NB : les références sont issues du n°2000 de la collection Folio (Gallimard)
QCM sur le Chercheur d'Or | Maurice et Rodrigues dans le roman : géographie et société |
Réalisme et effets de réel | |
Un roman historique ? (voir la guerre 14-18) : | La temporalité dans le roman |
Les personnages féminins : Mam', Laure, Ouma | La description dans le roman : |
La quête du bonheur dans le roman : voir cours pour les CPGE scientifiques | Le Chercheur d'or et l'Île
au trésor : le roman d'aventure (voir un site
consacré à ce genre)
L'aventure dans le roman :
|
Voir l'introduction
L'enfoncement du Boucan, lieu d'enfance d'Alexis, est imaginaire, mais on pourrait le situer au Sud-ouest de l'île. Il est fait allusion notamment à des lieux réels : la rivière Tamarin, la Grande rivière noire, la ville même de Tamarin où se trouve la sucrerie. L'île aux bénitiers, où Alexis fait sa première promenade en mer. Et bien sûr aussi Port Louis, la capitale de l'île, où se trouvent les bureaux de l'oncle Ludovic.
L'archipel des Mascareignes, où le Zéta navigue longuement, est aussi exactement décrit ; toutes les îles mentionnées existent (Agalaga, St Brandon...)
Enfin, Rodrigues est décrit avec exactitude ; l'Anse aux Anglais existe réellement.
Pour des lecteurs de métropole, l'effet produit est à la fois un effet de distance, d'exotisme (bizarrerie des noms, éloignement...) qui évoque l'exotisme du 19ème siècle (Baudelaire...), et un effet de réel. Des lieux imaginaires sont décrits avec un luxe de détail (L'Enfoncement du Boucan), tandis que des lieux réels apparaissent légendaires, presque magiques (St Brandon) ==> effet de brouillage.
La société mauricienne : très hiérarchisée, parfois brutale.
Les planteurs de canne à sucre : un monde proche de l'esclavage
Avec ses grands propriétaires, possédant de vastes domaines, qu'ils cherchent à tout prix à agrandir encore (cf. l'oncle Ludovic, qui veut s'emparer des terres de son frère), possédant des "chassés" c'est à dire des réserves de chasse, et envoyant leurs enfants étudier au collège royal;
les "sirdars" ou contremaîtres, extrêmement brutaux à l'égard des pauvres, et obséquieux envers leurs maîtres
les "gunnys" (vêtements ; puis désigne ceux qui les portent) : souvent d'origine indienne, font les travaux les plus durs, hommes et femmes, dans les champs de cannes ou les sucreries.
Un monde bouillonnant, toujours proche de l'émeute : p. 66-68, un "field manager" (au-dessus d'un "sirdar") est jeté vivant dans une chaudière peu avant le cyclone. Puis, p. 314-315, Laure raconte à son frère une révolte avortée : une foule avait attendu les "patrons" blancs qui débarquent chaque jour du train à Port-Louis ; mais, prévenus, ils n'étaient pas venus, et la police avait réglé l'affaire... Puis, nouvelle émeute, p. 350 ; enfin, tous les réfugiés venus à Maurice après les famines et les dévastations de la guerre sont parqués dans des camps, et finalement expulsés - et Ouma parmi eux (p. 369).
Le souvenir de
l'esclavage, et des révoltes d'esclaves : les "manafs" de
Rodrigues sont d'anciens "nègres marrons" (on appelait ainsi
les esclaves en fuites, ou révoltés). Et Mananava garde le souvenir du
"Grand Sacalavou", chef d'esclaves révoltés qui s'y
réfugièrent, avant d'être encerclés et détruits.
La famille L'Etang - en tous cas le père et la mère du narrateur - ne sont guère adaptés à cette société : ils sont blancs, possèdent eux-mêmes quelques serviteurs noirs (Cook et son petit-fils Denis) ; mais, ruinés, ils n'appartiennent pas au monde des grands propriétaires ; le père sera victime de mauvaises affaires, des banques, mais aussi de la rapacité de l'oncle Ludovic, qui convoite ses terres pour agrandir ses propres plantations, et fera d'ailleurs raser la maison.
Leur pauvreté les exclut : ils vivent à l'écart à Forest Side, Alexis ne se fait pas d'amis à la pension, ni au bureau où il travaille. Un temps, il sera la coqueluche du "beau monde" à son retour de guerre ; mais la révélation de la réalité de la guerre écarte bientôt tous les hypocrites.
De la part des "riches", les pauvres n'ont à attendre qu'un insondable mépris.
Sur Rodrigues, voir également ici (géographie, texte d'Ananda Dévi)
Si l'Anse aux Anglais peut apparaître comme ayant les caractéristiques de l'utopie Le clézienne (endroit isolé comme une île, à l'écart de toute civilisation, et des hommes en général ; seuls y viennent quelques individus privilégiés : Fritz Castel, Ouma, et le narrateur lui-même), l'île dans son ensemble ressemble beaucoup à Maurice. Le Clézio ne paraît d'ailleurs pas vraiment les distinguer, à l'inverse d'Ananda Devi.
Rodrigues est d'abord présente par sa géographie (p. 189 : "Depuis des semaines, des mois, j'ai parcouru Rodrigues, depuis le sud où s'ouvre l'autre passe, devant l'île Gombrani, jusqu'au chaos de laves noires de la baie Malgache, au nord, en passant par les hautes montagnes du centre de l'île, à Mangues, à Patate, à Montagne Bon Dié." Puis, page suivante, le trajet de Port Mathurin à l'Anse aux Anglais.
Puis brèves escales à Port Mathurin : courte hospitalisation après son insolation (p. 208) ; descente au bureau du télégraphe où on lui confirme la date (10 août 1914), où il reçoit une lettre de Laure, et apprend la déclaration de guerre (p. 246-250) ; nouvelle visite pour s'engager (p. 263-266). Il y a en somme deux Rodrigues : la partie déserte où Alexis vit comme Robinson Crusoë, et la partie habitée, où il est rattrapé par l'histoire, par les hommes. Et c'est cette dernière partie qui l'emporte : après la guerre, la plupart des hommes qui se sont engagés sont morts, l'île a été dévastée par la famine, le typhus, et envahie par les rats.
Enfin, dernière visite à Port Mathurin avant le départ définitif (p. 336-337) : marque l'incompréhension définitive entre Alexis et les autres hommes.
Un climat
violent, aux contrastes dangereux : lumière et ombre, vent
violent, froidure glacée des nuits et chaleur écrasante des jours ;
plusieurs fois Alexis est blessé, fiévreux ou malade. Et comme le bonheur
au Boucan, le bonheur enfin découvert à Rodrigues s'achève par un cyclone
(p. 339-342). "Mer,
soleil, sécheresse et cyclone. Nos quatre rythmes. Nos quatre points
cardinaux. Ce qui nous faisait vivre et nous tuait tour à tour",
écrit A. Devi dans Soupirs.
Une société violemment inégalitaire : pas de culture de la canne à sucre à Rodrigues, donc ni grands propriétaires terriens, ni sirdars, ni esclaves ; mais très peu de vie économique : administration, télégraphe (aux mains des Anglais), banque (anglaise elle aussi), un hôpital... A l'autre bout de la chaîne sociale, les "manafs", descendants des esclaves marrons, plus ou moins contraints à vivre dans la clandestinité, et qui connaîtront un sort tragique pendant la guerre : famine et typhus, puis déportation... Une société moins mondaine, plus frustre que celle de Maurice (Alexis, avec ses vêtements déchirés, passe inaperçu ici), mais aussi violente.
Un roman réaliste ? Les effets de réel
Par quels moyens est produit l'effet de réel ?
Une temporalité cohérente
Une géographie exacte (mais il y a une part d'imaginaire)
Des personnages cohérents, psychologiquement et physiquement, à qui le lecteur peut s'identifier. Or ici, si Ouma est décrite assez précisément, on sait peu de choses sur le narrateur. Il a du moins un nom, contrairement à bon nombre de personnages de Le Clézio (cf. roman transgressif)
Mais l'on trouve également d'autres techniques, qui s'apparentent à celle du collage :
des dessins, calculs, schémas... (p. 62, 202, 214, 272
des citations d'ouvrages réels : par exemple le Voyage à Rodrigues d'Alexandre-Gui Pingré, astronome de 1761 (p. 189) ; ou le poème de Valerius Flaccus p. 139 (Les Argonautiques, 1er siècle ap. J-C)
Des titres de livres ou de revues : le Journal des voyages existe (notamment sur le site Gallica), ainsi que l'Illustrated London news, avec le conte Nada the Lily également disponible sur le Net ; et même toute une bibliographie (p. 106-108)
des chansons créoles : p. 66, p. 124, p. 333
des lettres (p. 248-249 ; p. 337
==> effet de polyphonie, mais aussi de réel : fiction et réel s'entremêlent, et se détruisent l'un l'autre.
Exercice : comparez le réalisme dans la Peau de chagrin, la Bête humaine, et le Chercheur d'or.
Le Chercheur d'or, un roman historique ?
Le terme de "roman historique" semble reposer sur un oxymore :
"historique" évoque le respect strict d'une réalité passée, sa présentation aussi détaillée, objective et juste que possible. Le terme contient en lui une dimension scientifique, surtout depuis le 18ème siècle, et surtout le 19ème siècle. Il peut en outre receler une philosophie de l'histoire, surtout d'après Lukacs. (interprétation marxiste...). C'est pourquoi le roman historique est né au 19ème siècle, au moment où l'Histoire prenait toute sa dimension philosophique (Hegel, Marx...)
"roman" au contraire désigne la fiction. Il échappe à l'exigence de vérité, et n'a pas – sauf dans la courte période du roman naturaliste – à donner de l'univers qu'il décrit une image scientifique.
Le "roman historique" semble donc reposer sur une contradiction : alliance du récit fictif et de la relation de faits vrais.
Quelques notions qui permettent néanmoins de le définir :
Une distance temporelle
plus ou moins grande entre l'auteur (et son lecteur), et les faits racontés
: La Princesse de Clèves, écrit au 17ème siècle, décrit la cour
d'Henri II (16ème siècle) ; Cinq-Mars, de Vigny (19ème siècle)
raconte "une conjuration sous Louis XIII (17ème siècle) ; les romans
de Zola ne sont éloignés que de quelques années de l'époque de leur
rédaction (écrits sous la 3ème République, ils peignent le Second
Empire), Le Nom de la Rose d'Umberto Eco (20ème siècle) se situe au
13ème siècle, tandis que les Mémoires d'Hadrien, de Marguerite
Yourcenar (20ème siècle) se passent sous l'Empire romain...
=> Le Chercheur d'or respecte ce critère, et se situe dans
une situation intermédiaire : écrit en 1985, il se situe entre 1892 et
1922 (soixante à quatre-vingt-dix ans après les faits racontés).
Le roman historique fait référence
à des faits réels, historiques, clairement définis : à ce titre, Une
Vie, de Maupassant, qui ne fait presque pas allusion à des événements
historiques, n'appartient pas au genre.
=> En revanche, c'est le cas du Chercheur d'or : la
situation sociale de Maurice et de Rodrigues est décrite, ainsi que la
guerre de 1914-1918 : bataille de Flandres et utilisation des gaz de combat,
bataille de la Somme...
L'une des questions est
cependant le statut accordé à ces événements historiques :
constituent-ils simplement une trame de fond, ou sont-ils au premier plan ?
Jouent-ils un rôle purement anecdotique ou décoratif, ou constituent-ils
l'essentiel du destin des personnages ?
Quelques exemples pour clarifier le débat :
Dans Cinq-Mars, ou dans les romans d'Alexandre Dumas, ou encore dans les Mémoires d'Hadrien, c'est l'histoire elle-même qui sert de trame au roman. A ce titre, on pourrait parler, plus que de roman historique, d' "histoire romancée".
Inversement, dans l'Éducation sentimentale de Flaubert, la révolution de 1848 ne constitue qu'un épisode, d'ailleurs vécu de loin, en spectateur par le personnage principal. L'histoire n'est alors qu'un décor, qui intervient peu dans le destin des personnages. De même, dans le Nom de la Rose, l'essentiel est constitué par une intrigue policière que résout Baskerville, le héros : l'Histoire n'est qu'un cadre.
Une situation intermédiaire est constituée par les "romans policiers historiques" : dans ce cas, l'équilibre est maintenu entre la réalité historique dépeinte (qui sert en grande partie à dépeindre et à définir les personnages : par exemple, dans les romans de Marc Paillet, le statut des enquêteurs, "missi dominici" de Charlemagne, et la situation politique de l'empire carolingien, déterminent l'intrigue.
Enfin, la visée du roman
historique peut être moins romanesque qu'historique ou philosophique,
conformément à l'idée de Georges Lukacs : par exemple, les Rougon-Macquard
de Zola se veulent d'abord une peinture du Second Empire.
=> Le Chercheur d'or ne cherche pas à faire
oeuvre d'historien : le héros du roman, Alexis, est constamment
spectateur des événements beaucoup plus qu'acteur (voir p. ex.
l'épisode de la sucrerie p. 66-68, ou l'émeute p. 350-351). Seule
exception, l'épisode de la guerre
; mais il ne perçoit des événements qu'une vue partielle,
fractionnée, incomplète ; il subit l'histoire plus qu'il ne la vit, et
l'épisode apparaît plus comme une épreuve, une traversée de l'enfer,
au terme de laquelle il est transformé, régénéré, que comme un
véritable tableau historique.
Enfin, le mélange du réel et de la fiction.
Un personnage réel devient héros de fiction : Cinq-Mars, l'empereur Hadrien, la Reine Margot, D'Artagnan... ou Dhuoda la Carolingienne (roman historique de Jocelyne Godard, 1997)
Le personnage principal est fictif, mais croise sur sa route des personnages réels : c'est le cas des romans de Marc Paillet, où les "missi" rendent compte à Charlemagne...
Enfin, le roman
historique peut ne pas faire appel à des personnages réels : cf. Zola.
=> Le Chercheur d'or mêle allègrement fiction et
réalité : le mythe "fondateur" de Sacalavou (le nom peut
faire penser à l'ethnie Sakalava, d'origine malgache...) ; les
événements de la guerre, avec simplement des allusions à des noms
réels ; mais alors que Barneoud, et surtout Odilon, purement fictifs,
ont une certaine épaisseur, Joffre ou Haig ne sont guère que des noms
(cf. p. 297). L'histoire reste donc floue...
Dissertation 1 : Dans quelle mesure Le Chercheur d'or peut-il se définir comme un roman historique ?
Introduction :
Le roman historique est en vogue depuis le
dix-neuvième siècle. Le Chercheur d'or, de JMG Le Clézio, paru en
1985, mais qui raconte une histoire située entre 1892 et 1922, appartient-il à
ce genre ? Dans quelle mesure peut-il se définir comme tel ?
Nous verrons que ce roman possède en effet un certain nombre de
caractéristiques propres au roman historique : cadre réaliste, mention de
faits réels mêlés à la fiction, distance entre la date de parution et les
événements racontés... Toutefois, cette définition ne suffit pas, et par
bien des traits, il échappe à cette catégorie ; enfin, peut-être offre-t-il,
plus qu'un roman historique, une méditation sur l'histoire ?
Plan détaillé :
Le Chercheur d'or, un roman historique ?
Écart entre la parution (1985) et les événements racontés (fin 19ème - début 20ème siècle) ;
peinture relativement précise de la société mauricienne et rodriguaise, avec au passage une certaine dénonciation de la société coloniale.
Mention de faits réels : cyclone du 29 avril 1892, guerre 14-18 (avec notamment les batailles d'Ypres, et de la Somme) ; utilisation également de documents réels
Action de l'histoire sur le destin
des personnages : soit mythique (Ouma se vit comme héritière de
Sacalavou et des esclaves révoltés), soit réelle : dévastation de
Rodrigues après la guerre, transformation des "manafs" en
réfugiés misérables à Maurice...
Un roman qui échappe à la catégorie :
Les faits réels sont vécus de manière partielle, ou de loin : Alexis ne vit le cyclone que comme un événement quasi privé, qui s'acharne sur sa maison ; les émeutes ne sont vues que de loin, ou racontées longtemps après les faits (p. 66-67, 314-315, 350) ; enfin, le récit de la guerre est partiel, subjectif, incomplet (on ignore ce qui s'est passé entre son évacuation et son retour à Maurice), et les personnages fictifs sont décrits de manière plus réelle que les personnages historiques, à peine mentionnés).
L'histoire est constamment
dévalorisée : au Boucan, sur le Zéta, à l'Anse aux Anglais, sur
l'île avec Ouma, ou encore à Mananava, Alexis ne trouve un bonheur
authentique que dans des lieux qui lui font perdre la notion du temps,
et le contact avec les hommes. Inversement, l'irruption des hommes et de
l'histoire est synonyme de destruction, de haine, de saccage : cf.
Saint-Brandon, Agalega, puis Rodrigues envahies par les rats...
Une méditation sur l'histoire :
Le roman historique est né au moment où l'Histoire était considérée comme porteuse de sens, et d'un sens positif : cf. les romans de Zola, contemporains de Hegel et de Marx. Or dans le Chercheur d'or, elle n'apporte que destruction et mort. Cf. l'image de la guerre : la seule motivation est indiquée par Ouma : "vous autres, le grand monde, vous croyez que l'or est la chose la plus forte et la plus désirable, et c'est pour cela que vous faites la guerre. Les gens vont mourir partout pour posséder l'or." (p. 269) ; partout dans le roman, elle n'apporte que souffrance, absurdité, dégradations. Le retour à Maurice, puis à Rodrigues, fait le compte de ces destructions : les hommes, dont le Timonier, sont morts, les manafs ont disparu, chassés par la famine et le typhus, et à Maurice, la société est devenue plus brutale encore.
Toute la quête d'Alexis semble dirigée par une volonté d'échapper à l'histoire : soit dans des "utopies" (lieux protégés où les hommes, et donc l'histoire, n'ont pas accès), soit par un retour aux origines, au Boucan : la structure circulaire du roman met cet aspect en évidence.
Mais de même que le départ est "un voyage sans retour", on n'échappe pas à l'histoire : aucun lieu n'est épargné ; découvrir un paradis, c'est ipso facto le détruire (cf. St Brandon) ; et chaque fois qu'Alexis se croit à l'écart du monde, celui-ci le rattrape. (départ à la guerre, déportation d'Ouma et de Sri à la fin du roman...)
Conclusion :
Plus qu'un roman historique – qui
supposerait soit un intérêt pour le "pittoresque" de l'histoire,
soit une certaine foi en elle –, le Chercheur d'or se présente comme
une méditation désabusée sur l'Histoire : cruelle et dépourvue de sens, elle
n'apporte que ruine et destruction, et pourtant, nul ne peut lui échapper. Il
n'existe pas de lieu en ce monde qui permette de vivre "hors du monde des
hommes".
Le Chercheur d'or s'inscrit dans une thématique chère à Le Clézio :
de Désert au Rêve mexicain, il n'a de cesse de montrer
l'effroyable instinct de l'homme pour la destruction et la mort... En ce sens,
Le Clézio s'inscrit dans la philosophie du vingtième et vingt-et-unième
siècle, qui se caractérise par la fin, tragique, des illusions humanistes.
La temporalité dans Le Chercheur d'or
Le temps vécu dans le roman :
Un temps linéaire :
A l'instar d'un roman d'apprentissage, le Chercheur d'or suit
chronologiquement l'aventure d'un personnage, de ses huit ans en 1892,
jusqu'en 1922, moment où, ayant tout perdu, il veut s'embarquer pour de
nouvelles aventures. Peu d'analepses (sinon partielles, par exemple au
début de la 4ème partie), mais un déroulement linéaire.
Un temps cyclique :
La structure du roman fait cependant penser à un temps cyclique :
le point d'arrivée (Mananava) est aussi le point de départ (l'enfant,
au Boucan, rêve de Mananava) ; et toute la quête consiste à retrouver
le bonheur initial : le vent, la mer, les étoiles, le contact avec la
nature, l'éloignement des hommes. La structure est également binaire,
autour d'un "axe" constitué par la guerre : deux cyclones,
deux escapades en pirogue avec deux initiateurs (Denis et Ouma), deux
séjours à l'Anse aux Anglais avec deux recherches du trésor ; deux
blessures, à chaque fois soignées par Ouma... On pourrait multiplier
les exemples.
Temps historique et temps arrêté :
Le temps historique correspond au temps des hommes : cyclone dévastant le Boucan, et départ à Forest Side ; temps des escales durant le voyage ; temps de Port-Mathurin, avec la date (10 août 1914) et la lettre de Laure...
Le temps arrêté, ou
dont le narrateur perd conscience, peut être double : le temps du
tourment, de la recherche frénétique du trésor, de la guerre ; ou
le temps du bonheur : sur le pont du Zéta, sur l'île avec Ouma...
Ce sont des moments privilégiés, où s'arrête la recherche d'un
trésor matériel, pour jouir du moment présent. Moment de sagesse,
d'oubli des hommes... moments toujours précaires et menacés. Il
n'y a pas de paradis sur terre.
Le temps du récit :
Le présent :
dans la 1ère partie : un présent souvent ambigu, présent d'énonciation, ou présent de narration. Il est parfois difficile de savoir de quel présent il s'agit : cela change au cours d'une phrase.
Sur le Zéta : présent strictement contemporain de l'énonciation : journal de bord.
présent et futur dans le dernier paragraphe : énonciation.
Le passé :
Réservé à Forest Side : un temps qui réintroduit la distance,
pour une durée très longue (18 ans), mais qui n'est qu'un temps vide,
sans bonheur, sans intérêt, simple passage entre l'enfance et
l'embarquement sur le Zéta.
Conclusion : Une temporalité originale, qui permet au lecteur une identification maximale avec le narrateur (point de vue unique durant tout le roman), et qui permet, souvent, de brouiller les repères. Le temps linéaire n'est en fait qu'un leurre.
Les personnages féminins dans Le Chercheur d'or
Ils sont au nombre de trois : Mam', Laure, Ouma. Ne mentionnons que pour mémoire Adélaïde, l'épouse très effacée de Ludovic, ou quelques silhouettes féminines, telles que la femme indienne qui ramène le petit Alexis chez lui après son malaise à la sucrerie (p. 22).
1. Mam':
De son vrai nom Anne, elle est la belle épouse du père d'Alexis. Un mariage d'amour (p. 158, 162), qui a peut-être suscité la jalousie et la haine de Ludovic : ce qui expliquerait l'épisode de sa visite au Boucan, et du refus de Mam' de le recevoir.
Au début elle apparaît comme un personnage presque magique : belle, elle est celle qui instruit les enfants ; sa voix les fascine, les histoires qu'elle invente les passionne. (p. 26)
Et pourtant, très vite, elle perd pied, renonce à se battre. Elle tombe malade lorsque la ruine menace : p. 47, p. 61 (elle cesse ses leçons, laissant donc l'éducation de ses enfants à l'abandon) ; elle est incapable de réagir après le cyclone (p. 92) ; à la mort de son mari, elle reste prostrée (p. 113).
Son rôle devient de plus en plus négatif : elle empêche Laure de continuer ses études, mettant ainsi fin définitivement à tout avenir pour sa fille (p. 104) ; et finalement, elle devient quasiment impotente, laissant à Laure tout le poids de la misère et des dettes : p. 248. Elle meurt enfin, après une interminable agonie, p. 358.
Elle est l'incarnation même du malheur, mais aussi de la passivité.
2. Laure :
Sœur aînée d'Alexis, elle serait d'une autre trempe que sa mère : solitaire, ombrageuse, ironique, lucide.
Enfant, elle est consciencieuse, appliquée durant les leçons de Mam' (p. 26) ; elle tisse avec son frère des liens quasi fusionnels, renforcés par la solitude qui entoure les deux enfants : rêveries dans le grenier, inquiétudes... à tel point qu'on les appellera, à Forest Side, "les amoureux". Ils se suffisent à eux-mêmes. Pourtant, dès le départ, elle accepte une place secondaire : elle ne participe ni aux escapades avec Denis, ni aux sorties nocturnes d'Alexis, ni même à l'histoire du trésor, entre le père et le fils. Dès le départ, il y a le monde des hommes et celui des femmes, bien séparés.
La vie de Laure est sacrifiée : privée d'école pour soigner sa mère, elle est condamnée à cette vie de garde-malade par le départ de son frère. Elle semble n'avoir aucune vie personnelle.
Alors, elle compense en se donnant aux autres, sans compter : à Mam' d'abord, puis aux pauvres Indiennes qu'elle aide avec les religieuses de la Visitation. Pourtant, elle ne peut se défendre de jalouser et de mépriser Ouma : p. 317 "cette femme, là-bas, avec laquelle tu vis comme un sauvage" ; elle l'appelle "Yangue Catera" (p. 360) et refuse l'idée de les rejoindre à Mananava. Pour elle, Ouma est celle qui lui enlève son frère...
Contrainte d'affronter la réalité, elle est aussi la plus ancrée dans cette réalité. Elle ne rêve pas, ne croit ni au départ en France (une illusion de Mam'), ni au trésor. Et peu à peu, elle s'éloigne d'Alexis.
3. Ouma :
Voir le cours des CPGE.
Conclusion :
Toutes les femmes ont en commun de subir, beaucoup plus que les hommes, l'histoire ; même lorsqu'elles sont actives, comme Ouma, cherchant à dominer leur destin, elles sont victimes des hommes. Ouma, abandonnée par Alexis parti à la guerre, chassée de Rodrigues par la faim et la maladie, contrainte de se faire "gunny" pour survivre, et finalement expulsée de Maurice avec les autres réfugiés, en est le symbole. Elle n'a pu ni retenir Alexis, ni préserver leur histoire ; et la guerre suivante, annoncée par les étoiles filantes, aurait de toutes façons eu raison de leur amour.
En même temps, les femmes représentent un bonheur possible : elles incarnent l'amour, l'affection, elles éduquent, nourrissent, soignent... Elles sont le contre-point humain à la violence des hommes : cf. l'indienne qui ramène Alexis de la sucrerie. Elles représentent les seules valeurs humaines : générosité contre rapacité (Adélaïde ne partage pas la cupidité de son époux), douceur contre violence, elles sont indifférentes à l'or, à la possession. Elles tentent de rester les gardiennes des valeurs, que les hommes détruisent à mesure... Elles n'aiment ni la guerre, ni le pouvoir. Et elles en sont les premières victimes.
Étude de la description dans un roman :
Intégration / hétérogénéité
Description pour elle-même ou orientée vers la narration
Le sujet regardant :
point de vue du narrateur
point de vue du personnage :
pouvoir voir : poste de vigie, fenêtre
savoir voir : un savant, un peintre…
vouloir voir : voyageur, badaud, enquêteur…
Le mouvement :
de l’objet observé
du sujet observant
Travail sur des exemples dans le Chercheur d’or de JMG Le Clézio :
Incipit,
p. 11-12, è « la fatigue qui fait peser ma tête » :
description
noyée dans le contexte, représentant essentiellement un paysage
description orientée vers la
narration : la mer, le vent, éléments fondamentaux du roman, et la
maison « comme une épave ».
description-promenade, qui suit le
mouvement du narrateur.
Isotopie : lumière, grandeur
Enonciation et focalisation :
regard et ouïe du narrateur ; la description suit ses mouvements. Un
observateur qui va se percher en hauteur, sur l’arbre chalta.
Double fonction : mimésique
(multiplie les détails qui indiquent le lieu, la végétation) et
symbolique : opposition de la mer, et de la maison en ruine.
P.
116-118, de « alors, parmi les barques… » à « à
travers l’océan ! » : le Zéta.
Séquence descriptive beaucoup plus
compacte, marquée par une transition : « je l’ai vu »
(description à ancrage décalé : d’abord décrit, puis seulement
nommé.)
Description d’un objet, le
bateau, intégré dans un paysage.
Isotopie (axiologique) : beauté
et surtout étrangeté, magie.
Narrateur :
le bateau vu du quai, et qui « reconnaît » son navire.
Navire immobile.
Fonction de la description :
mimésique (couleurs, coque noire et voile blanche, formes, détail du siège
de Bradmer…) et/ou mathésique
(vocabulaire spécialisé : goëlette, voiles auriques, hunier, beaupré,
vergues, rostre) ; fonction symbolique : c’est le navire du rêve
réalisé, caractérisé par son étrangeté.
P. 191-192, de « Je continue à travers les broussailles » à « Qui m’attend ? » : l’Anse aux Anglais
Séquence descriptive entrelacée de narration (je continue, j’arrive, je remonte, je trouve un passage, je marche : description-promenade). Description d’un paysage.
Ancrage : 2ème phrase, « Bientôt j’arrive au bord de la falaise, et je découvre la grande vallée ».
Un paysage nu, et vide : « grande vallée », « pas une maison, pas une trace humaine », « territoire interdit », « impression de solitude », « silence », « pas un oiseau », « île déserte ».
Regard et mouvement du narrateur, qui arrive au sommet de la falaise, cherche et trouve un passage, et descend vers la vallée. Un personnage en quête, qui observe d’un endroit privilégié.
Double fonction mimésique et
symbolique : description d’un lieu réel, le ravin de l’Anse aux
Anglais, et lieu symbolique : vide d’hommes, désert, violent (le
vent, la lumière, les pierres dures et nues).
P. 211-213, de « puis je la vois » à « sous le vieux tamarinier » : portrait d’Ouma.
Description noyée dans le dialogue et le récit.
Ancrage : « je la vois » : soudaineté de l’apparition.
Visage, silhouette, vêtements, cheveux, démarche. Puis à nouveau visage, silhouette, cheveux et corps. Enfin, les jambes, les yeux. Description éclatée, qui ne suit pas un ordre précis.
Regard permanent du narrateur sur la jeune femme. Aspect exotique, étrange : peau sombre, cheveux noirs (évoque Laure…) ; lien avec la nature : la pluie, les pieds « posés bien à plat sur la terre », les comparaisons animales, (« animal, cabri »), et le caractère énigmatique (« yeux profonds »).
Fonction mimésique (dessiner une silhouette précise, élégante), et sémiosique :
Explicative : visage d’indienne (elle l’est !), vêtements de manaf, pêche…
Symbolique : sensualité, étrangeté et lien avec la nature, innocence (« enfant »), brusquerie de ses apparition et disparition.
Dissertation
n° 2 :
« Les romanciers, par la description trop exacte de leurs personnages, gênent
plutôt l’imagination qu’ils ne la servent, et ils devraient laisser chaque
lecteur se représenter chacun de ceux-ci comme il lui plaît. »
Dans quelle mesure cette opinion qu’André Gide prête à l’un de ses
personnages de son roman, Les Faux-Monnayeurs vous semble-t-elle
s’appliquer au Chercheur d’or de J.M.G. Le Clézio ? Vous répondrez à
cette question en vous fondant sur des références précises.
Les personnages secondaires sont sommairement décrits, surtout par un trait :
Ludovic, Ferdinand apparaissent à peine
De Denis, on sait simplement qu'il est noir, et plus grand qu'Alexis
Souvent, un seul trait suffit à les caractériser : les yeux verts du timonier, et sa langue parfaite d'ancien prêtre, la pipe et le fauteuil de Bradmer, type du "vieux loup de mer"...
Seuls les personnages plus proches sont effectivement décrits : Mam', Laure, dont le profil d'Indienne et les yeux noirs font un double paradoxal d'Ouma... Ouma, elle, est précisément décrite (cf. ci-dessus).
Enfin, le personnage principal, qui
est aussi le narrateur, n'est décrit que de manière très partielle : ce
qu'il peut percevoir de lui-même, vêtements, visage amaigri ou mal
rasé...
Le Chercheur d'or ne répond donc en rien à la remarque de Gide : réduits à une silhouette ou à une voix, les personnages se laissent imaginer plutôt que représenter.
Dissertation
n°3 :
L’écrivain contemporain Michel Le Bris déclare que « l’aventure est
l’essence de la fiction [...] Quelque chose arrive à quelqu’un : voilà
le point de départ obligé. Sans événements, pas de roman. »
Dans quelle mesure cette définition du roman vous semble-t-elle convenir au
Chercheur d’or, de JMG Le Clézio ? Vous répondrez à cette question,
dans un plan détaillé de dissertation, en vous appuyant sur des références
précises.
Introduction
:
Qu'est-ce qui fait l'intérêt d'un roman, et qu'attend le
lecteur lorsqu'il ouvre une œuvre de fiction ? A cette question, Michel Le Bris
répond que « l’aventure est l’essence de la fiction [...] Quelque
chose arrive à quelqu’un : voilà le point de départ obligé. Sans événements,
pas de roman. »
Dans quelle mesure cette affirmation peut-elle s'appliquer au roman de J.M.G. Le Clézio, intitulé Le Chercheur d'or, paru en 1985 ? Nous remarquerons, dans un premier temps, que la définition que donne Michel Le Bris de l'aventure est pour le moins extensive, et ne se limite pas aux événements ou exploits extraordinaires du roman d'aventure, tel qu'on l'entend d'habitude : "quelque chose arrive à quelqu'un" peut se situer, certes, sur un plan physique et pratique, mais également sur un plan moral ou sentimental...
Nous verrons donc, dans un premier temps, dans quelle mesure le Chercheur d'or peut se ranger dans la catégorie du "roman d'aventure", dont les événements constituent l'essentiel de l'intérêt ; puis nous observerons que par bien des points il s'en distingue. Cependant, si nous prenons, à l'instar de Michel Le Bris, le mot "aventure" dans un sens très large, nous montrerons qu'Alexis, le narrateur du Chercheur d'or, est bien "quelqu'un à qui il arrive quelque chose".
Un roman d'aventure traditionnel.
Par son titre, évoquant une recherche de trésor comparable à ceux de Stevenson, par exemple
Par son personnage-narrateur : un jeune garçon, marginalisé par une aventure familiale (la ruine de son père et la rapacité de son oncle), qui quitte famille et patrie à la recherche d'un trésor.
Par la présence de "scènes obligées" du roman d'aventure : le cyclone dévastateur, plusieurs émeutes auxquelles assiste le narrateur au début et à la fin du roman ; la navigation, marquée de plusieurs escales qui sont autant de découvertes ; des rencontres décisives (Bradmer et le timonier, Ouma) ; des blessures et autres mésaventures : deux fois il manque mourir, et est soigné par Ouma ; et même un détour par le front, en Europe...
Enfin, toute une partie du
roman est constituée par une enquête : relevé d'indices, fausses
pistes, trouvailles décevantes... jusqu'à l'échec final.
Pourtant, Le Chercheur d'or ne se lit pas comme un roman d'aventure traditionnel.
Le suspense n'est pas le ressort principal du roman : le narrateur, par définition ne meurt pas ; et la motivation de sa recherche, qui n'est pas l'appât du gain, apparaît tellement floue que le lecteur s'en désintéresse.
Les événements tragiques ou dramatiques sont "mis à distance" par la narration, uniformément au présent ; Alexis n'est souvent que spectateur – lors des émeutes, par exemple : quand le Sirdar est brûlé vif, il assiste à la scène de loin, mais n'y participe pas et ne court pas de danger. Et à la fin du roman, les émeutes ne sont perçues que de très loin, sans qu'il s'y intéresse vraiment. Durant la guerre, le récit est elliptique, marqué de "blancs" (que se passe-t-il entre son évacuation en 1917 et sa démobilisation ?), et raconté de manière partielle, sans vraiment de pathos. Enfin, durant la navigation sur le Zéta, les escales sont vécues comme des parenthèses désagréables ou décevantes, mais non comme des aventures.
Des scènes sont suggérées, mais non traitées : sur le Zéta, Alexis songe un moment à une mutinerie, ou à une agression violente de l'équipage contre lui... mais rien ne se passe. De la même façon, il cherche son trésor sans rencontrer aucun obstacle ni aucune concurrence, et ne se blesse que par sa propre maladresse... A comparer avec la recherche du trésor dans l'Île au Trésor de Stevenson !
Enfin, le fil narratif
essentiel, ou prétendu tel, est souvent interrompu par de longues
séquences de pur bonheur contemplatif, durant lesquelles Alexis perd
tout intérêt pour sa recherche – et le lecteur avec lui :
contemplation des étoiles sur le Zéta, de la nature à l'Anse aux
Anglais, parties de pêche avec Ouma, à l'Anse aux Anglais ou sur
l'île aux Fous... Dialogues amoureux avec Ouma...
"Quelque chose arrive à quelqu'un"
Pourtant, Le Chercheur d'or raconte bien une histoire, et des événements ; mais ceux-ci ne sont pas de l'ordre de l'aventure. Au temps apparemment cyclique (deux départs vers Rodrigues, deux recherches du trésor, deux cyclones, et le retour à Maurice boucle le cercle) s'oppose un temps linéaire : d'un retour à l'autre les choses changent ; Laure et Mam' vieillissent, Mam' meurt. Ludovic, puis Ferdinand, étendent leur pouvoir. Le narrateur lui-même change...
Les événements les plus importants ne relèvent pas de l'aventure, mais plutôt d'une "aventure intérieure" : la rencontre avec le Zéta, alors que la vie semblait désespérément monotone dans Forest Side ; la rencontre avec Ouma ; la guerre, non par ce qu'elle a été réellement, mais par la maturation qu'elle a permis à Alexis : à son retour, il peut comprendre Ouma, et reprendre sa recherche, mais sur un tout autre plan ; la révélation spirituelle qui lui montre que le plan du Corsaire n'était autre qu'une carte du ciel...
Dès lors, les événements vécus par Alexis prennent un autre sens, spirituel cette fois : celui d'un dépouillement progressif de toutes les illusions (celle de trouver un trésor, celle de rebâtir son bonheur avec de l'or), d'un éloignement progressif de sa condition d'homme blanc (il est employé, puis sirdar, puis homme de peine, enfin plus rien), et d'une solitude grandissante : il s'éloigne peu à peu du monde des hommes, perd Mam', puis Laure, puis Ouma... et finit par se réfugier, dépouillé de tout, dans le monde du rêve, comme en témoigne la dernière page.
L'on peut donc dire, comme l'affirme Michel Le Bris, que le Chercheur d'or répond bien à la définition du roman : quelque chose arrive à quelqu'un. Mais ce "quelque chose" ne relève pas de l'événementiel, de l'aventure au sens usuel du terme. Peu ou pas de suspense, donc, mais une lente métamorphose d'un personnage, sous l'effet d'une série de rencontres et de révélations, qui le mèneront au seul trésor qui vaille aux yeux de Le Clézio : la conquête de soi-même, de sa liberté, quel qu'en soit le prix.