Sommaire
- introduction
- Lecture analytique du prologue
- Lecture cursive de Mauvais Sang
- Lecture cursive d’Alchimie du Verbe
- Lecture analytique de l’incipit d’Alchimie du Verbe
- Lecture analytique du poème l’Eternité, et comparaison avec le texte des Vers Nouveaux (Objet croisé : Les Réécritures)
- Lecture analytique d’Adieu
- Synthèse : le caractère autobiographique de la Saison.
NB : Nous utiliserons l’édition GF-Flammarion n° 506, avec une préface de Jean-Luc Steinmetz.
Introduction
Rimbaud en 1873, publie Une Saison en enfer à Bruxelles : c’est une ville qui reste relativement à l’abri de la censure ; c’est là que V. Hugo exilé a publié les Châtiments en 1853. En réalité, « publier » est un bien grand mot, car Rimbaud disparaît après être allé chercher la dizaine d’exemplaires qui lui étaient réservés, et il ne paiera jamais son éditeur ; c’est ainsi que l’on retrouva une caisse intacte d’invendus… Il en déposera tout de même un, dédicacé, à la prison de Mons où Verlaine purge une peine de prison après avoir tenté de le tuer.
Le texte est daté d’avril-août 1873. Une année décisive : c’est celle de la séparation. Verlaine a fui Londres, où il vivait avec Rimbaud depuis septembre 1872, mais Rimbaud est venu le rejoindre à Bruxelles. Le 10 juillet, au cours d’une violente dispute, Verlaine a tiré au pistolet sur Rimbaud, le blessant au poignet. Rimbaud retire sa plainte, mais Verlaine est condamné à deux ans de prison ferme.
Leurs chemins se séparent : en prison, Verlaine se convertit, et écrit Sagesse ; Rimbaud écrit probablement les Illuminations – qu’il laisse inachevées puis c’est le silence, dès 1875.
L’architecture de la Saison
- un prologue (p. 105-106) où le damné offre son œuvre à Satan ;
- Mauvais sang (p. 107-114) : il appartient au monde païen, ou mal christianisé, des parias, des forçats, des indigènes colonisés ;
- Nuit de l’Enfer (p. 115-117) : les souffrances et les défis du damné ;
- Délires :
- I, Vierge folle : dialogue de la « Vierge folle » (Verlaine ?) et de « l’Epoux infernal » (Rimbaud ?)
- II, Alchimie du Verbe : récit de ses tentatives poétiques évoquées dans les « lettres du Voyant » et de son échec : un texte essentiel.
- L’impossible (p. 133-135) : l’espoir éveillé par l’Orient
- L’Eclair (p. 137-138) évoque le travail humain
- Matin (p. 139) évoque un Noël laïque, sans le christ
- Adieu (p. 141-143) : constat d’échec et espoir de repartir vers une aurore.
La couleur biblique
Il ne fait pas de doute que l’évangile tourne au contre-évangile, surtout dans un contexte infernal. Dès le prologue, Rimbaud adopte le on de la parabole biblique et très exactement ici la parabole du festin dans l’Evangile : l’invité qui n’a pas mis les habits de noces est rejeté, damné.
Dans « Nuit de l’enfer », tout en s’en prenant à ses parents qui l’ont fait chrétien, donc « esclave de [s]on baptême », il évoque le Christ marchant sur tes eaux du lac de Tibériade.
Dans la deuxième partie d’« Adieu », il se trouve au terme d’une « dure nuit » comme le Christ quand sur le Mont des Oliviers, s’est cru abandonné de Dieu le Père (la nuit de Gethsémani). Au sortir de l’enfer, le « damné » se retrouve seul, sans une « main amie ».
Jeux d’ombres et de lumières
Une Saison en enfer serait un tableau en noir et blanc si ne flamboyait le feu de l’enfer, qui est aussi celui de l’été, – de l’été 1873.
Le rouge
Curieusement absent de « l’œil bleu blanc », dans « Mauvais sang » (mais l’homme du peuple y danse le sabbat dans une « rouge clairière »), il est nécessairement présent dans « Nuit de l’enfer » qui est, pour le damné, une plongée dans les flammes de l’enfer (« une goutte de feu», « le feu qui se relève avec son damné »). Il brille de tout son éclat dans « Délires II » – « Alchimie du verbe », montée vers le « soleil, dieu de feu » qui peut répandre de la « poudre de rubis brûlante ». Au début « d’Adieu » le ciel n’est plus que « taché de feu », comme si le feu infernal s’éloignait en même temps qu’on entre dans l’automne.
Le noir
Le Livre païen devait être à la fois celui d’un homme mal christianisé et de l’individu qui est nativement et irrémédiablement un paysan (paganus, en latin, a donné païen et paysan; voir « Adieu », « Paysan! »). Le Livre nègre tendait à faire de ce paganus un homme à « la peau sombre », un de ces « enfants de Cham[1], c’est-à-dire un Noir.
Si le damné est un tel Noir, il peut entrer dans la nuit de l’enfer, au plus profond de cet « abîme » où se trouve la Vierge folle dans « Délires I ». Par une étrange dérive, l’odyssée de « Délires II » va vers la « patrie de l’ombre et des tourbillons », donc le pays de la nuit. Cette nuit s’éclaire (« L’Éclair », « Matin ») et le livre s’achève sur la quête de la « clarté divine », de « l’aurore ».
[1]Dans la Bible, Cham, l’un des trois fils de Noé, est celui qui donne naissance à la race noire.
Le blanc
Dans « Nuit de l’Enfer », Jésus est montré « blanc et des tresses brunes », avec un effet saisissant de noir et blanc. Mais, par opposition aux Noirs, les Blancs n’ont pas bonne réputation dans « Mauvais sang »: ils sont les puissants de ce monde, les colonisateurs. Rimbaud se méfierait tout autant des vêtements blancs des élus, au Paradis. La pureté qu’il recherche est d’un autre ordre (voir la fin de « L’Impossible »): c’est un point de lumière à partir duquel tout pourra être recommencé (telle « Aube » dans les Illuminations).
|Le récit d’une aventure poétique
« Délires II » racontent l’histoire d’un poète qui a voulu être un alchimiste du verbe, c’est-à-dire transformer le langage pour en faire de l’or. Ce récit est en prose, mais il est illustré par des poèmes en vers de Rimbaud qui remontent aux mois vécus à Paris et à Bruxelles avec Verlaine (de septembre 1871 à août 1872). Aucun poème en prose n’est présent à titre d’illustration. L’apostrophe au « Général Soleil » n’en est pas une, elle est, de plus, beaucoup trop intégrée au récit même.
Les étapes de l’aventure sont clairement marquées par le temps des verbes et les adverbes temporels :
- Les préparatifs (« Depuis longtemps » + imparfait): le goût de l’insolite, éloigné dans le temps et dans l’espace.
- L’invention (« J’inventai » : passé simple) : travail sur les voyelles et les consonnes, recherche d’un langage nouveau « accessible à tous les sens ».
- « d’abord » une étude: l’hallucination simple, ou substitution volontaire d’une image poétique à un spectacle réel.
- « puis » une explication: rendre compte de l’hallucination simple avec l’hallucination des mots.
- « je finis par » […] « le désordre de mon esprit »: risque de déséquilibre.
- Le sommet : fantasme solaire et délire éclatant de celui qui dira dans les Illuminations s’être rêvé « fils du soleil » et qui s’est vu « étincelle d’or de la lumière nature ». Poétiquement ce sommet correspond à un poème de 1872 qui, à lui seul, était un « opéra fabuleux (« Éternité »).
- La dérive: entrée dans le monde du danger, de la terreur et de la mort (« Ma santé fut menacée »). Vision de la damnation.
- Le coup d’arrêt (la dernière phrase): rejet de cette aventure dans le passé.
Les poèmes en vers qui sont égrenés tout au long de ce récit prennent beaucoup de libertés à l’égard des règles de la versification: assonances au lieu de rimes (« Loin des oiseaux », connu par ailleurs sous le titre « Larme »), usage du mètre impair (7 syllabes dans « Faim »), mélange des mètres pairs ou impairs (« Elle est retrouvée », poème connu par ailleurs sous le titre « Éternité » ou « L’Éternité »).
D’une certaine manière, une telle liberté prépare à celle, plus complète mais différente, du poème en prose.
Prologue
- Le récit d’une expérience douloureuse et inachevée ;
- Récit à la 1ère personne ; plusieurs destinataires
- Marques temporelles
- Un personnage chassé d’un paradis, et qui ne peut y revenir.
- Un texte allégorique : combat du bien et du mal ;
- Construction du texte : métaphore filée du « festin », et texte qui s’achève par « damné » ; Ce texte est tout entier une allégorie : Ton du conte de fée, qui va être brisé, rompu : « couac » détonnant, qui discorde [allusion au drame de Bruxelles ?] ; on y trouve un certain nombre de figures allégoriques : festin, justice, beauté, espérance humaine, charité. Le crime lui-même est devenu un vent, une figure allégorique. Ce texte est aussi une parabole (exclusion qui fait penser à celle des vierges folles) : beaucoup de supports bibliques.
- Métonymies, allégories, isotopie du mal et de la cruauté, par opposition à la métaphore du « festin », lieu d’abondance, mais interdit.
- Un texte poétique, et qui parle de la poésie.
- Un récit qui demeure énigmatique : jeux de la logique et de la rupture (polysyndète /asyndète, hyperbates…), jeux sonores…. Un poème en prose.
- Renvoie à la Lettre du Voyant : rejet de la Beauté, allusion à la folie, cette tentative qualifiée à présent d’illusoire (les « pavots ») ; les textes produits ainsi (= les Illuminations ?) qualifiées de « petites lâchetés en retard »… Constat d’échec d’une expérience poétique, avant le choix final du silence.
- Introduction à la Saison : dernière ligne, auto-référentielle. « ces quelques hideux feuillets » = la Saison, = le récit de cette expérience. Art poétique en prime : « absence des qualités descriptives ou instructives » : ironie de Rimbaud. → refus de la poésie descriptive, d’un monde qui nous serait donné tel quel et qu’il faudrait retranscrire
Ce poème liminaire et énigmatique nous met en contact avec le style abrupt, allusif et insolite de Rimbaud : absence de titre, mais des astérisques : faut-il y voir un nom ? Cette ouverture est une dédicace au Diable. Comme dans les Petits poèmes en prose de Baudelaire, « je » est un personnage.
Mauvais Sang
Mauvais Sang est constitué de huit séquences. Vous pouvez les numéroter de I à VIII ; ne pas oublier les notes de J-L Steinmetz, très éclairantes (p. 195-197), ainsi que le brouillon du texte p. 149-150.
I – Rimbaud met en place un premier mythe : celui des Gaulois. Donnez-en les principales caractéristiques. Le mythe gaulois se caractérise à la fois par des caractères primitifs, et par des traits qui en font un peuple vaincu. Il commence par un portrait physique : le Gaulois à l’œil bleu-blanc, la cervelle étroite, la maladresse dans la lutte, l’habillement barbare, et il beurre sa chevelure. Ils vivent de chasse et de culture sur brûlis (l. 6-7), et sont paresseux. Rimbaud se reconnaît dans ce portrait : couleur des yeux, inaptitude à la guerre et à tout métier…
Que signifie l’expression « la main à plume vaut la main à charrue » ? Cette expression met sur le même plan le travail d’écrivain et celui de paysan ; Rimbaud les rejette tous deux.
II – A quels épisodes de l’Histoire de France est-il fait allusion l. 8-17 ? la « France fille aînée de l’Eglise » et les allusions qui suivent, l. 10-14, font référence aux croisades ; de même que le « lépreux », si courant à cette époque, et dans ces pays du Moyen-Orient (au pied d’un mur rongé par le soleil) ; le « reître » fait référence aux guerres médiévales.
Que signifie, dans ce passage, l’expression « race inférieure » ? Quels passages montrent que le poète s’identifie à elle ? La « race inférieure » est celle du peuple (descendant des Gaulois vaincus selon une théorie de l’époque), par opposition à la noblesse d’origine franque. Elle est aussi celle des « païens » (« je danse le sabbat… » par opposition aux chrétiens. Il s’identifie à elle : cf. l. 5 : « j’ai toujours été race inférieure », l. 9 « manant », l. 23-25 « je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des seigneurs – représentants du Christ. » A la fin du texte, la victoire des Lumières sur la religion (victoire provisoire…), puis le positivisme du 19e siècle lui apparaissent comme le triomphe de cette « race inférieure ». C’est une vision poétique, et non historique, de l’Histoire !
III – « me voici sur la plage armoricaine »… Quelle possibilité d’évasion est ici évoquée ? C’est un nouveau « voyage » qui est ici évoqué, après celui d’ouest en est qui était celui des Croisades, du christianisme. « Le sang païen revient ! », symbolisé par cet appel vers l’Ouest, et une première possibilité de salut, le voyage maritime, peut-être vers le Nouveau Monde. D’où la présence des futurs : « je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. »
Etudiez les temps verbaux : sur quelle opposition est construite la fin du texte ? Les deux derniers § présentent une opposition : le premier (l. 14-19) présente le salut comme assuré ; il est tout entier au futur, et il dessine une revanche : l’opprimé, de « race inférieure » reviendra riche, prestigieux, aimé des femmes, et même prêt à participer au pouvoir. Le second (l. 20-21) revient au présent : malédiction, rejet de la patrie… et désir d’anéantissement. Cette première possibilité de salut est illusoire.
IV – quelle expression fait le lien avec le passage précédent ? Que traduit-elle de l’état d’esprit du Narrateur à ce moment du texte ? Le quatrième passage témoigne de cet échec, avec le très sec constat : « on ne part pas. » Il ne reste plus qu’à « reprendre les chemins d’ici » ; le désarroi du narrateur s’exprime au travers d’une ponctuation impressive (points d’interrogation, d’exclamation, tirets).
Relevez le champ lexical dominant dans ce passage. On relève en fait plusieurs champs lexicaux : celui de la déchéance : « vice », « dégoûts », « trahisons », « ennui et colère », « mensonge » « abrutissement »… celui de la souffrance : « marche, fardeau, désert », « le poing desséché », « s’étouffer », « je suis tellement délaissé »… et celui de la cruauté : « quels cœurs briserai-je ? Dans quel sang marcher ? » L’ensemble de ces champs lexicaux crée une isotopie de la négativité : le narrateur reste dans son enfer, sans issue possible.
V – A quel personnage Rimbaud fait-il allusion dans le premier § ? Probablement à Jean Valjean : il avait lu les Misérables dès leur parution, grâce à Izambard qui les lui avait prêtés. Mais le personnage du forçat était aussi fréquent dans la littérature populaire… et dans les journaux.
A quel nouveau personnage s’identifie-t-il à partir de la ligne 36, et jusqu’à la fin du texte ? Il s’identifie ensuite à un « nègre » : le Noir était la figure même de l’opprimé, du colonisé, de l’esclave, souvent converti de force (« les blancs débarquent. Le canon » p. 112).
Qu’y a-t-il de commun entre ces personnages ainsi évoqués, dans le 1er texte, et celui-ci ? Tous ces personnages, le Gaulois, le forçat, le nègre, ont en commun d’être des opprimés, exclus de la société bourgeoise triomphante d’après la Commune, et méprisés. Rimbaud reste fidèle à ses choix : il est du côté de ceux qu’on opprime et qu’on asservit.
VI et VII – Ces deux textes évoquent une possibilité de salut : sous quelle forme dans le texte VI ? Le texte VI évoque une autre possibilité de salut : par la grâce, le baptême, l’amour divin, le renoncement aux « chimères, idéals (sic !) erreurs ».
Montrer que cette possibilité est rejetée dans le texte VII ; à nouveau, comme dans le texte IV, cette possibilité est rejetée : celui-ci semble pourtant commencer par une acceptation… mais tout de suite ressurgit l’ironie : « je ne me crois pas embarqué dans une noce avec Jésus-Christ pour beau-père » – plaisanterie et allusion à la France « fille aînée de l’Eglise » ; le salut espéré n’est en définitive qu’une « farce », et le mot est employé deux fois.
On peut donc repérer la structuration du texte : l’autoportrait du narrateur en « maudit » (Gaulois, nègre… païen) (I- II) ; puis une première tentative de salut, qui apparaît comme illusoire : la fuite au Nouveau Monde (III-IV) ; nouvelle identification aux exclus, forçat et nègre (V), seconde tentative de salut, tout aussi vaine, par la religion (VI-VII) et enfin le dernier texte.
VIII – « la vie française » (combat et travail) s’oppose terme à terme au mythe gaulois (texte I). Montrez-le. Le Narrateur retourne donc à son enfer, et constate à nouveau son caractère étranger à la « vie française », identifié au « sentier de l’honneur ». Cette « vie française » s’oppose terme à terme au mythe gaulois : par la guerre (le Gaulois est « maladroit à la lutte »), et par le travail, les outils, qui s’opposent à son inaptitude aux métiers. Rimbaud les rejette l’un et l’autre – il est donc plus que jamais exclu.
« Alchimie du Verbe » : Questions pour la lecture cursive
► Comment comprenez-vous le titre ? Cherchez dans un dictionnaire l’origine et la définition du mot « alchimie » : Le mot vient du latin médiéval « alchemia », tiré de l’arabe al-kimiya’ : la chimie. Vient probablement du grec de basse époque khêmia, « magie noire », lequel provenait peut-être de l’égyptien kêm, noir. Nom donné à la chimie médiévale, qui s’efforçait de découvrir la pierre philosophale, qui était supposée propre à transmuer tous les métaux en or et à guérir toutes les maladies.
Plus tard, l’alchimie désigne des recherches savantes, des combinaisons compliquées et un peu mystérieuses, dans un art quelconque, pour obtenir du nouveau, de l’exquis.
Peut-être faut-il voir là l’influence du Faust de Goethe ; Baudelaire avait lui-même écrit une « Alchimie de la douleur » dans les Fleurs du Mal de 1861. (« Spleen et Idéal », LXXXI)
► Alchimie du Verbe est composée d’une alternance de vers et de prose :
► A quel genre appartient la partie en prose ? Relevez quelques indices qui vous permettent de le dire (personnes, temps des verbes, indices locaux et temporels…) ? Il s’agit d’un récit autobiographique, comme en témoigne la première phrase : « histoire [= récit] d’une de mes [1ère personne] folies ».Un 1er passage à l’imparfait, introduit par « depuis longtemps » ; puis surgissement du passé simple (p. 126, allusion au Sonnet des voyelles, et à la Lettre du Voyant).
« Ce fut d’abord une étude » (p. 126 : marque la 1ère étape.)
Page 127 : « je m’habituai…puis j’expliquai… Je finis par trouver… » = le risque de la folie. Allusion cette fois à l’influence des Romances sans paroles de Verlaine. Cette étape continue p. 128 (« J’aimai le désert… ») qui souligne le caractère destructeur de cette période.
« Enfin, ô bonheur… » : description de cette folie (comme « voix de la nature » ?) : « je devins un opéra fabuleux »… mais cette folie est désormais présentée de manière négative : « sophismes », « système ».
Nouvelle étape : la terreur (p. 131), les tentatives pour y échapper (« je dus voyager »), mais en vain : « j’avais été damné par l’arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité… » Rimbaud oppose ici « bonheur » et « force & beauté ».
Enfin, dernière étape : l’ultime phrase, parfaitement ambiguë. Un constat, d’abord : « cela est passé ». Et que signifie « saluer la Beauté » : la reconnaître et l’honorer (et cela s’oppose au prologue) ? ou prendre congé d’elle ? Les deux interprétations s’imposent, et se superposent !
► Quelle est la fonction des poèmes insérés dans la prose ? Ces poèmes sont des reprises de textes écrits par ailleurs, et ici déformés, transformés.
- Larme (« Loin des oiseaux ») p. 126
- « A quatre heures du matin… » p. 126 : ces deux poèmes illustrent l’étude qui précède : « je fixais des vertiges »
- Chanson de la plus haute tour p. 128 : il s’agit bien d’une « romance » inspirée de Verlaine (rimes féminines, « vieillerie poétique »)
- Faim p. 129
- Le Loup criait p. 129 : ces deux poèmes illustrent l’aspect destructeur de cette folie, le désir de jeter bas tout ce qui appartient à la bourgeoisie. Souvenir de la Commune, et des exilés rencontrés à Londres.
- L’Eternité p. 130, qui est le sommet d’Alchimie, est un bref et provisoire triomphe ;
- Ô saisons, ô châteaux ! p. 131 : sorte de paraphrase du dernier § (Le Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait au chant du coq…)
Etude de l’incipit
« Écoutons la confession d’un compagnon d’enfer… »
Alchimie du verbe est le deuxième volet du diptyque poétique intitulé Délires : il est le pendant du premier Délire. Dans ce texte, le poète donne la parole à « un compagnon d’enfer » qui confesse ses fautes pour exorciser son vice. Le second Délire, Alchimie du verbe se présente aussi comme une confession. Cependant, le narrateur à l’œuvre depuis le prologue du recueil, reprend la parole à nouveau : « À moi [de raconter] l’histoire d’une de mes folies », écrit-il en effet. L’on est bien ici dans le registre de la confession. L’être tourmenté qui autopsie sa conscience à longueur de pièces se penche dans Alchimie du verbe sur ce qui aura été pour lui une expérience poétique intense et finalement tragique. Il se retourne ainsi sur sa vie en utilisant le ton critique et ironique de celui qui a cru en une révolution poétique et qui a pris conscience de s’être lourdement fourvoyé.
Le regard qu’il porte sur son passé est en effet celui de la lucidité. Le détachement qu’il manifeste à propos d’une partie de sa vie est tel que sa voix se nimbe de moquerie. Ce texte est même une auto-dérision. Alchimie du verbe stigmatise effectivement sa crédulité et sa naïveté. L’utilisation de l’imparfait et du passé simple rejette cette expérience dans une temporalité révolue, reléguée dans un temps presque oublié qui n’existe plus que dans l’esprit du narrateur. Les références au temps sont extrêmement floues. Le texte ne propose aucune datation précise, aucun repère temporel susceptible d’inscrire cette expérience dans un passé nettement déterminé : « Depuis longtemps », « ce fut d’abord » sont des locutions extrêmement vagues qui soulignent l’écart existant entre le temps de renonciation et celui des faits dont il est question.
Cette impression de détachement est par ailleurs amplifiée par la structure même de sa relation : Alchimie du verbe, sans suivre un schéma narratif véritablement classique, propose cependant un itinéraire diégétique rigoureux. Le récit est ordonné au moyen de connecteurs qui jouent un rôle énumératif : « Depuis longtemps », « ce fut d’abord » » sont des locutions extrêmement vagues qui soulignent l’écart existant entre le temps de renonciation et celui des faits dont il est question.
Ce regard rétrospectif, ironique et mordant, revêt les accents de la confession en raison surtout du parti que prend le narrateur de tout révéler à son lecteur. Il est question de narrer « l’histoire d’une de [ses] folies », de « la folie qu’on enferme », précise-t-il. Il n’hésite pas par exemple à évoquer ses goûts décalés pour la peinture ou pour la littérature :
J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Le narrateur ne craint pas les sarcasmes de ses lecteurs – confidents. Il se raconte, il s’analyse, il s’offre aux yeux de tous. Et si les autres rient, il ne se prive pas de rire lui-même, avec eux, de sa naïveté d’autrefois ! Les épithètes utilisées par le poète mettent en évidence la remise en question de ses goûts personnels : « idiotes », « populaires », « démodée », « érotiques », «petits », « vieux », « niais », « naïfs ». Il faut noter la postposition insolite de l’adjectif dans « opéra vieux » : « vieux » se trouve ainsi mis en parallèle avec « niais » et « naïf » : cela insiste sur le caractère suranné. A l’inverse, « vieil opéra » aurait eu une connotation positive. D’autre part, cette postposition contredit la « cadence majeure », donnant un effet de boitement.
- Cadence majeure :normalement un adjectif court précède un nom plus long.
- Cadence mineure, plus rare et toujours marquée : un substantif long précède un adjectif court.
De même, les compléments de déterminations du nom comme « de saltimbanques », « d’église », « de nos aïeules », « de fées », « de l’enfance » complètent le champ lexical précédent. Deux réseaux sémantiques différents s’imbriquent donc subtilement : la naïveté le dispute au suranné. C’est donc avec une lucide ironie que le narrateur regarde aujourd’hui ses passions esthétiques de jeunesse.
Histoire d’un art poétique
Le personnage qui entreprend ici sa confession est un poète. Et l’expérience qu’il a décidé de rapporter est précisément l’histoire de son écriture.
Des débuts sous le signe du Parnasse
Lorsqu’il entre en poésie, le narrateur semble souscrire aux revendications esthétiques parnassiennes. Il met en premier lieu l’accent sur la forme de ses textes : « je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne », dit-il par exemple. Dans un premier temps, sa poétique se caractérise donc par un souci extrême porté à la technique. L’exemple qu’il donne de ses premières publications respecte en effet les exigences techniques des Parnassiens : le texte A quatre heures du matin, l’été… ressemble à bien des égards à ceux de Banville, de Gautier ou de Coppée. Mais, rapidement, sa démarche s’écarte du seul enjeu esthétique : sa période parnassienne, il semble la vivre avant tout comme une phase d’étude et d’expérimentations : « ce fut d’abord une étude ». La poésie est vécue d’abord comme une expérience et s’il utilise les procédés chers à Leconte de Lisle, c’est en vue d’autre chose.
Dépassement de la poétique parnassienne
Les premières occurrences perceptibles dans le texte A quatre heures du matin, l’été sont un témoignage du tour que le poète fait prendre à sa poésie. Son « étude » le conduit à ouvrir davantage encore sa sensibilité. Au rythme rigoureux, il essaie de substituer un « rythme instinctif » que les vers impairs du poème et les changements incessants de rythme illustrent parfaitement. Les émotions impriment au texte une cadence particulière et la structure doit se plier au diktat du transport de l’âme. C’est pour cette raison impérieuse qu’il cherche à « inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens ». Cependant, si le Parnasse est remis en question, il reconnaît pourtant qu’il a contracté envers lui une dette importante : « La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe » confesse-t-il. Et c’est d’ailleurs d’une manière naturelle que sa démarche débouche sur une certaine forme d’hermétisme, terme galvaudé mais légitimé ici par la référence à l’alchimie. Les propositions « Je réservais la traduction » ou « je notais l’inexprimable » attestent bien son désir de dépasser la poétique contemporaine pour montrer que la beauté se trouve dans les replis obscurs d’une langue encore inconnue des hommes, mais qui se trouve là, à portée de main ! Pour lui, le beau doit désormais exprimer « l’inexprimable ».
Illusions de jeunesse
L’ironie ambiante qui a été mise en évidence précédemment s’explique sans doute par la prise de conscience brutale du narrateur que son rêve de fonder une nouvelle poésie relevait plus de la prétention et de l’outrecuidance que du génie littéraire. En premier lieu, c’est son extrême ingénuité qui est fustigée. Et sa naïveté le conduit à la suffisance. De nombreuses expressions mettent en évidence l’outrecuidance de ses prétentions : «je me vantais », «je trouvais dérisoires », « J’inventai la couleur des voyelles », « je me flattai », « j’expliquai mes sophismes ». Son orgueil le pousse à considérer tour à tour quatre domaines différents qui procèdent de son expérience poétique personnelle.
Premières prétentions
La première de ses prétentions est celle de « détenir tous les paysages possibles ». Il a sans doute cru pendant un long moment en une révolution esthétique de l’image poétique dont il serait le principal et unique animateur. C’est pourquoi, le narrateur se tourne si désespérément vers l’art populaire qu’il érige en fondement préalable à toute démarche artistique. L’on retrouve ici une certaine forme de décadence à la Des Esseintes, le héros de Huysmans : puisque les artistes contemporains se tournent vers une conception de la poésie très épurée et très élitiste, il faut se démarquer de leur démarche en suivant le chemin d’un excès inverse. Ainsi, la beauté va être recherchée dans des domaines où généralement l’on considère qu’elle est absente : « les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires » vont être pour le poète le terrain privilégié d’une découverte artistique ignorée de tous. Une découverte infinie, marquée par une énumération ouverte.
- Énumération ouverte = de type a,b,c ou a et b et c : qui peut se prolonger à l’infini. S’oppose à l’énumération fermée : a, b et c.
Comme Baudelaire, le poète va s’efforcer de trouver la beauté dans ce qui est tenu par la majorité pour laid et indigne d’intérêt esthétique. Le poète a ainsi pu croire quelque temps que le spectacle d’un « moucheron enivré à la pissotière de l’auberge » pouvait receler une certaine poéticité. Cette attitude destructrice témoigne du désir du narrateur d’affirmer son identité. Il se construit poétiquement en rejetant le canon esthétique de son temps.
Le narrateur veut par ailleurs être perçu par les autres comme un véritable aventurier de la découverte : « Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations ». Il veut être le premier à fouler des terres poétiques encore inconnues pour laisser une trace, pour marquer son temps. Et la référence aux mythes n’est sans doute pas un hasard ! «croisades », « voyages de découvertes », « républiques sans histoires » et « guerres de religion étouffées » ont un dénominateur commun : toutes ces occurrences font état d’un monde qui n’est pas encore cartographié. Là encore, l’énumération est ouverte, c’est à dire sans limite. Mais il ne s’agit pas ici d’une entreprise de découverte physique : le poète nous entraîne sur le terrain du mythe et des mystères qui lui sont attachés. Les terres qu’il désire fouler le premier sont donc de nature immatérielle. Ce qui est important pour lui, c’est la possession d’une connaissance nouvelle, non encore révélée. Son orgueil est extrême : il couvre entièrement le domaine du savoir et du plaisir intellectuel. Ce poète est donc une sorte de gnostique qui érige la connaissance en moyen absolu de salut et de félicité.
Une si dérisoire poésie moderne
La seconde de ses prétentions consiste à considérer avec hauteur la littérature de son temps. Il trouve tout d’abord « dérisoires les célébrités […] de la poésie moderne ». C’est pour cette raison qu’il se tourne vers des formes littéraires surannées, n’appartenant pas au temps présent. La démarche qu’il suit est la même que celle qu’il a empruntée au domaine de la peinture. Sa construction poétique personnelle passe par une destruction des modèles contemporains. Et les petites pièces versifiées qui ponctuent le texte ont valeur d’exemple. Elles contrastent par leur forme avec la prose qui les entoure et impriment un rythme différent au texte.
A côté de la « littérature démodée » dont il s’est abreuvé et en laquelle il a cru percevoir la trace d’une source d’inspiration géniale, « La vieillerie poétique » lui apparaît comme insupportable. Comme Rimbaud, le narrateur regarde avec condescendance « les pisse-lyres » de son temps.
Je est-il un autre ?
« Alchimie du verbe », comme tous les textes d’Une saison en enfer, pose un problème d’énonciation. Les faits sont racontés par un narrateur s’exprimant à la première personne. L’on est bien entendu en droit de se demander tout de suite si ce narrateur peut être identifié à Rimbaud en personne. Il faut bien reconnaître qu’il existe de nombreux indices capables d’aiguiller le lecteur sur la piste de l’écriture poétique autobiographique.
Une poésie au goût autobiographique
Alchimie du verbe est la relation d’une expérience poétique très proche de celle qu’a vécue Arthur Rimbaud au début des années 1870. Commençant sa carrière sous le signe du Parnasse, il se tourne rapidement vers de nouvelles formes poétiques nées de sa révolte littéraire et politique. Avec la « voyance » qu’il a théorisée dans deux lettres célèbres du printemps 1871, le poète inaugure une technique de « dérèglement raisonné de tous les sens ». Cette pratique le conduira à écrire les plus belles pages de son œuvre et à révolutionner le genre poétique. De son esprit libéré naissent des mondes inconnus et fascinants où se mêlent indistinctement la tradition biblique ou mythique (Après le Déluge, Vénus anadyomène. Mystique…) et la modernité la plus étincelante (Villes I et II, Ville, Métropolitain, Les Ponts…).
Puis, fatigué par ses expériences et convaincu que son aventure l’avait conduit dans une impasse poétique, philosophique et politique, il tourne le dos à ses passions de jeunesse et forme le projet, dès Alchimie du verbe, de mettre un terme à ses expérimentations littéraires. Le texte Adieu qui ferme Une saison en enfer expose clairement ses nouvelles résolutions : quelques mois après l’avoir écrit, ayant vécu de nouvelles aventures poétiques en compagnie de Germain Nouveau à Londres, il s’embarque en Hollande pour des rivages lointains et cesse d’écrire pour toujours.
Etude de l’Eternité. (→ Les réécritures).
Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Éternité C’est la mer allée Avec le soleil.Âme sentinelle, Murmurons l’aveu De la nuit si nulle Et du jour en feu.Des humains suffrages, Des communs élans Là tu te dégages Et voles selon.Puisque de vous seules, Braises de satin, Le Devoir s’exhale Sans qu’on dise : enfin.Là pas d’espérance, Nul orietur. Science avec patience, Le supplice est sûr.Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Eternité. C’est la mer allée Avec le soleilVers nouveaux, p. 67 |
Elle est retrouvée ! Quoi ? l’éternité. C’est la mer mêlée Au soleil.Mon âme éternelle, Observe ton vœu Malgré la nuit seule Et le jour en feu.Donc tu te dégages Des humains suffrages, Des communs élans ! Tu voles selon…– Jamais l’espérance Pas d’orietur. Science et patience, Le supplice est sûr.Plus de lendemain, Braises de satin, Votre ardeur Est le devoir.Elle est retrouvée ! – Quoi ? – l’Eternité. C’est la mer mêlée Au soleil.Une Saison en enfer, p. 130. |
La Forme du poème
Six quatrains pentasyllabiques, sauf 3 vers trisyllabiques (« Au soleil » deux fois et « votre ardeur ») et un tétrasyllabe (« est le devoir »)
Le Texte original (TO) était, lui, parfaitement régulier.
Des rimes utilisées de manière plutôt désinvolte : croisées (str. I, II, IV, VI) ou plates (III, V) ; vraies rimes et assonances associées dans une même strophe (sauf IV, entièrement rimée).
Le TO était beaucoup plus régulier : seulement des rimes croisées, mais avec le même jeu sur rimes / assonances.
Le texte de la Saison, écrit de mémoire, est moins parfait, formellement, que le TO.
L’énonciation
- Le texte commence par une sorte de dialogue : « Elle est retrouvée. Quoi ? L’éternité ». Locuteurs énigmatiques, dont l’un domine l’autre parce qu’il sait.
- 2ème strophe : s’adresse à son « Âme » : même locuteur, même dialogue. « Observe », « tu »…
- 4ème strophe : une réponse (tiret)
- → nouvelle énonciation str. V : braises → votre
- 6ème strophe : retour au début.
On peut deviner à travers cette énonciation une structure :
Str. I à III : message d’espoir adressé à l’âme du poète ; str. IV-V : constat qu’il n’y a pas d’espoir ; str. VI : retour au début. Il y a donc une sorte de va-et-vient entre l’espoir et le rejet de l’espoir, celui-là même de la Saison. L’Eternité reproduit en abyme le schéma de la Saison.
TO : structure identique malgrè l’inversion des str. IV et V mais la rupture est moins brutale. La str. IV sert de transition entre deux systèmes d’énonciation (tu/vous) et deux thèmes : la liberté (« tu voles selon ») / le devoir. La formulation est aussi moins brutale : « on » ~ « votre ardeur est… »
→ la réécriture resserre le texte dans une image plus violente, plus brutale de l’alternance entre la liberté et la contrainte, l’espoir et la désespérance.
Les champs lexicaux dominants :
Strophes I à III
Éternité → mer mêlée / au soleil : harmonie cosmique. Il s’agit d’une sorte de hiérogamie, de Genèse inversée, de la séparation des éléments à leur ré-union.
Observe ton vœu, }
tu te dégages } = la liberté
tu voles selon }
Malgré la nuit seule} = une liberté conquise sur
et le jour en feu } l’univers hostile
communs élans }… Et sur la pression sociale
humains suffrages }
TO : Eternité → mer allée avec le soleil : plus dynamique
Âme sentinelle, murmurons l’aveu : « nous, murmure, aveu : une liberté plus secrète
Nuit « nulle » : paronomase ; le vide plus que l’hostilité de l’univers.
→ la réécriture a renforcé la structure, l’affrontement de la liberté et de l’ensemble constitué du monde et des hommes.
Strophes IV à V
Jamais d’espérance
pas d’orietur
Supplice sûr
plus de lendemain
braises… Ardeur
= condamnation au supplice, à l’enfer.
TO : moins de ponctuation impressive → moins de pathétique.
Conclusion : au sommet de la Saison, l’Éternité reproduit sa structure, son alternance entre l’espérance et l’enfer. Mais ici c’est (dernière strophe) l’espérance qui semble l’emporter… Pour un recommencement
Adieu
Question initiale : en quoi les deux parties d’Adieu s’opposent-elles ? (tonalité, champs lexicaux…)
- La première partie est très sombre : elle commence par « l’automne », une évocation de la « misère » probablement de Londres (« la cité énorme », « le port »), l’hiver redouté, le renoncement aux rêves créateurs « je dois enterrer mon imagination… », et la détresse d’une atroce solitude : « pas une main amie ».
- La deuxième partie au contraire est triomphale : « l’heure nouvelle », « la victoire m’est acquise », « tenir le pas gagné » ; le poète est encore dans la « nuit », mais « l’aurore » s’annonce. Et il renonce aux relations mensongères – il tirera force et vérité de lui-même : « il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps ». Le texte s’achève sur ce futur prometteur et triomphal.
Il n’y a pas de contradiction entre les deux parties : d’abord l’épreuve, puis le salut. C’est le parcours d’une initiation.
Le temps.
- Passé, présent et avenir : Le texte évoque d’abord un passé : la misère de Londres (« le port de la misère », « la cité énorme », et des visions d’enfer (« je me revois… l. 11-15). Un passé de création aussi (« j’ai créé… » l. 22-23, avec un rythme ternaire et une anaphore, puis une accumulation elle aussi anaphorique : « nouvelles »… Un passé désormais révolu. Puis le présent, sous forme de constat amer : « je suis rendu au sol […] Paysan ! » ; enfin le dernier texte évoque surtout le futur : « nous entrerons aux splendides villes » ; « il me sera loisible… »
- Le motif des saisons : Le poète a évoqué le printemps (incipit), et la Saison recouvre un printemps et un été (voir dates). Il évoque ici un automne (motif baudelairien !) et un hiver redouté.
- Le jour et la nuit : essentiellement dans le 2ème texte ; opposition de la « dure nuit » (l.46),moment du combat qu’il est en train de livrer, et de « l’aurore » porteuse d’espoir.
- Temps et éternité : l’éternité (retrouvée dans Alchimie) appartient ici au monde des chimères : « pourquoi regretter un éternel soleil ? l. 2) Elle est aussi le domaine de la mort : « Elle n’en finira donc point, cette goule… ». « Je n’ai rien derrière moi , que cet horrible arbrisseau… » = l’arbre de la connaissance. Il a été chassé d’un paradis qui ressemblait à l’enfer ; il rentre désormais dans le temps commun. « Posséder la vérité dans une âme et un corps » = opposition à l’ange ou au mage : il réintègre le monde des hommes.
Variation sur le motif du bateau : on se souvient que Rimbaud était venu à Paris avec le texte du Bateau ivre dans sa poche : un poème manifeste qui décrivait métaphoriquement la rupture avec toutes les règles. Ici le thème du bateau réapparaît, deux fois :
- « notre barque… » (l.5) : misérable départ vers une ville de brumes et de misère, Londres. Rimbaud se présente un peu comme ces esclaves à fond de cale : « je me revois…) l. 11-15)
- le bateau du rêve : « un grand vaisseau d’or »…. Mais c’est seulement une chimère.
Rimbaud et le Christ : Cf. 1ère question : une épreuve (une descente aux enfers) et une résurrection. Termes bibliques : « damnés », « point de cantiques », « ma face », allusion à l’arbrisseau, « c’est la veille » (résurrection ou crucifixion ?). Sentiment d’abandon dans le 1er texte, allusion à la résurrection dans le second.
Le nouveau départ : après le sentiment d’abandon du 1er texte, la solitude retrouvée – c’est à dire l’abandon des « souvenirs immondes », des « vieilles amours mensongères », des « couples menteurs ». La quête de vérité passe par la solitude (une âme et un corps – le mien).
Dans le second texte, les termes positifs l’emportent : vigueur et tendresse réelle (qui s’oppose aux mensonges des relations passées), « ardente patience », « splendides villes »… et enfin « posséder la vérité ».
Le caractère autobiographique de la Saison
Le pacte autobiographique
D’après l’étude de Philippe Lejeune : Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975.
Il comprend trois éléments :
- l’auteur, identifié par son nom sur la page de couverture, et, en principe, déjà connu du lecteur. Un auteur est quelqu’un qui a publié, auparavant, au moins un autre livre.
- le narrateur, celui qui dit « je » ;
- le personnage principal de l’histoire racontée.
Il faut que ces trois conditions soient réunies simultanément.
- Si l’auteur n’est pas le personnage principal : il s’agit alors d’un témoignage à la 1ère personne. Ex : tel auteur racontant la vie de De Gaulle…
- Si l’auteur n’est pas formellement identifié comme le narrateur : il s’agit alors d’un roman autobiographique. Ex des Claudine : il y a certes ressemblance entre auteur/ narrateur, mais cette ressemblance n’est pas assumée comme identité (puisqu’il y a deux noms différents).
Ne pas confondre avec le pseudonyme, qui est un vrai nom d’auteur, reconnu comme tel. Ex. de Catherine Paysan, qui explique dans le Passage du SS comment elle a choisi son pseudonyme.
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Chez Rousseau, Chateaubriand, Sartre, Sarraute, Yourcenar, C. Paysan, le pacte est respecté. Le « je » est sans ambiguïté celui de l’auteur.
Cas différents :
- Montaigne :
- Auteur = narrateur, mais peut-on parler de personnage principal ?
- pas de récit linéaire de sa naissance à sa mort ;
- une histoire de sa pensée beaucoup plus que de sa vie.
- Stendhal : La Vie d’Henry Brûlard, et non d’Henri Bayle ou de Stendhal. Mais :
- le nom d’Henry Brûlard ne figure qu’une fois. Partout ailleurs, Henry B. = Bayle
- journal non destiné à la publication, du moins en l’état. Précautions destinées à éviter justement une publication trop précoce, et méfiance de la police.
→ on ne peut juger en l’état.
- Proust : le narrateur n’a pas de nom ; sauf une seule fois, mais dans un même énoncé, il est proposé de donner au narrateur le nom de l’auteur, et affirmé que le narrateur n’est pas l’auteur. Cela installe le texte dans un espace ambigü : ni pacte romanesque, ni pacte autobiographique.
2ème aspect : le pacte référentiel.
Contrairement à la fiction, biographie et autobiographie sont des textes référentiels :
- information sur une réalité extérieure au texte, et vérifiable (en principe).
- il existe un véritable « pacte référentiel ».
Mais, contrairement à ce qui se passe pour l’autobiographie, la stricte ressemblance avec ce référent extérieur n’existe pas, ou n’a pas d’importance. Comment vérifier le vécu de quelqu’un, ou ce qu’il nous raconte et qu’il est seul à savoir ? Ce qui importe alors, c’est l’authenticité, non la vérité.
« Ce qui importe, c’est moins la ressemblance de « Rousseau à l’âge de seize ans » représenté dans le texte des Confessions, avec le Rousseau de 1728, « tel qu’il était », que le double effort de Rousseau vers 1764 pour peindre 1) sa relation au passé ; 2) ce passé tel qu’il était, avec l’intention de n’y rien changer. » ibid. p. 40.
Le caractère autobiographique de la Saison
- La Saison ne respecte pas le pacte autobiographique :
- Il y a bien un narrateur, mais anonyme ; rien ne permet de l’identifier à Rimbaud, d’autant qu’il nous a avertis : « je est un autre ».
- Cependant, de nombreux indices :
- La datation
- Le triste héros dont il nous dépeint les tourments et la résurrection est un poète : nombreuses allusions à la création poétique ;
- Il cite ses propres textes dans Alchimie du Verbe
- Le dernier texte sonne comme un Adieu à la poésie ; or ensuite, ce fut le silence.
- Et le pacte référentiel ?
- Il y a des allusions au réel, mais souvent métaphoriques ou purement allusives : la « vierge folle » (Verlaine) ; les allusions à Londres dans Adieu…
- Autocitations, notamment de la Lettre du Voyant, ou les poèmes.
- Une autobiographie poétique :
- Ne raconte pas les événements d’une vie, mais d’une recherche poétique, qui a échoué.
- Ne « raconte » pas à proprement parler, mais transfigure poétiquement le récit : images christiques, identification à un peuple tout entier (race inférieure), esthétique de la « satura » mêlant vers et prose :
- Le paradoxe de la Saison : ce texte qui nous raconte l’échec d’une recherche poétique en constitue pourtant une éclatante réussite. Il dit en poésie l’abandon de la poésie !