La poésie française au XXème siècle

La poésie française de 1898 à 1922

Les dates que nous choisissons vont de la mort de Mallarmé à Cravates de chanvre de Pierre Reverdy, c’est-à-dire de la fin du symbolisme aux débuts du Surréalisme.

Les deux grands mouvements qui s’étaient partagé l’hégémonie à la toute fin du XIXème siècle sont le symbolisme et le réalisme. Le second, existant essentiellement en prose, avait donné de grands romans (Flaubert, Maupassant, les Goncourt) et s’était vu dépassé par le naturalisme de Zola, sa « pointe extrême » ; quant au symbolisme, né avec Baudelaire et prolongé par Mallarmé ou d’autres, il connaissait une grave crise et une profonde remise en cause, au tout début du XXème siècle.

C’est une période généralement considérée comme assez confuse, qui voit naître (et mourir) de nombreux mouvements, est témoin de la révolution cubiste dans les arts plastiques, subit le traumatisme de la Première guerre mondiale ; elle compte de très grands poètes, comme Apollinaire et Reverdy.

1898-1905 : essoufflement du symbolisme.

Stéphane Mallarmé meurt en 1898 : c’est cette année-là que le jeune Guillaume Apollinaire, tout juste âgé de 18 ans, arrive à Paris. En ce tout début de 20ème siècle, le symbolisme a vieilli ; on reproche à Mallarmé et à ses disciples l’ésotérisme de leur écriture, son caractère artificiel et son éloignement du monde ordinaire… Les anciens symbolistes, tels que Moréas, Henri de Reignier, Kahn, Verhaeren, Maeterlinck, Saint-Pol Roux ou Rémy de Gourmont continuent certes d’être respectés et admirés, et les revues symbolistes, comme la Revue Blanche, Plume ou le Mercure de France existent encore ; mais le mouvement est en perte de vitesse.

Jean Moréas (1910)
domaine public

Il est contesté, notamment, par le naturisme – qui en l’occurrence n’a rien à voir avec le bronzage intégral sur les plages… – un mouvement littéraire qui prend le contre-pied du symbolisme. Celui-ci revendiquait une écriture compliquée, voire absconse, celui-là s’exprimera avec simplicité et clarté ; celui-ci se voulait élitiste et savant, celui-là prônera l’ingénuité, la sagesse des humbles ; celui-ci utilisait le vers libre, celui-là revient donc à une métrique traditionnelle. à cela s’ajoute l’humeur réactionnaire et nationaliste autour de l’affaire Dreyfus : or la plupart des symbolistes étaient d’origine étrangère, grecque pour Moréas, juive pour Kahn… Des poètes comme Paul Fort, Anna de Noailles ou Francis Jammes seront considérés comme proches du naturisme, sans jamais y avoir explicitement adhéré.

Au même moment apparaît un mouvement « néo-classique » qui prétend revenir, lui aussi, aux formes les plus classiques de la poésie d’avant Baudelaire. Mais aucun de ces mouvements ne parvient à s’imposer.

1905-1909 : renouveau du symbolisme

Vers 1905 renaît un mouvement symboliste, grâce notamment à la revue Vers et Prose créée par Paul Fort, puis, en 1907-1908, à la revue La Phalange, lancée par Jean Royère (1871-1956) ; Apollinaire y contribue, et lance, au même moment, une esthétique nouvelle, plus ou moins héritée cependant des recherches de Mallarmé : il publie Le Brasier, Les Fiançailles et Onirocritique. Il y revendique une esthétique de la discontinuité, héritée de Mallarmé, Rimbaud ou Corbière, à laquelle il ajoute le collage : l’insertion d’un corps étranger dans un contexte donné, et qui vient du cubisme.

1909-1911 : de nouveaux mouvements

L’unanimisme

Jules Romain (1927)

Ce mouvement se constitue autour d’un brillant jeune normalien, Jules Romains, et de Georges Duhamel ; se posant en héritier du futurisme, alors que le manifeste de Marinetti, publié en 1909, suscite de vives réactions, il rejette le primat de la forme, cher aux symbolistes, se réclame de Whitman et de Verhaeren, et renvoie à la « vieillerie poétique » tout ce qui n’est pas lui, en particulier les récentes publications d’Apollinaire… même si celui-ci se rapproche, un temps, de ce groupe. Mais l’unanimisme, par son caractère doctrinaire et la médiocrité de ses résultats poétiques, décourage aussi bien Salmon qu’Apollinaire, qui s’en éloignent.

Émergence de la Nouvelle Revue Française

André Gide en 1901 – dessin d’Henry Bataille. Domaine public

La NRF rassemble des auteurs tels que Valéry, Claudel, ou pour le théâtre, Copeau, autour d’André Gide ; organe de la bourgeoisie, la NRF, à la fois revue et maison d’édition, apparaît comme le lieu d’une littérature de qualité, mais conservatrice (elle refusera d’éditer Proust !). L’avant-garde poétique lui est totalement étrangère.

1912-1916 : la Modernité : Apollinaire, Cendrars, Jacob… et Reverdy

Guillaume Apollinaire

Alors que les mouvements précédemment nommés (l’unanimisme, la NRF) perdurent, et qu’entrent en scène les « fantaisistes » (Carco, Derème et quelques autres), émergent de nouvelles tendances, notamment grâce à la revue Les Soirées de Paris, lancée par Apollinaire ; en mars 1913, celui-ci fait paraître les Méditations esthétiques, les peintres cubistes dans lequel il célèbre la révolution initiée par ses amis Picasso, Braque ; il défend l’innovation dans tous les domaines. La même année, la publication d’Alcools fait de lui un poète reconnu.

Il pousse encore plus loin ses recherches en créant les Calligrammes: le premier, « Lettre-Océan », paraît en 1914.

Mais l’événement traumatique de la guerre va bouleverser le milieu littéraire ; Apollinaire s’engage, mais dès 1916 il est blessé et rentre à Paris. Engagé volontaire, il prend des positions nationalistes qui ne seront pas comprises de bon nombre de jeunes poètes.

De nouvelles voix apparaissent : celles d’André Breton, de Louis Aragon, de Tristan Tzara et du mouvement Dada (né à Zurich en 1916)…

1916-1922 : naissance d’un mouvement hégémonique, le Surréalisme.

André Breton en 1924

Ce grand mouvement, issu à la fois de Dada, et des recherches formelles des poètes d’avant-garde (le futurisme, Apollinaire, Cendrars, Jacob…), ne s’imposera totalement qu’en 1924, date de la création d’un « bureau d’études surréalistes » à Paris, et de la publication des Manifestes d’André Breton ; mais les Champs magnétiques de Philippe Soupault et André Breton, en écriture automatique, peuvent être considérés comme la première œuvre surréaliste.

Une révolution dont le nom avait été inventé par Apollinaire, dans un sens différent, et qui commettra à son égard un véritable parricide, dès sa mort !

Bibliographie

  • Anna Boschetti, La Poésie partout, Apollinaire, homme-époque, 1898-1918, Paris, Seuil, 2001, 345 p.
  • Michel Décaudin, La Crise des valeurs symbolistes, vingt ans de poésie française, 1895-1914, Paris, champion, 1960, 538 p. (réédité en 2013).