Compte-rendu de la rencontre entre François Bon et une classe de Première L , Lycée Montesquieu du Mans, 23 octobre 2002.
Le théâtre, contrairement à la littérature, ne s’inscrit pas dans une longue durée ; il relève de l’immédiat, et est à ce titre beaucoup plus risqué.
Il faut que les acteurs, face au texte, trouvent leur liberté. L’écriture part aussi du plateau, naît d’une pratique. Réunion une fois par mois avec les acteurs, et un brouillon du texte : ce sont les acteurs qui ont écrit le texte. Anne Kessler, par exemple, mimait les phrases, sa position dépendait de la musique de la phrase. Ce travail, suivi de discussions au bar « le Nemours », s’est étalé sur plus d’un an. Puis la pièce a été montée en 20 jours, un temps très court.
La situation évoquée ici est autobiographique ; elle restitue ce moment, ce temps d’attente, avant que l’on ferme le cercueil, moment de surintensité qui ne peut se traduire par le récit – sinon il y a autocensure.
La question est celle des rituels de mort : notre société ne sait pas quoi faire de ses morts ! Ex. d’un cimetière parisien traversé par les voitures, ou de l’urne, avec le nom du défunt gravé dessus, dont on ne sait que faire une fois les cendres répandues. Va-t-on la jeter ?
L’agressivité de Hirta a aussi un caractère autobiographique, dans la famille Bon : l’auteur a assisté au basculement d’un proche dans l’univers psychiatrique.
Le théâtre permet d’aborder ce sujet, parce que le texte est dit par un autre, par un acteur et non par l’auteur lui-même, ce qui met de la distance et permet de dépasser l’autocensure.
La langue utilisée est volontiers complexe, énigmatique. Comme en poésie, on ne peut déplacer les mots. La littérature est un autre univers, ou le langage se regarde lui-même. Le texte théâtral ressemble aux notes d’une partition musicale.
F. Bon se sent proche de Beckett (comme de Koltès) : on ne peut pas jouer le texte en s’appuyant d’abord sur le sens ; c’est le rythme qui donne le sens.
Cela peut aussi évoquer Le Bruit et la Fureur de Faulkner : un monologue auquel le lecteur, d’abord ne comprend rien.
Nombreuses allusions à la musique, qui est un univers familier pour l’auteur.
Quatre avec le mort
Monologue de Hirta, scène 5.
Un jour d’examen, il faudrait :
- rappeler la situation initiale : trois personnages sont venus veiller un mort (titre)
- moment très classique : temps bref, suspendu, très intense, où les personnages sont face à eux-mêmes.
Hirta est restée seule en scène ; Boreray et Dun sont auprès du mort. Elle laisse libre cours à sa rancune et à ses tourments.
Un monologue dans la grande tradition classique
Un personnage seul en scène doit rendre crédible le fait qu’il parle seul : par quels procédés ?
- Multiplicité des interlocuteurs fictifs : « tu m’entends ? » V. 8 : elle s’adresse à elle-même ; « vous », v. 10 : Dun et Boreray ; « vous » (v. 31) : le public, les gens qui assisteront à la cérémonie ; « tu » : Boreray ; « vous » : Dun et Boreray ; idem v. 50 ;
- multiplicité des discours et des voix : Hirta fait parler les autres par sa voix. V. 26-27 : les gens, v. 32 : Boreray, l. 43 : « tu es là » : voix des parents ? Et finalement le dialogue entre Dun et Boreray.
Monologue intérieur : usage du « on », qui représente tantôt un « nous », tantôt un « je » plus général.
Grande diversité des voix, des interlocuteurs, des rythmes ; monologue sinueux qui passe d’un sujet à l’autre, selon des associations d’idées : multiplicité des époques évoquées : présent, passé immédiat (les préparatifs de la cérémonie), passé plus lointain, enfance…
Tout cela donne l’impression d’un monologue peu cohérent, d’un grand trouble. S’achève sur « Moi j’ai faim » : rappel de mise en scène ; Hirta traduit sa douleur en mangeant constamment. Une manière à la fois pathétique et non-conformiste de traduire la souffrance ; elle ne peut pas pleurer comme Boreray ou Dun, c’est-à-dire selon les convenances (« qui n’a pas pleuré toi seule », scène 1)
Le malaise de Hirta
Se traduit par une grande agressivité à l’égard des autres : accumulation de rancunes, de douleurs ; sentiment d’exclusion : l. 1-3 ; métaphore de l’oiseau (elle oppose la petitesse des autres et son propre besoin de liberté. Plus tard son frère lui reprochera ses départs constants). Hirta s’est sentie trahie quand sa meilleure amie a épousé son frère ; et elle imagine une collusion entre eux contre elle. « Voisiner le mort vous fait moins mal que voisiner votre sœur »
Métaphore filée de l’oiseau, qui a « griffes et bec » : « l’ombre que je porte », « c’est à toi que tu fais mal », « l’oiseau qui vous mange »… Un personnage fragile, au bord de la folie, d’une extrême sensibilité.
Attention aux objets : la harpe, les odeurs de la maison, le carnet d’adresses plein de mystères ; c’est Hirta qui fait le plus revivre le mort. Dans la mise en scène de Charles Tordjmann, c’est elle aussi qui craque.
Dans la pièce, chaque personnage a droit à son monologue ; ici le personnage le plus tourmenté, le plus pathétique…