Bertold Brecht, « Vie de Galilée » (1955)

Biographie de Brecht

Les années de formation et de ruptures (1898-1924)

Né le 10 février 1989 à Augsbourg d’un père catholique et d’une mère protestante, l’enfant reçoit une éducation religieuse traditionnelle ; il restera marqué par la lecture de la Bible, même s’il devient lui-même athée. Au départ, il n’a rien d’un fils rebelle ; c’est la boucherie de 1914-1918 qui est la première rupture décisive. Obsédé par la mort, il devient un jouisseur (alcool, tabac, amours masculines et féminines…)

La seconde rupture sera la répression sanglante qui suit la révolution manquée de 1919-1920 en Allemagne (mouvement Spartakiste). Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont alors sauvagement assassinés. Brecht penche alors plutôt vers le nihilisme.

du nihilisme au communisme (1924-1933)

Il rencontre d’abord Erwin Piscator – qui avait mis en œuvre une esthétique théâtrale destinée à réveiller la conscience politique des spectateurs – puis Karl Korsch en 1932 ; il met peu à peu au point sa théorie du théâtre épique. A défaut d’agir sur le cours de l’Histoire, le théâtre peut au moins agir sur le public, en lui donnant une conscience révolutionnaire.

L’Opéra de Quat’sous (1928) est le premier manifeste de ce nouveau théâtre.

L’évolution politique se fait parallèlement ; en 1926 il lit le Capital de Marx ; L’Opéra de Quat’sous et surtout Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny dénoncent l’exploitation capitaliste de l’homme.

La crise de 1929 fait sombrer le pays dans le chaos. C’est l’époque des pièces les plus politiques : la Décision et Sainte Jeanne des Abattoirs. Enfin, Brecht adapte la Mère de Gorki.

En 1932, triomphe du nazisme aux élections, et fascisation des gouvernements des Länder : Sainte Jeanne est refusée par de nombreux théâtres ; en 1933 la police interrompt une représentation de la Décision à Erfurt, et l’auteur est poursuivi pour haute trahison.

L’exil et l’œuvre majeure (1933-1947)

Le 28 février 1933, au lendemain de l’incendie du Reichstag, Brecht quitte l’Allemagne avec sa famille. Quinze ans d’exil, et d’errance : Prague, Vienne, la Suisse, le Danemark (1933-1939), la Suède (1939-1940), la Finlande (1940-41), l’URSS, les USA (1941-1947), puis à nouveau la Suisse ; il écrit alors de nombreux poèmes, des textes théoriques et 14 pièces qui constituent l’essentiel de son œuvre dramatique. Mais les deux principales découvertes sont faites : le théâtre épique, et l’analyse marxiste de l’Histoire.

Théâtre dramatique et théâtre épique 

THEATRE DRAMATIQUE

THEATRE EPIQUE (= Narratif)

La scène incarne l’action, mêle le spectateur à cette action : Die Bühne verkörpert einen Vorgang, verwickelt den Zuschauer in eine Aktion

Elle la raconte, le rend spectateur : sie erzählt ihn

Et consume son activité : und verbraucht seine Aktivität

Mais éveille son activité, aber weckt seine Aktivität

Rend possible des sentiments : ermöglicht ihm Gefühle

L’oblige à des décisions : Erzwingt von ihm Entscheidungen

Lui communique des expériences : vermittelt ihm Erlebnisse

Lui communique des connaissances : vermittelt ihm Erkenntnisse

Le spectateur se trouve au milieu de l’action : der Zuschauer wird in eine Handlung hineinversetzt

Il est opposé à elle : er wird ihr gegenübergesetzt

Le théâtre travaille par le moyen de la suggestion : es wird mit Suggestion gearbeitet

Par des arguments : es wird mit Argumenten gearbeitet

Les sentiments sont conservés : die Empfindunger werden Konserviert

Poussés jusqu’à la compréhension : bis zu Erkenntnissen getrieben

L’homme est supposé connu : der Mensch wird als bekannt vorausgesetzt

L’homme est objet d’étude : des Mensch ist Gegenstand der Untersuchung

L’homme est immuable : des unveränderliche Mensch

L’homme est changeant et changeable : der veränderliche und verändernde Mensch

La curiosité porte sur la solution : Spannung auf den Ausgang

Elle porte sur l’évolution : Spannung auf den Gang

Chaque scène est fonction de l’autre : Eine Szene für die andere

Chacune vient pour elle-même : jede Szene für sich

Les événements sont linéaires : die Geschehnisse verlaufen linear

En courbe : in Kurven

Natura non fecit saltus

Fecit saltus

Le monde tel qu’il est : die Welt, wie sie ist

Tel qu’il devient : die Welt, wie sie wird

Ce que l’homme devrait faire : was der Mensch soll

Ce qu’il doit faire : was der Mensch Muss

Ses sentiments : seine Triebe

Ses motifs : seine Beweggrunde

La pensée conditionne l’être : das Denken bestimmt das Sein

L’être social conditionne la pensée : das Gesellschafliche Sein bestimmt das Denken

Tableau paru dans les « Remarques sur Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny».

  • Têtes rondes et têtes pointues (1932-33, remaniée en 1936 à Copenhague)
  • Grand’Peur et Misère du IIIème Reich (1938, jouée à Paris puis en 1942 à New-York)
  • La Résistible ascension d’Arturo Ui (écrite en 1941 mais jamais jouée du vivant de Brecht)
  • Mère courage (écrite en 1939, jouée en 1941)
  • La Bonne âme de Séchouan (1941)
  • Maître Puntila et son valet Matti(achevée en 1941 et jouée en 1948)
  • Le cercle de craie caucasien (écrit en 1944 et joué en 1948)
  • La vie de Galilée (1947, à New-York et Beverly Hill)

L’épisode américain s’achève par l’épisode assez grotesque de la convocation de Brecht par la Commission des activités anti-américaines : il parvint à échapper aux amis de McCarthy, mais partit pour Paris, puis Zurich ; il écrit alors son Petit organon pour le théâtre (texte théorique). Finalement, se voyant refuser un visa pour Berlin, il y parvint clandestinement et s’installa à Berlin Est.

Berlin-Est et le Berliner Ensemble

Il accepta certains honneurs (académicien en 1950, Prix national en 1951, prix Staline de la paix en 1954…) mais garda sa liberté de pensée. Ainsi, après la mort de Staline en 1953, de violents soulèvements ouvriers eurent lieu à Berlin contre l’aggravation des conditions de travail : Brecht les soutint, et dénonça la répression qui eut lieu quelques jours plus tard.

En 1949, désireux d’être libre de monter ses propres pièces, il fonda le Berliner ensemble, dont Helene Waigel, sa femme, épousée en 1930, assurait la direction. Il commença par de nombreuses tournées en Europe, et en 1954 obtint enfin son propre théâtre : le Theater am Schiffbauerdamm.

Il monta les œuvres de nombreux auteurs allemands, et surtout ses propres œuvres de l’exil :

  • Mère courage (1941)
  • Maître Puntila et son valet Matti…(jouée en 1948)
  • Le cercle de craie caucasien (1948)

Il meurt d’un infarctus le 14 août 1956.

La Vie de Galilée : genèse de l’œuvre.

Trois version successives de cette pièce, qui accompagne donc Brecht de 1938 à 1956 – il était peut-être en train de monter la pièce au moment de sa mort ; les versions divergent.

La version danoise (1938) : La terre tourne.

Achevée le 23 novembre 1938, elle montrait le conflit d’un grand savant avec le pouvoir, et la ruse employée pour continuer le combat sous le masque de la soumission apparente. Elle fut représentée le 9 septembre 1943 à Zurich.

Cette pièce est dans la continuité des Cinq difficultés pour écrire la vérité (1935), texte destiné aux intellectuels en lutte contre le nazisme :

  • avoir le courage d’écrire la vérité, chose souvent prosaïque, difficile à discerner ;
  • avoir l’intelligence de mettre en relation les éléments épars de cette vérité ;
  • avoir l’art de susciter la réaction active à propos d’une vérité non pas fatale, mais remédiable ;
  • avoir le discernement de savoir confier cette vérité à « qui saura l’utiliser » ;
  • avoir la ruse de paraître l’allié des oppresseurs pour pouvoir ensuite se retourner contre eux.

La version américaine (1944-1947) : Galileo Galilei : il travaille avec l’acteur Charles Laughton, qui fait une lecture en décembre 1945 (grand succès). Brecht songe un moment à Orson Welles pour la mise en scène. Finalement, il la monte en 1947, à Beverly Hills en juillet, à New York en décembre.

Hiroshima pèse lourdement alors, et suscite d’âpres inquiétudes sur la science, et la responsabilité des savants. Galilée n’est plus seulement « le combattant de la raison », il est aussi « un criminel social » (Bernard Dort). Le personnage est plus négatif : l’épisode de la peste est supprimé, et elle s’achève sur le tableau 13, où Galilée montre à Andrea que son abjuration est un crime injustifiable. Il a commis la faute capitale pour un homme de science : il s’est soustrait, par amour de la vie, à son devoir de vérité. C’est un nouveau Mucius.

La version berlinoise (1955) ; les modifications sont moins évidentes. C’est une traduction de la version américaine, enrichie de la version danoise ; Brecht y travaillera jusqu’à sa mort. La scène de la peste et la scène finale y sont réintégrées, mais la fin est assez noire : dans son auto-accusation finale, Galilée développe la dialectique des Lumières, selon laquelle l’apogée de la science contient en germe une menace fondamentale pour la civilisation.

« L’abîme entre [l’humanité] et vous pourrait un jour devenir si grand qu’à votre cri de joie devant quelque nouvelle conquête pourrait répondre un cri d’horreur universel… » (p. 131)

A noter deux représentations françaises :

  • celle de Marcel Maréchal à Marseille en 1982, avec Maréchal dans le rôle de Galilée ;
  • celle de Vitez à la Comédie française en 1990, avec Roland Bertin.

STRUCTURE DE LA PIÈCE : LES 15 TABLEAUX

  1. 1609 : Galilée, professeur à Padoue, veut démontrer le système de Copernic. P 7-23
  2. Galilée remet à la république de Venise « son » invention, la lunette p. 24-27
  3. 10/01/1610 : Au moyen de la lunette, Galilée découvre dans le ciel des phénomènes qui confirment le système de Copernic, p. 28-41
  4. Galilée à Florence ; incrédulité des savants florentins p. 42-53
  5. Galilée continue ses recherches malgré la peste p. 54-61
  6. 1616 : le Collegium Romanum, institut de recherche du Vatican, confirme les découvertes de Galilée…p. 61-67
  7. 5/03/1616 … mais l’Inquisition met la théorie de Copernic à l’index p. 67-77
  8. conversation avec le petit moine p. 78-83
  9. 1624 ( ?) : l’avènement du nouveau pape Urbain VIII (Barberini) incite Galilée à reprendre ses recherches astronomiquesp. 84-99
  10. L’astronomie comme thème du carnaval p. 99-103
  11. 1633 : L’Inquisition convoque Galilée à Rome p. 104-109
  12. Le Pape et l’Inquisiteur p. 110-113
  13. 22/06/1633 : rétractation de Galilée p. 114-119
  14. 1633-1637 ( ?) : Galilée vit dans une maison près de Florence, prisonnier de l’Inquisition. Il confie les Discorsi à Andrea. P. 120-132
  15. 1637 : Andrea fait passer les Discorsi en Allemagne p. 133-137.

GALILEE REVU ET CORRIGÉ PAR BRECHT.

Le « vrai » Galilée (1564-1642).

Personnage beaucoup plus ambigu et moins sympathique que le personnage brechtien ; n’hésite pas à s’approprier les découvertes des autres ; arrogant et souvent maladroit, parfois carrément malhonnête dans ses argumentations ; « don exceptionnel pour se procurer des adversaires » (Arthur Koestler, Les Somnambules, Livre de Poche n° 2200, 1959).

  • Galilée n’a pas inventé la « lunette de Galilée », ni le thermomètre, ni le microscope.
  • Il n’a découvert ni le principe de l’inertie, ni la loi de composition des vitesses, ni les tâches du soleil.
  • Il n’a pas prouvé la validité du système de Copernic, et sa contribution à l’astronomie théorique est insignifiante.
  • Ce n’est un martyr ni de l’Inquisition, ni de la Science, et il n’a jamais dit « et pourtant elle tourne ».
  • En revanche, il a fourni les bases de la mécanique classique, surtout en proposant une méthode, et il a assuré une étape nécessaire avant Newton.
  • Il est né à Pise le 15/02/1564. Aîné de 7 enfants, il devra assumer la subsistance de frères et sœurs après la mort de son père en 1591 âpreté du personnage !
  • en 1583, il constate l’isochronisme des petites oscillations d’un pendule ; mais il est encore attaché à la physique aristotélicienne ; la même année, il commence des études de médecine.
  • 1585-1589 : il reste à Florence et fait de la mécanique appliquée. Il invente la balance hydrostatique qui utilise le principe d’Archimède pour déterminer la masse volumique d’une substance. Le cardinal Del Monte lui fait obtenir en 1588 un poste de mathématiques pour trois ans à l’Université de Pise. Il commence à se détacher de la physique aristotélicienne, ce qui indispose ses collègues son contrat ne sera pas renouvelé. Il est le précurseur de la mécanique moderne : Discours sur deux nouvelles sciences touchant la mécanique et les mouvements locaux, 1638.
  • 1592 : Del Monte obtient sa nomination à l’université de Padoue ; il y restera 18 ans.
  • Il jette les bases de la dynamique : loi de la chute des corps à partir du mouvement sur un plan incliné (1602), mouvement d’un pendule ; mouvement d’un projectile. Ses manuscrits circulent, mais il ne les publiera qu’à la fin de sa vie.
  • Il met au point de petits instruments : il a toujours une partie de sa famille à sa charge.
  • Il vit avec Marina Gamba, et lui fait 3 enfants, deux filles et un fils. En 1610, il les quitte en partant pour Florence. En 1613, ses filles seront mises au couvent sans avoir eu d’autres choix. Quant au fils, il reste avec sa mère.
  • Il enseigne sans réserve le modèle de Ptolémée. Il n’adhérera publiquement au système de Copernic qu’en 1613.
  • En 1609, il a connaissance d’une lunette fabriquée en Hollande : il la présente à la République de Venise, qui augmente substantiellement son salaire et le nomme professeur à vie à l’université de Padoue. Or il ne l’a pas inventée, et c’est Kepler (Dioptrique, 1611) qui étudiera l’optique géométrique de cet instrument. 1609 est aussi l’année où, à Florence, Cosme II de Médicis succède à son père Ferdinand. Cosme le soutiendra jusqu’à sa mort, en 1621.
  • Mars 1610 : 1ère publication scientifique de Galilée : Le Messager des Étoiles ( en Italien). Grand succès, et polémique ; Kepler le soutient, et confirme avec éclat la découverte des satellites de Jupiter.
  • Septembre 1610 : il est nommé « mathématicien et philosophe en chef » des Médicis à Florence.
  • 1611 : voyage triomphal à Rome : des astronomes jésuites confirment les phases de Vénus, et le fait qu’elle tourne autour du soleil abandon du système de Ptolémée. Cet événement sera « postdaté » de cinq ans dans la pièce de Brecht. Point de vue officiel de l’Eglise : on peut utiliser librement le modèle de Copernic, ou un autre, comme hypothèse de travail, mais pas comme une « Vérité » – du moins tant que la preuve de sa validité n’a pas été fournie.
  • 1612 : le jésuite Scheiner découvre les tâches du soleil : trois mois après, Galilée s’en attribue la paternité ! Il se révèle donc partisan du système de Copernic. Il se réfèrera toujours à Copernic, mort en 1543, mais pas à Kepler, son contemporain.
  • 1614 : Lettres à Castelli et à la Grande Duchesse Christine : suite à une conversation mondaine où il a été question du système de Copernic, Galilée se déchaîne, attaque les théologiens ; or la grande duchesse, qui deviendra régente depuis la mort de Cosme II en 1621, est entre les mains de l’Eglise. En 1615, des dominicains de Saint-Marc transmettent une copie au Saint-Office. Galilée voulait apporter comme preuve décisive du système de Copernic sa théorie des marées – qui est fausse ; Kepler en avait apporté l’explication correcte 7 ans plus tôt… Copernic, obsédé par la controverse sur l’héliocentrisme, a un peu perdu contact avec la science de son temps.
  • 23 février 1616 : une commission de théologien déclare que la proposition « le Soleil est au centre de l’univers » est absurde et hérétique. On parvient de justesse à éviter le mot « hérésie », et c’est le décret du 5 mars 1616 mettant à l’Index le livre de Copernic. Galilée ne publie rien pendant 7 ans. Il ne sera pas personnellement inquiété : il se montre pieux, et ses deux filles, Virginia et Livia sont entrées au couvent, en 1616 et 1617.
  • 1618 : Le jésuite Gassi exprime l’idée, correcte, que les comètes ont des orbites déterminées, comme les planètes ; Galilée répond qu’elles ne sont qu’une illusion d’optique, et que Gassi, comme Scheiner, sont des imbéciles. Il se fait des jésuites, pourtant gagnés à sa cause, des ennemis.
  • 1623 : le cardinal Maffeo Barberini, homme éclairé et mathématicien, devient pape sous le nom d’Urbain VIII. Il a défendu Galilée en 1616, mais refuse d’abolir le décret du 5 mars. Il le soutiendra pourtant jusqu’en 1632. Galilée croit pouvoir écrire librement, et se lance dans l’apologie de Copernic : Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde. Il s’approprie les découvertes de Scheiner, ignore les lois de Kepler, et fait imprimer son livre en 1632, à Florence, en détournant la censure. Le livre est confisqué quand le pape découvre que Galilée a ridiculisé, sous le nom de Simplicius, un de ses propres arguments ! En outre, il présente la théorie de Copernic non plus comme une hypothèse de travail, mais comme une vérité dont il est impossible de douter. Ceux qui doutent sont des Simplicius ridicules !
  • 12 avril 1632 : le Dialogue est interdit, il doit abjurer les opinions de Copernic. Cet épisode catastrophique a précipité le divorce entre science et religion, et aucun des protagonistes ne s’en sort glorieusement !
  • Après le procès, Galilée rédige les Discorsi : Discours sur deux nouvelles sciences. Il revient à la dynamique. Le livre, terminé en 1636, est imprimé à Leyde (Pays Bas). Devenu aveugle en 1637, il dicte de nouveaux chapitres. Il meurt en 1642, année de naissance de Newton. S’il a pu continuer à écrire, c’est parce qu’il jouissait d’une renommée internationale ; dès 1610, Kepler avait diffusé ses idées en Autriche-Hongrie ; ses théories scientifiques ont donc continué à circuler, même après le Procès.

Le Galilée de Brecht.

I – Galilée est pour Brecht une figure emblématique.

  1. il a un regard neuf sur les choses : le regard qu’il porte sur le pendule, à Pise, est l’équivalent du regard que doit porter le spectateur sur le monde par la distanciation. Par ailleurs, sa position entre la science aristotélicienne et ptolémaïque et la science copernicienne est parallèle à celle de Brecht, entre le théâtre aristotélicien et le théâtre épique. Cf. L’Achat du cuivre, et le Petit Organon pour le théâtre (1948)
  2. Un personnage connu : ce qui détourne le spectateur de l’attente d’un dénouement supposé connu, pour attirer l’attention sur le déroulement : théorie du théâtre épique ; la distanciation s’en trouve facilitée.
  3. Vie de Galilée (Leben des Galilei: le titre allemand, sans l’article « la », montre qu’il n’y a pas de visée strictement biographique ou historique. Le spectateur doit transposer au 20ème siècle ; la matière de la pièce est grosse de « certaines idées » – dont Brecht est l’accoucheur, comme Socrate ! dans la version danoise, la rétractation est une ruse destinée aux savants restés en Allemagne (où un certain Philipp Lenard, prix Nobel de physique, commet la Physique allemande (sic !), où la relativité et la physique quantique sont qualifiées de « sciences juives » et de « bluff juif international » ! ! Cf. parallèle avec les Cinq vérités.)

II- Les transformations de Galilée :

  • Des personnages sont inventés : Virginia, entrée dans les ordres en 1616 et morte en 1634, n’a pu jouer auprès de son père le rôle que lui attribue Brecht. Autres personnages fictifs : Andrea, Mme Sarti, Ludovico…
  • La biographie de Galilée est revue et corrigée : ont disparu les soutiens qu’il a pu recevoir de Cosme II, des savants (Kepler n’est même pas mentionné), et même des jésuites, et du pape jusqu’en 1632 ; ses « emprunts » (les tâches solaires !) et sa manie polémiste n’apparaissent pas non plus. Brecht s’intéresse plus au mythe de Galilée qu’à son personnage historique – cf. plus haut : il ne s’agit pas d’historiographie, mais de proposer des idées valables pour l’actualité.
  • Enfin et surtout, la dimension révolutionnaire (sur le plan social et politique) devait à peu près échapper complètement à Galilée, comme à ses contemporains ; c’est un anachronisme tout à fait conscient.

Quelques prédécesseurs de Galilée

Claude Ptolémée (100-170 apr. J.-C.)

Ptolémée (v. 100-v. 170), astronome, mathématicien et géographe d’origine grecque, dont les théories en astronomie ont dominé la pensée scientifique jusqu’au XVIe siècle (voir Ptolémée, système de). Il est également célèbre pour ses contributions en mathématiques, en optique et en géographie. Ptolémée naquit probablement en Grèce, mais son vrai nom, Ptolemaeus, indique qu’il vécut en Égypte, tandis que son prénom, Claudius, suggère une citoyenneté romaine. En fait, des sources anciennes rapportent qu’il a vécu et travaillé à Alexandrie, en Égypte, pendant la plus grande partie de sa vie.

L’Almageste

La première et la plus célèbre œuvre de Ptolémée, écrite à l’origine en grec, fut l’Almageste. Dans ce traité, Ptolémée proposa une théorie géométrique pour décrire de manière mathématique les mouvements apparents des planètes, du Soleil et de la Lune. Ce travail ne comprenait aucune description physique des objets dans l’espace.

Ptolémée s’appuya sur la théorie généralement admise selon laquelle la Terre était fixe et au centre de l’univers. Les planètes et les étoiles étaient considérées, pour des raisons philosophiques, comme mues d’un mouvement continu selon des orbites circulaires parfaites. Il tenta alors de résoudre les énigmes qui restaient inexpliquées dans le cadre de cette théorie, notamment celles du mouvement apparent de recul des planètes et des variations apparentes de taille et de brillance de la Lune et des planètes. Ptolémée émit l’idée d’un déplacement le long de petites orbites circulaires des planètes, du Soleil et de la Lune. Les centres de ces petits cercles devaient alors être eux-mêmes en mouvement et décrire des cercles beaucoup plus grands, centrés sur la Terre. Son système concordait ainsi avec la plupart des observations faites par les astronomes.

Ptolémée inventa le mot épicycle pour nommer ces petits cercles. Pour que sa théorie des épicycles fonctionne, il dut toutefois introduire des corrections par rapport aux calculs mathématiques traditionnels. Ce fut l’une des raisons pour laquelle l’astronome polonais Nicolas Copernic rejeta le système de Ptolémée au XVIe siècle, et développa sa propre théorie, dite héliocentrique, qui affirmait au contraire que le Soleil était situé au centre du Système solaire (voir Copernic, système de). Néanmoins, Copernic conserva la notion d’épicycle.

Autres travaux

Ptolémée fit de nombreuses découvertes et contribua au développement des mathématiques en faisant progresser la trigonométrie. Il appliqua également ses théories à la construction d’astrolabes et de cadrans solaires. Dans son livre intitulé Tetrabiblos, il appliqua l’astronomie à l’astrologie et à l’élaboration des horoscopes. Quant à sa Géographie, elle revêt une importance historique considérable, car il y est notamment dessiné une carte du monde tel qu’on se le représentait à l’époque. Fondée sur un système de latitude et longitude, cette représentation cartographique exerça une influence pendant des siècles, en dépit du caractère peu fiable de certaines informations. Ptolémée consacra également un traité à la théorie de la musique, Harmonica, tandis que dans son Optique, il explora les propriétés de la lumière, en particulier la réfraction et la réflexion. Dans ce dernier ouvrage, dont on ne connaît qu’une version arabe, Ptolémée mit l’accent sur l’expérimentation et la construction d’un appareil spécial destiné à l’étude de la lumière et de ses propriétés.

Copernic, Nicolas (1473-1543)

Nicolas Copernic, astronome polonais, célèbre pour sa théorie astronomique selon laquelle le Soleil est immobile au centre de l’univers et la Terre, tournant sur son axe une fois par jour, fait le tour du Soleil en une année. C’est le système héliocentrique, ou centré sur le Soleil.

Jeunesse et études

Copernic naquit le 19 février 1473, à Torun, en Pologne, dans une famille de marchands et de fonctionnaires municipaux. L’oncle maternel de Copernic, l’évêque Lukas Watzelrode, veilla à ce que son neveu reçoive une éducation solide dans les meilleures universités. Copernic entra à l’université de Cracovie en 1491, étudia les arts libéraux pendant quatre ans sans recevoir de diplôme puis, comme de nombreux Polonais de son milieu, se rendit en Italie pour étudier la médecine et le droit. Avant de quitter la Pologne, son oncle le nomma chanoine de Frauenburg ; un poste à responsabilités financières mais sans aucun devoir religieux. En janvier 1497, Copernic commença l’étude du droit canon à l’université de Bologne tout en vivant chez un professeur de mathématiques, Domenico Maria de Novara. L’intérêt porté par Copernic à la géographie et à l’astronomie fut fortement stimulé par Domenico Maria, un des premiers à remettre en cause l’exactitude de la géographie de l’astronome du IIe siècle Ptolémée. Les deux hommes observèrent ensemble l’occultation (l’éclipse par la Lune) de l’étoile Aldébaran le 9 mars 1497.

En 1500, Copernic donna des conférences sur l’astronomie à Rome. L’année suivante, il obtint l’autorisation d’étudier la médecine à Padoue (université où Galilée devait enseigner presque un siècle plus tard). Il n’était pas inhabituel à cette époque d’étudier un sujet dans une université puis d’être diplômé d’une autre université (souvent moins chère). Ainsi, sans terminer ses études de médecine, Copernic obtint son doctorat en droit canon à Ferrare en 1503 puis retourna en Pologne pour remplir ses fonctions administratives.

Retour en Pologne

De 1503 à 1510, Copernic vécut dans le palais épiscopal de son oncle à Lidzbark Warminski, participant à l’administration du diocèse et prenant part au conflit contre les chevaliers teutoniques. Il publia ensuite son premier livre, une traduction latine de lettres sur la morale, rédigées par un écrivain byzantin du VIIe siècle, Theophylactus de Simocatta. Entre 1507 et 1515, il acheva un court traité d’astronomie, De Hypothesibus Motuum Coelestium a se Constitutis Commentariolus (connu sous le titre Commentariolus), qui ne fut pas publié avant le XIXe siècle. Dans cet ouvrage, il énonçait les principes de sa nouvelle astronomie héliocentrique.

Après son installation à Frauenburg en 1512, Copernic participa à la commission du Ve Concile de Latran sur la réforme du calendrier (1515) ; il écrivit un traité sur la monnaie (1517) ; et commença son œuvre principale, De Revolutionibus Orbium Coelestium (Révolutions de sphères célestes) achevée dès 1530 mais qui ne fut publiée par un imprimeur luthérien de Nuremberg, en Allemagne, que peu de temps avant la mort de Copernic, le 24 mai 1543.

Cosmologie du début du XVIe siècle

La cosmologie, remplacée par la suite par la théorie copernicienne, reposait sur un univers géocentrique dans lequel la Terre était immobile et fixe au centre de plusieurs sphères en rotation. Ces sphères portaient les corps célestes suivants (dans l’ordre à partir de la surface externe de la Terre) : la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne et, enfin, la sphère finie la plus éloignée portant ce que l’on appelle les étoiles immobiles. (Cette dernière sphère était supposée osciller lentement, entraînant ainsi la précession des équinoxes ; voir Écliptique).

Depuis l’Antiquité, un phénomène particulier avait suscité la curiosité des cosmologues et des philosophes naturels. De temps en temps, le mouvement de ces planètes dans le ciel semble s’arrêter puis repartir dans la direction contraire. Dans un essai pour expliquer ce mouvement rétrograde, la cosmologie du Moyen Âge affirmait que chaque planète tournait à l’intérieur d’un cercle appelé l’épicycle et que le centre de chaque épicycle tournait autour de la Terre sur une voie appelée le cercle déférent. Voir ici.

Le système copernicien et son influence

Les prémisses essentielles de la théorie de Copernic sont que la Terre tourne chaque jour sur son axe et fait le tour du Soleil en une année. Il prétend d’autre part que les planètes sont situées autour du Soleil et que la Terre présente une précession sur son axe (oscille comme une toupie) lorsqu’elle tourne. La théorie copernicienne a conservé plusieurs éléments de la cosmologie qu’elle a remplacée, dont les sphères solides portant les planètes et la sphère la plus éloignée portant les étoiles fixes. D’autre part, les théories héliocentriques de Copernic sur le mouvement planétaire avaient l’avantage d’expliquer le mouvement journalier et annuel du soleil et des étoiles et justifiaient adroitement le mouvement rétrograde apparent de Mars, Jupiter et Saturne et la raison pour laquelle Mercure et Vénus restaient à une certaine distance du Soleil. La théorie copernicienne énonçait également que la sphère des étoiles fixes était immobile.

Une autre particularité de la théorie de Copernic est qu’elle permettait un nouvel ordre des planètes selon leur période de révolution. Dans l’univers de Copernic, contrairement à celui de Ptolémée, plus le rayon de l’orbite d’une planète est grand, plus il faut de temps à la planète pour effectuer une rotation autour du Soleil. Mais le concept d’une Terre mobile était difficile à accepter pour la plupart des lecteurs du XVIe siècle en mesure de comprendre les théories de Copernic. Certains éléments de sa théorie ont été adoptés alors que le noyau central a été ignoré ou rejeté.

Copernic n’eut que dix disciples entre 1543 et 1600. La plupart travaillaient à l’extérieur des universités, dans des cours princières, royales ou impériales ; les plus célèbres furent Galilée et l’astronome allemand Johannes Kepler. Souvent ces hommes avaient des raisons très différentes de soutenir le système copernicien. En 1588, une position médiane importante fut développée par l’astronome danois Tycho Brahé, selon laquelle la Terre demeurait immobile et toutes les planètes tournaient autour du Soleil au fur et à mesure qu’il tournait autour de la Terre.

Malgré la condamnation de Galilée par un tribunal ecclésiastique en 1633, quelques philosophes jésuites restèrent en secret des disciples de Copernic. De nombreux autres adoptèrent le système géo-héliocentrique de Brahé. À la fin du XVIIe siècle et lors de l’apparition du système de la mécanique céleste émise par sir Isaac Newton, la plupart des chercheurs de Grande-Bretagne, de France, des Pays-Bas et du Danemark étaient coperniciens. Toutefois, les philosophes naturels des autres pays européens conservèrent de fortes opinions anticoperniciennes pendant au moins un siècle.

Brahé, Tycho (1546-1601)

astronome danois, qui fit des mesures complètes et précises du Système solaire et de plus de sept cents étoiles. Les données rassemblées par Brahé dépassèrent toutes les autres mesures astronomiques faites avant l’invention du télescope au début du XVIIe siècle.

Brahé est né à Knudstrup dans le sud de la Suède (alors territoire danois). Il étudia le droit et la philosophie à l’université de Copenhague et à celle de Leipzig, en Allemagne!; mais, la nuit, il observait les étoiles. Sans autre instrument qu’un globe et un compas, il parvint à détecter de graves erreurs dans les tables astronomiques existantes et entreprit de les corriger. En 1572, il découvrit une supernova dans la constellation de Cassiopée. Après une période de voyages et de conférences, Brahé se vit proposer par Frédéric II, roi de Danemark et de Norvège, de construire et d’équiper un observatoire astronomique sur l’île de Hveen (l’actuelle Ven), avec les fonds qu’il mettait à sa disposition. Brahé accepta la proposition, et, en 1576, la construction commença au château d’Uraniborg («!palais d’Uranie!»), où, pendant vingt ans, l’astronome conduisit ses observations.

Après la mort de Frédéric II en 1588, les avantages consentis à Brahé lui furent retirés par son successeur, Christian IV, et l’astronome fut même dépossédé de son observatoire. En 1597, Brahé accepta l’invitation de l’empereur Rodolphe II, qui lui offrit une pension de 3 000 ducats et une propriété près de Prague, où un nouvel Uraniborg devait être construit. Mais Brahé mourut en 1601, avant l’achèvement de son nouvel observatoire.

Brahé n’accepta jamais totalement le système de Copernic et il chercha un compromis en le combinant avec le vieux système de Ptolémée. Dans le système de Brahé, les cinq planètes connues tournaient autour du Soleil, qui, avec les planètes, faisait le tour de la Terre chaque année. La sphère des étoiles tournait autour de la Terre immobile une fois par jour.

Bien que la théorie de Brahé sur les mouvements célestes fût imparfaite, les données qu’il rassembla jouèrent un rôle déterminant dans l’élaboration d’une description fidèle du mouvement planétaire. Johannes Kepler, qui fut l’assistant de Brahé à la fin de la vie de celui-ci, utilisa les données rassemblées par Brahé pour l’énoncé de ses trois lois sur le mouvement planétaire.

Giordano Bruno (v. 1548-1600)

Bruno, Giordano, philosophe italien de la Renaissance, condamné au bûcher par l’Inquisition. Bruno naquit à Nola aux environs de Naples. Prénommé Filippo à sa naissance, il prit le nom de Giordano lorsqu’il entra chez les dominicains, qui l’initièrent à la philosophie aristotélicienne et à la théologie thomiste. Esprit indépendant et passionné, il s’enfuit de l’ordre en 1576 pour éviter un procès au sujet d’accusations portant sur des questions doctrinales et entama ses pérégrinations.

Bruno se rendit à Genève, à Toulouse, à Paris et à Londres où il passa deux ans, de 1583 à 1585, sous la protection de l’ambassadeur de France en fréquentant le cercle du poète anglais Sir Philip Sidney. Ce fut une période des plus productives, au cours de laquelle il rédigea le Banquet des Cendres (1584), l’Infini de l’univers et les mondes (1585), ainsi que le dialogue De la cause, du principe et de l’unité (1584). Dans un autre dialogue poétique, Des fureurs héroïques (1585), il faisait l’éloge d’une sorte d’amour platonique susceptible de relier l’âme à Dieu au moyen de la sagesse.

En 1585, Bruno retourna à Paris puis se rendit à Marbourg, à Wittemberg, à Prague, à Helmstedt et à Francfort où il s’occupa de faire imprimer nombre de ses travaux. À l’invitation d’un patricien vénitien Giovanni Mocenigo, Bruno rentra en Italie et devient tuteur privé. En 1592, Mocenigo dénonça Bruno à l’Inquisition, qui le condamna pour hérésie. Livré aux autorités romaines, il fut emprisonné pendant huit ans au cours desquels fut mené son procès sur les accusations de blasphème, conduite immorale et hérésie. Refusant de se rétracter, Bruno fut brûlé sur le bûcher à Campo dei Fiori, le 17 février 1600.

Bruno défendait des théories philosophiques alliant le néo-platonisme mystique au panthéisme. Il croyait que l’Univers est infini, que Dieu est l’âme universelle du monde et que toutes les choses matérielles prises individuellement sont des manifestations d’un unique principe infini. Bruno est considéré comme un précurseur de la philosophie moderne en raison de son influence sur Baruch Spinoza et de son anticipation des théories du monisme du XVIIe siècle.

Johannes Kepler (1571-1630)

Kepler, Johannes (1571-1630), astronome et physicien allemand, est célèbre pour sa formulation et sa vérification des trois lois du mouvement planétaire. Ces lois sont maintenant connues sous le nom de lois de Kepler.

Il naquit le 27 décembre 1571, à Weil der Stadt dans le Wurtemberg et étudia la théologie et les sciences humaines à l’université de Tübingen. Il y fut influencé par un professeur de mathématiques, Michael Maestlin, un partisan de la théorie héliocentrique du mouvement planétaire développé à l’origine par l’astronome polonais Nicolas Copernic. Kepler accepta immédiatement la théorie de Copernic, croyant que la simplicité de l’ordre planétaire de Copernic devait avoir été le projet de Dieu. En 1594, quand Kepler quitta Tübingen pour Graz, en Autriche, il élabora une hypothèse géométrique complexe pour expliquer les distances entre les orbites planétaires — orbites qu’il supposait, par erreur, circulaires. (Kepler déduisit plus tard que les orbites planétaires étaient elliptiques ; néanmoins, ces calculs préliminaires coïncidaient, à 5 p. 100 près, avec les observations.) Kepler proposa alors que le Soleil exerçait une force qui diminuait avec la distance et maintenait les planètes dans leurs orbites. Il publia son explication dans un traité appelé Mysterium Cosmographicum (le Mystère cosmographique) en 1596. Ce travail est important parce qu’il présente la première explication complète et valable des avantages géométriques de la théorie de Copernic.

Kepler fut professeur d’astronomie et de mathématiques à l’université de Graz de 1594 jusqu’en 1600, date à laquelle il devint assistant de l’astronome danois Tycho Brahé dans son observatoire, situé aux environs de Prague. À la mort de Brahé en 1601, Kepler prit sa succession comme mathématicien impérial et astronome à la cour de Rudolf II, Saint Empereur romain. L’un de ses principaux travaux de cette période fut Astronomia Nova (Nouvelle Astronomie, 1609), le point culminant de ses recherches pour calculer l’orbite de Mars. Ce traité contient les formulations de deux des lois du mouvement planétaire, appelées lois de Kepler. La première stipule que les planètes se déplacent selon des orbites elliptiques avec le Soleil ; la seconde, ou «règle des aires», énonce que la ligne imaginaire que l’on tracerait entre le Soleil et une planète balaie des aires identiques d’une ellipse pendant des intervalles de temps égaux!; en d’autres termes, plus la planète se rapproche du Soleil, plus elle se déplace rapidement.

En 1612, Kepler devint mathématicien des États de la Haute-Autriche. Alors qu’il résidait à Linz, il publia son Harmonice Mundi (Harmonie du monde, 1619), la dernière partie contenant une autre découverte sur le mouvement planétaire : le cube de la distance entre une planète et le soleil divisé par la période orbitale de cette planète au carré est une constante et est la même pour toutes les planètes.

À la même époque parut l’Epitome Stronomiae Copernicanae (Abrégé d’astronomie copernicienne, 1618-1621), qui rassemblait toutes les découvertes de Kepler en un seul volume. D’importance comparable, ce livre devint le premier manuel d’astronomie basé sur les principes coperniciens. Pendant les trois décennies suivantes, il eut une influence majeure en convertissant de nombreux astronomes à ses théories.

La dernière œuvre majeure de la vie de Kepler fut les Tabulae Rudolfinae (Tables rudolfine, 1625). Le mathématicien et physicien anglais Sir Isaac Newton se reposa fortement sur les théories et les observations de Kepler pour formuler sa théorie de la force gravitationnelle.

Kepler apporta également sa contribution dans le domaine de l’optique et développa en mathématiques un système infinitésimal qui fut le précurseur du calcul. Il mourut le 15 novembre 1630 à Regensburg.

La structure dialectique de la pièce

Soulignons, comme l’a fait Ernst Schumacher, la perfection formelle de la pièce, très ciselée et à la symétrie parfaite.  Brecht renoue ici avec une des constantes du théâtre classique, dominé par un personnage central certes hors du commun, mais présentant néanmoins une faiblesse : si Galilée est un savant d’une pensée originale, il peut aussi voler les idées d’autrui, comme celle du télescope ; s’il peut se montrer fier, son courage cède par peur de la souffrance.  Comme dans toute pièce classique, l’intensité dramatique croit, retombe, puis augmente lors de la scène du procès devant l’inquisition.  La pièce même, qui adopte la structure d’une chronique, mais fait librement usage des sources historiques, donne une large place à la musique et à la danse, utilisant donc les techniques de Shakespeare et revenant ainsi à un modèle du 16e siècle pour exprimer un problème moderne, ce qui constitue une des ambiguïtés propres au drame.

On peut en effet définir la dialectique comme principe structurant de la pièce, qui repose sur la volonté de choquer le spectateur et de l’amener à mettre en œuvre son jugement au vu des tensions et des contradictions inscrites dans le texte.  L’ambivalence caractérise aussi le double statut de Galilée, à la fois héros du savoir et criminel social, et la tension relève du conflit, qui, selon la conception marxiste, est inhérent à la lutte des classes.  La dualité est le postulat de base du théâtre brechtien, qui prétend révéler les contradictions d’un individu ou d’une situation historique donnée pour démontrer l’aspect transformable du monde.  Enfin, l’ambiguïté tient à la thématique et à la structure de la pièce même, qui oscille entre esthétique et dialectique, entre volonté de divertir et d’enseigner.  Le lecteur spectateur confronté à des contradictions permanentes ne peut donc s’identifier à une action qui ne cesse de le surprendre, mais il est peu à peu amené à prendre conscience des contradictions propres à Galilée et à son temps : il est en permanence contraint de relativiser, de remettre en cause son point de vue sur la pièce, qui opère une transformation progressive de son jugement au fil des scènes.  La lecture devient par là un acte dynamique et hautement critique, qui démontre à quel point l’homme, le monde et la pensée même sont susceptibles de transformation et d’évolution.

Le dialogue joue un rôle capital dans cette dialectique, puisqu’il met en évidence les contrastes qui résultent des antagonismes sociaux, du conflit entre temps anciens et nouveaux, entre foi et savoir, entre responsabilité sociale et responsabilité intellectuelle du savant.  C’est même le dialogue qui permet la confrontation des points de vue, voire le possible dépassement du conflit entre spiritualité et matérialité, science et ignorance, théorie et pratique.

L’ensemble des tableaux est structuré par des contradictions : la première d’entre elles jaillit de la dissonance du premier tableau entre la joie de vivre et d’enseigner et la misère matérielle de Galilée; si cet enthousiasme fait la grandeur du savant, c’est la volonté de survivre qui explique sa faiblesse ultérieure.  Le dialogue de Galilée et du curateur soulève ensuite une deuxième opposition centrale dans la pièce, le conflit entre la science et le pouvoir politique : la République de Venise garantit certes au chercheur la liberté de recherche, mais non de pensée et d’action, puisque le résultat de ses recherches doit lui être utile.  Les scènes 2 et 3 introduisent, quant à elles, l’opposition entre l’héroïsme et l’optimisme du savoir humaniste et la soumission de Galilée à l’autorité politique.  Le quatrième tableau repose sur l’opposition entre le système ptoléméen et copernicien, entre le grand-duc, représentant du pouvoir et de la noblesse, et Andrea, issu du peuple dont Galilée se veut proche.  Progrès et régression, esprit et chair, courage et défaite, théorie et pratique, liberté de pensée et aliénation, tolérance et intolérance, science et croyance, s’opposent ainsi en permanence dans les diverses constellations de la pièce.

Principaux axes de la pièce

La scène 8

On peut la considérer comme le pivot de La Vie de Galilée : on y assiste à un dialogue entre Galilée et le petit moine, situé entre la scène 7, où Galilée abjure ses thèses devant l’inquisition, et la scène 9, où il décide de reprendre ses recherches.  Mais ce dialogue, proche du dialogue socratique, est également central car il résume la problématique essentielle de la pièce : le lien entre science et société à travers le conflit entre le savoir incarné par Galilée et la croyance que défend le petit moine.  Tous deux sont toutefois partie prenante des deux mondes : Galilée reste encore respectueux envers l’Église et le petit moine s’intéresse à la science.  Mais il s’attache encore aux concepts scolastiques et moyenâgeux d’ordre, de nécessité, de stabilité divines face à la misère humaine, adoptant une argumentation strictement religieuse, tandis que Galilée argumente en se référant aux seuls faits et s’attache à l’ordre purement terrestre.

Les scènes parallèles

  • Les scènes 1 et 9, où il s’agit de démontrer la thèse copernicienne et les avantages de la nouvelle méthode de recherches, du « gai savoir » prôné par Galilée face à Andrea (scène 1), aux deux sceptiques incarnés par Madame Sarti et Ludovico Marsili (scène 9).
  • Les scènes 2 et 10, qui montrent Galilée parvenu au plus haut degré de sa popularité, auprès des grands (scène 2), auprès du peuple (scène 10).
  • Les scènes 3 et 11, où Galilée clame sa foi en la raison et la vérité (scène 3), par opposition à son mensonge et sa trahison de la raison face à l’inquisition (scène 11).
  • Les scènes 4 et 12, où la thèse copernicienne est débattue devant les puissants, avec un ton naïf et enfantin, ludique (scène 4) et devant l’Église sur un ton sérieux (scène 12).
  • Les scènes 5 et 1 3, qui opposent le courage de Galilée face à la peste (scène 5) à sa lâcheté devant les « instruments » présentés par l’inquisition.  Ses disciples reculent alors effrayés de sa lâcheté, comme Andrea qui s’écrie : « je ne peux pas le regarder.  Qu’il parte » (scène 13).
  • Les scènes 6 et 14, qui opposent le triomphe de Galilée face au Vatican qui confirme ses thèses (scène 6) à son humiliation par le Vatican, qui surveille ses moindres faits et gestes (scène 14).
  • Les scènes 7 et 15 : la doctrine de Galilée est mise à l’index (scène 7), ses Discorsi reconquièrent leur liberté en passant la frontière (scène 15).

L’espace scénique

Il témoigne à la fois de la volonté de réalisme et de distanciation de Brecht, qui note dans Préface à construction d’un rôle à propos du Galilée :

  1. « Les décors ne doivent pas être tels que le public croie se trouver dans un intérieur de l’Italie médiévale ou au Vatican.  Le public doit être convaincu qu’il se trouve dans un théâtre.
  2. L’arrière-plan doit montrer davantage que l’environnement immédiat de Galilée; il doit montrer, d’une manière pleine de fantaisie et pleine d’attrait artistique, l’environnement historique :
  3. Meubles et accessoires […] doivent être réalistes et, surtout, receler un intérêt historico-social.  Il faut que les costumes soient individualisés et présentent les caractéristiques de ce qui a été porté.  Les différences sociales sont à souligner.
  4. Il faut que les personnages aient la qualité de peintures historiques comme les meubles, la mappemonde ou la lunette, qui démontrent l’importance croissante des objets entourant Galilée. »

Le décor doit également mettre en évidence l’opposition de deux espaces : le monde simple de Galilée et la sphère du pouvoir. 

  • Le monde de Galilée est réduit à son atelier, un espace ample, nu et authentique.  Les costumes sont coupés dans des matières également naturelles et peu travaillées, telles que la laine, le cuir ou le drap.
  • La sphère du pouvoir se caractérise, elle, par une grande diversité de lieux : le pouvoir économique est situé à Venise, le pouvoir politique à Florence, le pouvoir ecclésiastique à Rome.

La République libre de Venise dont l’université de Padoue fut fondée en 1222, est dirigée par quelques familles de la noblesse. À son sommet se trouve un doge, dont le pouvoir est restreint par un conseil de dix sages et par trois inquisiteurs. Après l’expulsion des jésuites de son territoire, en 1606, la liberté de l’enseignement et de la recherche y est garantie par principe.

Le grand-duché de Toscane ainsi que la cour de Florence et l’université de Pise sont dirigés par les Médicis depuis le 12e siècle.  La cour des princes florentins dépend très étroitement de Rome et l’inquisition y règne : la liberté du savoir y est donc compromise, comme Sagredo en avertit Galilée.

L’État ecclésiastique se situe à Rome, où le pape, en tant que monarque spirituel et temporel, occupe une place prépondérante.  C’est à Rome que siège le Saint Office, la congrégation des cardinaux destinée à maintenir la foi et le code des mœurs religieuses ainsi que la censure (le premier index des livres date de 1559).  C’est devant le Saint-Siège que Galilée doit comparaître à deux reprises – en 1616 et en 1633.  C’est également sur l’ordre de l’inquisition toute-puissante que Giordano Bruno a été brûlé vif pour avoir soutenu la thèse copernicienne.

Les tissus des costumes des représentants du pouvoir sont très travaillés, ornés et souvent sombres pour incarner le monde de l’obscurantisme.

Dans la pièce, espace privé et espace public sont équitablement répartis :

  • six tableaux sont situés dans l’univers familier et restreint de Galilée – son cabinet de travail à Padoue (1, 3), sa maison de Florence (4, 5 b et 9 ou la maison de campagne florentine où il est emprisonné (14) ;
  • les six autres tableaux sont ancrés dans des demeures étrangères : le palais de l’ambassadeur florentin à Rome (8, 13), le Collegium Romanum (6), une salle du Vatican (12), le vestibule du palais du cardinal Bellarmin à Rome (7), l’antichambre et l’escalier du palais des Médicis à Florence (11). 
  • Enfin, quatre tableaux ont lieu en extérieur : dans le grand arsenal de Venise (2), devant la maison de Galilée à Florence (5b), sur une place publique italienne (10), près de la barrière de contrôle d’une petite ville italienne (15) : les lieux clos l’emportent donc sur les lieux ouverts, et les vestibules ou antichambres évoqués font figure de lieux de passage et d’accès symboliques au pouvoir. 

L’intention de Brecht n’est pourtant pas de restituer le cadre historique de manière réaliste : les fastes des puissants ne sont évoqués que très vaguement, et l’action de la pièce semble se dérouler en vase clos, laissant ainsi à l’imagination du spectateur la liberté de reconstituer l’univers et l’atmosphère familiers à Galilée, que Brecht compare souvent aux tableaux de Bruegel.

Ignorances et savoirs des adversaires de Galilée

La réponse la plus commune consiste à voir dans la condamnation de Galilée un épisode particulièrement dramatique de la lutte multimillénaire du savoir contre l’ignorance, de la raison contre l’obscurantisme.  La condamnation fut bien dramatique et même odieuse, mais l’affaire Galilée ne peut pas être réduite au combat du savoir d’un martyr contre l’ignorance de l’Église.  Détruisant une tenace légende, ce refus de la simplification partagé par l’ensemble des historiens contemporains ne saurait être utilisé d’une manière insidieuse pour atténuer l’erreur de ceux qui condamnèrent Galilée.  Il invite simplement à examiner impartialement le statut du savoir et de l’ignorance chez tous les protagonistes de l’affaire.

L’ignorance des adversaires de Galilée

A) Il y eut d’abord l’ignorance « crasse ». Brecht la présente sans concession sous deux formes, celle des professeurs qui refusent de regarder le ciel à travers la lunette, et celle du moine très maigre qui défend l’interprétation littérale de l’Écriture contre les assauts de la raison.

Dans le quatrième tableau, les savants florentins qui accompagnent le grand-duc de Florence refusent obstinément de regarder à travers la lunette.  Leur ignorance est une ignorance paisible, une ignorance qui s’ignore, inaccessible à l’inquiétude née de la contradiction.  Galilée sera moins heureux que le Socrate du Ménon avec le jeune serviteur qui finit par douter de son pseudo-savoir.  L’ignorance qui s’ignore comme telle provient de l’assurance d’un savoir dogmatique que rien ne peut ébranler.  L’argument d’autorité l’emporte sur les faits observés.  Galilée n’y peut rien, son ironie (au sens de questionnement) est impuissante.

Galilée – Messieurs, la croyance en l’autorité d’Aristote est une chose, les faits qu’on peut toucher du doigt en sont une autre.  Vous dites que, d’après Aristote, il y a là-haut des sphères de cristal, et qu’ainsi certains mouvements ne peuvent avoir lieu parce que les astres perceraient les sphères.  Mais que se passerait-il si vous pouviez constater ces mouvements ? Peut-être cela vous suggérerait-il que ces sphères de cristal n’existent pas ? Messieurs, je vous demande en toute humilité d’en croire vos yeux.

Le mathématicien – Cher Galilée, il m’arrive de temps en temps, aussi démodé que cela puisse vous paraître, de lire Aristote, et là je puis vous assurer que j’en crois mes yeux (p. 50-51).

A cette ignorance « crasse » qui croit savoir et ne sait pas qu’elle croit, Galilée oppose l’autre forme d’ignorance selon le Ménon, celle qui sait qu’elle ne sait pas, l’ignorance « savante », celle qui résulte de l’ébranlement d’un savoir que l’on avait cru définitif.  Galilée poursuit son effort, mais ce sera en vain.

« Notre ignorance est infinie: entamons-la d’un millimètre cube !  Pourquoi vouloir maintenant être encore plus savants quand nous pouvons enfin être un peu moins bêtes ?

[… ] Ce ne sont pas les mouvements de quelques astres éloignés qui font dresser l’oreille à l’Italie mais la bonne nouvelle que des doctrines tenues pour inébranlables ont commencé à vaciller et chacun sait que celles-là sont trop nombreuses.  Messieurs, ne défendons pas les doctrines ébranlées » (p. 51-52)

Pour construire ce quatrième tableau, Brecht peut se fonder sur des témoignages historiques.  Ainsi, Cesare Cremonini, collègue de Galilée à Padoue et que l’on présente pourtant comme un aristotélicien ouvert, a refusé de regarder au travers de la lunette.  Scheiner, le premier découvreur des taches solaires, jésuite déjà cité, s’est entendu dire par son supérieur incrédule que c’était une chose impossible au regard des textes d’Aristote !

« J’ai relu Aristote de bout en bout plusieurs fois et je peux vous affirmer que nulle part il n’y a mention de choses semblables à celles que vous décrivez.  Allez en paix, mon fils, soyez sûr que ce que vous avez pris pour des taches du soleil sont des défauts de vos verres ou de vos yeux. »

On doit cependant à la vérité de dire que la fiabilité des lunettes de l’époque pouvait légitimement autoriser quelques hésitations sur les faits observés, et, de plus, Galilée qui était peu instruit en optique, contrairement à Kepler, ne maîtrisait pas le problème des aberrations optiques.  Mais la raison majeure du refus d’accepter telles quelles les données de la lunette venait de la distinction aristotélicienne entre le monde sublunaire où l’observation était fidèle et le monde céleste où elle devenait douteuse.  Il fallait donc, pour établir les faits observés dans leur rigueur, modifier d’abord la conception du monde, c’est-à-dire abandonner l’idée d’une hétérogénéité matérielle de la Terre et des corps célestes.  En termes épistémologiques modernes, il fallait modifier la théorie pour que fût possible l’accueil des faits.

B) L’autre forme d’ignorance « crasse » est représentée par le moine très maigre du sixième tableau qui frappe fanatiquement du doigt le passage de l’Écriture où il est dit que Josué commanda au soleil de s’arrêter.  Ce n’est pas seulement l’autorité d’Aristote qui empêche l’ignorance de s’avouer comme telle, c’est celle de la Bible ou plus exactement de sa lecture littérale.  L’Écriture se représente la Terre immobile et est donc résolument géocentrique comme l’affirme la cosmologie babylonienne dont elle hérite.  Or toute l’Europe savante est chrétienne et donc attachée au texte biblique.  La question que partagent Galilée et ses contemporains (catholiques ou protestants) n’est pas de savoir s’il faut renoncer à l’Écriture. Elle se formule ainsi : comment lire les Écritures, comment les accorder avec la démarche rationnelle ? Ce serait un anachronisme, source de grande confusion, que d’interpréter l’affaire Galilée ainsi qu’on le fit à partir du 19e siècle, comme une lutte entre la raison délivrée de la foi et la foi libérée de la raison, cette simplification préparant le glissement réducteur de la raison vers le savoir et de la foi vers l’ignorance.

Savoir religieux et savoir scientifique

Il faut donc examiner comment s’est posée historiquement la question du rapport entre les nouvelles hypothèses (ou données) héliocentriques et l’herméneutique biblique.  Rappelons encore une fois que le débat est interne à la communauté chrétienne dans l’Europe du 17e  siècle et que Galilée, chrétien sincère, n’envisage jamais une incompatibilité principielle entre le savoir scientifique et le savoir biblique.  Il lui arrive, ce qui irritera beaucoup les théologiens de métier, de proposer témérairement son interprétation de la Bible dans un sens héliocentrique.  Mais quand il s’aventure sur ce terrain, sa position est aussi fragile que celle de ses adversaires qui considèrent que la Bible détient la vérité cosmologique.  En revanche, sa conception de l’exégèse est très en avance sur celle qui finira par l’emporter dans le christianisme.  Elle s’accorde avec celle de Bellarmin d’une manière assez surprenante.  Celui-ci, dans sa lettre à Foscarini, avait ouvert la possibilité d’une lecture non littérale des passages de la Bible explicitement géocentriques comme ceux qu’on trouve dans le récit de la création de la Genèse, dans l’Ecclésiaste (1, 4 ; 58, 2), dans les Psaumes 18 et 103 et surtout dans l’histoire de Josué arrêtant le soleil (Le Livre de Josué, 10, 13) :

« Je dis que, s’il y avait une vraie démonstration que le soleil se tient au centre du monde et la Terre dans le troisième ciel, et que le soleil ne tourne pas autour de la Terre mais que la Terre tourne autour du soleil, alors il faudrait procéder avec beaucoup d’attention pour expliquer les Écritures qui semblent contraires [à cette démonstration], et il faudrait plutôt dire que nous ne les comprenons pas plutôt que dire que serait faux ce qui est démontré. »

Certes la suite de la lettre montre que le cardinal Bellarmin n’admettait pas le système héliocentrique autrement qu’à titre d’hypothèse et qu’il estimait hautement improbable qu’il faille réviser la lecture traditionnelle de l’Écriture, mais sa position ouvre de nouvelles perspectives méthodologiques. Étaient-elles vraiment nouvelles ? Le littéralisme rigide n’était pas admis de façon uniforme dans l’histoire de l’Église.  Et c’est Galilée qui a su le faire remarquer avec un sens théologique que les autorités catholiques d’aujourd’hui lui reconnaissent avec humilité.  Dans sa lettre à Castelli du 21 décembre 1613, Galilée n’a aucune peine à montrer que souvent la Bible ne nous parle pas selon le sens littéral. « Si l’Écriture ne peut errer, certains de ses interprètes et commentateurs le peuvent. » Et dans la Lettre à Christine de Lorraine (rédigée en 1615 mais probablement jamais envoyée), il invoque la tradition de l’Église, en particulier saint Augustin qui admettait la lecture symbolique de certains passages de la Bible.

Galilée dispose d’ailleurs d’un argument de poids en faisant observer avec saint Augustin que la sphéricité de la Terre ne trouble pas les théologiens alors qu’en plusieurs endroits de la Bible elle est dite plate.  C’est donc Galilée lui-même qui est venu rappeler aux théologiens la distinction du domaine de la foi et de la raison, et les conditions de leur réunion.  La Bible ne saurait contredire la science, et inversement, postule Galilée : si une vérité est scientifiquement assurée, alors il faut modifier en conséquence la lecture de l’Écriture.  Si Dieu nous a dotés de la raison, c’est pour que en fassions bon usage dans la connaissance des choses qui ne relèvent pas de la foi et aussi pour que nous apprenions à mieux lire les choses de la foi.

L’Église catholique s’est référée la Lettre à Christine de Lorraine publiée trois ans après le procès, pour ne reconnaître solennellement ses torts qu’en 1992.  Le fait que Galilée n’ait pas su fournir les preuves de l’héliocentrisme n’excuse pas le manque de clairvoyance de ses juges sur les mutations épistémologiques du champ du savoir scientifique et du champ du savoir exégétique.  A ce titre, ils ne furent pas simplement dans l’ignorance, mais aussi dans l’erreur, ignorant leur ignorance.

Le compromis de Tycho Brahé, une hypothèse ignorée par Galilée

On a déjà indiqué que Galilée n’avait pas apporté de preuve décisive en faveur de l’héliocentrisme, mais qu’il avait ébranlé de manière définitive le système ptoléméen.  Alors, pourquoi cette adhésion crispée de ses détracteurs au géocentrisme ? La raison que Galilée eut tort de négliger était leur attachement à l’hypothèse de Tycho Brahé (1546-1601).  Cet astronome danois qui fut le maître de Kepler, avait récusé le géocentrisme ptoléméen, mais pour lui substituer un géocentrisme plus subtil et qui tenait compte des observations précises qu’il avait accumulées.  Son hypothèse qui avait les faveurs des jésuites du Collège romain intégrait les nouvelles observations effectuées depuis 1609.  Tycho Brahé avait construit un modèle combinant astucieusement le géocentrisme et l’héliocentrisme : toutes les planètes (sauf la Terre) tournaient autour du soleil, et le soleil lui-même tournait autour de la Terre immobile, entraînant donc dans sa ronde les autres planètes.  Ce système « sauvait les phénomènes » d’une manière satisfaisante, sauf en ce qui concerne le mouvement apparent de Mars.

L’histoire a retenu le nom de Tycho Brahé cormne celui de l’astronome le plus scrupuleux dans la collecte des observations durant la deuxième moitié du 16e siècle, mais on ne comprendrait rien à la nature de l’opposition entre Galilée et ses adversaires si l’on omettait l’existence du modèle de l’astronome danois, à mi-chemin entre celui de Ptolémée, manifestement périmé, et celui de Copernic, encore indémontré.  En attaquant le système de Ptolémée mais en dédaignant de critiquer celui de Tycho Brahé, Galilée n’évoluait pas sur le même terrain que ses détracteurs.  Cette attitude qui était bien dans sa manière l’a assurément desservi.  N’avait-il pas, de la même façon, choisi d’ignorer la grande découverte de Kepler, en 1609, sur la trajectoire elliptique des planètes ?

Les preuves physiques de l’héliocentrisme n’ont pas été apportées par Galilée.  Mais il y eut plus grave : celles qu’il a données étaient insuffisantes.  Même les savants ont leurs ignorances ! Ainsi l’explication par les marées est-elle centrée exclusivement sur la composition des vitesses des deux mouvements de la Terre (rotation et translation) qui, alternativement, s’additionnent ou se retranchent.  L’explication est exacte mais ne rend compte que d’une infirme partie du phénomène des marées, et c’est à Newton qu’il revint de montrer l’influence décisive de la lune et aussi du soleil.  Kepler avait déjà envisagé la possibilité d’une influence de la lune.  Mais, fidèle à son tempérament, Galilée avait ridiculisé cette hypothèse.

De plus, Galilée n’est pas sorti grandi de sa polémique avec Grassi, astronome au Collège romain, lors du débat sur l’apparition des comètes en 1616.  Sa crédibilité en fut atteinte profondément dans les milieux scientifiques.  Grassi reprenait l’enseignement de Tycho Brahé pour lequel les comètes étaient des corps célestes se mouvant au-delà de la lune selon une trajectoire non circulaire.  Galilée récusa une telle interprétation pourtant conforme à la réalité et que la science astronomique a désormais confirmée.  Curieusement, ce fut Galilée qui nia les observations presque à la manière de ses adversaires (que Brecht avait raillés dans son quatrième tableau).  Les comètes étaient, selon lui, dénuées d’existence physique : il prétendait qu’elles étaient le résultat d’illusions d’optique produites par le rayonnement solaire, un peu à la manière des arcs-en-ciel.

4. La science parle-t-elle la langue du peuple ?

Enfin, la volonté de théâtraliser le débat scientifique, de le mettre sur la place publique, a joué pour beaucoup dans l’irritation provoquée par le personnage.  Brecht célèbre cette volonté de s’adresser à tous, qui contraste si singulièrement avec l’attitude réservée de Copernic. A qui s’adresse la science ? A ceux qui peuvent l’entendre, répond prudemment Copernic.  A tous, proclame impétueusement Galilée.  Et Brecht de louer cette volonté galiléenne de démocratiser le savoir contre laquelle s’insurge l’inquisiteur.

« Ce mauvais sujet sait ce qu’il fait quand il rédige ses travaux astronomiques non pas en latin, mais dans l’idiome des poissonnières et des marchands de laine » (p. 111).

Les « ignorants » n’ont pas à être protégés du savoir qui sommeille à l’abri de la critique parce qu’il est le privilège de ceux qui connaissent le latin (p. 123).  Donnons au peuple le savoir « dans l’idiome des poissonnières » ! Galilée présuppose ici les deux catégories d’ignorants qui nous sont désormais familières.  D’une part les faux savants que leurs préjugés (la lecture littérale de la Bible, le respect aveugle pour la tradition aristotélicienne) éloignent du savoir authentique de l’héliocentrisme, d’autre part les ignorants indemnes de toute idée préconçue et avides de savoir.  On a reconnu ici encore la distinction platonicienne entre les deux formes d’ignorance, celle qui croit savoir et qui est dangereuse, et celle qui sait qu’elle ne sait pas et qui est positive.

L’ignorant du premier genre enferme son pseudo-savoir dans la langue d’une caste, ici le latin (p. 96 et 123), celui du second genre connaissant son ignorance est ouvert au langage parlé par le peuple, « l’idiome des poissonnières », selon l’expression savoureuse de Brecht.  Là encore, l’opposition a la simplicité quelque peu réductrice de la lutte entre les nantis repliés sur leur pouvoir et les forces populaires représentant l’avenir radieux.  Or les choses sont plus complexes que l’expression « démocratisation du savoir » le laissait entendre.

En effet, l’accès au savoir est ce que permet l’enseignement et la vulgarisation, il suppose une démarche active d’appropriation qui n’est rendue possible que par un long processus de formation.  L’accès à la recherche scientifique est d’un autre ordre ; en droit elle est offerte à chaque esprit doué de raison, en fait elle suppose une haute qualification, et ses résultats, au moment de leur production, ne sont guère vérifiables que par la communauté scientifique éclairée.  On ne décide pas la validité de la relativité générale ou du théorème de Gödel par un référendum démocratique ou une manifestation de masse ! Et les poissonnières, dont la profession est aussi nécessaire que respectable, ne sont pas a priori qualifiées pour décider de la validité du système de Copernic par rapport à celui de Tycho Brahé, du moins dans le cadre historique du début du 17ème siècle.  La vérité scientifique ne vient pas du peuple, et Galilée, bien que cherchant à s’exprimer aussi dans sa langue maternelle, recherchait la caution et la reconnaissance de l’Europe savante qui s’exprimait en latin.  Il ne serait pas venu à l’idée de ce Florentin, ami des grands de ce monde, de recourir aux masses populaires pour qu’elles manifestent en faveur de l’héliocentrisme, comme La Vie de Galilée de Brecht pourrait le donner à penser.

Copernic, que Brecht identifie abusivement à Galilée, ne cherche pas avant toutes choses à répandre ses découvertes, au point qu’il demeure très réservé vis-à-vis de la communauté savante elle-même.  Ce n’est pas seulement la propension ésotériste de Copernic qui est en cause, mais aussi le fait que cette communauté est encombrée de préjugés.  Nous sommes à une époque où le découpage épistémologique qui a triomphé aujourd’hui avec la dissociation de la science, de la philosophie et de la théologie n’est pas encore pensé.  Mais Copernic considère que les ignorants sont ceux qui utilisent les données bibliques dans le domaine de l’astronomie sans maîtriser les mathématiques qui, à cette époque déjà, ne sont pas séparables de l’astronomie.  Contre les ignorants (en astronomie) qui utilisent leur pseudo-compétence en exégèse biblique, Copernic n’en appelle pas au peuple mais au pape Paul III dans sa lettre-préface du De Revolutionibus.

« Et pour que les savants et les ignorants voient pareillement que je ne veux éviter le jugement de personne, j’ai voulu dédier ces miennes recherches à Ta Sainteté [… ] afin que, par ton autorité et jugement tu puisses réprimer les morsures des calomniateurs [… ]. Si cependant il se trouvait des mataiologoi [ceux qui tiennent des langages vains, sots, sans fondement] qui, bien qu’ignorant tout des mathématiques, se permettaient néanmoins de juger de ces choses et, à cause de quelque passage de l’Écriture, malignement détourné de son sens, osaient blâmer et attaquer mon ouvrage ; de ceux-là je ne me soucie aucunement, et ceci jusqu’à mépriser leur jugement comme téméraire. »

La protection du pape est demandée parce que Paul III est en effet non seulement philosophe et théologien, mais aussi mathématicien.  Et Copernic, précédant ici Galilée et Bellarmin, considère que si l’héliocentrisme paraît contredire la Bible, c’est qu’on ne sait pas lire la Bible.  Copernic, dans la suite du texte, invoque à bon droit un exemple historique, celui de Lactance, apologiste chrétien des premiers siècles de l’ère chrétienne, qui refusait la sphéricité de la Terre au nom de la cosmologie biblique. « Les choses mathématiques, poursuit Copernic, s’écrivent pour les mathématiciens. » Et Koyré commente ainsi cette affirmation : « « Les ignorants n’ont qu’à se taire. »

Car, comme nous le savons, l’ignorant qui affirme n’est plus un ignorant qui se sait ignorant, mais un ignorant qui s’ignore ignorant, et donc ouvert à tous les dogmatismes, à tous les fanatismes.  Moins atrocement que Giordano Bruno sur son bûcher, Galilée en fit la douloureuse expérience.

Et dans un élan vengeur, le regard tourné vers les ennemis de la révolution prolétarienne par-dessus l’affaire Galilée, Brecht lance cet avertissement à tous les obscurantistes, qu’une fois convaincus de leur erreur il faudra être « sans merci pour ceux qui n’ont pas cherché et qui pourtant parlent » (p. 98).  L’histoire fut cruelle pour Brecht.

Car un cas analogue à celui de Galilée devait surgir en URSS, le pays dans lequel Brecht avait placé tous ses espoirs.

Le cas Lyssenko (1898-1976)

Cet agronome soviétique, à la tête de l’École soviétique de génétique, s’opposa aux lois de Mendel et affirma que les caractères acquis étaient héréditaires.

Lyssenko naquit à Karlovka, près de Kiev, en 1898, et fit ses études à Kiev, à l’Institut d’agriculture. Il travailla sur la vernalisation du blé (utilisation du froid pour induire une floraison précoce des plantes). Sur la base de ces travaux, il élabora une théorie selon laquelle l’environnement joue un rôle majeur dans l’évolution. Cette théorie, qui allait à l’encontre de celles de Mendel, postulait également l’hérédité des caractères acquis.

Lyssenko, contre la communauté internationale des biologistes, récusait la théorie chromosomique de l’hérédité.  Pour lui, les conditions du milieu expliquaient tout – les caractères acquis étant, affirmait-il, génétiquement transmissibles – et balayaient les thèses de la génétique classique dont le représentant, Vavilov, fut arrêté.  Staline, que la thèse de Lyssenko satisfaisait idéologiquement, fit cesser le libre débat scientifique, et les expérimentations furent orientées par le pouvoir lui-même.  Aujourd’hui encore la biologie ne s’est pas relevée, dans les anciens pays sous contrôle soviétique, du retard pris lors de cette intrusion du pouvoir dans le champ du savoir.  Lyssenko représentait la « science prolétarienne », vérité officielle de l’État stalinien, et Vavilov (mort en 1942 après son arrestation) était le représentant de la « science bourgeoise ». Jaurès Medvedev, biologiste soviétique, identifiait Vavilov et Galilée, comme l’avait fait avant lui Maurice Daumas.

En fait, c’est bien à l’époque de Galilée que nous ramènent les récents débats de Moscou.  Avec eux reviennent les mêmes procédés d’intimidation, les mêmes arguments (à si peu près) pour compromettre les thèses et les individus, la même partialité, le même absolutisme. [… ] La grande tristesse de notre époque – il n’est plus question de s’indigner – sera donc qu’une telle entreprise soit aujourd’hui possible.  Mais ceux qui l’ont déclenchée à grand renfort de publicité devraient se souvenir que, malgré la Congrégation, le système de Copernic a triomphé de celui de Ptolémée.

Les théories de Lyssenko reçurent un soutien officiel. Elles furent enseignées en Union soviétique dans les cours de biologie et introduites dans les programmes d’agriculture, parfois avec des résultats désastreux. Au cours de sa carrière, Lyssenko occupa plusieurs postes scientifiques importants, dont la présidence de l’Académie Lénine des sciences agronomiques (1938-1956) et la direction de l’Institut de génétique de l’Académie des sciences (1940-1965). Dans cette position de force, il s’employa à contrer tous les scientifiques d’opinions différentes, tant dans leur carrière que dans leur liberté, au nom du combat de la science prolétarienne contre la science bourgeoise. Après la mort de Joseph Staline en 1953, Lyssenko fut fortement critiqué et son influence décrut progressivement.

Lyssenko mourut à Moscou, en 1976, onze ans après avoir perdu la présidence de l’Institut de génétique.