Les origines de Médée :
Composition de la pièce :
- Prologue (1-130) :
- monologue de la nourrice de Médée
- 49-96 : dialogue entre la nourrice et le précepteur des enfants
- 97-130 :Dialogue lyrique entre la nourrice et Médée, invisible
- Parodos (131-213) : entrée du chur de 15 Corinthiennes
- 1er épisode (214-409) :
- Médée et le chœur
- Créon et Médée
- Médée et le chœur
- 1er stasimon (401-445) : réhabilitation des femmes et évocation des perfidies de Jason
- 2ème épisode (446-626) : affrontement de Jason et Médée
- 2ème stasimon (627-662) : tristesse de l’exil
- 3ème épisode (663-823)
- Égée et Médée
- Médée seule puis avec le chœur
- 3ème stasimon (824-865) : éloge d’Athènes, crainte que Médée ne souille la cité
- 4ème épisode (866-975) : Médée et Jason
- 4ème stasimon (976-1001) : inquiétude pour la princesse menacée par Médée
- 5ème épisode (1002-1250) :
- Médée et le pédagogue
- Médée et ses enfants
- Réflexions du Choryphée
- Médée et le messager annonçant la mort de la princesse
- Monologue de Médée s’exhortant au meurtre de ses enfants
- Fin de la pièce et exodos (1251-1419) :
- Chant du chœur
- Arrivée de Jason
- Médée sur son char volant : dialogue avec Jason
- 1415-1419 : conclusion
Prologue
(ΤΡΟΦΟΣ) Εἴθ΄ ὤφελ΄ Ἀργοῦς μὴ διαπτάσθαι σκάφος Κόλχων ἐς αἶαν κυανέας Συμπληγάδας͵ μηδ΄ ἐν νάπαισι Πηλίου πεσεῖν ποτε τμηθεῖσα πεύκη͵ μηδ΄ ἐρετμῶσαι χέρας ἀνδρῶν ἀρίστων, οἳ τὸ πάγχρυσον δέρας Πελίᾳ μετῆλθον. οὐ γὰρ ἂν δέσποιν΄ ἐμὴ Μήδεια πύργους γῆς ἔπλευσ΄ Ἰωλκίας ἔρωτι θυμὸν ἐκπλαγεῖσ΄ Ἰάσονος· οὐδ΄ ἂν κτανεῖν πείσασα Πελιάδας κόρας πατέρα κατῴκει τήνδε γῆν Κορινθίαν ξὺν ἀνδρὶ καὶ τέκνοισιν͵ ἁνδάνουσα μὲν φυγῇ πολιτῶν ὧν ἀφίκετο χθόνα͵ αὐτή τε πάντα ξυμφέρουσ΄ Ἰάσονι· ἥπερ μεγίστη γίγνεται σωτηρία͵ ὅταν γυνὴ πρὸς ἄνδρα μὴ διχοστατῇ. νῦν δ΄ ἐχθρὰ πάντα͵ καὶ νοσεῖ τὰ φίλτατα. προδοὺς γὰρ αὑτοῦ τέκνα δεσπότιν τ΄ ἐμὴν γάμοις Ἰάσων βασιλικοῖς εὐνάζεται͵ γήμας Κρέοντος παῖδ΄͵ ὃς αἰσυμνᾷ χθονός· Μήδεια δ΄ ἡ δύστηνος ἠτιμασμένη βοᾷ μὲν ὅρκους͵ ἀνακαλεῖ δὲ δεξιάς͵ πίστιν μεγίστην͵ καὶ θεοὺς μαρτύρεται οἵας ἀμοιβῆς ἐξ Ἰάσονος κυρεῖ. κεῖται δ΄ ἄσιτος͵ σῶμ΄ ὑφεῖσ΄ ἀλγηδσι͵ τὸν πάντα συντήκουσα δακρύοις χρόνον͵ ἐπεὶ πρὸς ἀνδρὸς ᾔσθετ΄ ἠδικημένη͵ οὔτ΄ ὄμμ΄ ἐπαίρουσ΄ οὔτ΄ ἀπαλλάσσουσα γῆς πρόσωπον· ὡς δὲ πέτρος ἢ θαλάσσιος κλύδων ἀκούει νουθετουμένη φίλων· ἢν μή ποτε στρέψασα πάλλευκον δέρην αὐτὴ πρὸς αὑτὴν πατέρ΄ ἀποιμώξῃ φίλον καὶ γαῖαν οἴκους θ΄͵ οὓς προδοῦσ΄ ἀφίκετο μετ΄ ἀνδρὸς ὅς σφε νῦν ἀτιμάσας ἔχει. ἔγνωκε δ΄ ἡ τάλαινα συμφορᾶς ὕπο οἷον πατρῴας μὴ ἀπολείπεσθαι χθονός. στυγεῖ δὲ παῖδας οὐδ΄ ὁρῶσ΄ εὐφραίνεται. δέδοικα δ΄ αὐτὴν μή τι βουλεύσῃ νέον· βαρεῖα γὰρ φρήν͵ οὐδ΄ ἀνέξεται κακῶς πάσχουσ΄· ἐγᾦδα τήνδε͵ δειμαίνω τέ νιν μὴ θηκτὸν ὤσῃ φάσγανον δι΄ ἥπατος͵ σιγῇ δόμους εἰσβᾶσ΄͵ ἵν΄ ἔστρωται λέχος͵ ἢ καὶ τύραννον τόν τε γήμαντα κτάνῃ͵ κἄπειτα μείζω συμφορὰν λάβῃ τινά. δεινὴ γάρ· οὔτοι ῥᾳδίως γε συμβαλὼν ἔχθραν τις αὐτῇ καλλίνικον οἴσεται. ἀλλ΄ οἵδε παῖδες ἐκ τρόχων πεπαυμένοι στείχουσι͵ μητρὸς οὐδὲν ἐννοούμενοι κακῶν· νέα γὰρ φροντὶς οὐκ ἀλγεῖν φιλεῖ. |
Plût aux dieux que la carène de la nef Argo n’ait pas volé à travers les Symplégades bleu sombre vers la terre de Colchos, et que dans les vallons boisés du Pélion le pin coupé ne soit pas tombé, et n’ait pas armé de rames les mains des héros qui allèrent à la recherche de la Toison d’or pour Pélias. Ma maîtresse Médée n’aurait jamais navigué vers les tours de la terre d’Iolchos, frappée en son cœur d’amour pour Jason, et, n’ayant pas persuadé les filles de Pélias de tuer leur père, elle n’habiterait pas cette terre de Corinthe avec son mari et ses enfants, cherchant à plaire aux citoyens sur la terre desquels elle était arrivée dans sa fuite et cherchant à s’accorder en tout avec Jason ; ce qui est le plus grand salut, c’est chaque fois qu’une femme n’est pas en désaccord avec son mari ; mais maintenant tout lui est ennemi, et elle souffre dans ce qu’elle a de plus cher. En effet Jason, trahissant ses enfants et ma maîtresse, partage son lit en des mariages royaux, ayant épousé la fille de Créon, qui dirige ce pays. Médée la malheureuse, objet de son mépris, invoque dans ses cris les serments, rappelle le gage suprême des mains serrées, et prend à témoin les dieux de ce que Jason lui donne en retour. Elle gît sans manger, ayant abandonné son corps aux douleurs, consumant tous ses jours dans les larmes, depuis qu’elle s’est aperçue qu’elle est outragée par son mari, sans lever les yeux ni détourner son visage de la terre ; comme le rocher ou la vague marine, elle entend ses amis qui l’exhortent. Mais parfois, détournant son cou blanc elle déplore pour elle-même son cher père, sa terre et sa maison, qu’elle a trahis pour venir avec l’homme qui maintenant la méprise. La malheureuse reconnaît, sous l’effet du malheur, ce que c’est que de ne pas quitter la terre paternelle. Elle a horreur de ses enfants et ne se réjouit pas de les voir. Je crains qu’elle n’envisage quelque dessein terrible. Son esprit en effet est redoutable et elle ne supportera pas d’être maltraitée ; je la connais, je crains qu’elle ne se plante un poignard aiguisé dans le foie, après être entrée en silence dans la chambre pour s’étendre sur sa couche, ou qu’elle ne tue le tyran et son époux, et ensuite ne subisse quelque malheur plus grand. Car elle est terrible ! Celui qui aura encouru sa haine n’en sera pas vainqueur facilement. Mais voici qu’arrivent les enfants qui ont fini de courir ; ils ne se soucient nullement du malheur de leur mère. Un jeune esprit n’aime pas souffrir. |
Explications
- Εἴθ΄ ὤφελ΄ Ἀργοῦς μὴ διαπτάσθαι σκάφος / Κόλχων ἐς αἶαν κυανέας Συμπληγάδας͵ / μηδ΄ ἐν νάπαισι Πηλίου πεσεῖν ποτε / τμηθεῖσα πεύκη͵
μηδ΄ ἐρετμῶσαι χέρας / ἀνδρῶν ἀρίστων, οἳ τὸ πάγχρυσον δέρας / Πελίᾳ μετῆλθον :- Plût aux dieux que… Expression du regret. La nourrice se lance dans une analepse, sur le mode du regret, pour
rappeler au spectateur les grandes lignes de l’histoire de Médée, les bienfaits et les sacrifices qu’elle a consentis pour Jason ; - σκάφος Ἀργοῦς : la nef Argo, bien sûr, bateau divin et parlant…
- διαπτάσθαι (διὰ) Συμπληγάδας κυανέας : ne soit passée à travers les Symplégades bleues sombres (en poésie on ne répète pas
la préposition) ; ἐς Κόλχων αἷαν : vers la terre des Colchidiens, pays d’origine de Médée, où se trouvait précisément la
Toison d’or (τὸ πάγχρυσον δέρας).
- Plût aux dieux que… Expression du regret. La nourrice se lance dans une analepse, sur le mode du regret, pour
- οὐδ΄ ἂν κτανεῖν πείσασα Πελιάδας κόρας πατέρα : participe aoriste actif. C’est Médée qui a convaincu les filles de Pélias de
faire bouillir leur père, pour lui rendre sa jeunesse… Cette ruse atroce de Médée se trouve ici. - ἁνδάνουσα μὲν φυγῇ πολιτῶν ὧν ἀφίκετο χθόνα : «cherchant à plaire dans son exil aux citoyens sur la terre desquels elle
était arrivée». Attraction de l’antécédant au cas du relatif : on aurait dû avoir πολίταις. - ἥπερ μεγίστη γίγνεται σωτηρία͵ / ὅταν γυνὴ πρὸς ἄνδρα μὴ διχοστατῇ. Une sentence au présent, qui interrompt le discours ;
le relatif est au féminin singulier, (et non au neutre) par attraction avec l’attribut μεγίστη σωτηρία. - Προδούς : participe aoriste actif de προδίδωμι : trahir. Le thème de la trahison est récurrent : Jason a trahi sa femme et
ses propres enfants (v. 17), comme Médée a trahi son père et sa patrie (v. 32) - ἡ ἀμοιβή, ῆς : don en retour, contre-don. Par cette notion, le don oblige celui qui le reçoit à un contre-don équivalent ;
or ici Jason trahit son devoir, en ne donnant rien à Médée, ou plutôt en lui ôtant ce qu’il lui avait donné : dans cette économie,
Médée lui réserve à son tour un contre-don terrible… - νουθετουμένη φίλων : participe passif féminin, dont l’agent est φίλων (sans préposition) : elle entend (elle-même) exhortée
par ses amis… Elle entend « comme un rocher ou la vague marine » : c’est-à-dire qu’elle est sourde ! - Elle déteste ses enfants… Magnifique exemple d’ironie tragique : la nourrice constate cette répulsion, ainsi que l’indifférence
cruelle des enfants, mais elle est incapable d’en tirer les conséquences logiques ; elle n’envisage même pas qu’une mère puisse s’en
prendre à ses propres enfants ! - Les vers 40-43 seraient interpolés ; mais si on interprète les v. 40-41 comme dirigés contre elle-même, le texte est logique :
la nourrice envisage les actes plausibles de Médée, du suicide au meurtre de son mari, et du père de sa rivale… - οὔτοι ῥᾳδίως γε συμβαλὼν / ἔχθραν τις αὐτῇ καλλίνικον οἴσεται : συμβαλών τις ἔχθραν = quelqu’un ayant encouru sa haine ;
οὔτοι ῥᾳδίως αὐτῇ καλλίνικον οἴσεται = ne remportera pas facilement sur elle la palme victorieuse.