τούτων τῶν λόγων ;Platon, Apologie de Socrate, 26 c-d
Traduction :
Mélétos : J’affirme, moi, que tu ne croies pas du tout aux dieux.
Socrate : Étonnant Mélétos, dans quelle intention dis-tu cela ? Est-ce que je ne crois pas que le soleil et la lune sont des dieux, comme le croient les autres hommes ?
Mélétos : par Zeus, Messieurs les juges, non, puisqu’il prétend que le soleil est une pierre, et la lune de la terre.
Socrate : C’est Anaxagore que tu crois accuser, mon cher Mélétos ; et tu méprises à ce point ces messieurs et tu les crois ignorants au point de ne pas savoir que ce sont les livres d’Anaxagore de Clazomènes, qui sont pleins de ces théories.
A cette époque, en 399, Anaxagore était mort en exil depuis 37 ans…
Socrate parle de τὰ Ἀναξαγόρου βιβλία, ce qui suppose un pluriel ; pourtant, on pense aujourd’hui qu’Anaxagore n’a écrit qu’un seul traité.
Contrairement à Empédocle, son contemporain, Anaxagore considère que les « éléments premiers » de l’univers sont une infinité ; en effet, pour que le monde puisse « naître » sans que rien procède du non-être, il faut que tout soit déjà présent : « tout est dans tout » selon une formule célèbre.
C’est l’intelligence (Νοῦς) qui procède à la dissociation du mélange initial ; mais – et Socrate le regrettera dans le Phédon – cette Intelligence est purement mécanique, et nullement finaliste ; les dissociations auxquelles elle procède n’ont aucun dessein pré-établi.
Enfin, Anaxagore refuse toute thèse atomiste : il croit en l’infiniment petit mathématique (si petite soit une grandeur, on peut toujours en trouver une plus petite) ; enfin, aucune matière n’est pure. Cette thèse vient de l’observation du changement et d’une déduction que Lucrèce, plus tard, réfutera : si un aliment fait grandir, produit de la chair et des os, c’est donc qu’il contenait déjà la chair et l’os… c’est ce que l’on appelle l’homéomérie (ὁμοιομέρεια) : l’os est formé de particules d’os etc.
Anaxagore demeure pour avoir essayé, comme d’autres avant lui, de donner une explication rationnelle des phénomènes naturels. Et il sera l’un des premiers martyrs de la science.
Bibliographie :
- Les Présocratiques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard 1988, pp.615-681.
- Leclant Jean et alii, Dictionnaire de l’Antiquité, art. « Héraclite d’Ephèse », p. 112-113.
- Canto-Sperber Monique et alii, Philosophie grecque, Presses Universitaires de France, Coll. « Premier cycle », 1997, pp. 61-67
- Platon, Apologie de Socrate, 26 c-d
- Platon, Phédon, 97b-99c