Platon, « Apologie de Socrate »

  • Sur le procès de Socrate :  : Michèle Tillard, Socrate, éditions Ellipses, 2020.

Socrate refuse la rhétorique (17a-18a)

(17a) Ὅ τι μὲν ὑμεῖς, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, πεπόνθατε ὑπὸ τῶν ἐμῶν κατηγόρων, οὐκ οἶδα· ἐγὼ δ᾽ οὖν καὶ αὐτὸς ὑπ᾽ αὐτῶν ὀλίγου ἐμαυτοῦ ἐπελαθόμην, οὕτω πιθανῶς ἔλεγον. Καίτοι ἀληθές γε ὡς ἔπος εἰπεῖν οὐδὲν εἰρήκασιν. Μάλιστα δὲ αὐτῶν ἓν ἐθαύμασα τῶν πολλῶν ὧν ἐψεύσαντο, τοῦτο ἐν ᾧ ἔλεγον ὡς χρῆν ὑμᾶς εὐλαβεῖσθαι μὴ ὑπ᾽ ἐμοῦ ἐξαπατηθῆτε (17b) ὡς δεινοῦ ὄντος λέγειν. Τὸ γὰρ μὴ αἰσχυνθῆναι ὅτι αὐτίκα ὑπ᾽ ἐμοῦ ἐξελεγχθήσονται ἔργῳ, ἐπειδὰν μηδ᾽ ὁπωστιοῦν φαίνωμαι δεινὸς λέγειν, τοῦτό μοι ἔδοξεν αὐτῶν ἀναισχυντότατον εἶναι, εἰ μὴ ἄρα δεινὸν καλοῦσιν οὗτοι λέγειν τὸν τἀληθῆ λέγοντα· εἰ μὲν γὰρ τοῦτο λέγουσιν, ὁμολογοίην ἂν ἔγωγε οὐ κατὰ τούτους εἶναι ῥήτωρ. Οὗτοι μὲν οὖν, ὥσπερ ἐγὼ λέγω, ἤ τι ἢ οὐδὲν ἀληθὲς εἰρήκασιν, ὑμεῖς δέ μου ἀκούσεσθε πᾶσαν τὴν ἀλήθειαν. Οὐ μέντοι μὰ Δία, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, κεκαλλιεπημένους γε λόγους, ὥσπερ οἱ τούτων, (17c) ῥήμασί τε καὶ ὀνόμασιν οὐδὲ κεκοσμημένους, ἀλλ᾽ ἀκούσεσθε εἰκῇ λεγόμενα τοῖς ἐπιτυχοῦσιν ὀνόμασιν· πιστεύω γὰρ δίκαια εἶναι ἃ λέγω· καὶ μηδεὶς ὑμῶν προσδοκησάτω ἄλλως· οὐδὲ γὰρ ἂν δήπου πρέποι, ὦ ἄνδρες, τῇδε τῇ ἡλικίᾳ ὥσπερ μειρακίῳ πλάττοντι λόγους εἰς ὑμᾶς εἰσιέναι. Καὶ μέντοι καὶ πάνυ, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, τοῦτο ὑμῶν δέομαι καὶ παρίεμαι· ἐὰν διὰ τῶν αὐτῶν λόγων ἀκούητέ μου ἀπολογουμένου δι᾽ ὧνπερ εἴωθα λέγειν καὶ ἐν ἀγορᾷ ἐπὶ τῶν τραπεζῶν, ἵνα ὑμῶν πολλοὶ ἀκηκόασι, καὶ ἄλλοθι, μήτε (17d) θαυμάζειν μήτε θορυβεῖν τούτου ἕνεκα. Ἔχει γὰρ οὑτωσί. Νῦν ἐγὼ πρῶτον ἐπὶ δικαστήριον ἀναβέβηκα, ἔτη γεγονὼς ἑβδομήκοντα· ἀτεχνῶς οὖν ξένως ἔχω τῆς ἐνθάδε λέξεως. Ὥσπερ οὖν ἄν, εἰ τῷ ὄντι ξένος ἐτύγχανον ὤν, συνεγιγνώσκετε δήπου ἄν μοι εἰ ἐν ἐκείνῃ τῇ φωνῇ τε καὶ τῷ τρόπῳ (18a) ἔλεγον ἐν οἷσπερ ἐτεθράμμην, [18] καὶ δὴ καὶ νῦν τοῦτο ὑμῶν δέομαι δίκαιον, ὥς γέ μοι δοκῶ, τὸν μὲν τρόπον τῆς λέξεως ἐᾶν – ἴσως μὲν γὰρ χείρων, ἴσως δὲ βελτίων ἂν εἴη – αὐτὸ δὲ τοῦτο σκοπεῖν καὶ τούτῳ τὸν νοῦν προσέχειν, εἰ δίκαια λέγω ἢ μή· δικαστοῦ μὲν γὰρ αὕτη ἀρετή, ῥήτορος δὲ τἀληθῆ λέγειν.

Quelques indices…

  • Μάλιστα δὲ αὐτῶν ἓν ἐθαύμασα τῶν πολλῶν : je me suis étonné d’une chose, parmi les nombreuses…
  • ὧν ἐψεύσαντο : qu’ils ont dites de façon mensongère. ὧν est un relatif au génitif par attraction avec son antécédent. -> « je me suis surtout étonné d’une de leurs nombreuses calomnies… »
  • τοῦτο ἐν ᾧ ἔλεγον : celle dans laquelle ils prétendaient (τοῦτο reprend ἓν)
  • ὡς χρῆν ὑμᾶς εὐλαβεῖσθαι : qu’il vous faut prendre garde
  • μὴ ὑπ᾽ ἐμοῦ ἐξαπατηθῆτε : de ne pas être trompés par moi
  • ὡς δεινοῦ ὄντος λέγειν : moi qui suis habile à parler. δεινοῦ ὄντος est au génitif singulier, car apposé à ἐμοῦ. Et λέγειν complète l’adjectif δεινός (habile). Ici, ὡς signifie « dans la pensée que », ou « comme si » : cela modalise l’affirmation « ἐμοῦ… δεινοῦ ὄντος λέγειν » : Socrate rapporte le discours de ses accusateurs (en l’occurrence Mélétos), sans bien sûr la reprendre à son compte…
  • κεκαλλιεπημένους γε λόγους : « des paroles embellies, ornées ». Le mot est difficile à trouver dans les dictionnaires (il ne figure que dans le LSJ, consultable sous Eulexis), mais facile à analyser. On reconnaît un parfait médio-passif en -μενος, du verbe καλλιεπέομαι : « parler de manière séduisante ».
  • ῥήμασί τε καὶ ὀνόμασιν : mot à mot « de paroles et de noms », ou, si l’on considère le langage grammatical, « de verbes et de noms ». Mais le verbe κοσμέω indique qu’il s’agit d’ « ornements », de « belles paroles »…
  • τοῖς ἐπιτυχοῦσιν ὀνόμασιν : attention ! ἐπιτυχοῦσιν n’est pas un verbe conjugué à la 3ème pers. du pl….
  • προσδοκησάτω : impératif aoriste,3ème pers. du sing.
  • ὥσπερ μειρακίῳ πλάττοντι λόγους : le datif « μειρακίῳ πλάττοντι » est sur le même plan que « τῇδε τῇ ἡλικίᾳ » : tous deux sont compléments de πρέποι : il conviendrait…
  • παρίεμαι : présent moyen de παρίημι.
  • Ces deux infinitifs reprennent le τοῦτο de « τοῦτο ὑμῶν δέομαι καὶ παρίεμαι ».
  • Du verbe ἀναβαίνω ; mot à mot « monter » : dans les procès, l’accusé se tenait sur une estrade.
  • Verbe être sous-entendu, et attraction de l’attribut au genre du sujet : il faut construire « τοῦτό ἐστιν δικαστοῦ ἀρετή ».
  • Il faut sous-entendre ῥήτορος δ’ἀρετή ἐστι τἀληθῆ λέγειν

Pour en savoir plus sur Socrate, vous pouvez consulter mon livre, Socrate (éditions Ellipses, Paris, 2020).

Traduction

[17] Je ne sais, Athéniens, quelle impression a faite sur vous le discours de mes accusateurs. Pour moi, j’avoue que je me suis presque méconnu moi-même, tant ils ont parlé d’une manière persuasive ; cependant, je puis l’assurer, ils n’ont pas dit un seul mot qui soit véritable. Mais je me suis surtout étonné d’une de leurs nombreuses calomnies, celle dans laquelle ils prétendaient qu’il vous fallait prendre garde de ne pas vous laisser tromper par moi, qui selon eux suis habile à parler. Car de n’avoir pas craint la honte du démenti que je vais leur donner tout à l’heure, en faisant voir que je ne suis point du tout éloquent, voilà le comble de l’impudence, à moins qu’ils n’appellent éloquent celui qui dit la vérité. Si c’est là ce qu’ils prétendent, j’avoue que je suis un très grand orateur, mais non pas à leur manière ; car, encore une fois, ils n’ont pas dit un seul mot de vrai; et vous allez apprendre de moi la vérité toute pure, Athéniens, non point, par Jupiter, dans un discours orné de sentences brillantes et de termes choisis, comme sont les discours de mes accusateurs, mais dans un langage simple et spontané ; car j’ai cette confiance que je dis la vérité, et aucun de vous ne doit s’attendre à autre chose de moi. Il ne serait pas convenable à mon âge de venir devant vous, Athéniens, comme un jeune homme qui aurait préparé un discours. C’est pourquoi la seule grâce que je vous demande, c’est, Athéniens, lorsque dans ma défense j’emploierai les termes et les manières les plus ordinaires dont j’ai accoutumé de me servir, toutes les fois que je m’entretiens avec vous, sur la place publique, dans les banques, et tous les autres lieux où vous m’avez souvent rencontré, de n’en pas être surpris, et de ne pas vous emporter contre moi; car c’est aujourd’hui la première fois de ma vie que je parais devant un tribunal, quoique j’aie plus de soixante-dix ans. Je suis donc tout à fait étranger au langage qu’on parle ici. Et comme, si j’étais réellement un étranger, vous me pardonneriez de vous parler à la manière et dans la langue de mon pays, je vous conjure aussi, [18] et je crois ma demande juste, de ne pas prendre garde à ma façon de parler, bonne ou mauvaise, et de regarder seulement, avec toute l’attention possible, si je vous dis des choses justes ou non; car c’est en cela que consiste toute la vertu du juge, comme celle de l’orateur est de ne dire que la vérité.