Démosthène, « Sur la couronne » (336 av. J.-C.)

Démosthène – Copie romaine d’après un original grec du IIIe s. av. J.-C. – Neues Museum de Berlin.

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§ 66-71

Τί τὴν πόλιν, Αἰσχίνη, προσῆκε ποιεῖν ἀρχὴν καὶ τυραννίδα τῶν Ἑλλήνων ὁρῶσαν ἑαυτῷ κατασκευαζόμενον Φίλιππον ; ἢ τί τὸν σύμβουλον ἔδει λέγειν ἢ γράφειν τὸν Ἀθήνησιν καὶ γὰρ τοῦτο πλεῖστον διαφέρεἰ, ὃς συνῄδειν μὲν ἐκ παντὸς τοῦ χρόνου μέχρι τῆς ἡμέρας ἀφ’ ἧς αὐτὸς ἐπὶ τὸ βῆμ’ ἀνέβην, ἀεὶ περὶ πρωτείων καὶ τιμῆς καὶ δόξης ἀγωνιζομένην τὴν πατρίδα, καὶ πλείω καὶ χρήματα καὶ σώματ’ ἀνηλωκυῖαν ὑπὲρ φιλοτιμίας καὶ τῶν πᾶσι συμφερόντων ἢ τῶν ἄλλων Ἑλλήνων ὑπὲρ αὑτῶν ἀνηλώκασιν ἕκαστοι, (67) ἑώρων δ’ αὐτὸν τὸν Φίλιππον, πρὸς ὃν ἦν ἡμῖν ὁ ἀγών, ὑπὲρ ἀρχῆς καὶ δυναστείας τὸν ὀφθαλμὸν ἐκκεκομμένον, τὴν κλεῖν κατεαγότα, τὴν χεῖρα, τὸ σκέλος πεπηρωμένον, πᾶν ὅ τι βουληθείη μέρος ἡ τύχη τοῦ σώματος παρελέσθαι, τοῦτο προιέμενον, ὥστε τῷ λοιπῷ μετὰ τιμῆς καὶ δόξης ζῆν; (68) καὶ μὴν οὐδὲ τοῦτό γ’ οὐδεὶς ἂν εἰπεῖν τολμήσαι, ὡς τῷ μὲν ἐν Πέλλῃ τραφέντι, χωρίῳ ἀδόξῳ τότε γ’ ὄντι καὶ μικρῷ, τοσαύτην μεγαλοψυχίαν προσῆκεν ἐγγενέσθαι ὥστε τῆς τῶν Ἑλλήνων ἀρχῆς ἐπιθυμῆσαι καὶ τοῦτ’ εἰς τὸν νοῦν ἐμβαλέσθαι, ὑμῖν δ’ οὖσιν Ἀθηναίοις καὶ κατὰ τὴν ἡμέραν ἑκάστην ἐν πᾶσι καὶ λόγοις καὶ θεωρήμασι τῆς τῶν προγόνων ἀρετῆς ὑπομνήμαθ’ ὁρῶσι τοσαύτην κακίαν ὑπάρξαι, ὥστε τῆς ἐλευθερίας αὐτεπαγγέλτους ἐθελοντὰς παραχωρῆσαι Φιλίππῳ. (69) οὐδ’ ἂν εἷς ταῦτα φήσειεν. λοιπὸν τοίνυν ἦν καὶ ἀναγκαῖον ἅμα πᾶσιν οἷς ἐκεῖνος ἔπραττ’ ἀδικῶν ὑμᾶς ἐναντιοῦσθαι δικαίως. τοῦτ’ ἐποιεῖτε μὲν ὑμεῖς ἐξ ἀρχῆς εἰκότως καὶ προσηκόντως, ἔγραφον δὲ καὶ συνεβούλευον καὶ ἐγὼ καθ’ οὓς ἐπολιτευόμην χρόνους. ὁμολογῶ. ἀλλὰ τί ἐχρῆν με ποιεῖν; ἤδη γάρ σ’ ἐρωτῶ πάντα τἄλλ’ ἀφείς, Ἀμφίπολιν, Πύδναν, Ποτείδαιαν, Ἁλόννησον· οὐδενὸς τούτων μέμνημαι.

[70] Σέρριον δὲ καὶ Δορίσκον καὶ τὴν Πεπαρήθου πόρθησιν καὶ ὅσ’ ἄλλ’ ἡ πόλις ἠδικεῖτο, οὐδ’ εἰ γέγονεν οἶδα. καίτοι σύ γ’ ἔφησθά με ταῦτα λέγοντ’ εἰς ἔχθραν ἐμβαλεῖν τουτουσί, Εὐβούλου καὶ Ἀριστοφῶντος καὶ Διοπείθους τῶν περὶ τούτων ψηφισμάτων ὄντων, οὐκ ἐμῶν, ὦ λέγων εὐχερῶς ὅ τι ἂν βουληθῇς. (71) οὐδὲ νῦν περὶ τούτων ἐρῶ. ἀλλ’ ὁ τὴν Εὔβοιαν ἐκεῖνος σφετεριζόμενος καὶ κατασκευάζων ἐπιτείχισμ’ ἐπὶ τὴν Ἀττικήν, καὶ Μεγάροις ἐπιχειρῶν, καὶ καταλαμβάνων Ὠρεόν, καὶ κατασκάπτων Πορθμόν, καὶ καθιστὰς ἐν μὲν Ὠρεῷ Φιλιστίδην τύραννον, ἐν δ’ Ἐρετρίᾳ Κλείταρχον, καὶ τὸν Ἑλλήσποντον ὑφ’ αὑτῷ ποιούμενος, καὶ Βυζάντιον πολιορκῶν, καὶ πόλεις Ἑλληνίδας τὰς μὲν ἀναιρῶν, εἰς τὰς δὲ τοὺς φυγάδας κατάγων, πότερον ταῦτα ποιῶν ἠδίκει καὶ παρεσπόνδει καὶ ἔλυε τὴν εἰρήνην ἢ οὔ; καὶ πότερον φανῆναί τινα τῶν Ἑλλήνων τὸν ταῦτα κωλύσοντα {ποιεῖν αὐτὸν} ἐχρῆν, ἢ μή ;

Traduction

Encore une fois, Eschine, que devait faire la République, en voyant Philippe se frayer la voie à la souveraineté de la Grèce ? Quelles paroles, quels décrets devais-je présenter, moi conseiller, et surtout conseiller d’Athènes? moi intimement persuadé que de tout temps, jusqu’au jour oî je montai à la tribune, ma patrie avait lutté pour la prééminence, l’honneur, la gloire, et, par une noble ambition, dépensé dans l’intérêt du reste de la Grèce plus d’hommes et plus d’argent que toute la Grèce ensemble pour sa propre cause? moi, qui voyais ce Philippe, notre antagoniste, dans l’ardeur de dominer, privé d’un oeil, la clavicule rompue, la main, la jambe estropiées, jeter gaiement à la fortune tout ce qu’elle voudrait de son corps, pourvu qu’avec le reste il vécût glorieux ? Toutefois, qui oserait dire qu’un barbare, nourri dans Pella, bourgade alors chétive et inconnue, dût avoir l’âme assez haute pour aspirer à l’empire de la Grèce, pour en concevoir la pensée ; et que vous, Athéniens, vous, à qui chaque jour la tribune et le théâtre offrent des souvenirs de la vertu de vos pères, vous pussiez être pusillanimes au point de courir livrer à un Philippe la Grèce enchaînée? Non, un tel langage n’est pas possible. Restait donc forcément à opposer votre juste résistance à toutes ses injustes entreprises. Vous le fîtes dès le principe, par raison, par honneur ; et tels furent mes décrets, mes conseils tant que je pris part au gouvernement, je le déclare. Mais, que devais-je faire ? je te le demande encore. Je tairai, j’oublierai Amphipolis, Pydna, Potidée, l’Halonèse : [70] Serrhium et Doriskos enlevés, Péparèthe saccagée, vingt autres attentats contre la République, je veux même les ignorer. Tu disais pourtant qu’en parlant de ces faits, j’avais précipité Athènes dans la haine de Philippe ; et les décrets d’alors sont d’Eubule, d’Aristophon, de Diopithe, non de moi, entends-tu, orateur dévergondé? Je n’en dirai rien maintenant. Mais celui qui s’appropriait l’Eubée et s’en faisait un rempart pour inquiéter l’Attique ; celui qui attaquait Mégare, prenait Oréos, rasait Porthmos, installait, comme tyrans, dans Oréos Philistide, Clitarque à Érétrie; celui qui soumettait l’Hellespont, assiégeait Byzance, détruisait les villes grecques ou y ramenait les bannis ; celui-là violait-il la justice et les traités? rompait-il la paix, ou non?

Quelques mots de commentaire

Un portrait peu élogieux de Philippe

  • « ce Philippe, notre antagoniste »… »Un barbare, nourri à Pella, bourgade chétive et inconnue… », « livrer à un Philippe »… En même temps s’exprime la nostalgie de la grandeur athénienne, fortement mise à mal lors des guerres du Péloponnèse ; mais le rêve d’une nouvelle hégémonie athénienne est justement incarnée par Démosthène.
  •  l’accumulation des noms propres, qui sont aussi des conquêtes de Philippe, montrent l’inexorable avancée du conquérant ; et une carte montrerait que le danger s’approche d’Athènes. L’Eubée et Mégare sont aux portes de la cité. En outre, les termes soulignent la brutalité, la violence d’un homme dont il ne faut rien attendre : il détruit, rase, saccage… et son action est aussi insidieuse que violente, par exemple lorsqu’il impose aux cités un tyran, ou le retour des exilés, c’est-à-dire des ennemis publics !

Un vibrant appel à la résistance

Démosthène rétablit les faits contre les mensonges d’Eschine ; mais  : « de tout temps, jusqu’au jour où je montai à la tribune, ma patrie avait lutté pour la prééminence, l’honneur, la gloire, et, par une noble ambition, dépensé dans l’intérêt du reste de la Grèce plus d’hommes et plus d’argent que toute la Grèce ensemble pour sa propre cause ».

La confrontation de cette grandeur passée et du danger présent, de la place d’Athènes comme défenseur de la Grèce, et des injustices de Philippe, ne peut qu’inciter les Athéniens à la résistance.

Et pour cela, Démosthène met en jeu tous les moyens de la rhétorique : questions oratoires, périodes, symétries et oppositions, accumulations…

Conclusion

Ce Discours sur la Couronne n’apparaît donc pas ici comme un discours défensif, un simple plaidoyer. Comme tous les discours de Démosthène, c’est un texte de combat, destiné à pousser les Athéniens à résister contre Philippe, mais aussi contre tous ceux qui, à l’intérieur même de la cité, sont tentés par la collaboration avec le conquérant macédonien.

Démosthène en sortira momentanément vainqueur : Eschine perdra son procès et devra s’exiler. Mais il était sans doute déjà trop tard, et Athènes était trop affaiblie pour résister durablement à la force de frappe macédonienne…