Livre II
L’Éducation spartiate
Τῶν μὲν τοίνυν ἄλλων Ἑλλήνων οἱ φάσκοντες κάλλιστα τοὺς υἱεῖς παιδεύειν, ἐπειδὰν τάχιστα αὐτοῖς οἱ παῖδες τὰ λεγόμενα ξυνιῶσιν, εὐθὺς μὲν ἐπ᾽ αὐτοῖς παιδαγωγοὺς θεράποντας ἐφιστᾶσιν, εὐθὺς δὲ πέμπουσιν εἰς διδασκάλων μαθησομένους καὶ γράμματα καὶ μουσικὴν καὶ τὰ ἐν παλαίστρᾳ. Πρὸς δὲ τούτοις τῶν παίδων πόδας μὲν ὑποδήμασιν ἁπαλύνουσι, σώματα δὲ ἱματίων μεταβολαῖς διαθρύπτουσι· σίτου γε μὴν αὐτοῖς γαστέρα μέτρον νομίζουσιν. [2.2] ὁ δὲ Λυκοῦργος, ἀντὶ μὲν τοῦ ἰδίᾳ ἕκαστον παιδαγωγοὺς δούλους ἐφιστάναι, ἄνδρα ἐπέστησε κρατεῖν αὐτῶν ἐξ ὧνπερ αἱ μέγισται ἀρχαὶ καθίστανται, ὃς δὴ καὶ παιδονόμος καλεῖται. Τοῦτον δὲ κύριον ἐποίησε καὶ ἁθροίζειν τοὺς παῖδας καὶ ἐπισκοποῦντα, εἴ τις ῥαιδιουργοίη, ἰσχυρῶς κολάζειν. Ἔδωκε δ᾽ αὐτῷ καὶ τῶν ἡβώντων μαστιγοφόρους, ὅπως τιμωροῖεν ὅτε δέοι· ὥστε πολλὴν μὲν αἰδῶ, πολλὴν δὲ πειθὼ ἐκεῖ συμπαρεῖναι. [2.3] Ἀντί γε μὴν τοῦ ἁπαλύνειν τοὺς πόδας ὑποδήμασιν ἔταξεν ἀνυποδησίαι κρατύνειν[…]. [2.4] Καὶ ἀντί γε τοῦ ἱματίοις διαθρύπτεσθαι ἐνόμιζεν ἑνὶ ἱματίῳ δι᾽ ἔτους προσεθίζεσθαι, νομίζων οὕτως καὶ πρὸς ψύχη καὶ πρὸς θάλπη ἄμεινον ἂν παρεσκευάσθαι. [2.5] Σῖτόν γε μὴν ἔταξε τοσοῦτον ἔχοντα συμβολεύειν τὸν εἴρενα, ὡς ὑπὸ πλησμονῆς μὲν μήποτε βαρύνεσθαι, τοῦ δὲ ἐνδεεστέρως διάγειν μὴ ἀπείρως ἔχειν, νομίζων τοὺς οὕτω παιδευομένους μᾶλλον μὲν ἂν δύνασθαι, εἰ δεήσειεν, ἀσιτήσαντας ἐπιπονῆσαι, μᾶλλον δ᾽ ἄν, εἰ παραγγελθείη, ἀπὸ τοῦ αὐτοῦ σίτου πλείω χρόνον ἐπιταθῆναι. […] [2.6] Ὡς δὲ μὴ ὑπὸ λιμοῦ ἄγαν αὖ πιέζοιντο, ἀπραγμόνως μὲν αὐτοῖς οὐκ ἔδωκε λαμβάνειν ὧν ἂν προσδέωνται, κλέπτειν δ᾽ ἐφῆκεν ἔστιν ἃ τῷ λιμῷ ἐπικουροῦντας. [2.7] Καὶ ὡς μὲν οὐκ ἀπορῶν ὃ τι δοίη ἐφῆκεν αὐτοῖς γε μηχανᾶσθαι τὴν τροφήν, οὐδένα οἶμαι τοῦτο ἀγνοεῖν· δῆλον δ᾽ ὅτι τὸν μέλλοντα κλωπεύειν καὶ νυκτὸς ἀγρυπνεῖν δεῖ καὶ μεθ᾽ ἡμέραν ἀπατᾶν καὶ ἐνεδρεύειν, καὶ κατασκόπους δὲ ἑτοιμάζειν τὸν μέλλοντά τι λήψεσθαι. Ταῦτα οὖν δὴ πάντα δηλονότι μηχανικωτέρους τῶν ἐπιτηδείων βουλόμενος τοὺς παῖδας ποιεῖν καὶ πολεμικωτέρους οὕτως ἐπαίδευσεν. [2.8] Εἴποι δ᾽ ἂν οὖν τις· τί δῆτα, εἴπερ τὸ κλέπτειν ἀγαθὸν ἐνόμιζε, πολλὰς πληγὰς ἐπέβαλε τῷ ἁλισκομένῳ ; ὅτι, φημὶ ἐγώ, καὶ τἆλλα, ὅσα ἄνθρωποι διδάσκουσι, κολάζουσι τὸν μὴ καλῶς ὑπηρετοῦντα. Κἀκεῖνοι οὖν τοὺς ἁλισκομένους ὡς κακῶς κλέπτοντας τιμωροῦνται.
Xénophon, La République des Lacédémoniens, II, 1-8
Quelques éclaircissements
- ἐφίστημι a le sens d’ « instaurer », « instituer » ; ainsi, dans la première phrase, ἐπ᾽ αὐτοῖς παιδαγωγοὺς θεράποντας ἐφιστᾶσιν, « ils placent (installent, instituent) des serviteurs auprès d’eux, comme pédagogues ».
- Dans la phrase ἀντὶ μὲν τοῦ ἰδίᾳ ἕκαστον παιδαγωγοὺς δούλους ἐφιστάναι, l’article sert à substantiver l’infinitive ἕκαστον… ἐφιστάναι : « à la place du fait que chacun en particulier (ἰδίᾳ ἕκαστον) nomme (ἐφιστάναι) des esclaves (δούλους) pédagogues (παιδαγωγοὺς)…
On a la même construction plusieurs fois :- Ἀντί γε μὴν τοῦ ἁπαλύνειν τοὺς πόδας ὑποδήμασιν : au lieu de leur amollir les pieds avec des sandales…
- ἀντί γε τοῦ ἱματίοις διαθρύπτεσθαι : au lieu de les efféminer avec des vêtements…
- δέοι est l’optatif de δεῖ ; c’est un optatif oblique dans un contexte au passé. (afin qu’ils les punissent quand il le faut).
- Σῖτόν γε μὴν ἔταξε τοσοῦτον ἔχοντα συμβολεύειν τὸν εἴρενα ὡς ὑπὸ πλησμονῆς μὲν μήποτε βαρύνεσθαι, τοῦ δὲ ἐνδεεστέρως διάγειν μὴ ἀπείρως ἔχειν :
- Σῖτόν γε μὴν ἔταξε τοσοῦτον ἔχοντα συμβολεύειν τὸν εἴρενα : il établit (ἔταξε) que l’irène ayant la nourriture (τὸν εἴρενα… σῖτον ἔχοντα) la distribue en quantité telle (τοσοῦτον συμβολεύειν) qu’ils ne soient jamais alourdis par la satiété (ὡς ὑπὸ πλησμονῆς μὲν μήποτε βαρύνεσθαι), et qu’ils ne soient pas sans expérience (μὴ ἀπείρως ἔχειν) du fait de vivre avec le manque (τοῦ δὲ ἐνδεεστέρως διάγειν – encore un infinitif substantivé !)
NB : un « irène » est un jeune homme de 20 ans, qui, ayant achevé son éducation, exerçait son autorité sur les enfants plus jeunes.
- Σῖτόν γε μὴν ἔταξε τοσοῦτον ἔχοντα συμβολεύειν τὸν εἴρενα : il établit (ἔταξε) que l’irène ayant la nourriture (τὸν εἴρενα… σῖτον ἔχοντα) la distribue en quantité telle (τοσοῦτον συμβολεύειν) qu’ils ne soient jamais alourdis par la satiété (ὡς ὑπὸ πλησμονῆς μὲν μήποτε βαρύνεσθαι), et qu’ils ne soient pas sans expérience (μὴ ἀπείρως ἔχειν) du fait de vivre avec le manque (τοῦ δὲ ἐνδεεστέρως διάγειν – encore un infinitif substantivé !)
- [6] ὡς μὴ… πέζοιντο : afin qu’ils ne soient pas accablés. Il s’agit de l’expression du but (ὡς + subjonctif), mais ici avec un optatif oblique dans un contexte passé.
- [7] ὡς μὲν οὐκ ἀπορῶν : mot à mot « en tant que non embarrassé ». d’où : « ce n’est pas parce qu’il était embarrassé »…
- Enfin, dans la phrase τἆλλα, ὅσα ἄνθρωποι διδάσκουσι, ὅσα est un relatif dont l’antécédent est τἆλλα (= τὰ ἄλλα) : « les autres disciplines, toutes celles qu’enseignent les hommes… »
Traduction
Ceux parmi les Grecs, donc, qui prétendent éduquer le mieux leurs fils, dès que leurs enfants comprennent ce qu’on leur dit, aussitôt ils placent au-dessus d’eux des serviteurs comme pédagogues, aussitôt ils les envoient chez des maîtres d’école pour apprendre les lettres, la musique et les jeux de la palestre. En outre, ils amollissent les pieds de leurs enfants avec des sandales, et ils rendent leurs corps efféminés en changeant leurs vêtements ; ils considèrent par ailleurs leur estomac comme la mesure de leur faim. Lycurgue, lui, au lieu que chacun en privé, attribue [aux enfants] des esclaves comme pédagogues, institua pour les commander un homme pris parmi les citoyens que l’on revêt des plus hautes magistratures, qui est appelé le « pédonome ». Il le rendit maître de rassembler les enfants et, les surveillant, si l’un d’eux était négligent, de le châtier fortement. Il lui donna des porteurs de fouet parmi les jeunes gens, afin qu’ils les punissent quand il le fallait ; de sorte qu’il y ait là beaucoup de respect et beaucoup d’obéissance. Au lieu d’amollir les pieds avec des sandales, il prescrivit de les endurcir en allant pieds nus […] et au lieu de les efféminer avec des vêtements, il établit l’usage qu’ils s’habituent à un seul vêtement tout au long de l’année, pensant qu’ainsi ils seraient mieux préparés et au froid et à la chaleur. Il a d’autre part prescrit que l’irène ne distribue qu’une quantité de nourriture telle qu’ils ne soient jamais alourdis par la satiété, mais qu’ils ne soient pas sans l’expérience de rester sur leur faim, pensant que des gens ainsi éduqués seraient davantage capables, s’il en était besoin, de continuer à peiner sans manger, et qu’ils pourraient davantage, s’ils en recevaient l’ordre, de tenir plus longtemps sans cette même nourriture […] Cependant, pour qu’ils ne soient pas trop accablés par la faim, il ne leur permit pas de prendre sans peine ce dont ils avaient besoin en plus, mais il leur permit de voler certaines choses pour se défendre contre la faim. Et ce n’était pas parce qu’il ne savait pas que leur donner qu’il leur permit de se débrouiller pour se procurer de la nourriture, je pense que personne ne l’ignore. Il est évident que celui qui va voler doit veiller la nuit, ruser pendant le jour et se mettre en embuscade, et que celui qui est décidé à prendre quelque chose dispose des guetteurs. Il leur enseigna tout cela, évidemment, en voulant les rendre plus aptes à se procurer le nécessaire, et meilleurs soldats. On pourrait me dire : s’il pensait que voler était bien, pourquoi a-t-il roué de coups celui qui se faisait prendre ? parce que, je l’affirme, dans toutes les disciplines que les hommes enseignent, ils punissent celui qui obéit mal. Et eux punissent ceux qui se font prendre parce qu’ils sont de mauvais voleurs.