La naissance de la ville
Une ville fondée par Alexandre, sous le patronage d’Homère
La ville naquit en 331 avant J-C ; sa conception relève de la légende. En effet, alors qu’Alexandre cherchait un emplacement pour créer un grand port et une cité capable de rivaliser avec la splendeur de Memphis, Homère lui serait apparu en songe, et lui aurait conseillé l’emplacement de la future fondation, entre la Méditerranée et le lac Maréotis, sur le delta du Nil.
C’est Alexandre en personne qui en aurait dessiné les plans.
Telle est l’histoire, racontée par Diodore, Strabon, Plutarque, Quinte-Curce, Arrien ou le pseudo-Callisthène.
En réalité, elle n’était pas la première à être bâtie sur un plan géométrique : Milet, en Asie mineure, avait été reconstruite sur ce principe. Et ce n’était peut-être même pas une création ex nihilo : le nom de Rakhotis, porté par un quartier, évoque un village indigène antérieur.
Mais, incontestablement, Alexandrie l’emportait par son caractère monumental, démesuré.
En 305 av. J-C, Ptolémée, fils de Lagos, qui a obtenu l’Égypte lors du partage de 323, se proclame roi sous le nom de Ptolémée Ier et choisit Alexandrie comme capitale. Douze règnes vont alors se succéder, pendant près de trois siècles.
De nouveaux cultes apparaissent : Sérapis, Agathos Daimôn, Dionysos, Isis, et surtout le tombeau d’Alexandre, que Ptolémée avait réussi à emmener à Alexandrie ; le tombeau sera visité par les empereurs et les souverains jusqu’au IVème siècle après J-C, puis il disparut totalement. On ignore son emplacement exact aujourd’hui.
La Grande Bibliothèque
Elle aussi a totalement disparu aujourd’hui. C’était une extraordinaire collection de textes de toutes origines, qui se voulait un inventaire du monde. Cette confrontation des savoirs permit une formidable expansion, dans tous les domaines :
- Mathématiques, géographie, astronomie, critique des textes… Euclide, Érathostène y ont travaillé.
- Traduction de la Bible des Hébreux (Septante) : cf. Aristée.
Mais elle témoignait aussi d’un penchant dangereux pour la vaine érudition, et la scolastique ! Bientôt la masse des « Commentaires » étouffa les textes originaux…
La destruction de la Bibliothèque
Au premier siècle avant J-C, elle fut détruite par César, lorsque, coincé dans la citadelle par les armées de Ptolémée, il mit le feu à des navires pour faire diversion. L’incendie se propagea à la Bibliothèque…
Mais celle-ci dut s’en remettre, car elle subsista longtemps après !
Plus terribles furent les crises du IIIème siècle après J-C, en particulier le saccage en 298 par l’empereur Dioclétien après l’une des multiples insurrections que connut Alexandrie.
Enfin, le coup de grâce fut porté au IVème-Vème siècles par les chrétiens fanatiques, sous l’influence de Théodose, puis de Cyrille. En 391, le Sérapeion, où se trouvait la « bibliothèque fille », fut détruit,
Dès lors, il ne restait plus que des manuels de querelles chrétiennes : le tout fut brûlé pour chauffer les bains publics après la conquête arabe de 641 ; comme le dit un peu cruellement un philosophe, « ce fut la seule fois où ces ouvrages servirent à quelque chose » !
Mais par un juste retour des choses, la Grande Bibliothèque renaît de ses cendres au XXème siècle.
Le Phare, 7ème merveille du monde.
Ce symbole d’Alexandrie était un fanal pour la navigation, comme il en existait beaucoup en Méditerranée, et surtout une œuvre de propagande.
Sa construction commença en 297 av. J-C et fut achevée sous le règne de Ptolémée II.
Le Phare était constitué d’une base carrée de 30 m de côté et de 50 m de haut, surmonté d’un étage octogonal de 20 m de large sur 30 m de haut. Enfin, le 3ème niveau était circulaire et mesurait 10 m de haut. Il portait probablement une statue monumentale.
Cléopâtre VII (69-30 av. J-C)
Cléopâtre a dix-sept ans lorsqu’elle succède, avec son frère Ptolémée, à son père Ptolémée Aulète, dont le règne fut l’un des plus calamiteux de la dynastie macédonienne. Très vite, son frère l’éloigne d’Alexandrie pour l’écarter du pouvoir.
Mais, après la bataille de Pharsale, César arrive en Égypte, et reçoit en cadeau de bienvenue la tête de Pompée, assassiné par Ptolémée… Cléopâtre, quant à elle, s’introduit par ruse auprès du général Romain ; lequel, à la vue de cette jeune beauté – grecque, on l’oublie trop souvent – lui rend son pouvoir… et lui ouvre ses draps !
Cette première liaison indisposera grandement les Romains : une Reine – et l’on sait que les Romains ont une horreur viscérale des Rois – et étrangère de surcroît…
Le luxe dont s’entoure la Reine met en outre le comble à leur haine : le mode de vie des monarques orientaux a tout pour choquer les Romains imprégnés de morale « vieux-romain » fondée sur la sobriété, le refus du luxe… Ajoutons à cela que César n’hésita pas à faire venir Cléopâtre à Rome, et à s’y afficher avec elle ! Cela ne fera que renforcer, bien évidemment, le soupçon qui pesait sur lui, de rêver d’une monarchie à l’orientale… Cléopâtre se trouvait d’ailleurs à Rome au moment de l’assassinat de César, aux Ides de mai 44.
Mais l’histoire de Cléopâtre ne s’arrête pas là. Après la mort de son amant, Cléopâtre deviendra l’amante de son héritier, Marc-Antoine.
Or nous connaissons essentiellement Marc-Antoine par le portrait qu’en ont dressé ses adversaires, à commencer par Cicéron : un brillant général, certes, mais un débauché, parfois ivrogne, capable des pires provocations, et ne respectant rien des valeurs traditionnelles romaines, à commencer par le Sénat, souvent bafoué. Les Philippiques de Cicéron sont un implacable réquisitoire…
L’union de ces deux réprouvés, une Reine orientale et un libertin romain, ne pouvait que faire scandale, et inciter aux fantasmes les plus fous. La littérature (et plus tard le cinéma) leur prêteront un luxe extravagant, des débauches inouïes, d’hallucinantes dépravations…
Et l’histoire dura jusqu’en 31, lors de la bataille d’Actium qui opposa Antoine et Octave, le futur Auguste. Erreurs de tactique, maladresses, aboutirent à un désastre militaire ; les deux amants se réfugièrent à Alexandrie, où, après de vaines tentatives de négociation pour sauver son royaume, Cléopâtre fut acculée au spectaculaire suicide que l’on sait, empoisonnée par un aspic…
La mort de Cléopâtre signe la fin de la dynastie des Ptolémées, et le début de l’Alexandrie romaine.
Alexandrie romaine
Durant l’époque romaine, Alexandrie demeure une ville de savants et de bâtisseurs ; les Romains s’inscrivent dans la continuité, et se veulent les héritiers des Lagides.
Ils construisent le Caesarium dont il reste les obélisques, appelées « aiguilles de Cléopâtre ».
Alexandrie, creuset du christianisme
La ville semblait prédisposée à une telle évolution :
- Elle avait hérité de l’eschatologie égyptienne, du Livre des Morts…
- Elle avait également une forte communauté juive très hellénisée et inspirée par le néo-platonisme de Porphyre et de Plotin.
La Gnose (Ier – Vème siècles) fascinera William Blake, Novalis, Nerval et les symbolistes.
Controverses théologiques
Carrefour de la vie intellectuelle et religieuse, Alexandrie ne pouvait qu’être le lieu de controverses et d’hérésies qui déchirèrent le monde chrétien.
Ce fut d’abord les Arianistes ou disciples d’ Arius.
Plus importants furent les monophysites, qui considéraient que le Christ n’avait qu’une seule nature, à la fois homme et dieu : ils sont à l’origine de l’église copte, détachée de Constantinople.
Le mouvement érémitique et le mythe de la Thébaïde
Alors qu’Alexandrie apparaissait comme la ville de toutes les tentations, des religieux voulurent se retirer du monde dans une région désertique près de Thèbes : beaucoup d’anachorètes y vécurent. Paul de Thèbes (228-341 ?) fut le premier ermite ; mais le plus célèbre fut Saint Antoine, dont les « tentations » inspirèrent les peintres flamands (dont Bosch), les Martyrs de Chateaubriand (1809), ou encore La Tentation de Saint-Antoine de Gustave Flaubert (1874). En 1890, dans Thaïs, Anatole France décrit encore Alexandrie comme une ville de perdition !
La fin de l’Alexandrie antique
En 641 ap. J-C, Alexandrie bascule dans le monde arabo-musulman. Elle n’est plus désormais qu’une ville-frontière aux confins de l’Islam, ancrée à l’Orient et coupée du monde chrétien. Abandonnée par l’imaginaire occidental, elle continue de rayonner dans la culture arabe.
Devenue un carrefour commercial entre l’occident chrétien et l’orient islamisé, elle est désormais surtout peuplée de marchands, d’interprètes et de marins ; elle perd de son aura universaliste et intellectuelle, mais survit, prospère, et se fortifie face à la menace des Croisades.
Redécouverte lors de la campagne d’Égypte (1798), elle connaîtra d’abord une survie littéraire à la fin du XIXème siècle, puis connaîtra un nouvel âge d’or, éphémère, dans l’Entre-deux-guerre : le très beau roman de Lawrence Durrell, le Quatuor d’Alexandrie s’en fait l’écho.
Mais elle n’est plus alors qu’un mythe, l’Alexandrie antique ayant totalement disparu, contrairement à tant d’autres villes comme Éphèse ou Pergame…