La littérature latine d’Afrique

LITTÉRATURE D’AFRIQUE DU NORD D’EXPRESSION LATINE

Résumé d’une conférence de Patrick Voisin, professeur de chaire supérieure au lycée Louis Barthou de Pau, à l’occasion du Festival européen latin-grec de Nantes (mars 2009).

Ruines de Carthage

Apulée, qui dans l’Apologie, se dit « mi Gétule, mi Numide », symbolise à lui seul une littérature africaine d’expression latine variée et florissante, trop souvent méconnue.

Avant les Romains

Deux groupes linguistiques se partagent l’Afrique du Nord :

  • Le libyque, langue non indo-européenne (chamito-sémitique ou afro-asiatique), parlée par les Libyens ou encore les Numides, les Maures et les Gétules, et qui survivra sous forme d’un patois populaire ; mais il n’existe pas de littérature libyque, seulement des inscriptions.
  • le punique, importé par les Phéniciens fondateurs de Carthage, langue sémitique également, qui fut la langue généralisée de l’Afrique du Nord avant 146 av.J.-C. et qui continua à être parlée (sous la forme du néo-punique) jusqu’au Vème siècle après J-C, après avoir résisté au grec et au latin. Il existait une littérature punique, dont il ne reste quasiment rien : puisque les Livres Puniques attestés par de nombreux auteurs latins ont été perdus, nous ne connaissons que le Périple d’Hannon, le Périple d’Himilcon, des ouvrages d’histoire cités par Juba II… et surtout le Traité agronomique de Magon, traduit en grec et en latin (et qui inspirera les agronomes Romains), ainsi que le Serment d’Hannibal, traduit en grec.

Ainsi les premiers Africains que nous pouvons vraiment lire écrivent en grec : Hasdrubal de Carthage, devenu Clitomaque à Athènes, Dionysius d’Utique, Juba II (roi érudit). Et à l’époque romaine de nombreux écrivains d’Afrique continuèrent à écrire en grec parallèlement au latin. Enfin l’hellénisme reviendra en force à l’époque byzantine, en raison des relations entre Byzance et Carthage.

La littérature latine d’Afrique

Elle repose sur un riche terreau :

  • un certain sol et un certain climat
  • une résistance culturelle à la romanisation : persistance de cultes locaux et maintien de la langue punique
  • la coexistence de trois peuples et de trois langues : Libyens, Puniques et Romains/Italiens (voir le plurilinguisme attesté par l’Apologie d’Apulée) ; une quatrième langue s’ajoutera encore à la fin de l’Antiquité, celle des Vandales.
    L’aristocratie ou la bourgeoisie municipale parlent grec, puis latin : c’est la condition de l’ascenseur social.
  • l’abondance des écoles, à Césarée ou Carthage, brillantes dans tous les domaines : tous les auteurs africains sont des maîtres de la rhétorique.
  • le rôle majeur de Carthage, comparable à celui d’Athènes, de Rome ou d’Alexandrie : université, spectacles, vie culturelle intense (voir les Florides d’Apulée).

La langue latine d’Afrique présente des particularités complexes (réduction à trois cas, labdacisme…) dues à la juxtaposition de deux langues indo-européennes et de trois langues sémitiques, dont l’hébreu. Chez certains auteurs, l’élément classique prédomine : Fronton, Lactance ; d’autres, comme Commodius, privilégient l’élément africain. D’autres encore, comme Apulée, trouvent un équilibre.

Quelques auteurs africains :

  • Térence ? Son surnom, « Afer », laisse penser à une origine africaine, et c’est un vrai Africain si l’on en croit Suétone ; mais lui-même n’en parle pas. Son humanisme, cependant, s’apparente à celui d’autres auteurs africains : « rien de ce qui est humain ne m’est étranger… »
  • Manilius, contemporain d’Auguste, auteur des Astronomica (poème scientifique en 5 livres)
  • Septime Sévère, grand-père de l’Empereur du même nom, bilingue et ami de Stace
  • Florus, historien
  • Fronton, maître de Marc-Aurèle : il a enrichi la langue latine de noms de couleurs et revendique son identité de « Libyen nomade »
  • Aulu-Gelle, né vers 130 et auteur des Nuits Attiques
  • Apulée, érudit bilingue, « un bédouin dans un congrès de classiques » selon la formule célèbre de P. Monceaux
  • Némésien, « le poète carthaginois », auteur au IIIème siècle d’un poème didactique sur la chasse, et dont il ne reste que des fragments
  • Minucius Felix, auteur de l’Octavius, dialogue philosophique montrant que les philosophies antiques sont compatibles avec le christianisme
  • Tertullien, surnommé « le dur Africain » par Bossuet
  • Macrobe, auteur des Saturnales, né vers 370
  • Martianus Capella, auteur des Noces de Mercure et de la philologie
  • Augustin (354-430) est évidemment l’auteur le plus important de cette période ; aujourd’hui revendiqué à la fois par l’Algérie et la Tunisie, il vécut 71 ans en Afrique, et seulement 5 à Rome !
  • Enfin, Corippe, auteur du VIème siècle, à l’époque des guerres entre Berbères et Byzantins, montre dans la Johannide « l’Afrique fumante s’abîmant dans les flammes » : c’est le dernier auteur africain de langue latine.

Il y eut aussi des papes africains : Victor 1er (début du IIIème siècle), Miltiade (début du IVème siècle), Gélase (au Vème siècle). Carthage étant tombée en 439, Rome fut chassée d’Afrique.