Un emploi particulier du groupe nominal sans déterminant : la nomination

On pourra enfin noter un emploi bien particulier, et de plus en plus courant, tant en poésie que dans la prose contemporaine, des groupes nominaux sans déterminant : la simple nomination, évocation d'un fait, d'un phénomène, le plus souvent sans expansion, au sein d'une phrase nominale.

Un exemple fera bien comprendre de quoi il s'agit. Lisez le tout premier paragraphe du texte de Rachid Boudjedra qui sera étudié dans la séquence 15 :

Constantine : 26 juin 1995. Crépi ocre des maisons. Falaises argileuses surplombant les gorges profondes du Rhumel. Fumets de têtes d'agneau grillées en plein air. Odeurs de musc et d'ail. Relents d'urine, aussi, à cause des ânes nombreux dans les ruelles trop étroites de la Casbah et qu'on utilise pour le ramassage des ordures. Grondement des eaux jaunes et boueuses du torrent qui hurle dans ces gouffres vertigineux, en plein centre de la ville, au-dessous d'un pont emblématique, suspendu et métallique. Aubaine pour les suicidaires intraitables et farouches et les vents coulis et calamiteux qui le font se balancer dans le vide. Vacarme dans le soleil.

Les huit noms que nous avons surlignés dessinent un portrait de la ville de Constantine, fait de touches juxtaposées à la manière d'un tableau pointilliste, dans une série de phrases nominales ; ces noms constituent à eux seuls des propositions, indépendantes ou principales : on peut ici parler de "mots-phrases".