L’œuvre de Jean de Léry s’inscrit dans une tradition déjà longue : les récits de voyage, concernant l’Amérique récemment découverte. Il est loin d’être le premier à avoir écrit son voyage…
Christophe Colomb fut le premier à porter témoignage, dans son Journal de bord (1492-1493) et ses Lettres aux autorités espagnoles (1493-1506) : il décrit la nature tropicale, les habitants, la géographie des lieux et leurs richesses naturelles, en y mêlant des mythes classiques et médiévaux : sirènes, démon, paradis terrestre…
Peu après, le Français Paulmier de Gonneville, originaire de Honfleur, raconte dans sa Relation authentique (1503-1505) son séjour au Brésil, où il oppose la tribu pacifique des Carijo à celle, féroce et cannibale, des « Tupiniquin » (les Tupinambaou de Léry ?)
Mais les témoignages les plus nombreux sont ceux des Espagnols :
Des témoignages directs, tout d’abord, ceux des conquérants eux-mêmes. Hernan Cortés, le plus sinistrement connu des Conquistadores, donne dans ses Lettres de relation adressées à Charles Quint (1519-1526) sa version de la conquête du Mexique, tandis que Pedro de Valvidia raconte dans ses onze Lettres (1545-1552) celle du Chili.
Mais aussi des récits de chroniqueurs ou d’historiens : Pierre-Martyr d’Anghiera, Milanais au service des Rois d’Espagne, dans son De Orbe Novo (1493-1525) ; Gonzalo Fernandez de Oviedo, sans doute le plus connu d’entre eux, dans sa monumentale Histoire générale et naturelle des Indes (1526) en cinquante livres, offre une véritable encyclopédie américaine.
Bartolomeu de Las Casas se distingue particulièrement, parce qu’il prit la défense des Indiens, et écrivit un véritable réquisitoire contre le travail forcé qui leur était imposé :
- 1542, Très Brève Relation de la destruction des Indes ;
- 1527-1561, Histoire des Indes ;
- 1555-1559, Histoire apologétique des Indiens.
Considéré comme un très grand humaniste, il parvint à faire changer les lois de l’ « encomienda » (travail forcé), et fut admiré des Lumières (Montesquieu, Voltaire, Marmontel…)
Tandis que Francisco Lopez de Gomara faisait l’apologie de la conquête, le jésuite Joseph d’Acosta écrivit le premier ouvrage scientifique sur le Nouveau Monde, l’Histoire naturelle et morale des Indes occidentales (1589).
L’Amérique du Nord, elle, fut décrite par Verrazzano et surtout Jacques Cartier, dans ses trois Relations (1534-1541).
Quant au Brésil, disputé par les Portugais et les Français, il fut connu par le P. Manuel de Nobrega (Lettres du Brésil, 1549-1560), les lettres de Nicolas Barré (février-mai 1556) et les Singularitez de la France Antarctique d’André Thévet (1558), contre lequel bataillera Jean de Léry. D’autres auteurs portugais, comme Galdavo ou Soares de Souza publieront également leurs descriptions.
Un personnage controversé, Amerigo Vespucci (1454-1512)
L’homme qui a donné son nom à l’Amérique est aussi un dénominateur commun à Jean de Léry et à Thomas More ; et pourtant, aujourd’hui, on doute qu’il ait été réellement le découvrir que l’on a longtemps prétendu.
Né le 9 mars 1454 à Florence, il fut élevé par son oncle, le moine dominicain Giorgio Vespucci, propriétaire d’une des plus grandes bibliothèques de la ville. Celui-ci l’initia très jeune à la cosmographie et à la géographie.
De 1478 à 1480, il accompagne un autre de ses oncles, nommé ambassadeur à Paris. En 1483, son père meurt, et Amerigo se consacre à la gestion de la fortune familiale, et au services des Médicis.
En 1491-92 il se rend à Séville comme agent commercial des Médicis ; il devient un ami de Christophe Colomb.
Du 16 mai 1499 au 8 septembre 1500, il participe à son premier voyage en Guyane, en Amazonie, puis en Orénoque. Il le racontera dans trois de ses récits.
Fin 1500 ou début 1501, Vespucci déménage à Lisbonne, à l’invitation du Roi du Portugal, ou pour fuir une vague de xénophobie en Castille ; il participe alors à un nouveau voyage, du 10 mai 1501 au 15 octobre 1502. Il le racontera dans le Mundus Nouus ;
Du 10 mai 1503 au 18 juin 1504, il participe peut-être à une expédition de Gonçalvo Coelho, mais il y a des doutes à ce sujet.
En février 1505, il est de retour à Séville, et se marie. Il publie alors Mundus Nouus et sa Lettre à Soderini, deux ouvrages qui lui valent un immense succès. Il travaille alors pour Ferdinand d’Aragon, régent de Castille (sa fille Jeanne La Folle étant hors d’état de régner). Vespucci est naturalisé castillan.
En 1508, la réunion de Burgos, à laquelle participent de nombreux navigateurs et cosmographes, décide de reprendre l’exploration du Nouveau Monde, et de chercher le passage du Sud. Vespucci est nommé « Pilote majeur de Castille » : il est censé enseigner le maniement du quadrant et de l’astrolabe, la cosmographie et le pilotage à l’École Navale de Séville – ce qui sera éprouvé comme une humiliation par les navigateurs castillans et andalous !
Il meurt en février 1512.
Les récits de voyage d’Amerigo Vespucci
Ils sont au nombre de 6, d’authenticité plus ou moins contestée.
- 1500 : Lettre à Pierfrancesco Médicis racontant son expédition castillane de 1499-1500 « avec deux caravelles » ; mais il donne peu de précisions toponymiques, et n’apporte aucun élément nouveau par rapport à ce qui était déjà connu.
- 1501 : Lettre du Cap-Vert, racontant son voyage portugais ; sa présence dans l’expédition est attestée par ailleurs. C’est de cette lettre que provient le détail des « voiles de jonc » chez Thomas More (p. 52).
- 1502 : Lettre de Lisbonne, qui continue la Lettre du Cap-Vert ; il y raconte sa découverte du Brésil, en particulier des Cannibales.
- 1504 : Mundus Nouus publié à Paris : il raconte les deux voyages précédents (expédition castillane et voyage portugais), et un troisième, des plus douteux, qui aurait eu lieu en 1497. Mais la rédaction est confuse, manifestement de plusieurs mains. Peut-être s’agit-il d’une compilation des œuvres précédentes ?
- Quelques fragments d’une lettre non datée, dans laquelle A. Vespucci se défend d’avoir inventé ses voyages.
- 1505 : Lettre de Florence, ou Lettera de Amerigo Vespucci delle isole nuovamente trovate in quatro suoi viaggi : cette lettre reprend les trois voyages du Mundus nouus et en ajoute un quatrième, postérieur, sous pavillon portugais…