Catulle (82-52 avant J-C)

Catulle, statue moderne à Sirmione (Italie)

Biographie de Catulle

Caius Valerius Catullus naît en 82 (ou 84) à Vérone, dans une famille aisée. En 68, il vient à Rome, et trouve une société troublée : conjuration de Catilina en 63, premier triumvirat de Pompée, Crassus et César en 60… Il mène la vie d’un oisif riche et cultivé, en relation avec les personnages illustres de son époque : Cicéron, César – qu’il déteste, et critique violemment dans ses vers ; César lui pardonnera, mais restera blessé –, Hortensius…

En 62, il fait la connaissance de Clodia, sœur du futur tribun de la plèbe et ennemi de Cicéron Publius Clodius Pulcher ; il la célèbre dans ses vers sous le nom de Lesbie. Cette liaison dure de 62 à 58. Cicéron, en 56, dressera d’elle un portrait insultant, dans le Pro Caelio (il défendait alors Caelius, ex-amant de Clodia, accusé d’avoir tenté d’empoisonner celle-ci.)

En 59, il perd son frère, parti en voyage dans la région de Troie (cf. poème 65)

En 57, il accompagne le propréteur Memmius (ami de Lucrèce et dédicataire du De Natura rerum) en Bithynie ; il en revint en 56, après avoir visité les plus belles villes d’Asie mineure.

Il meurt, probablement de phtisie, en 52.

Il nous laisse 116 poèmes, de longueur et de ton extrêmement variés ; ils sont publiés aux éditions des Belles Lettres, collection Classiques en poche, dans une traduction de Georges Lafaye (2002)

Les 116 pièces de vers qui nous sont parvenues n’ont peut-être pas toutes fait partie du Libellus publié par Catulle et dédié à Cornelius Nepos. Elles sont groupées selon le mètre employé : on voit l’importance de la technique. La poésie latine s’enrichit à cette époque de mètres grecs de plus en plus subtils : asclépiades, glyconien, saphique, galliambique…

  • Pièces 1 à 60 : pièces lyriques assez courtes, de mètre varié, surtout des iambes ;
  • Pièces 61 à 68 : longs poèmes où domine l’héxamètre dactylique ;
  • Pièces 69 à 116 : épigrammes en distiques élégiaques.

Mais trois aspects dominent cette poésie :

  • poète alexandrin, artiste et savant, qui s’apparente aux partisans de l’Art pour l’Art. Voir par exemple « La Chevelure de Bérénice » (inspirée par Callimaque), « Attis », « Les Noces de Thétis et Pélée ».
  • poète satirique, mordant et plein d’esprit qui, inspiré plus par des inimitiés personnelles que par des raisons politiques, nous dépeint le milieu où il a vécu ;
  • poète lyrique, douloureux et passionné, qui fait penser à Musset.

Les Poésies

Pour le moineau de Lesbie (poème 3)

Fletus passeris Lesbiae (Hendécasyllabes phaléciens)

LVGETE, o Veneres Cupidinesque,
et quantum est hominum uenustiorum:
passer mortuus est meae puellae,
passer, deliciae meae puellae,
quem plus illa oculis suis amabat.
nam mellitus erat suamque norat
ipsam tam bene quam puella matrem,
nec sese a gremio illius mouebat,
sed circumsiliens modo huc modo illuc
ad solam dominam usque pipiabat.
Qui nunc it per iter tenebricosum
illuc, unde negant redire quemquam.
At uobis male sit, malae tenebrae
Orci, quae omnia bella deuoratis :
tam bellum mihi passerem abstulistis
o factum male! o miselle passer !
Tua nunc opera meae puellae
flendo turgiduli rubent ocelli.

Traduction

Pleurez, Vénus et vous les Amours, et vous tous tant que vous êtes, hommes sensibles à la beauté. Le moineau de mon amie est mort, le moineau, délices de mon amie, qu’elle aimait plus que [la prunelle de] ses yeux ; car il était doux comme le miel et connaissait sa maîtresse aussi bien qu’une petite fille sa mère, et il ne s’éloignait jamais de son sein, mais sautillant tantôt ici, tantôt là, pour sa seule maîtresse il ne cessait de pépier. Maintenant il va par le chemin ténébreux, là-bas, d’où, dit-on, nul ne revient. Mais que vous soyez maudites, méchantes ténèbres de l’Orcus, qui dévorez toutes les jolies choses : vous m’avez ôté un si joli moineau ! O malheur ! O pauvre petit moineau ! A présent, à cause de toi, les yeux de mon amie, gonflés de larmes, rougissent.

Rêverie devant une vieille barque (poème 4)

Phaselus ille, quem uidetis, hospites,
ait fuisse nauium celerrimus,
neque ullius natantis impetum trabis
nequisse praeterire, siue palmulis
opus foret uolare siue linteo.
Et hoc negat minacis Hadriatici
negare litus insulasue Cycladas
Rhodumque nobilem horridamque Thraciam
Propontida trucemue Ponticum sinum,
ubi iste post phaselus antea fuit
comata silua; nam Cytorio in iugo
loquente saepe sibilum edidit coma.
Amastri Pontica et Cytore buxifer,
tibi haec fuisse et esse cognitissima
ait phaselus: ultima ex origine
tuo stetisse dicit in cacumine,
tuo imbuisse palmulas in aequore,
et inde tot per impotentia freta
erum tulisse, laeua siue dextera
uocaret aura, siue utrumque Iuppiter
simul secundus incidisset in pedem ;
neque ulla uota litoralibus deis
sibi esse facta, cum ueniret a mari
nouissimo hunc ad usque limpidum lacum.
sed haec prius fuere: nunc recondita
senet quiete seque dedicat tibi,
gemelle Castor et gemelle Castoris.

Vocabulaire :

  • phaselus, i, m. : le « phaselos » était un bateau mince et allongé qui pouvait
    avoir d’assez grandes dimensions ; on peut traduire par « canot » ou « yacht ».
  • hospites : étrangers, passants
  • trabs, trabis, f. : navire (par métonymie : désigne la quille)
  • palmula, ae, f. : pale de l’aviron ; par métonymie, la rame toute entière.
  • nego, as, are, aui, atum : dire que ne pas… et aussi nier. Jeu de mots v. 6-7
  • Cycladas : îles de la mer Égée
  • Rhodum : sur la côte de Cilicie
  • Thraciam : adjectif qualifiant Propontida (Propontida = la mer de Marmara)
  • trux, trŭcis : farouche, sauvage
  • Ponticum sinum : le Pont-Euxin (mer noire)
  • post : ici, adverbe, « plus tard »
  • iugum, i, n. peut designer le sommet, la crête d’une montagne
  • Cytorio in iugo… Amastri : Le mont Cytore en Paphlagonie était célèbre pour ses bois servant à la construction des navires. Il dominait la ville d’Amastris
  • ēdō, ĭs, ĕre, edĭdĭ, editum : faire retentir
  • fretum, i, n. : mot poétique désignant la mer.
  • pes, pedis : écoute, « Cordage fixé à l’angle arrière inférieur d’une voile, pour la
    maintenir et régler son orientation par rapport au vent. » ; si Jupiter souffle simultanément sur les deux écoutes, la voile reste bien droite et le bateau avance.
  • neque ulla uota : parce qu’il ne s’est jamais trouvé en péril ; les « litoralibus deis » sont Portunus, Glaucus, Palémon et surtout les Dioscures, protecteurs de la navigation ; cf. v. 27
  • gemelle Castoris = Pollux

Traduction

Ce canot que vous voyez, étrangers, dit qu’il fut le plus rapide des navires, et que l’élan de nul bateau flottant ne put le dépasser, qu’il soit besoin de voler avec les rames ou à la voile. Et il affirme que ne peuvent le renier le rivage menaçant de l’Adriatique ni les îles Cyclades, la noble Rhodes ou l’horrible  Propontide de Thrace ni le sauvage Pont-Euxin, où, avant de devenir plus tard un canot, il fut un bois chevelu ; en effet sur la crête du Cytore il fit souvent retentir un sifflement dans sa chevelure loquace. Amastris pontique et Cytore porteur de buis, ces faits vous ont été et vous sont bien connus, dit le canot : depuis la plus lointaine origine, il dit qu’il s’est tenu à ton sommet, qu’il a plongé ses rames dans ton eau, et que de là, à travers tant de mers impossibles à maîtriser, il a transporté son maître, soit que la brise l’appelât à gauche ou à droite, soit que Jupiter favorable tombe à la fois sur ses deux écoutes (lui permette d’avancer à pleines voiles) ; et qu’il n’a jamais fait aucun vœu aux dieux du littoral, lorsqu’il est venu de la mer la plus lointaine jusqu’à ce lac limpide. Mais cela est du passé ; à présent, il vieillit dans un repos à l’écart et se consacre à toi, jumeau Castor, et à toi, jumeau de Castor.

Pauvre Catulle… (poème 8)

Miser Catulle, desinas ineptire,
et quod uides perisse perditum ducas.
fulsere quondam candidi tibi soles,
cum uentitabas quo puella ducebat
amata nobis quantum amabitur nulla.                           5
ibi illa multa cum iocosa fiebant,
quae tu uolebas nec puella nolebat,
fulsere uere candidi tibi soles.
nunc iam illa non uult: tu quoque impotens noli,
nec quae fugit sectare, nec miser uiue,                          10
sed obstinata mente perfer, obdura.
uale puella, iam Catullus obdurat,
nec te requiret nec rogabit inuitam.
at tu dolebis, cum rogaberis nulla.
scelesta, uae te, quae tibi manet uita?                           15
quis nunc te adibit? cui uideberis bella?
quem nunc amabis? cuius esse diceris?
quem basiabis? cui labella mordebis?
at tu, Catulle, destinatus obdura.

Vocabulaire :

  • basio, as, are, avi, atum : donner un baiser
  • desino, is, ere, desii, desitum : renoncer …, cesser de
  • destinatus, a, um :  ferme, résolu
  • doleo, es, ere, dolui, dolitum : souffrir
  • fulgeo, es, ere, fulsi : lancer des éclairs, briller
  • ineptio, is, ire, iui, itum : être fou, perdre la tête
  • inuitus, a, um : contre [mon, ton, son] gré
  • iocosus, a, um : plaisant
  • maneo, es, ere, mansi, mansum : rester
  • nolo, non uis, nolui, nolle : ne pas vouloir
  • obduro, as, are, aui, atum : persévérer
  • perfero, fers, ferre, tuli, latum : supporter jusqu’au bout
  • requiro, is, ere, quisiui, quisitum : rechercher, réclamer, regretter
  • scelestus, a, um : coquin, fourbe, criminel
  • sector, aris, ari, atus sum : suivre, poursuivre
  • uentito, as, are, aui, atum : venir souvent

Traduction

Pauvre Catulle, puisses-tu cesser d’être fou, et considérer comme perdu ce que tu vois perdu… Jadis de blancs soleils ont brillé lorsque tu venais souvent là où te conduisait la jeune fille, aimée de nous comme aucune ne le sera. Là se produisaient ces multiples jeux, que tu voulais et que la jeune fille ne refusait pas. Vraiment de blancs soleils brillèrent pour toi.
Maintenant elle ne veut plus ; toi aussi, faible coeur, cesse de vouloir, ne poursuit pas celle qui fuit, ne vis pas malheureux, supporte jusqu’au bout, d’une âme obstinée, tiens bon. Adieu, jeune fille. Désormais Catulle tient bon, il ne te recherchera, ne te réclamera pas malgré toi ; mais toi, tu souffriras, lorsque personne ne viendra te chercher. Malheur à toi, maudite ! Quelle vie te reste ? Qui à présent viendra te voir ? À qui sembleras-tu belle ? Qui aimeras-tu maintenant ? De qui dira-t-on que tu es la maîtresse ? A qui donneras-tu tes baisers ? A qui mordilleras-tu les lèvres ?
Mais toi, Catulle, tiens bon, sois ferme !

Sirmio, refuge enchanteur (poème 31)

Sirmione, sur le lac de Garde

Paeninsularum, Sirmio, insularumque
ocelle[1], quascumque in liquentibus stagnis
marique uasto fert uterque Neptunus[2],
quam te libenter quamque laetus inuiso,
uix mi ipse credens Thuniam[3] atque Bithunos
liquisse campos et uidere te in tuto.
o quid solutis est beatius curis[4],
cum mens onus reponit, ac peregrino
labore fessi uenimus larem[5] ad nostrum,
desideratoque acquiescimus lecto ?
hoc est quod unum est pro[6] laboribus tantis.
salue, o uenusta Sirmio, atque ero gaude
gaudente, uosque, o Lydiae[7] lacus undae,
ridete quidquid est domi cachinnorum.

  • [1] Ocelle : ce mot s’emploie pour désigner ce qu’il y a de plus précieux dans une catégorie d’objets. Cf. le français « perle »
  • [2] Uterque Neptunus : parce qu’il règne à la fois sur les lacs et les mers (stagna, mare)
  • [3] Thuniam : partie septentrionale de la Bithynie, occupée par les Thynes.
  • [4] solutis… curis = animo curis soluto.
  • [5] larem : le dieu de la maison (façon de dire : notre foyer)
  • [6] pro : en échange de, pour salaire de
  • [7] Lydiae : au lieu de Lydii (se rapportant à lacus) par attraction de undae. Autrefois vivaient dans l’Italie du Nord les Étrusques, auxquels on attribuait une origine lydienne.

Traduction

Sirmio, perle des péninsules et des îles, toutes celles que porte le double Neptune sur les étangs limpides et la vaste mer, avec quel plaisir et avec quelle joie je te vois, croyant à peine moi-même avoir laissé la Thynie et les plaines de Bithynie, et te voir en sécurité. Ô qu’y a-t-il de plus doux, l’âme délivrée des soucis, lorsqu’elle a déposé son fardeau, et qu’épuisés par l’épreuve du voyage nous revenons à notre foyer, et que nous trouvons le repos dans un lit désiré ? Voilà l’unique récompense pour de si grandes peines. Salut, ô belle Sirmio, et réjouis-toi de la joie de ton maître, et vous, ondes du lac lydien, riez de tous les éclats de rire de ma maison.

Ille mi par… (poème 51)

Catulle chez Lesbie, par Sir Laurence Alma Tadema (1865)

Ille mi (1) par esse deo uidetur
Ille, si fas est, superare diuos
qui sedens aduersus identidem te
Spectat et audit
Dulce ridentem, misero quod omnis
Eripit sensus mihi ; nam simul te,
Lesbia, adspexi, nihil est super mi (1)
Vocis in ore,
Lingua sed torpet, tenuis sub artus
Flamma demanat, sonitu suopte (2)
Tintinant aures, gemina teguntur
Lumina nocte.
Otium, Catulle, tibi molestum est ;
Otio exultas nimiumque gestis.
Otium et reges prius et beatas
Perdidit urbes.

Notes : 1. mi = mihi – 2. suopte = suo

Une interprétation du texte par Angelo Branduardi

Traduction

Il me semble être l’égal d’un dieu, il me semble, s’il est permis, surpasser les dieux, celui qui, demeurant continuellement devant toi, te regarde et t’écoute riant doucement, ce qui, malheureux que je suis, m’arrache tous les sens ; en effet, depuis que je t’ai aperçu, ma Lesbie, il ne me reste plus de voix dans la bouche, mais ma langue est paralysée, dans mes membres amaigris coule une flamme, mes oreilles tintent de leur propre son, mes yeux sont couverts d’une double nuit.
Le loisir, Catulle, t’est pénible ; tu exultes dans le loisir et tu gesticules trop. Le loisir, auparavant, a perdu des rois et des villes heureuses.

Les noces de Thétis et Pélée (poème 64)

Noces de Thétis et Pelée, par Cornelis Van Haarlem.

Du grec ἐπιθαλάμιον, chant nuptial, l’épithalame a pour origine les chants qui accompagnent ordinairement la célébration du mariage, comme, en Grèce, le chant d’hymen ou, à Rome, les chants Fescennins, d’une verve licencieuse. Très tôt, la poésie lyrique s’empare de ce thème. Déjà, dans la Bible, le psaume XLIV et le « Cantique des Cantiques » sont sans doute des épithalames.

  • En Grèce, le genre, d’abord traité par les lyriques du VIème siècle, Sappho, Pindare, Anacréon, s’orna d’épisodes mythologiques mêlant au lyrisme le ton de l’épopée gracieuse. Cf. Théocrite : épithalame de Ménélas et d’Hélène.)
  • À Rome, Catulle imita avec élégance ces modèles grecs dans quelques pièces, notamment le poème 64. En revanche, il y a moins d’imagination et plus d’artifices chez Stace et Ausone : la tradition latine y allie souvent l’éloge à la licence des vers fescennins, comme dans l’épithalame de l’empereur Honorius, de Claudien. Puis le genre finit par s’alourdir de mythologie pédante, chez Sidoine Apollinaire.
  • Dans la littérature française, l’épithalame apparaît dès la Renaissance (Marot, Ronsard), à l’occasion des noces des souverains, mais n’évite guère les artifices de la poésie officielle. De nos jours, Guillaume Apollinaire a renouvelé le genre en un style très moderne, dans son « Poème lu au mariage d’André Salmon » (Alcools). Dans la musique, certains compositeurs ont repris le thème de l’épithalame, comme Chabrier
    dans Gwendoline.

Composition du poème :

  • v. 1-30 : prologue ; comment l’argonaute Pélée obtint la main de Thétis.
  • v. 31-278 : premier acte : le mariage humain.
    • 31-51 : c’est le jour du mariage ; allégresse dans toute la Thessalie ; description du palais du Roi. Sur le lit nuptial, se trouve un voile brodé.
    • 52-70 : Description de la broderie : Ariane s’éveille sur un rivage désert de l’île de Dia (Naxos) ; elle voit au loin la voile de Thésée.
    • 71-131 : la broderie est oubliée, les personnages s’animent. Flash back : le poète retrace l’histoire de Thésée et d’Ariane : l’arrivée de Thésée en Crète, la mort du Minotaure, le départ.
    • 132-201 : plaintes d’Ariane abandonnée.
    • 202-251 : le châtiment de Thésée : les Euménides invoquées par Ariane font oublier à Thésée sa promesse de changer la voile noire de son navire ; son père, le croyant mort, se jette dans la mer.
    • 252-265 : Bacchus, amoureux d’Ariane, arrive à Dia avec son Thyase ; là se situe la transition, le retour à la première narration : la tapisserie est de nouveau présentée comme telle.
    • 266-278 : la foule des Thessaliens quitte la demeure de Pélée après la noce.
  • v. 279-382 : Second acte, le mariage divin.
    • v. 279-305 : les dieux et demi-dieux arrivent : Chiron, Pénée (fleuve de Thessalie), Prométhée, Zeus, Héra et tous leurs enfants, sauf Apollon et Artémis.
    • 306-323 : les Parques ont la vedette ; on les décrit.
    • 324-382 : la prédiction des Parques, sous la forme d’un chant avec refrain : elles annoncent l’histoire d’Achille. Ce procédé, qui permet de prolonger dans l’avenir l’événement raconté, en le rattachant à l’Histoire ou à une tradition épique, sera repris par Virgile dans l’Énéide.
  • v. 383-409 : Moralité : les dieux ne viennent plus sur terre visiter les hommes, depuis que ceux-ci ont sombré dans le crime et l’impiété.

Il y a donc plusieurs temps dans ce récit, qui s’emboîtent les uns dans les autres pour former une composition en épyllion.

  • Le temps de l’histoire I (Thétis et Pélée) : la noce, la broderie se trouvent dans ce temps fictif, mais la broderie impose une fissure par laquelle on entre dans le temps de l’histoire II.
  • Histoire II (Ariane et Thésée), elle-même assez complexe :
    • Le présent (Ariane à Dia) et l’avenir (la mort d’Égée)
    • Le passé (Ariane et Thésée en Crète)

A cela se combine un temps de la narration, double lui aussi :

  • Un narrateur extradiégétique qui intervient dans l’épithalame ;
  • un narrateur, à l’intérieur de l’épithalame, qui décrit la tapisserie.

Enfin, un 3ème temps apparaît avec la prédiction des Parques : le temps d’Achille.

L’unité du récit est réalisée par l’antithèse de l’amour heureux et de l’amour malheureux, des noces légitimes et de l’abandon, du positif et du négatif : l’histoire d’Ariane introduit la tragédie dans une pièce ensoleillée.

Les plaintes d’Ariane (poème 64, v. 124-201)

saepe illam perhibent ardenti corde furentem
clarisonas imo fudisse e pectore uoces,                             125
ac tum praeruptos tristem conscendere montes,
unde aciem pelagi uastos protenderet aestus,
tum tremuli salis aduersas procurrere in undas
mollia nudatae tollentem tegmina surae,
atque haec extremis maestam dixisse querellis,                  130
frigidulos udo singultus ore cientem:
« sicine me patriis auectam, perfide, ab aris
perfide, deserto liquisti in litore, Theseu?
sicine discedens neglecto numine diuum,
immemor a! deuota domum periuria portas?                       135
nullane res potuit crudelis flectere mentis
consilium? tibi nulla fuit clementia praesto,
immite ut nostri uellet miserescere pectus?
at non haec quondam blanda promissa dedisti
uoce mihi, non haec miserae sperare iubebas,                    140
sed conubia laeta, sed optatos hymenaeos,
quae cuncta aereii discerpunt irrita uenti.
nunc iam nulla uiro iuranti femina credat,
nulla uiri speret sermones esse fideles;
quis dum aliquid cupiens animus praegestit apisci,             145
nil metuunt iurare, nihil promittere parcunt:
sed simul ac cupidae mentis satiata libido est,
dicta nihil metuere, nihil periuria curant.
certe ego te in medio uersantem turbine leti
eripui, et potius germanum amittere creui,                           150
quam tibi fallaci supremo in tempore dessem.
pro quo dilaceranda feris dabor alitibusque
praeda, neque iniacta tumulabor mortua terra.
quaenam te genuit sola sub rupe leaena,
quod mare conceptum spumantibus exspuit undis,               155
quae Syrtis, quae Scylla rapax, quae uasta Carybdis,
talia qui reddis pro dulci praemia uita?
si tibi non cordi fuerant conubia nostra,
saeua quod horrebas prisci praecepta parentis,
attamen in uestras potuisti ducere sedes,                              160
quae tibi iucundo famularer serua labore,
candida permulcens liquidis uestigia lymphis,
purpureaue tuum consternens ueste cubile.
sed quid ego ignaris nequiquam conquerar auris,
externata malo, quae nullis sensibus auctae                          165
nec missas audire queunt nec reddere uoces?
ille autem prope iam mediis uersatur in undis,
nec quisquam apparet uacua mortalis in alga.
sic nimis insultans extremo tempore saeua
fors etiam nostris inuidit questibus auris.                              170
Iuppiter omnipotens, utinam ne tempore primo
Gnosia Cecropiae tetigissent litora puppes,
indomito nec dira ferens stipendia tauro
perfidus in Cretam religasset nauita funem,
nec malus hic celans dulci crudelia forma                             175
consilia in nostris requiesset sedibus hospes!
nam quo me referam? quali spe perdita nitor?
Idaeosne petam montes? at gurgite lato
discernens ponti truculentum diuidit aequor.
an patris auxilium sperem? quemne ipsa reliqui                    180
respersum iuuenem fraterna caede secuta?
coniugis an fido consoler memet amore?
quine fugit lentos incuruans gurgite remos?
praeterea nullo colitur sola insula tecto,
nec patet egressus pelagi cingentibus undis.                          185
nulla fugae ratio, nulla spes: omnia muta,
omnia sunt deserta, ostentant omnia letum.
non tamen ante mihi languescent lumina morte,
nec prius a fesso secedent corpore sensus,
quam iustam a diuis exposcam prodita multam                      190
caelestumque fidem postrema comprecer hora.
quare facta uirum multantes uindice poena
Eumenides, quibus anguino redimita capillo
frons exspirantis praeportat pectoris iras,
huc huc aduentate, meas audite querellas,                              195
quas ego, uae misera, extremis proferre medullis
cogor inops, ardens, amenti caeca furore.
quae quoniam uerae nascuntur pectore ab imo,
uos nolite pati nostrum uanescere luctum,
sed quali solam Theseus me mente reliquit,                           200
tali mente, deae, funestet seque suosque. »

V. 124-131 : introduction, description d’Ariane.

  • perhibent + prop. infinitive : on rapporte que
  • clarisonus, a, um : retentissant
  • aestus, us, (masc.) : les flots
  • sal, salis (masc) : l’onde salée (poétique)
  • tremulus : agité.
  • singultus, us : sanglot ; singultus frigidulos cientem : poussant des sanglots glacés
  • udus, a, um : mouillé, humide

Une expression de la passion, en même temps qu’une description en mouvement : cris, larmes, mouvements violents… Mais en même temps, un « paysage état d’âme », comme si la nature était à l’unisson de la jeune femme : monts abrupts (praeruptos montes), flots agités (aestus, tremuli salis).

Hypotypose : tout est fait pour que la scène paraisse vivante ; paysage, mouvements, détails vestimentaires (mollia tegmina) et physiques (nudata sura). A noter le contraste entre le feu et la glace : « ardenti corde / frigidulos singultus » : évolution de la colère à l’abattement proche de la mort, ou simultanéité de sensations contraires, pour traduire le trouble intense ?

V. 132-153 : début du discours d’Ariane

  • Sicine ou siccine : est-ce ainsi que ?
  • aueho, is, ere, uexi, uectum : emmener ; me auectam liquisti = formule « sicilia amissa » : remplace un ablatif absolu.
  • linquo, is, ere, liqui : laisser
    « perfide / liquisti / Theseu » sont à trois places symétriques dans le vers 133 : « perfide » = attaque violente du vers, « Théseu » = au contraire, douceur du soupir ; et au centre se trouve l’île déserte, « deserto… litore » où Ariane est prisonnière…
  • discedo : s’éloigner
  • numen : volonté des dieux
  • diuum = deorum
  • immemor (+ gén.) : oublieux ; construction ambiguë : faut-il comprendre « neglecto numine diuum » : négligeant la volonté des dieux, ou « neglecto numine / immemor diuum » : négligeant la volonté des dieux et oublieux d’eux ? « diuum » peut fort bien être en facteur commun, et Catulle jouer sur l’ambiguïté. Au reste, « numen diuum » serait pléonastique.
  • portas domum deuota periuria : tu emportes chez toi tes parjures maudits : Ariane annonce déjà la malédiction qu’elle va prononcer v. 190-201.
    Importance du lexique religieux dans tout ce passage : numen, diuum, deuota periuria, iurare… Thésée a commis un crime, mais surtout un sacrilège, en trahissant sa parole. Annonce l’appel aux Euménides.
  • flecto, is, ere, flexi, flectum : fléchir, émouvoir ; nullane res potuit ?… la particule -ne est un peu surprenante, car la réponse est évidente ; on auraît dû avoir nonne. C’est une question rhétorique qui équivaut à une affirmation très forte, une exclamation. Raisons métriques : -ne disparaît dans les questions suivantes.
  • clementia : bonté, douceur
  • praesto (adverbe) : à la disposition de, sous la main
  • ut uellet : conséquence. L’imparfait du subjonctif s’explique par la concordance des temps.
  • miseresco, is, ere : prendre pitié de
  • crudelis évoque « cruor« , le sang ; cruauté active, qui se plaît à torturer.
    Trois questions rhétoriques : rythme ternaire qui s’élargit en rythme quaternaire par la répétition de la dernière question.
  • haec promissa uoce non dedisti mihi : construction « sicilia amissa » (cf. v. 132) ; uoce se rapporte à promissa (enjambement qui met en valeur les deux mots : uoce mihi… Une façon pour elle d’évoquer la voix aimée, et de rapprocher cette voix de « mihi« .)
    « non haec » sera répété deux fois, chaque fois mis en valeur par la coupe (trihémimère, puis penthémimère):

    Āt nōn /haēc // quōn/dām nō/bīs prō/mīssă dĕ/dīsti
    Vōcě mĭ/hī nōn / haēc // mĭsĕ/rē spē/rārĕ iŭ/bēbās

  • immitis : sans douceur, inhumain
  • quondam : jadis
  • iubeo : inviter à
  • conubium, ii : mariage
  • optatus, a, um : ce qui est souhaité, désiré => ce qui est agréable.
  • hymenaeus : hyménée, chant d’hymen ; mot grec, triplement exotique pour  une oreille latine (et donc recherché) : l’aspiration initiale, le son [u] et la série diphtongue + voyelle de la fin. L’ensemble se scande « opta/tōs hymĕ/naēōs »
  • irritus, a, um : attention, ne veut pas dire irrité ! (iratus) vain, sans effet.
  • discerpo, is, ere, discerpsi, discerptum : disperser
    Dans tout ce passage, les verbes ont pour sujet Thésée : Ariane, purement passive, se considère comme une victime.
  • nulla femina credat… nulla speret : syntaxe du souhait réalisable, ici sans utinam.
    • souhait réalisable 
      • dans le présent : subjonctif présent
      • dans le passé : subjonctif parfait
    • souhait irréalisable, regret
      • dans le présent : subjonctif imparfait
      • dans le passé : subjonctif plus-que-parfait.

Partie sentencieuse, qui permet à Ariane de souffler après des vers très véhéments. Effet de chiasme, avec une triple répétition de « nil, nihil » : nil metuunt iurare, nihil promittere parcunt…praegestio, is, ire : désirer avidement

  • apiscor, eris, apisci, apiscaptus sum : atteindre, obtenir
  • Reprise de la véhémence après la pause : cette fois, Ariane sera sujet de tous les verbes, et Thésée passif, avant de disparaître dans les vers 152-153 ; rappel du passé et de tout ce que Thésée doit à Ariane ; elle a même commis un sacrilège, puisqu’elle a trahi son père, provoqué la mort de son frère, et quitté sa patrie.
  • letum, i : la mort
  • turbo, inis : tourbillon, trombe
  • decerno, creui, cretum : décider
  • germanus : frère germain ; Ariane est sœur du Minotaure
  • desum, dees, deesse : manquer à, ne pas aider
  • fallax, acis : trompeur en amitié
  • dilacero, as, are, déchirer, mettre en pièces ; dabor dilaceranda feris : adjectif verbal remplaçant l’infinitif de but (règle = dedit mihi libros legendos). « Feris » est à la fois COI de « dabor » et agent de « dilaceranda » ; quant à praeda, il est attribut du sujet de « dabor« .
  • ales, alis : oiseau
  • tumulare : ensevelir ; terra est un ablatif, complément de moyen de « tumulabor » : je ne serai pas ensevelie par la terre jetée sur moi.
    Ariane décrit là le sort le plus horrible qui l’attend : faute d’une sépulture, elle serait condamnée à errer éternellement dans les intermondes, sans jamais trouver le repos. C’est un châtiment de ce genre que, dans Antigone, Créon a voulu infliger à Polynice, et qu’Antigone a voulu lui épargner.
    A l’époque de la guerre de Troie, on brûlait les morts ; en revanche, auparavant on les ensevelissait. S’agit-il d’une volonté d’exactitude historique chez Catulle… ou d’un anachronisme ? Chez les Romains aussi, on ensevelissait les défunts… (voir les tombeaux de la Via Appia, à Rome)
  • inicio, is, ere, inieci, iniectum : jeter sur

Ariane et Médée : un rapprochement arbitraire ?

Ariane…

  • descend du Soleil par sa mère
  • pré-achéenne, Barbare de Crète
  • Aime le Grec Thésée
  • Aide Thésée dans son combat contre le Minotaure
  • Tue son frère et trahit son père pour suivre Thésée
  • Thésée l’abandonne
  • Elle cause la perte du père de Thésée
Médée…

  • descend du Soleil par son père
  • pré-achéenne, Barbare d’Etolie
  • Aime le Grec Jason
  • Aide Jason dans son combat contre le dragon
  • Tue son frère et trahit son père pour suivre Jason
  • Jason la trahit
  • Elle tue les enfants de Jason

Ajoutons que Médée s’était réfugiée auprès d’Égée, père de Thésée ; et que le Pélée de l’épithalame était un Argonaute, compagnon de Jason…

V. 154-180 :

  • famulor, aris, ari, atus sum : servir comme esclave
  • permulceo : adoucir, rafraîchir
  • consterno, is, ere : joncher
  • nauita = nauta : le marin

Image cruelle et tragique d’une princesse, descendante de Zeus, qui accepte, par amour, de devenir esclave, en sacrifiant à la fois sa famille, sa patrie et sa liberté : Ariane symbolise l’amour absolu.

V. 180-201 : plainte et malédiction.

  • an : mais est-ce que… ? (réponse attendue : non)
  • respergo, is, ere, spersi, spersum : asperger, éclabousser
  • lentus, a, um (attention ! faux ami !) : flexible
  • Non tamen… rupture, marquée par l’opposition « tamen » : Ariane, après le constat de sa situation désespérée, se reprend, et cherche la vengeance.
  • Prius… quam : tmèse.
  • multa, ae (fém.) : amende, punition, condamnation
  • comprecor : prier, invoquer
  • Scansion :

                Caēlēs/tūmquĕ fĭ/dēm // pōst/rēmā/ cōmprĕcĕr /hōrā

  • uindex, icis : vengeur, vengeresse
  • anguinus, a, um : de serpent
  • capillus, i : chevelure, cheveux
  • redimitus, a, um : participe de redimio, is, ire, ii, itum : couronner
  • frons, frontis, fém. : front
  • praeporto, as, are, aui, atum : porter devant soi, être armé de (on trouve ce verbe chez Lucrèce, II, 621 ; or il est contemporain de Catulle).
  • exspirantes pectoris irae : les colères s’exhalant du cœur
    « Euménides, vous dont le front, couronné d’une chevelure de serpents, porte les colères qui s’exhalent de votre cœur »
  • medulla, ae : moëlle, cœur, entrailles
  • inops : faible, impuissant
  • caeca amenti furore : aveuglée par  une folle colère.
  • La scansion montre que caeca est un nominatif, qui se rapporte à Ariane :

                Cōgŏr ĭ/nōps, ār/dēns,// ā/mēntī / caēcă fŭ/rōre

  • uanescere : se dissiper
  • nolite pati : ne veuillez pas souffrir que…
  • quali mente… tali mente : par une telle disposition d’esprit (= l’oubli amoureux)… par une même disposition (= le défaut de mémoire).
  • funesto, as, are : souiller par un meurtre, rendre funeste.

Conclusion : le prétexte de la tapisserie est oublié :  nous sommes en présence d’une scène de tragédie, un monologue : composition soignée, éloquence et pathétique, utilisation de toutes les ressources de l’hexamètre dactylique, vers épique par excellence. Tout le vocabulaire de la passion amoureuse (perfide, immemor, crudelis, immitis, misere…) s’y trouve, qui sera repris dans les plaintes de Didon (Virgile, Énéide, IV), et par Racine.

Une certaine simplicité du texte : peu d’images, allure austère, rigueur classique qui fait penser à Sophocle ou à Racine.

Fortune littéraire du genre : Virgile, Properce, Ovide (Les Héroïdes), la Cantate de Circé de J-B Rousseau…