Texte d'étude et traduction

Les jeux du cirque

Le Colisée, RomeInformations[1]

Dans une lettre à son ami Lucilius, Sénèque, philosophe stoïcien, proche de l'empereur Néron, dénonce la cruauté des jeux du cirque, dont les Romains étaient particulièrement friands.

Nihil uero tam damnosum bonis moribus quam in aliquo spectaculo desidere ; tunc enim per uoluptatem facilius uitia subrepunt. Quid me existimas dicere ? auarior redeo, ambitiosior, luxuriosior ? immo uero crudelior et inhumanior, quia inter homines fui.

Casu in meridianum spectaculum incidi, lusus exspectans et sales et aliquid laxamenti quo hominum oculi ab humano cruore acquiescant. Contra est : quidquid1 ante pugnatum est misericordia fuit ; nunc omissis nugis mera homicidia sunt. Nihil habent quo tegantur2 ; ad ictum totis corporibus expositi numquam frustra manum mittunt. Hoc plerique ordinariis paribus3 et postulaticiis4 praeferunt. Quidni praeferant ? Non galea, non scuto repellitur ferrum. Quo munimenta ? quo artes ? omnia ista mortis morae sunt. Mane leonibus et ursis homines, meridie spectatoribus suis obiciuntur. Interfectores interfecturis iubent5 obici et uictorem in aliam detinent caedem ; exitus pugnantium mors est. Ferro et igne res geritur. Haec fiunt dum uacat harena6. « Sed latrocinium fecit aliquis, occidit hominem.»7 Quid ergo? quia occidit, ille meruit ut hoc pateretur : tu quid meruisti miser ut hoc spectes ? «Occide, uerbera, ure8 ! Quare tam timide incurrit in ferrum ? quare parum audacter occidit ? quare parum libenter moritur ? Plagis agatur in uulnera, mutuos ictus nudis et obuiis pectoribus excipiant.» Intermissum est spectaculum : «interim iugulentur homines, ne nihil agatur9 ».

Sénèque, "Lettres à Lucilius", I, 7, 3-5.

Écoutez attentivement la lecture du texte :

Sénèque condamne les jeux du cirque (2:05)
Informations[2]

Éclaircissements linguistiques

  1. quidquid (ou quicquid) : renforcement du relatif neutre "quid" : tout ce qui.

  2. Le sujet désigne ceux qui sont contraints de se battre dans l'arène. Il ne s'agit pas ici des gladiateurs, qui sont des professionnels aguerris, et bien armés, mais de condamnés à mort dont l'exécution pouvait se faire sous forme de jeux du cirque : combats à main nue, ou contre des fauves...

  3. ordinariis paribus : "à des paires ordinaires" : sous-entendu, de gladiateurs. Ceux-ci combattaient par deux, l'un muni d'un petit bouclier, l'autre d'un grand.

  4. postulaticius : mot à mot "réclamé par le peuple". Ce mot semble être un hapax, c'est-à-dire une création de Sénèque. Il est question ici des gladiateurs, "ordinarii" (ordinaires, sans réputation particulière) ou "postulaticii" (les "stars", adulés comme nos joueurs de foot).

  5. iubent interfectores obici... Rappel : iubeo se construit avec une infinitive, contrairement aux autres verbes injonctifs qui se construisent avec ut + subj.

  6. dum uacat harena : "quand l'arène est vide", c'est-à-dire pendant l'entracte.

  7. Cette remarque, au style direct, est soit une objection de Lucilius, soit plus vraisemblablement un argument des amateurs de ces jeux cruels.

  8. Sénèque reproduit ici les cris de la foule.

  9. Ne nihil agatur : afin d'éviter qu'il ne se passe rien → pour éviter les temps morts.

Traduction

Rien en vérité n'est plus préjudiciable aux bonnes mœurs que de s'attarder dans un spectacle ; alors, en effet, les vices s'insinuent plus facilement par l'intermédiaire du plaisir. Qu'est-ce que je veux dire, à ton avis ? Je reviens plus cupide, plus ambitieux, plus luxurieux ? Pire encore, plus cruel et plus inhumain, parce que j'ai été parmi les hommes.

Je suis tombé par hasard sur un spectacle de midi, m'attendant à des jeux, des plaisanteries et quelque divertissement par lequel les yeux des hommes puissent se reposer du sang humain. C'est le contraire : tout ce qui a été combattu auparavant fut clémence ; à présent, finies les bagatelles ! Ce sont de purs homicides. Ils n'ont rien pour les protéger ; exposés aux coups de tout leur corps ils ne lèvent jamais la main en vain. La plupart préfèrent cela à des couples de gladiateurs ordinaires et même très célèbres. Et pourquoi pas ? Le fer n'est repoussé ni par le casque, ni par le bouclier. Dans quel but ces protections ? Dans quel but ces talents ? Toutes ces choses ne servent qu'à retarder la mort. Le matin, des hommes sont jetés aux ours et aux lions, à midi à leurs spectateurs. Ils ordonnent que les tueurs soient jetés à ceux qui vont les tuer et gardent le vainqueur pour pour un autre massacre ; l'issue est la mort des combattants. La chose se fait par le fer et le feu. Cela a lieu pendant les entractes. « Mais cet homme a commis un vol, il a tué un homme. » Et quoi ? parce qu'il a tué, il a mérité de subir cela : et toi, qu'as-tu mérité, malheureux, pour assister à ce spectacle ? « Tue, frappe, brûle ! Pourquoi se précipite-t-il si craintivement sur le fer ? Pourquoi tue-t-il avec trop peu d'audace ? Pourquoi meurt-il si peu volontiers ? Qu'on le pousse par les coups vers les blessures, qu'ils reçoivent sur leurs poitrines nues et offertes leurs coups mutuels. » On interrompt le spectacle : « Entre temps, qu'on égorge des hommes, afin qu'il n'y ait pas de temps mort.

Complément

Pour en savoir plus sur Sénèque.

Sur les gladiateurs, voir ici.