Anacréon de Téos, en Ionie (fin du VIème siècle), vécut à Samos sous le tyran Polycrate, et vint à Athènes appelé par Hipparque. Il est l’auteur de petits poèmes ou de chansons, souvent imitées jusqu’à l’époque byzantine.
La vieillesse
Πολιοὶ μὲν ἡμῖν ἤδη
κρόταφοι κάρη τε λευκόν,
χαρίεσσα δ’οὐκέτ’ ἥβη
πάρα, γηραλέοι δ’ ὀδόντες,
γλυκεροῦ δ’ οὐκέτι πολλὸς
βιότου χρόνος λέλειπται·
διὰ ταῦτ’ ἀνασταλύζω
θαμὰ Τἀρταρον δεδοικώς·
Ἀίδεω γάρ ἐστι δεινὸς
μυχός, ἀργαλῆ δ’ ἐς αὐτὸν
κάτοδος· καὶ γὰρ ἑτοῖμον
καταβάντι μὴ ἀναβῆναι.
Déjà nos tempes grisonnent et notre tête est blanche, et la gracieuse jeunesse n’est plus là, nos dents sont usées, et de notre douce vie, il ne reste plus beaucoup de temps.
C’est pourquoi souvent je pleure, craignant le Tartare ; terrible est le gouffre d’Hadès et pénible la descente vers lui ; et celui qui y est descendu n’est pas prêt à en remonter.
Souhaits amoureux
Ἐγὼ δ’ ἔσοπτρον εἴην
ὅπως ἀεὶ βλέπῃς με·
ἐγὼ χιτὼν γενοίμην,
ὅπως ἀεὶ φορῇς με·
ὕδωρ θέλω γενέσθαι,
ὅπως σε χρῶτα λούσω·
μύρον, γύναι, γενοίμην
ὅπως ἐγὼ σ’ ἀλείψω·
καὶ ταινία δὲ μαστῷ
καὶ μάργαρον τραχήλῳ,
καὶ σάνδαλον γενοίμην·
μόνον ποσὶ πάτει με.
Écoutez le texte
- ἔσοπτρον : forme poétique pour τὸ εἴσοπτρον, -ου, le miroir.
- ὅπως σε χρῶτα λούσω : « σε » est le COD de « λούσω » ; « χρῶτα » est un accusatif de relation (« en ce qui concerne ta peau »). Il faudra bien sûr alléger la traduction…
- ἀλείψω : verbe ἀλείφω, enduire, graisser. Les Grecs ignoraient les parfums à base d’alcool ; ils utilisaient des huiles parfumées.
- ταινία : bande de tissu servant de soutien-gorge
- πάτει με : impératif ; « foule-moi ».
Puissé-je être un miroir
pour que te me regardes toujours ;
puissé-je être une tunique
pour que tu me portes toujours ;
je veux devenir de l’eau
pour laver ta peau ;
puissé-je, femme, devenir parfum
pour [t’enduire] te parfumer ;
et puissé-je devenir un soutien-gorge pour ton sein,
et une perle pour ton cou
et une sandale ;
seulement foule-moi aux pieds.
Le printemps
Ἴδε πῶς ἔαρος φανέντος
Χάριτες ῥόδα βρύουσιν·
ἴδε πῶς κῦμα θαλάσσης
ἁπαλύνεται γαλήνῃ·
ἴδε πῶς νῆσσα κολυμβᾷ·
ἴδε πῶς γέρανος ὁδεύει,
ἀφελῶς δ᾽ ἔλαμψε Τιτάν,
νεφελῶν σκιαὶ δονοῦνται,
τὰ βροτῶν δ᾽ ἔλαμψεν ἔργα,
καρπὸς ἐλαίας προκύπτει·
Βρομίου στέγων τὸ νᾶμα
κατὰ φύλλον, κατὰ κλῶνα,
θαλέθων ἤνθησε καρπός.
Vois comment, quand le printemps paraît, les Grâces se couvrent de roses ; vois comment le flot de la mer s’adoucit dans la paix ; vois comment plonge le canard ; vois comment la grue se met en route, et comment brille tout simplement le Titan comment les ombres des nuages se dissipent, et les travaux des hommes resplendissent, le fruit de l’olivier bourgeonne ; cachant sous ses feuilles, sous ses rameaux la liqueur de Bacchus, le fruit croissant a fleuri.
La cigale
Les cigales ont toujours fasciné les poètes et les philosophes au bord de la Méditerranée ; cette ode anacréontique ne peut pas ne pas évoquer l’histoire imaginée par Platon dans Phèdre…
Μακαρίζομέν σε, τέττιξ,
ὅτε δενδρέων ἐπ᾽ ἄκρων,
ὀλίγην δρόσον πεπωκώς,
βασιλεὺς ὅπως ἀείδεις·
σὰ γάρ ἐστι κεῖνα πάντα,
ὁπόσα βλέπεις ἐν ἀγροῖς,
ὁπόσα φέρουσιν ὗλαι.
Σὺ δ’ ὁμιλία γεωργῶν,
ἀπὸ μηδενός τι βλάπτων·
σὺ δὲ τίμιος βροτοῖσιν,
θέρεος γλυκὺς προφήτης·
φιλέουσι μέν σε Μοῦσαι,
φιλέει δὲ Φοῖβος αὐτός,
λιγυρὴν δ᾽ ἔδωκεν οἴμην·
τὸ δὲ γῆρας οὔ σε τείρει,
σοφέ, γηγενής, φίλυμνε,
ἀπαθής, ἀναιμόσαρκε·
σχεδὸν εἶ θεοῖς ὅμοιος.
Nous t’estimons heureuse, cigale, quand au sommet des arbres, ayant bu un peu de rosée, tu chantes comme une reine1. En effet, tout ce que tu vois dans les champs, tout ce que nourrissent les bois, tout cela est à toi. Toi, compagne des paysans, qui ne nuit à personne ; toi, précieuse aux mortels, douce interprète de l’été ; les Muses t’aiment, Phoebus lui-même t’aime, et il t’a donné un chant mélodieux ; la vieillesse ne t’accable pas, toi sage, musicienne, dépourvue de sang, qui es née de la terre, sans douleur, tu es presque semblable aux dieux.
- Le grec dit « comme un roi » ; τέττιξ est masculin.
Éros serviteur
Ἄλλο ἔροτικον τοῦ αὐτοῦ
Ἐπὶ μυρσίναις τερείναις, |
Autre poème érotique de l’auteur
Étendu sous de délicats myrtes, sous le feuillage vert du lotus, je veux boire. Qu’Éros, après avoir attaché sa tunique avec une ficelle à son cou me serve du vin (ou de la bière). Comme la roue d’un char, la vie court, roulée sans cesse ; et nos os dissous, nous ne serons qu’un peu de cendre. Pourquoi faut-il parfumer la pierre tombale, pourquoi verser de vaines libations ? Parfume-moi plutôt quand je vis encore, couronne ma tête de roses, appelle une courtisane. Avant de partir d’ici pour le séjour des morts, je veux disperser les soucis par des danses. |
- δήσας ne vient pas de δέω « manquer de », mais de δέω : lier, attacher.
- παπύρῳ : « avec un papyrus »… c’est-à-dire avec une ficelle faite avec du papyrus. (le papyrus n’était pas seulement associé à l’écriture : il servait aussi à fabriquer des ficelles, des cordes…)
- τὸ μέθυ est une boisson fermentée : vin, ou peut-être une sorte de bière.
- διακονοῦμαί τί τινι : servir du vin (ou une boisson) à quelqu’un. Il s’agit d’un impératif, 3ème pers. du singulier.
- Ne pas confondre ὁ τρόχος, ου (la course) et ὁ τροχός, οῦ (la roue).
- κυλισθείς : participe aoriste passif de κυλίνδω, rouler, faire rouler.
- ὁ λίθος, ου : pierre ; ici, pierre tombale
- πυκάζω : couvrir, couronner
- νέρτερος : inférieur, d’en bas → mort
- σκεδάννυμι : disperser
Une « belle infidèle » de Leconte de Lisle (merci à Patrick Adenis qui me l’a signalée)
ODE IV – Sur lui-même
Couché sur des myrtes frais et du vert lotos, je boirai à l’aise.
Ayant noué d’un papyros sa tunique à son cou, Éros me servira.
Le temps ailé fuit comme la roue d’un char ; et, nos os dissous, nous ne sommes plus qu’un peu de cendre.
À quoi bon parfumer le tombeau et verser sur la terre ce qu’on peut boire ?
Couronne plutôt ma tête de roses, pendant ma vie ; apporte-moi des essences et appelle l’hétaïre.
Je veux oublier les soucis, avant de me mêler aux danses des morts !