Les Métamorphoses sont un long poème de 15 livres.
Livre II | ||||
Livre VIII | Livre X | |||
Livre XV |
Livre II
Zeus et Europe (v. 846-875)
Non bene conueniunt nec in una sede morantur
maiestas et amor ; sceptri grauitate relicta
ille pater rectorque deum, cui dextra trisulcis
ignibus armata est, qui nutu concutit orbem,
induitur faciem tauri mixtusque iuuencis
mugit et in teneris formosus obambulat herbis.
Quippe color niuis est, quam nec uestigia duri
calcauere pedis nec soluit aquaticus Auster.
Colla toris exstant, armis palearia pendent,
cornua uara quidem, sed quae contendere possis
facta manu, puraque magis perlucida gemma.
Nullae in fronte minae, nec formidabile lumen :
pacem uultus habet. miratur Agenore nata,
quod tam formosus, quod proelia nulla minetur ;
sed quamuis mitem metuit contingere primo,
mox adit et flores ad candida porrigit ora.
Gaudet amans et, dum ueniat sperata uoluptas,
oscula dat manibus ; uix iam, uix cetera differt ;
et nunc adludit uiridique exsultat in herba,
nunc latus in fuluis niueum deponit harenis ;
paulatimque metu dempto modo pectora praebet
uirginea plaudenda manu, modo cornua sertis
inpedienda nouis ; ausa est quoque regia uirgo
nescia, quem premeret, tergo considere tauri,
cum deus a terra siccoque a litore sensim
falsa pedum primis uestigia ponit in undis ;
inde abit ulterius mediique per aequora ponti
fert praedam : pauet haec litusque ablata relictum
respicit et dextra cornum tenet, altera dorso
inposita est ; tremulae sinuantur flamine uestes.
Traduction
La majesté et l’amour ne s’accordent guère et ne peuvent demeurer en un même lieu ; ayant abandonné le poids du sceptre, ce père et souverain des dieux, dont la main droite est armée du triple foudre de feu, qui d’un signe de tête ébranle le monde, revêt l’apparence d’un taureau, et mêlé aux bêtes il mugit, et, splendide, se promène parmi les herbes tendres. Assurément sa couleur est celle de la neige, que ne foulèrent pas les traces d’un pied rude, ni ne fit fondre l’humide Auster. Son cou se dresse, grâce à ses muscles saillants, son fanon pend sur ses flancs ; ses cornes sont recourbées, mais on pourrait les croire façonnées à la main, et plus brillantes que les gemmes pures. Nulles menaces sur son front, ni regard redoutable : son visage porte la paix. La fille d’Agénor l’admire, car il est si beau, et qu’il ne la menace de nul combat ; mais bien qu’il soit doux, elle craint d’abord de le toucher ; bientôt elle s’approche et offre des fleurs à sa blanche bouche. Amoureux il se réjouit, et en attendant que vienne le plaisir espéré, il donne des baisers à ses mains ; à grand peine, désormais, à grand peine il diffère tout le reste ; et tantôt il joue et bondit dans l’herbe verte, tantôt il couche son flanc de neige sur les sables blonds ; et peu à peu, la peur vaincue, tantôt il lui offre sa poitrine à frapper de sa main virginale, tantôt ses cornes à entourer de nouvelles guirlandes. Elle osa même, la jeune princesse ignorante, s’asseoir sur le dos du taureau afin de l’étreindre, alors que le dieu, s’éloignant insensiblement de la terre et du sec rivage pose dans les ondes du bord les pas trompeurs de ses pieds ; puis il s’éloigne un peu plus et à travers les flots de la pleine mer il emporte sa proie. Celle-ci, effrayée, emportée, regarde en arrière le rivage abandonné, et tient de sa main droite la corne ; l’autre est posée sur le dos du taureau ; les vêtements de la jeune fille tremblante flottent au vent.
Commentaire
- trisulcis ignibus : des feux aux triples pointes, du triple foudre
- Colla toris exstant : torus désigne ici des muscles saillants ; « son cou se dresse grâce à des muscles saillants »
- palearia, -ium : fanon, premier estomac des ruminants ; palearia armis pendent = « son fanon pend sur ses flancs »
- facta manu, puraque magis perlucida gemma : ce vers peut paraître énigmatique, mais il suffit de le scander. C’est un hexamètre dactylique classique à coupe trihémimère :
fāctă mă/nū,// pū/rāquĕ mă/gīs pēr/lūcĭdă /gēmmā
On voit donc que « facta » et « perlucida » se rapportent à « cornua », et « pura », à l’ablatif, à « gemma ». On traduira donc « faites à la main, et plus translucides que la gemme pure. »
- minor aliquid alicui : menacer quelqu’un de quelque chose
- Les vers 866-867 ont aussi une construction ambiguë, que la scansion permet d’éclairer :
paūlā/tīmquĕ mĕ/tū dēmp/tō // mŏdŏ/ pēctŏră/ praēbēt
uīrgĭnĕ/ā plaū/dēndă mă/nū, // mŏdŏ/ cōrnŭă/ sērtīs
Ce sont deux hexamètres à coupe hephthémimères ; on voit que « plaudenda » se rapporte à « pectora » (une poitrine à frapper), et « uirginea » à « manu » (d’une main virginale). - cornum est une variante de cornu : la corne
- tremulae peut être compris soit comme un nominatif pluriel, épithète de « uestes », soit comme un génitif singulier, épithète d’un nom, « uirgo » ou « puella », sous-entendu.
Livre VIII
Philémon et Baucis (VIII, 611-724)
Traduction :
Achéloüs se tait. Le récit qu’il achève a frappé tous les convives. Seul, superbe en ses discours, plein envers les dieux d’un mépris téméraire, le fils d’Ixion raille leur foi crédule : « Ce sont, dit-il, des fables vaines que vous nous racontez. Achéloüs, vous supposez aux dieux trop de pouvoir, si vous croyez qu’il dépend d’eux de changer les corps, et de leur donner des formes merveilleuses ».
[616] Tous les convives s’étonnent. Ils condamnent ce discours impie; et le sage Lélex, dont l’âge a mûri la raison, prenant la parole : « La puissance des dieux est, dit-il, immense, infinie; et tout ce qu’ils désirent est soudain accompli. Pour vous en convaincre, écoutez : On trouve sur les monts de Phrygie un tilleul à côté d’un vieux chêne, dans un enclos qu’enferme un mur léger. J’ai vu moi-même ce lieu sacré; car Pitthée autrefois m’envoya dans les champs de Phrygie, où régnait son frère Pélops. Non loin de là est un vaste marais, jadis terre peuplée de nombreux habitants, aujourd’hui retraite des plongeons et des oiseaux des marécages.
« Jupiter, sous les traits d’un mortel, et le dieu du caducée qui avait quitté ses ailes, voulurent un jour visiter ces lieux. Ils frappent à mille portes, demandant partout l’hospitalité; et partout l’hospitalité leur est refusée. Une seule maison leur offre un asile. C’était une cabane, humble assemblage de chaume et de roseaux. Là, Philémon et la pieuse Baucis, unis par un chaste hymen, ont vu s’écouler leurs beaux jours; là, ils ont vieilli ensemble, supportant la pauvreté, et par leurs tendres soins la rendant plus douce et plus légère. Il ne faut chercher dans cette cabane, ni serviteurs, ni maîtres : les deux époux commandent, obéissent, et seuls composent leur ménage champêtre.
[637] « Les dieux, en courbant la tête sous la porte, sont à peine entrés dans la cabane, le vieillard les invite à s’asseoir sur un banc rustique que Baucis s’empresse de couvrir d’une étoffe grossière. Sa main écarte ensuite les cendres tièdes du foyer; elle ranime les charbons qu’elle a couverts la veille; elle nourrit le feu d’écorces, de feuillages; d’un souffle pénible excite la flamme, rassemble des éclats de chêne, détache du toit d’arides rameaux, les rompt, les arrange sous un vase d’airain, et prépare les légumes que son époux a cueillis dans son petit jardin. En même temps Philémon saisit une fourche à deux dents, enlève le vieux lard qui pend au plancher enfumé, en coupe une parcelle, et la plonge dans le vase bouillant.
« Cependant ils amusent leurs hôtes par différents discours, cherchant à tromper l’ennui du temps qui s’écoule pendant ces longs apprêts. Un bassin de hêtre était suspendu par son anse à un vieux poteau. Philémon le remplit d’une eau tiède, et lave les pieds des deux voyageurs. Au milieu de la cabane est un lit aux pieds de saule, couvert d’une natte de jonc. Les deux époux étendent sur ce meuble antique un tapis qui ne sert qu’aux jours de fête; il est tout usé, grossièrement tissu, digne ornement de ce lit champêtre.
[660] « Les dieux daignent s’y placer. Baucis, la robe retroussée, dresse d’une main tremblante la table qui chancelle sur trois pieds inégaux; des débris d’un vase elle étaie sa pente; elle l’essuie, la frotte de menthe, et sert ensuite, dans des vases d’argile, des olives, des cormes confites dans du vin mousseux, des laitues, des racines, du lait caillé, des œufs cuits sous la cendre. Elle apporte un grand vase de terre et des tasses de hêtre, qu’une cire jaune a polies.
« Bientôt après arrive le potage bouillant, et avec lui le vin de la dernière automne. À ce premier service succède le second. Il est composé de noix, de figues sèches, de dattes ridées. On voit dans des corbeilles la prune, et la pomme vermeille, et le raisin nouvellement cueilli; enfin un rayon d’un miel savoureux couronne le banquet. Les dieux sont surtout satisfaits de l’accueil simple et vrai qu’il reçoivent. Les deux époux sont pauvres, mais leur cœur ne l’est pas.
Cependant, ils s’aperçoivent que plus le vin remplit la coupe, moins le vase qui le contient paraît se vider. Étonnés de ce prodige, saisis d’effroi, le timide Philémon et Baucis, joignant leurs mains suppliantes, les tendent à leurs hôtes, et les prient d’excuser leur repas champêtre et ses modiques apprêts.
[684] « Il leur restait une oie, gardienne de leur cabane. Ils se disposaient à l’égorger pour la servir aux dieux. Mais cet animal domestique, aidant de son aile la rapidité de sa fuite, fatigue leurs pas que l’âge a rendus trop pesants, et longtemps évite leurs tremblantes mains. Enfin il se réfugie aux pieds des immortels, qui défendent de le tuer : « Nous sommes des dieux, disent-ils; vos voisins impies recevront le châtiment qu’ils ont mérité. Vous seuls serez épargnés. Quittez cette cabane, suivez-nous, et sur cette montagne voisine prenez votre chemin ». Ils obéissent; et à l’aide d’un bâton qui soutient leur corps chancelant sous le poids des années, avec effort ils gravissent du mont escarpé la pente difficile.
« Le jet d’une flèche eût mesuré l’espace qui les sépare encore du sommet : ils s’arrêtent, se retournent; ô prodige ! tout était submergé. Leur cabane seule subsistait au milieu du marais.
[698] « Tandis qu’ils s’étonnent, déplorant le sort funeste de leurs voisins, cette chaumière antique et pauvre, pour deux maîtres trop étroite, est un temple. Les vieux troncs qui la soutiennent sont changés en colonnes; le chaume qui la couvre jaunit; la surface du sol devient marbre; le toit est d’or, et la porte d’airain : « Sage vieillard, et vous, femme d’un si pieux époux, leur dit alors avec bonté le maître du tonnerre, parlez, quels sont vos vœux » ? Philémon confère un moment avec Baucis, et reporte aux Dieux, en ces termes, le souhait qu’ils ont formé : « Souffrez que nous soyons les prêtres de ce temple; faites que nos destins, depuis si longtemps unis, se terminent ensemble; que je ne voie jamais, le tombeau de Baucis ! que Philémon ne soit jamais enseveli par elle ! »
[711] « Leurs vœux sont exaucés. La garde du temple leur fut confiée, et tant qu’ils respirèrent ils desservirent ses autels. Un jour que, courbés sous le poids des ans, ils étaient assis sur les marches du temple, et qu’ils s’entretenaient des prodiges dont ils furent témoins, Baucis voit Philémon se couvrir de feuillage; Philémon voit s’ombrager la tête de Baucis; tandis que l’écorce s’étend et les embrasse, ils se parlent, se répondent encore : « Adieu, cher époux ! Adieu, chère épouse ! » Et l’écorce monte, les couvre, et leur ferme la voix. Le pâtre de Phrygie montre encore au voyageur les deux troncs voisins qui renferment leurs corps. De sages vieillards m’ont conté cette aventure; ils n’avaient aucun intérêt à tromper; j’ai dû les croire. J’ai vu des festons de fleurs pendre à ces arbres et les entrelacer; je les ai moi-même ornés de guirlandes nouvelles, et j’ai dit : « La piété des mortels est agréable aux dieux, et celui qui les honore mérite d’être honoré à son tour ».