Corneille, « Le Cid » (1637)

L’acteur français Gérard Philipe dans le costume de Don Rodrigue dans Le Cid de Pierre Corneille, lors de son passage à Varsovie en 1954.

Contexte historique

Acte I, scène 3 : la dispute du comte et de Don Diègue

Le Comte

Ce que je méritais, vous l’avez emporté.

Don Diègue

Qui l’a gagné sur vous l’avait mieux mérité.

Le Comte

Qui peut mieux l’exercer en est bien le plus digne.

Don Diègue

En être refusé n’en est pas un bon signe.

Le Comte

Vous l’avez eu par brigue, étant vieux courtisan.

Don Diègue

L’éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.

Le Comte

Parlons-en mieux, le roi fait honneur à votre âge.

Don Diègue

Le roi, quand il en fait, le mesure au courage.

Le Comte

Et par là cet honneur n’était dû qu’à mon bras.

Don Diègue

Qui n’a pu l’obtenir ne le méritait pas.

Le Comte

Ne le méritait pas ! Moi ?

Don Diègue

                                         Vous.

Le Comte

                                                   Ton impudence,
Téméraire vieillard, aura sa récompense.
(Il lui donne un soufflet.)

Don Diègue, mettant l’épée à la main

Achève, et prends ma vie après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir le front.

Le Comte

Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse ?

Don Diègue

Ô Dieu ! ma force usée en ce besoin me laisse !

Le Comte

Ton épée est à moi ; mais tu serais trop vain,
Si ce honteux trophée avait chargé ma main.
Adieu : fais lire au prince, en dépit de l’envie,
Pour son instruction, l’histoire de ta vie :
D’un insolent discours ce juste châtiment
Ne lui servira pas d’un petit ornement.