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Prologue, v. 1-11
Arma uirumque cano, Troiae qui primus ab oris
Italiam, fato profugus, Lauiniaque uenit
litora, multum ille et terris iactatus et alto
ui superum saeuae memorem Iunonis ob iram ;
multa quoque et bello passus, dum conderet urbem,
inferretque deos Latio, genus unde Latinum,
Albanique patres, atque altae moenia Romae.
Musa, mihi causas memora, quo numine laeso,
quidue dolens, regina deum tot uoluere casus
insignem pietate uirum, tot adire labores
impulerit. Tantaene animis caelestibus irae?
Traduction
Je chante les armes et le héros qui le premier, des rivages de Troie, s’en vint, banni du sort, en Italie, aux côtes de Lavinium : longtemps il fut le jouet, et sur terre et sur mer, de la puissance des Dieux, qu’excitaient le ressentiment et le courroux de la cruelle Junon ; longtemps aussi il eut à souffrir les maux de la guerre, avant de fonder une ville et de transporter ses dieux dans le Latium : de là sont sortis la race Latine, les pères Albains et les remparts de la superbe Rome.
Muse, rappelle-moi les causes de ces événements, dis-moi pour quelle offense à sa divinité, pour quelle injure, la reine des dieux poussa un héros, insigne par sa piété, à courir tant de hasards, à affronter tant d’épreuves. Est-il tant de colère dans l’âme des dieux célestes ?
v. 34-91 : Junon déchaîne la tempête
Vix e conspectu Siculae telluris in altum
uela dabant laeti, et spumas salis aere ruebant,
cum Iuno, aeternum seruans sub pectore uolnus,
haec secum: « Mene incepto desistere uictam,
nec posse Italia Teucrorum auertere regem?
Quippe uetor fatis. Pallasne exurere classem
Argiuom atque ipsos potuit submergere ponto,
unius ob noxam et furias Aiacis Oilei?
Ipsa, Iouis rapidum iaculata e nubibus ignem,
disiecitque rates euertitque aequora uentis,
illum expirantem transfixo pectore flammas
turbine corripuit scopuloque infixit acuto.
Ast ego, quae diuom incedo regina, Iouisque
et soror et coniunx, una cum gente tot annos
bella gero! Et quisquam numen Iunonis adoret
praeterea, aut supplex aris imponet honorem?»
Talia flammato secum dea corde uolutans
nimborum in patriam, loca feta furentibus austris,
Aeoliam uenit. Hic uasto rex Aeolus antro
luctantes uentos tempestatesque sonoras
imperio premit ac uinclis et carcere frenat.
Illi indignantes magno cum murmure montis
circum claustra fremunt; celsa sedet Aeolus arce
sceptra tenens, mollitque animos et temperat iras.
Ni faciat, maria ac terras caelumque profundum
quippe ferant rapidi secum uerrantque per auras.
Sed pater omnipotens speluncis abdidit atris,
hoc metuens, molemque et montis insuper altos
imposuit, regemque dedit, qui foedere certo
et premere et laxas sciret dare iussus habenas.
Ad quem tum Iuno supplex his uocibus usa est :
«Aeole, namque tibi diuom pater atque hominum rex
et mulcere dedit fluctus et tollere uento,
gens inimica mihi Tyrrhenum nauigat aequor,
Ilium in Italiam portans uictosque Penates :
incute uim uentis submersasque obrue puppes,
aut age diuersos et disiice corpora ponto.
Sunt mihi bis septem praestanti corpore nymphae,
quarum quae forma pulcherrima Deiopea,
conubio iungam stabili propriamque dicabo,
omnis ut tecum meritis pro talibus annos
exigat, et pulchra faciat te prole parentem. »
Aeolus haec contra: « Tuus, O regina, quid optes
explorare labor ; mihi iussa capessere fas est.
Tu mihi, quodcumque hoc regni, tu sceptra Iouemque
concilias, tu das epulis accumbere diuom,
nimborumque facis tempestatumque otentem. »
Haec ubi dicta, cauum conuersa cuspide montem
impulit in latus: ac uenti, uelut agmine facto,
qua data porta, ruunt et terras turbine perflant.
Incubuere mari, totumque a sedibus imis
una Eurusque Notusque ruunt creberque procellis
Africus, et uastos uoluunt ad litora fluctus.
Insequitur clamorque uirum stridorque rudentum.
Eripiunt subito nubes caelumque diemque
Teucrorum ex oculis; ponto nox incubat atra.
Intonuere poli, et crebris micat ignibus aether,
praesentemque uiris intentant omnia mortem.
Traduction
A peine, perdant de vue la terre de Sicile, les Troyens faisaient-ils voile, joyeux, vers la haute mer, et, de l’airain de leurs proues, fendaient-ils les ondes écumantes, que Junon, qui gardait au fond de son cœur son éternelle blessure, se dit à elle-même : « Me faut-il donc, vaincue, renoncer à mon entreprise, sans pouvoir détourner de l’Italie le roi des Teucères ? Les destins me le défendent ! Pallas a bien pu brûler la flotte des Argiens et les engloutir dans la mer, pour châtier la faute et les fureurs du seul Ajax, fils d’Oïlée ! elle-même, lançant du haut des nues le feu rapide de Jupiter, dispersa leurs vaisseaux, bouleversa les flots à l’aide des vents, et, dans un tourbillon, enleva le coupable dont la poitrine transpersée vomissait des flammes et le cloua sur un roc aigu ! Et moi, la reine des dieux qui m’avance à leur tête, moi la sœur et la femme de Jupiter, je fais la guerre, depuis tant d’années, à un seul peuple ! Qui donc voudra désormais adorer la puissance divine de Junon et porter, suppliant, des vœux à ses autels
La déesse, roulant de telles pensées dans son cœur enflammé, arrive dans l’Éolie, la patrie des orages, lieux tout pleins de furieux autans. Là, dans un antre vaste, le roi Éole maîtrise les vents tumultueux et les bruyantes tempêtes, et les tient à l’attache, prisonniers. Eux, indignés, avec un mugissement qui emplit la montagne, se pressent en frémissant aux clôtures de l’enceinte. Assis au sommet du rocher, Éole, son sceptre en main, adoucit leur humeur et modère leur courroux. Sans lui, les vents emporteraient certainement dans leur course les mers, les terres et la voûte du ciel, et les balaieraient dans les airs. Mais, craignant ce danger, le Père tout-puissant les a enfermés dans de sombres cavernes, et a entassé sur leurs têtes une lourde masse de hautes montagnes ; et il leur a donné un roi qui, en vertu d’un pacte précis, sut, écoutant ses ordres, ou serrer ou lâcher les rênes.
C’est à lui que Junon suppliante s’adressa alors en ces termes : « Éole, (car c’est à toi que le père des dieux et le roi des hommes a donné le pouvoir d’apaiser les flots et de les soulever au moyen du vent), une race que je hais navigue sur la mer Tyrrhénienne, portant en Italie Ilion et ses Pénates vaincus : déchaîne la violence des vents, submerge et engloutis leurs poupes, ou disperse çà et là mes ennemis et couvre la mer de leurs corps épars. J’ai deux fois sept nymphes dont le corps est d’une beauté éclatante : la plus belle de toutes, Délopée, unie à toi par un hymen durable, sera ton bien propre, et je veux que, pour prix d’un tel service, elle passe avec toi toutes ces années et te rende père d’une belle postérité. »
Éole lui répondit : « A toi, reine, le soin d’examiner ce que tu souhaites ; à moi le devoir d’exécuter tes ordres. C’est de toi que je tiens tout mon pouvoir, et mon sceptre, et la faveur de Jupiter ; c’est toi qui me fais asseoir aux festins des dieux, et disposer en maître des orages et des tempêtes. »
Ayant dit, d’un revers de lance, il a frappé le flanc du mont caverneux ; et les vents, comme en un bataillon, se précipitent par l’issue qui leur est ouverte, et balaient la terre de leur trombe. D’un seul coup l’Eurus et le Notus, et l’Africus, fécond en tempêtes, se sont abattus sur la mer, la bouleversent toute dans ses profondeurs et roulent vers les rivages de vastes flots. Alors s’élèvent le cri des hommes et le sifflement des câbles. Soudain les nuages dérobent le ciel et le jour aux yeux des Teucères ; sur la mer une nuit sombre s’étend ; les cieux ont tonné, et l’éther brille de feux redoublés, et l’univers offre aux hommes le spectacle de la mort présente.
Traduction Maurice Rat, Garnier-Flammarion, 1965.