© Marie Ehermann et Marie Fournier
Le temps du récit
Le présent : la présence du Lager
L'absence de passé et de l'avenir
La perte des repères temporels
Le temps se remet en marche
Le retour du temps
Le temps de l'action
Une fin inespérée.
LE TEMPS DU RÉCIT.
Le présent : présence du Lager.
Le premier et le dernier chapitre racontent des événements
précisément datés qui se déroulent rapidement. Au début, on
trouve du plus que parfait, qui accentue la distance temporelle,
comme si les faits s'étaient produits à une autre époque. On
trouve aussi les temps du récit, notamment le passé simple.
Les chapitres centraux sont essentiellement écrits au présent,
temps de la description, ou présent de narration : Primo Levi revit
son expérience au Lager à travers la description qu'il en fait.
L'absence
du passé et de l'avenir.
C'est dans le présent que les détenus sont enfermés. Pour eux, le
temps s'est arrêté, il n'y a plus ni passé ni avenir. Ils ont
été dépouillés de tous leurs effets personnels, de leur nom, et
ont perdu tout contact avec leurs proches ; ils ont perdu tout
repère temporel, et vivent au jour le jour en pensant qu'il n'y
aura peut-être pas de lendemain. Le Lager, qui peut être comparé
à l'enfer, est un lieu où le temps n'existe plus, c'est un monde
à part. Cf. la surprise douloureuse de Levi lorsque les jeunes
Allemandes du labo de chimie lui rappellent que Noël approche, et
disent "Cette année est vite passée". (p. 153-154)
"Pour les hommes libres, le cadre temporel a toujours une valeur, d'autant plus grande que celui qui s'y meut y déploie de plus vastes ressources intérieures. Mais pour nous, les heures, les jours et les mois n'étaient qu'un flux opaque qui transformait, toujours trop lentement, le futur en passé, une camelote inutile dont nous cherchions à nous débarrasser au plus vite. Le temps était fini où les jours se succédaient vifs, précieux, uniques : l'avenir se dressait devant nous, gris et sans contours, comme une invincible barrière. Pour nous, l'Histoire s'était arrêtée." (p. 125, ch. 12)
Pourtant, le prisonnier vit dans une attente permanente, de la soupe, de la nuit qui mettra fin, provisoirement, aux souffrances du travail forcé.
La
perte des repères temporels
La chronologie du récit n'est pas rigoureuse. Les événements du
chapitre 3, p. ex, se passent avant ceux du chapitre 2. Les repères
chronologiques au Lager sont surtout le temps qu'il fait (la neige,
la pluie, le soleil, qui sont d'une si grande conséquence sur la
vie et les souffrance des prisonniers), et les rythmes de la
journée (voir exposé : Une journée
au Lager). Un temps cyclique, sorte d'éternel retour, a
remplacé le temps linéaire. Chaque jour apporte son lot de
répétition, du lever au coucher. Ainsi, la nuit, les allées et
venues vers le seau permettent de compter les heures.
LE TEMPS SE REMET EN MARCHE.
Le
retour du temps linéaire
Les repères chronologiques réapparaissent au chapitre 10 (l'Examen
de chimie) ; ces événements concernent la vie au Lager. Nous
apprenons ce qui s'est passé en octobre, en décembre : l'examen de
chimie, la rencontre avec Pikolo, les premiers bombardements d'août
1944, la "grande sélection" d'octobre 1944, la dernière
pendaison, et enfin, en un seul chapitre, l'évacuation du camp et
la libération des derniers détenus, dont le narrateur.
A partir du chapitre 12 (bombardements de l'été) et surtout du
chapitre 15 (l'avancée des Russes, perceptibles aux vibrations que
provoque l'artillerie),on parle pour la première fois au Lager des
événements extérieurs. Le monde extérieur (débarquement en
Normandie, offensive russe) recommence à exister pour les
prisonniers.
Le
temps de l'action
Dans le chapitre 17, qui clôt le livre, la chronologie devient
très précise, les événements sont décrits jour par jour, et
même heure par heure. Les détenus malades, ou ceux qui n'ont pas
voulu être évacués, abandonnés dans le Lager, doivent attendre
la fin des événements extérieurs pour voir changer leur
situation, mais en même temps, s'ils veulent survivre, il leur faut
agir. Ils appartiennent à nouveau au temps historique ; et l'espoir
renaît.
Une
fin (in)espérée
La description de l'arrivée des Russes est très brève (p. 186
: deux lignes !) ; les survivants se divisent en deux groupes : les
naufragés et les rescapés.Cinq meurent dans les jours qui suivent
la libération du camp ; les cinq autres survivront et rentreront
chez eux (parmi eux : le narrateur, Charles et Arthur).
La dernière phrase du récit nous ramène brusquement dans le
présent du narrateur, et dans un avenir retrouvé :
"Quant à Charles, il a repris sa profession d'instituteur ; nous avons échangé de longues lettres, et j'espère bien le revoir un jour." (p. 186)
CONCLUSION :
Le temps est perçu comme interminable par les détenus ; les jours se succèdent et se ressemblent à tel point, au Lager, qu'ils perdent la notion du temps. Le temps a perdu sa structure linéaire ; il n'offre plus ni espoir ni perspective. Redevenir homme, dans le dernier chapitre, c'est aussi se réapproprier le temps.
Dernière modification : 22/01/03