Olympe de Gouges (1748-1793)

Olympe de Gouges, par Alexander Kucharsky (1741-1819)

Sommaire

Biographie

Née Marie Gouze, le 7 mai 1748, dans une famille de la petite bourgeoisie de Montauban, Olympe de Gouges est peut-être la fille adultérine de Jacques Lefranc de Pompignan, issu d’une famille noble du Sud-Ouest. En 1765, sa famille la marie à 17 ans à Louis-Yves Aubry dont elle a un fils, Pierre, né en août 1766.

Vers 1770-71, elle quitte son mari, et se rend à Paris avec son fils, auprès de sa sœur aînée ; elle prend alors le nom d’Olympe de Gouges. Elle mène alors une vie libre, entretenant notamment une liaison avec Jacques Biétrix de Rozières, entrepreneur en transport militaire, qui l’aide financièrement.

Elle fréquente alors les salons littéraires, et s’intéresse beaucoup au théâtre ; elle monte sa propre troupe. En 1782, elle écrit sa première pièce, Zamore et Mirza (également connue sous le titre L’Esclavage des nègres) dans laquelle elle prend parti pour l’abolition de l’esclavage. La pièce, créée en décembre 1789 à la Comédie française, connaît un succès mitigé. Sa seconde pièce abolitioniste, Le Marché des noirs (1790) ne sera jamais créée.

Elle ne cessera jamais de lutter contre l’esclavage, contre le racisme et pour l’abolition : c’était alors un combat d’avant-garde, et elle resta relativement isolée – malgré les prises de position de Montesquieu et de Voltaire, entre autres.

Dès avant la Révolution française, elle publie parallèlement des brochures politiques, évoquant des réformes sociales. Proche d’Helvétius, elle admire particulièrement La Fayette et Necker, et prône une monarchie constitutionnelle. En 1791, elle souhaite une égalité parfaite entre le Roi et l’Assemblée, et conteste une constitution qui donne trop peu de pouvoir au Roi ; c’est aussi cette même année qu’elle adresse à la Reine Marie-Antoinette sa Déclaration des droits de la Femme et de la citoyenne ; en avril 1792, elle conteste le caractère sexiste et censitaire du vote (interdit aux femmes et conditionné à un certain niveau de fortune) ; dans le conflit qui oppose en 1792 les Girondins et les Montagnards, elle prend parti d’abord pour les seconds, car elle s’oppose à la guerre d’attaque revendiquée par Brissot et Condorcet. Cependant, en octobre de la même année, elle rejoint les Girondins. En 1793, elle s’en prend vivement aux partisans de la Terreur, Marat, et Robespierre. Le 20 juillet 1793, elle propose dans une affiche de voter sur trois choix : la République une et indivisible, la République fédéraliste, et la Monarchie constitutionnelle, contrevenant ainsi à une loi interdisant toute proposition de retour à la monarchie. Elle est arrêtée, emprisonnée, et finalement condamnée à mort le 2 novembre 1793, deux jours après l’exécution des Girondins. Elle est guillotinée le lendemain 3 novembre.

Bibliographie

Olympe de Gouges a beaucoup écrit ; mais la plus grande partie de son œuvre n’est plus guère accessible aujourd’hui, sinon à la Bibliothèque Nationale. Nous nous limiterons ici à quelques titres essentiels.

Théâtre

  • Zamore et Mirza, ou l’Heureux naufrage, 1784.
  • Le Mariage inattendu de Chérubin, Séville et Paris, Cailleau, 1786.
  • L’Homme généreux, Paris, chez l’auteur, Knapen et fils, 1786.
  • Molière chez Ninon, ou le siècle des grands hommes, 1788.
  • Le Marché des Noirs, manuscrit déposé et lu à la Comédie-Française, 1790.
  • Le Nouveau Tartuffe, ou l’école des jeunes gens, manuscrit déposé et lu à la Comédie-Française, 1790.
  • La Nécessité du divorce, manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale, 1790.
  • Le Couvent, ou les vœux forcés Paris, veuve Duchesne, veuve Bailly et marchands de nouveautés, octobre 1790.
  • Mirabeau aux Champs Élysées, Paris, Garnery, 1791.
  • L’Esclavage des Noirs, ou l’heureux naufrage, Paris, veuve Duchesne, veuve Bailly et les marchands de nouveautés, 1792. (réédition de Zamore et Mirza).
  • La France sauvée, ou le tyran détrôné, manuscrit, 1792.

Article et essais

  • Réflexions sur les hommes nègres, 1788.
  • Repentir de Madame de Gouges, Paris, lundi 5 septembre 1791.
  • Les Droits de la femme. À la reine, signé « de Gouges ». Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, septembre 1791.

La Déclaration des droits de la Femme et de la citoyenne (1791)

Pour cette étude, nous utiliserons l’édition « classicolycée », Belin-Gallimard, ISBN 979-10-358-0722-1

Le contexte historique

Lorsque Olympe de Gouges publie sa Déclaration, la Révolution française dure depuis déjà deux ans. Il est bon de rappeler le contexte.

  • Depuis de nombreuses années, l’Ancien Régime, fondé sur une monarchie absolue de droit divin, et sur la division de la société en trois ordres, une aristocratie d’environ 400 000 personnes, un clergé de 120 0000 individus – deux ordres cumulant privilèges et pouvoir – et un « Tiers État », allant de la plus riche bourgeoisie d’affaires à la paysannerie la plus pauvre, et qui ne dispose d’aucun privilège et de très peu de droits politiques, est de plus en plus contesté par une frange éclairée de philosophes. Voir les œuvres de Montesquieu, de Voltaire, de Rousseau (en particulier le Contrat social), de Diderot…
  • En 1789, une crise financière doublée d’une crise agricole accélère le mouvement, qui aboutit à la convocation des États Généraux, rassemblant des représentants des trois ordres, et à la rédaction des « cahiers de doléances ».
  • En juin 1789, les représentants du Tiers État font sécession, et s’engagent le 20 juin, par le Serment du Jeu de Paume, à rédiger une constitution : l’Assemblée devient alors Constituante – dans le but d’établir une monarchie constitutionnelle, sur le modèle de la monarchie britannique.
  • En juillet 1789, suite au renvoi du ministre Necker, pourtant très populaire, un soulèvement parisien aboutit à la prise de la Bastille, le 14 juillet – une prison au cœur de Paris, qui symbolisait le pouvoir absolu du Roi.
  • Durant la « nuit du 4 août », dans un grand élan d’enthousiasme, l’Assemblée décrète l’abolition de tous les privilèges du Clergé et de la Noblesse, c’est-à-dire la fin du régime des trois ordres. Dans la foulée, elle adopte la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen le 26 août.
  • Durant la seconde moitié de 1789, et en 1790, l’Assemblée constituante poursuit ses travaux : pour unifier le territoire français, auparavant organisé en provinces, elle crée les départements et leurs chefs-lieux ; elle impose un système décimal pour faciliter le commerce (pour les distances et les mesures, les surfaces et les volumes…)
  • Le 14 juillet 1790, la Fête de la Fédération réunit 100 000 personnes au Champ de Mars, et scelle la réconciliation entre la famille royale et la nation. Louis XVI prête serment « à la Loi et à la Nation ».
  • Cependant, le 21 juin 1791, il tente de s’enfuir avec sa famille, pour rejoindre en Lorraine une partie de ses troupes, tandis que les autres Monarchies européennes se font de plus en plus menaçantes. Le Roi est arrêté à Varennes, ramené à Paris, et assigné à résidence au palais des Tuileries.
  • L’unité des révolutionnaires est aussi mise à mal le 17 juillet 1791, quand des membres du club des Cordeliers, favorables à l’abolition de la Monarchie et à l’instauration d’une République, se rassemblent au Champ de Mars : l’Assemblée Constituante envoie contre eux la Garde Nationale, commandée par La Fayette, qui fait feu et tue plusieurs dizaines de personnes.
  • En août et en septembre, l’Assemblée constituante se dissout et les premières élections législatives ont lieu pour désigner de nouveaux députés – au suffrage censitaire : seuls peuvent voter les hommes, et encore seulement s’ils payent des impôts, ce qui exclut la plus grande partie du peuple. La Première Constitution, qui établit une Monarchie constitutionnelle, est votée le 3 septembre, et le Roi l’accepte. C’est à ce moment qu’Olympe de Gouges publie sa propre Déclaration, datée du 14 septembre 1791 (cf. p. 39).

Ce texte, tiré seulement à 5 exemplaires et adressé à la Reine Marie-Antoinette, se caractérise par une curieuse hétérogénéité. Il est en effet composé de cinq parties totalement distinctes les unes des autres :

  1. L’adresse à la Reine ;
  2. une brève adresse à l’Homme (il faut entendre ici l’Homme masculin) ;
  3. la Déclaration proprement dite, formée d’un préambule et de 17 articles, calquée sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, suivis d’un « postambule » ;
  4. Une « forme de contrat social de l’homme et de la femme ».

On peut y ajouter un « post-scriptum » célébrant l’acceptation de la Constitution par Louis XVI.

Adresse à la Reine

Marie-Antoinette en 1783, par Elisabeth Vigée-Lebrun

Il était d’usage, sous l’Ancien Régime, de dédier son œuvre au Roi, en l’accompagnant d’un éloge du souverain. Olympe de Gouges innove quelque peu en s’adressant non au Roi, mais à la Reine – ce qui ne manque pas d’un certain panache, car Marie-Antoinette était très impopulaire dès avant la Révolution. On lui reprochait, à tort, de ruiner les finances publiques, et on ne lui pardonnait pas ses origines autrichiennes, non sans quelques relents de xénophobie.

Le texte se compose manifestement de trois grandes parties :

  1. lignes 1 à 26 : l’autrice rappelle à la Reine qu’elle l’a défendue lorsqu’elle était menacée, et l’abjure de se désolidariser des Aristocrates qui ont quitté la France pour lever une armée et rétablir par la force la monarchie absolue : elle fait appel au patriotisme de la souveraine, et, tout en se présentant comme une alliée, elle revendique la plus grande franchise.
  2. Lignes 27-49 : elle en vient à son propos : la Reine devrait se donner pour mission de défendre les droits des femmes, et, ce faisant, de révolutionner la société française pour la rendre plus juste et plus morale.
  3. Lignes 50-61 : retour à l’argumentation patriotique ; si la Reine accepte cette mission, elle donnera sens à sa vie ; si au contraire elle se rallie à la cause des émigrés, elle ira à sa perte, comme tout le parti monarchique.

Qui est la destinataire ?

Née le 2 novembre 1755 à Vienne, capitale de l’Empire Austro-Hongrois, Marie-Antoinette est la plus jeune fille de l’empereur François 1er du Saint Empire Romain-Germanique et de Marie-Thérèse d’Autriche. À 14 ans, en 1770, elle épouse le dauphin Louis, futur Louis XVI, et devient dauphine de France puis Reine de France en 1774, à la mort de Louis XV. En 1778, elle donne naissance à son premier enfant, Marie-Thérèse (future « Madame Royale », 1778-1851, seule survivante de la famille royale), puis au dauphin Louis-Joseph, qui meurt prématurément à l’âge de 7 ans (1781-1789) ; son second fils, Louis-Charles, né en 1785, devient à son tour dauphin le 2 juin 1789 à la mort de son frère ; reconnu héritier du trône sous le nom de Louis XVII par les monarchies étrangères, il mourra à 10 ans en captivité en 1795. Enfin, une dernière petite fille, Charlotte, née le 7 juillet 1786, décéda un an plus tard, probablement de la mort subite du nourrisson.

D’origine autrichienne, Marie-Antoinette fut très vite soupçonnée d’intelligence avec un ennemi de la France ; elle rencontra l’hostilité d’une grande partie de la Cour, qui refusait l’idée d’une alliance entre la France et l’Autriche-Hongrie : surnommée « l’Autrichienne » dès son arrivée à Versailles, elle devint rapidement très impopulaire ; on lui imputa des affaires rocambolesques (« l’Affaire du collier« ), on lui reprochait un train de vie dispendieux… Bien avant la Révolution, elle fut l’objet de véritables campagnes de haine.

Assignée à résidence avec toute sa famille au palais des Tuileries, à Paris, elle verra son impopularité s’amplifier après la tentative de fuite à Varennes. En 1792, la famille royale est arrêtée et emprisonnée au Temple ; la monarchie est abolie. Le Roi est exécuté le 21 janvier 1793 ; le 16 octobre, Marie-Antoinette est condamnée à mort pour haute trahison et guillotinée, à l’âge de 37 ans – moins d’un mois avant Olympe de Gouges.

Première partie, l. 1-26

1er § : Dès les premiers mots, Olympe de Gouges se livre à une captatio beneuolentiae : il s’agit ici à la fois de capter la bienveillance de sa destinataire officielle, la Reine, et de son vrai public, le peuple. Elle s’excuse auprès de la première, et se vante pour le second, de ne pas respecter les formes de la bienséance. Ce faisant, elle dessine une sorte d’auto-portrait moral : refus de l’adulation, franchise, courage à l’égard des autorités. On notera également l’usage du discours révolutionnaire : « l’époque de la liberté » – l’instauration d’une monarchie constitutionnelle –, « l’aveuglement des despotes » (un mot qui désormais désigne les Rois…)

2ème § : Olympe de Gouges se pose en défenseure de la Reine, alors que celle-ci était accusée à tort : on peut se demander s’il s’agit d’attaques antérieures à la Révolution (la fameuse Affaire du collier ?) ou de la fuite à Varennes, quelques mois seulement avant la publication de la Déclaration ?

3ème et 4ème § : Le 3ème § multiplie les notations visuelles : « j’ai vu », « mes observations », « je vois », « on observe de près »… Olympe de Gouges se place à la fois comme témoin privilégié (ce qui lui permet de suggérer qu’elle était proche de la Reine, ce qui n’était pas exactement le cas) et comme défenseure de l’opprimé, ici la Reine elle-même : le discours tend à la présenter comme une héroïne, avec le champ lexical de l’épopée et de la tragédie : « le glaive » (mot épique relevant à la fois de l’allégorie (la Justice), du lexique de la guerre et du tragique) ; elle marque aussi un tournant historique : autrefois la Reine était victime, elle devient coupable.
Le 4ème § développe l’idée : les « mutins soudoyés » (une armée royaliste massée aux frontières, mais formée encore de soldats français) deviennent « l’étranger » – cette armée est au service des ennemis de la France. S’ensuit une véritable prière, un appel au sentiment familial (« vous êtes mère et épouse ») : Olympe de Gouges mêle ici la prière, l’éloge… et la menace (« les projets sanguinaires précipiteraient votre chute »).

Dans cette première partie, Olympe de Gouges se pose en patriote, mais aussi en monarchiste modérée : elle a défendu la Reine quand celle-ci était injustement attaquée, mais elle ne la soutiendrait plus s’il s’avérait qu’elle trahit la France. Se présentant elle-même sous les traits d’une héroïne, elle donne de Marie-Antoinette une image ambigüe : on ne sait trop si elle considère ou non la Reine comme coupable des menaces étrangères.

Deuxième partie, l. 27-49

Cette partie est elle-même composée de trois paragraphes : un appel à la Reine, une évocation de la lutte à mener, une conclusion.

1er § : Après avoir invité la Reine à agir « pour le retour des Princes » qui ont émigré pour fuir la Révolution, l’autrice revient à son sujet : elle lui propose « un plus noble emploi », dans un style solennel : voir le rythme ternaire : « vous caractérise, excite votre ambition, fixe vos regards« . On notera au passage que la Reine n’est nullement considérée désormais comme un personnage sacré, à l’instar du Roi : « celle que le hasard a élevée à une place éminente » (l. 29) : le statut royal n’est donc nullement prédestiné et ne doit rien à une grâce divine… On est proche du moment où Louis XVI ne sera plus que « le citoyen Capet »…
Mais l’essentiel est l’opposition entre deux choix possibles pour Marie-Antoinette :

  • défendre ses intérêts personnels ≠ défendre les intérêts des femmes
  • les plus grands crimes ≠ les plus grandes vertus
  • être pris pour exemple ≠ être « l’exécration du genre humain.

À chaque fois, le premier terme de l’opposition renvoie, de manière allusive, aux accusations de la première partie : la Reine était soupçonnée de tenter de sauver la monarchie absolue en faisant appel à des armées étrangères, notamment autrichiennes.

2ème § : L’autrice revient à son sujet : la défense des droits des femmes ; elle lui donne une coloration résolument morale. il s’agit de « travailler à la restauration des mœurs » – un leit-motiv des philosophes (voir Rousseau, Laclos…). Le programme de réforme est du reste assez vague : « donner à votre sexe toute la consistance dont il est susceptible« … Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une œuvre de longue haleine, d’autant qu’O. de Gouges souligne que les femmes elles-mêmes ne sont pas majoritairement conscientes de leur situation…

3ème § : Le texte s’achève sur une menace à peine voilée – et qui prend une résonance tragique quand on connaît la suite des événements : « notre vie est bien peu de chose, surtout pour une Reine« …

Troisième partie, l. 50-61

Retour à cet obsédante préoccupation : la menace que représentent les Princes émigrés et leur armée massée aux frontières ; elle souligne ce que leurs revendications peuvent avoir d’irrationnel : les privilèges, abolis le 4 août 1789, n’ont aucune justification rationnelle – ce que l’on peut rapporter à la ligne 29 : la Reine ne doit son statut qu’au hasard. Autrement dit, les fondements de l’Ancien Régime, auquel les Émigrés voudraient revenir, n’ont aucune raison d’être. Comment comprendre cette remarque : « Croyez, Madame, si j’en juge par ce que je sens, le parti monarchique se détruira de lui-même… » Olympe de Gouges se dit favorable à une monarchie constitutionnelle, du moins tant que le Roi et la Reine ne se montrent pas ennemis du pays ; mais selon elle, dans ce cas les derniers partisans de la monarchie pourraient bien se rallier à la République… C’est une menace à peine voilée.

Le dernier § avant les salutations fait écho à un passage antérieur : « Si vous étiez moins instruite, Madame, je pourrais craindre que vos intérêts particuliers ne l’emportassent sur ceux de votre sexe » (l. 31-32) : elle-même oublie parfois son objectif, parce que « tout bon citoyen sacrifie sa gloire, ses intérêts, quand il n’a pour objet que ceux de son pays. » La prééminence de l’intérêt général sur les intérêts particuliers est donc présentée comme l’alpha et l’oméga de la morale pour Olympe de Gouges.

Conclusion

L’Adresse à la Reine apparaît donc comme un texte ambigu, traduisant peut-être une gêne, un malaise de la part d’Olympe de Gouges. En effet, d’une part, la Reine est une femme, et donc particulièrement bien placée, par son statut de Reine, à défendre les intérêts de toutes les femmes ; mais d’autre part, elle est fortement soupçonnée d’être à l’origine des menaces d’intervention étrangère qui pèsent sur les frontières… Le but du texte n’est donc pas simple, mais double : il s’agit de convaincre Marie-Antoinette de cesser de soutenir les Émigrés, et de reporter son énergie sur une cause plus juste et plus universelle, la défense du droit des femmes…

On ignore si la Reine a lu cette adresse ; mais il est vraisemblable que la défense de la monarchie absolue ne lui apparaissait pas comme un « intérêt particulier », et que, dans l’immédiat, les droits des femmes ne devaient pas lui sembler de toute première urgence…

À l’homme

Adressé non à « l’homme » au sens d’ « être humain » (comme dans la Déclaration des Droits de l’Homme), mais au sens de « mâle », ce texte est un réquisitoire, marqué par un style oratoire. Les deux premiers § s’adressent à l’accusé, avec des questions oratoires, des impératifs…

Le mot essentiel, dès la première ligne, est « juste » : encore une fois, Olympe de Gouges se place sur le plan de la morale : elle s’appuie sur la nature – c’est une réponse à ceux qui affirment que la situation subalterne de la femme serait « naturelle ». Sa volonté de convaincre se voit dans les questions oratoires et ironiques : « Qui t’a donné… ? Ta force ? tes talents ? »  Elle ne développe pas, sous-entendant que ces deux arguments ne valent pas grand-chose. On remarquera également les parallélismes : « observe le créateur dans sa sagesse, parcours la nature dans toute sa grandeur« . La notion de nature est importante : depuis les philosophes des Lumières, la contestation de l’Ancien Régime repose précisément sur le fait que ni la Monarchie absolue, ni le régime des ordres n’ont de justification « naturelle ».

Le second paragraphe commence, lui, par une série de 4 impératifs, qui vont développer l’idée du 1er § : animaux, éléments, végétaux et matière, c’est-à-dire tout ce qui constitue la Nature, contredisent la hiérarchie que l’homme a introduite entre les sexes ; partout règne l’union (« confondus », l. 12), la coopération et l’harmonie. Les hiérarchies humaines sont donc anti-naturelles, donc mauvaises, la Nature étant bonne par définition. Olympe de Gouges est bien, en ce sens, l’héritière des Lumières, en particulier de Rousseau.

Le troisième § abandonne la deuxième personne et l’adresse à l’homme. Elle multiplie les termes péjoratifs : « l’homme seul« , « fagoté« , « bizarre, aveugle, boursouflé, dégénéré, dans l’ignorance la plus crasse« … L’indignation semble l’emporter sur la cohérence (comment peut-on être « boursouflé de sciences » et « dans l’ignorance la plus crasse », sauf à considérer les sciences comme fausses, ce qui est contraire aux Lumières dont elle se réclame… Cet homme si misérable veut « commander en despote » : le terme n’est pas choisi au hasard ; c’est précisément ainsi que l’on désigne les Rois lorsque l’on veut souligner leur illégitimité.

Le texte s’achève sur une curieuse maladresse : alors que dans tout le § « il » désigne l’homme, soudain, à la toute fin, il signifie « le sexe féminin » qui « veut jouir de la Révolution et réclamer ses droits à l’égalité« … ce qui effectivement ne peut s’appliquer qu’aux femmes, étant donné le contexte !

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

La déclaration d’Olympe de Gouges est calquée, presque mot pour mot, sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. Elle en reprend la structure (notamment le préambule et les 17 articles), et il faut donc être particulièrement attentif aux variations qu’elle y introduit.

Le Préambule

Déclaration des droits de l’Homme Déclaration des droits de la Femme

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.

Le texte est délibérément une réécriture fidèle de la Déclaration des droits de l’Homme, dans sa structure : un long paragraphe explicatif, suivi d’un plus bref établissant une conclusion : « En conséquence… » ; le vocabulaire est le même, de nature politique et juridique (« considérant… », « ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle… » tout comme le style (on retrouve l’anaphore de « afin que » :

  • afin que cette déclaration… leur rappelle…
  • afin que les actes du pouvoir… en soient plus respectés
  • afin que les réclamations..

Olympe de Gouges se livre donc à une sorte de pastiche, avec l’espoir que la solennité et le prestige de la Déclaration des droits de l’Homme rejaillisse sur la sienne. Espoir déçu : cette dernière resta lettre morte.

Cependant, elle introduit des variantes : 

  • Dès la 1ère phrase, l’inégalité entre hommes et femmes est dénoncée : dans la première déclaration, « l’homme » désigne tout naturellement l’ensemble de l’humanité, mais en même temps, les femmes sont absentes de la vie politique. Il faut donc une démarche pour qu’elles soient incluses dans cette vie politique : « demandent d’être constituées » – la décision ne vient pas d’elles.
  • D’où la 2ème phrase : « ignorance, oubli ou mépris des droits de la femme« … Des droits qui, tout simplement, n’existaient pas (par exemple, le divorce n’a été autorisé, provisoirement, que de 1792 à 1816 ; ce droit ne sera ensuite rétabli qu’en 1884. Sur ces questions voir le Mooc « Égalité hommes femmes ».
  • On peut ainsi comprendre qu’ensuite, elle ne parle que des « droits des femmes », dont l’absence est la seule explication des maux de la société. La biographie d’Olympe de Gouges montre qu’elle se préoccupe aussi de bien d’autres formes d’oppression.
  • Une variante intéressante : là où la déclaration des droits de l’homme parle, pour désigner la globalité des pouvoirs, des « actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif » – reprenant ainsi la division des pouvoirs chère à Montesquieu –, Olympe de Gouges dit « les actes du pouvoir des femmes et ceux du pouvoir des hommes » : elle semble s’intéresser ici assez peu à la forme du pouvoir, et davantage à une sorte de répartition du pouvoir entre les sexes.
  • L’autrice introduit une notion dans sa déclaration : les « bonnes mœurs ». C’est essentiel pour elle : l’inégalité des droits dans la société est la cause principale de la dépravation des mœurs, et elle souhaite une restauration morale.
  • Le dernier paragraphe est une proclamation de la supériorité féminine ; cela peut surprendre, et sembler contradictoire avec la revendication d’égalité ; mais c’est une réponse à l’opinion communément admise, y compris chez les Philosophes (voir Rousseau, par exemple), d’une infériorité naturelle de la Femme (le fameux « sexe faible »).

Les 17 articles

Déclaration des droits de la Femme

Article 1er

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

 

Article 3

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 4

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5

La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Article 6

La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Article 7

Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

Article 8

La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Article 9

Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Article 11

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

 

 

Article 12

La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Article 13

Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

 

Article 14

Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

 

Article 15

La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

 

Article 16

Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

 

 

Article 17

La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Article premier.

La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

II.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.

III.

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

IV.

La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.

V.

Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société : tout ce qui n’est pas défendu par ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.

VI.

La Loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les citoyennes et tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

VII.

Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée, et détenue dans les cas déterminés par la Loi. Les femmes obéissent comme les hommes à cette Loi rigoureuse.

VIII.

La loi ne doit établir que des peines strictement et  évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée aux femmes.

IX.

Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la Loi.

 

 

X.

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi.

XI.

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

XII.

La garantie des droits de la femme et de la Citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de celles à qui elle est confiée.

XIII.

Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, les contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie.

XIV.

Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l’administration publique, et de déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de l’impôt.

XV.

La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration.

XVI.

Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation, n’a pas coopéré à sa rédaction.

XVII.

Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés ; elles [s]ont pour chacun un droit inviolable et sacré ; nul ne peut en être privé comme vrai patrimoine de la nature, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Un petit nombre d’articles se contentent d’ajouter les femmes à une déclaration initialement limitée aux hommes (article 2) : la Déclaration d’Olympe de Gouges n’est pas destinée à remplacer, mais à compléter la Déclaration des droits de l’homme, en réaffirmant l’égalité de droits entre hommes et femmes (article 1) ; la femme ne doit donc plus être une éternelle mineure : elle est une citoyenne à part entière, et constitue la moitié de la Nation (article 3).

Les articles 4 et 5 introduisent des notions essentielles, chères aux philosophes des Lumières : d’une part la justice, qui a fait défaut aux femmes, privées de leurs droits naturels par la « tyrannie des hommes » ; d’autre part la nature et la raison, dont les lois sont « divines ». Ni la nature, ni la raison ne peuvent justifier que les femmes ne soient pas égales des hommes ; de ce fait, toute constitution qui ignorerait cet état de fait serait nulle (article 16).

Une fois établi ce principe, Olympe de Gouges en décline les conséquences, dont certaines ont dû apparaître tout à fait révolutionnaires :

  • droit de vote pour les femmes, accès à toutes les places et fonctions y compris électives (pour mémoire, ces droits ont été acquis en France… le 21 avril 1944 !)
  • liberté d’expression… et droit de reconnaître un enfant illégitime (article 11)
  • égalité devant l’impôt… et par conséquent égalité d’accès à tous les emplois (la femme aura libre accès à son salaire… en 1907 ; et elle n’aura sa pleine liberté financière qu’en 1965)
  • droit égal à la propriété.

D’autres conséquences peuvent apparaître moins positives pour les femmes, mais découlent en fait de leur revendication d’égalité : en effet, la femme doit être soumise à la loi dans toute sa rigueur, y compris la peine de mort. L’autrice y insiste dans plusieurs articles : articles 8, 9 et 10 (si la femme peut être condamnée, elle doit aussi avoir droit à la parole).

Cette Déclaration était donc une avancée majeure pour les femmes… si elle avait été appliquée ; or il n’en sera rien !

Le premier Code civil sera promulgé en 1804 par Napoléon Ier. Voir ici comment il définissait le statut des femmes !

Le postambule d’Olympe de Gouges

Le mot « postambule », formé sur le modèle de « préambule », semble être un néologisme créé par Olympe de Gouges ; la Déclaration des droits de l’homme n’en comportait pas.

  • Une « adresse à la femme » qu’on peut mettre en parallèle avec l’adresse à l’homme : à celui-ci elle demandait s’il était capable de justice ; ici elle s’adresse aux femmes, qu’elle estime dans l’illusion. Elle multiplie les impératifs : « réveille-toi », « reconnais ». La Révolution est présentée comme achevée, au moyen de nombreux passés composés. Elle a apporté beaucoup : la fin « des préjugés, du fanatisme, de superstition et de mensonges » : des résultats essentiellement philosophiques, portant sur tout ce que les philosophes des Lumières reprochaient à la monarchie de droit divin. Mais, sans transition, cette victoire s’est traduite par une dégradation de la situation des femmes : « devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne » (l. 97). Puis O. de Gouges passe du singulier (« Femme« ) au pluriel (« Ô femmes ! femmes« …). On notera au passage à la fois l’oralité, et le ton tragique : elle met toutes ses forces pour convaincre les femmes de combattre. La situation est en effet paradoxale : alors que la Révolution a apporté à l’homme la liberté, elle n’a donné à la femme que « la fin de son empire » ; inversement, l’ancien régime lui laissait au moins une forme de pouvoir… (« Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes« ).
    O. de Gouges invite donc les femmes à « réclamer leur patrimoine », c’est-à-dire les droits dont elles ont été privées. Elle le fait au travers d’un dialogue fictif entre les « législateurs français », héritiers du « législateur de Cana », et les femmes elles-mêmes. Il convient d’éclairer cette allusion : lors des Noces de Cana, le Christ répond à sa mère, qui lui faisait remarquer que le vin allait manquer : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? » – ce qui signifie qu’il estime la question de sa mère comme inopportune. En mettant sur le même plan le « législateur de Cana » et l’Assemblée, elle suggère que cette dernière cherche à reproduire l’oppression des femmes dont le christianisme s’est rendu coupable. La réponse des femmes est sans appel : « Tout ».
    La fin de ce passage est plus optimiste : O. de Gouges croit en la toute-puissance de la philosophie et de la Raison, capables de convaincre les Hommes de renoncer à leurs préjugés. Elle fait appel à l’énergie, au courage, et finalement à la volonté des femmes – un courage qui s’oppose à l’obstination des hommes, qui n’est que « faiblesse ».
  • Un exposé de la situation des femmes sous l’ancien régime ; la transition se fait au sein même de la première partie : « passons maintenant à l’effroyable tableau… » (l. 117-118). O. de Gouges semble mettre en accusation les femmes qui « ont fait plus de mal que de bien », une accusation a priori assez surprenante sous sa plume. En réalité, on comprend vite qu’elle condamne le pouvoir occulte qu’ont exercé une toute petite minorité de femmes, par la ruse et la corruption. En jouant de leurs charmes (ce qui, pour l’autrice, s’apparente à de la prostitution) elles ont exercé un pouvoir sans limite, et parfaitement illégitime… Elle attaque ici directement, non la Reine, épouse légitime (après sa dédicace, cela eût été maladroit), mais le rôle qu’ont pu jouer les maîtresses des Rois, et les femmes de la cour. On est évidemment bien loin de la condition des femmes en général…
    Le passage se termine par une belle antithèse marquée par un chiasme : ce sexe autrefois méprisable et respecté / depuis la Révolution, respectable et méprisé.
  • une comparaison ancien régime / Révolution ; apparition du « je », exprimant à la fois une indignation personnelle, et un sentiment d’urgence : « je n’ai qu’un moment pour les faire« .
    • Première donnée de l’antithèse : l’Ancien régime, décrit sans nuance comme le monde de l’immoralité : « tout était vicieux, tout était coupable » (noter le parallélisme). Certes les femmes, celles du moins qui étaient belles, avaient quelque pouvoir, mais dans un système relevant quasiment de la prostitution. [NB : il n’est pas sûr que le mot « commerce » (l. 145) n’ait ici désigné que les relations sociales, comme l’indique la note 2 : ce mot se trouve ici environné d’un champ lexical de la finance : « cent fortunes », « richesses », « de l’or », « industrie »…].
    • Second volet : la Révolution… qui n’a rien amélioré : désormais le seul accès à la fortune est le mariage, qui est à la femme ce que l’esclavage est aux Africains. En effet, on « achète » une femme, qui se retrouve sans droits. Non sans ironie, elle souligne que « l’esclave commande au maître » – un thème cher aux philosophes des Lumières, la dialectique maître/esclave : voir par exemple, de Diderot, Jacques le Fataliste , ou encore, de Marivaux, L’ïle des esclaves. En ce qui concerne l’esclavage, on sait qu’Olympe de Gouges a toujours milité pour son abolition, y compris contre l’avis de ses propres amis. Elle se situe dans la lignée de Voltaire et de Montesquieu.
      En un sens, la situation des femmes est pire que celle des esclaves : une fois « libérée », elle se retrouve sans ressource, pour peu qu’elle ait vieilli… O. de Gouges énumère toutes les situations dans lesquelles une femme se trouve abandonnée, parfois avec des enfants. La femme est victime à la fois des hommes, et de la société toute entière, parce que celle-ci donne tous les droits aux hommes : voir l’anaphore en « si » : « si elle a des enfants… s’il est riche… si quelque engagement le lie à ses devoirs… s’il est marié… » et à chaque fois, la conséquence est la même : la femme abandonnée, mariée ou non, perd tous ses droits.
    • En un dernier mouvement, O. de Gouges énonce ses solutions pour « extirper le vice jusque dans sa racine« . À un problème moral (« le vice ») elle propose une solution économique et sociale : le partage des fortunes et des places. Le partage des fortunes ne suffirait pas car il laisserait les femmes pauvres sans solution ; il faut donc lui donner accès à « l’administration publique », pour lui permettre de gagner sa vie. Elle explicite ici l’article XIV de sa Déclaration, en promettant de développer ce propos dans des textes à venir.
  • un paragraphe sur le mariage. À nouveau O. de Gouges se met en scène : « je reprends mon texte… » ; ce paragraphe est un réquisitoire contre le mariage, « tombeau de la confiance et de l’amour » – ce qui va à l’encontre de la représentation traditionnelle du mariage : fondation d’une famille… Elle oppose deux situations paradoxales :
    • la femme mariée peut impunément imposer à son mari des enfants illégitimes – il n’y avait à l’époque aucun moyen de prouver la paternité.
    • Inversement, la femme non mariée n’avait aucun droit : le père de ses enfants pouvait leur refuser son nom et ses biens.

Or les Révolutionnaires n’ont pas fait évoluer la loi.

  • Une conclusion : « si tenter de donner à mon sexe… » : O. de Gouges oppose l’instant présent, où les esprits ne sont pas prêts à de telles réformes, et l’avenir qui les permettra ; mais elle ne renonce pas pour autant à voir évoluer la société, de trois manières : par l’éducation nationale, la restauration des mœurs, et une réforme du mariage.

Conclusion

Olympe de Gouges se place dans la lignée des philosophes des Lumières, qui s’interrogeaient sur la meilleure forme de gouvernement et ce qui fonde la légitimité du pouvoir, et luttaient contre toutes les formes d’oppression ; mais ils s’étaient assez peu intéressés à l’oppression particulière frappant les femmes, privées de tout droit, de l’accès à l’éducation à l’indépendance financière, en passant par le statut de la femme non mariée et des enfants nés hors mariage.

C’est peu de dire qu’elle ne sera pas entendue :  Certes, ce n’est pas pour cette raison qu’elle sera officiellement condamnée à mort en 1793, mais voici comment la Feuille du Salut public, gazette révolutionnaire, commente son exécution :

« Elle voulut être homme d’État, et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. »

Et le Code civil de 1804 déniera tout droit aux femmes.