Voltaire, Candide (1758)

chapitre 1 chapitre 3, contre la guerre chapitre 6, l’auto-da-fé L’Eldorado : lecture cursive
chapitre 19, le Nègre de Surinam chapitre 30, conclusion de Candide La satire de la religion   Personnages et fonctions
 Les dialogues  la technique romanesque

 Nous utiliserons l’édition Hachette, collection « bibliolycée », parue en 2002.

CHAPITRE 1 : L’amour interdit, récit inaugural.

L’art du conteur

  • Vivacité du récit
  • phases du récit : 5 phases = 5 phrases
  • précipitation des événements

Une image dépréciée de l’amour

  • Choix lexicaux : relation mécanique dans le vocabulaire des sciences : dérision
  • Candide / Cunégonde : parodie d’amour courtois, parodie d’Adam et Eve chassés du paradis
  • lieux dévalorisants
  • sanction immédiate et vulgaire

L’optimisme ridiculisé, ou comment un conte devient philosophique

  • Petitesse du philosophe, impossible à prendre au sérieux
  • détournement du vocabulaire optimiste

CHAPITRE 3 : Candide soldat.

Candide : « le jugement assez droit avec l’esprit le plus simple ». Après avoir été « chassé du paradis terrestre », il s’enrôle dans l’armée malgré lui, et doit participer à une guerre. But de Voltaire : condamner la guerre, en racontant une histoire. Efficacité du style voltairien : petites phrases, sans liaisons : style fluide, sautillant, allègre.

1ère scène : recrutement. Ces hommes en bleu sont des soldats recruteurs.

2ème scène : l’entraînement ; puis la désertion suivie d’un traitement barbare, et d’une grâce.

Enfin, la guerre entre les armées, et le martyre des civils. Cette guerre est la guerre de 7 ans ; les Bulgares sont les Prussiens (importance de la taille) ; les Abares sont les Français.

Après la sortie du Paradis, tous les malheurs accablent Candide : le froid, la faim, le manque d’abri, le désespoir. Nous devons tout deviner, les détails doivent s’expliquer par la suite. Le quiproquo s’installe : les recruteurs lui parlent avec une exquise courtoisie feinte (il faut le piéger). Concert de « Messieurs, Monsieur ». Les questions sont insolites. Il faut amener Candide à signer, à boire à la santé du Roi des Bulgares, à recevoir sa 1ère solde. On lui dit qu’il deviendra « héros », etc. Héros devient synonyme de soldat, et de plus en plus ridicule. Acharnement de Voltaire.

2ème scène sans transition, passage de la courtoisie à la brutalité. On doit en faire un automate. On entend presque les commandements. Héroïsme = manœuvrer comme une marionnette et se faire battre. La désertion : Candide se promène naturellement : il croit en la liberté du soldat. On lui donne le choix entre 2 supplice : critique de la philosophie du libre-arbitre ? Voltaire montre froidement, et même de façon cocasse, une scène horrible. Intervention du Roi des Bulgares. A Postdam, Voltaire avait assisté à la punition d’un soldat (Frédéric aimait ce spectacle). Il était intervenu. Ici, ironie. « Il avait un peu de peau » = style de Pangloss.

La bataille : on se croirait à la parade. Géniale description : les canons s’ajoutent aux instruments. Progression du plus aigu au plus sourd : on attend « timbales », on a « canons ».

Harmonie infernale : la guerre est un enfer. Compte mathématique et méthodique : canons, mousquets, baïonnettes : ordre normal d’une bataille. Horriblement sanglante : mais Voltaire le dit froidement (traitement comique de l’horreur). Il se moque de l’optimisme : « Raison suffisante », jargon (« cause / effet »). « Trembler comme un philosophe » : un philosophe devrait se maîtriser, mais il est normal d’avoir peur. La guerre = « boucherie héroïque ».

« Te Deum  » : actions de grâce. Chacun de ceux qui fait la guerre prétend avoir Dieu dans son camp. Cela révolte Voltaire. D’autre part, chacun pense avoir gagné : donc la boucherie était inutile.

Tableau de la souffrance des civils : réalisme, détails atroces. Le même spectacle se retrouve dans chacun des deux camps : chacun est responsable.

Voltaire attaque ici la théorie de Rudendorf ou de Grotius qui légitimaient la destruction des terres de l’ennemi.

Dernière image, pathétique : Candide reste seul, infiniment triste, petite silhouette, dernier refuge de la conscience humaine. (CF théâtre d’ombre, ou films de Charlie Chaplin).

Plan de commentaire

1- Valorisation de la guerre

  • adjectifs appréciatifs (beau, leste, brillant…)
  • dépréciation des victimes : 10 000 coquins…
  • les Te Deum : solennité et sacré.
  • Une valorisation naturellement ironique (harmonie infernale).

2- la « boucherie héroïque »

Sur quoi Voltaire met-il l’accent ? Parallélisme des situations, innocence et souffrance des victimes : la guerre est atroce, absurde ; elle ne sert à rien.

3- Tonalité générale du texte, jeu des points de vue.

D’où vient l’efficacité de la dénonciation ? Point de vue interne (Candide) et externe (sur Candide). Froideur apparente et ironie. Traitement comique de l’horreur.

Chapitre 6 : l’auto-da-fé

Evolution du personnage

Candide réagit comme en subissant l’événement : dans le § 2, il n’est l’auteur d’aucune action (son nom n’est jamais sujet, sauf d’un verbe passif à la fin : « fut fessé »). Ensuite il est accablé d’une cascade d’adjectifs (début § 3) qui renvoient tous à la stupéfaction et à l’inadaptation aux choses. La cérémonie elle-même nous montre Candide comme une marionnette déguisée dont nous ignorons les réactions. La source de cette apathie est dans son éducation à T-t-T (« pour avoir écouté avec approbation ») qui l’a privé de toute autonomie. On notera cependant que rien n’indique comment Candide perçoit la pendaison de Pangloss et que la cérémonie est vue selon une focalisation externe qui interdit d’entrer dans les sentiments du personnage.

On perçoit tout de même une évolution dans l’interrogation finale de Candide : il est surpris par la réalité du monde et constate l’écart entre ses rêves et la réalité. Sa peur provoque chez lui une révocation de l’optimisme (« si c’est ici… les autres). De manière significative, il invoque les principaux constituants de l’illusion T-t-T (Pangloss et Cunégonde) et pleure l’anabaptiste, dont l’idéologie positive a été mal récompensée. Le personnage s’assombrit et prend conscience. Il est livré à lui-même, prêt à être pris en main par le ou la premièr(e) venu(e).

Une satire de l’obscurantisme

Voltaire prend l’Inquisition comme moyen de poursuivre « l’Infâme ». On perçoit ici un travestissement et une certaine retenue du jugement : Voltaire n’a pas recours à des termes comme « monstres » ou « opprobre du genre humain » : il fait semblant de ne pas s’engager. Mais ce chapitre témoigne des méfaits de la religion pervertie en obscurantisme : sottise ou arbitraire du raisonnement, discordance des idées et du réel, intolérance, absurdité des rites réglés, gratuité de la cérémonie, cruauté, inefficacité. Le dogmatisme, invention des hommes; est le contraire de la vraie religion (cf celle de l’Eldorado) qui est simple amour de Dieu et des hommes. Il assouvit les instincts terrestres et illustre les aberrations des idées absolues.cf l’Essai sur les Moeurs :

« On s’est servi dans toute la terre de la religion pour faire le mal, mais elle est pourtant instituée pour porter au bien ; et si le dogme apporte le fanatisme et la guerre, la morale inspire partout la concorde ».

L’humour dit le réel pour s’en moquer. C’est une manière partielle de montrer les choses en leur faisant perdre leur unité, leur cohérence, leur sens. Le système descriptif limité est un jeu humoristique. Voir notamment les adjectifs : « bel » autodafé et les précisions : « à petit feu » (le sermon « très pathétique », la « belle » musique, la pendaison « quoique ce ne fût pas la coutume »). De même, l’humour repose sur les rapports obscurs entre les réalités affirmées (ici les motifs de la condamnation au début du § 2) ou sur des inadéquations (« fessé » au lieu de « flagellé » ; on « orna » leur tête…)

L’ironie dit ce qui n’est pas, énonce ce qui devrait être. C’est une manière falsifiée de dire les choses pour en révéler l’absurdité. Voltaire feint ici de justifier, d’approuver ou d’admirer des décisions, des actes, des détails inadmissibles. Il fait comme si était logique la décision d’organiser un autodafé, prise par les « sages » (antiphrase) de Lisbonne, et par l’Université qui a découvert un lien de causalité entre autodafé et arrêt des séismes. Noter aussi les périphrases (« appartement d’une extrême fraîcheur… »), l’alliance de mots (début du dernier §). Le but de l’ironie est de réduire à l’absurde (les raisons de la condamnation), par exemple en utilisant des enchaînements bizarres (passage du 1er § au 2ème « en conséquence » ; fin du §2) ; des hyperboles (tout le dernier §), des euphémismes (le cachot) etc.

L’alliance de mots inadéquats : tous les ex. ci-dessus répondent plus ou moins à cette technique. Mais noter aussi le burlesque qui fait employer des termes bas ou aimables pour des sujets graves : Candide « fessé en cadence pendant qu’on chantait » ; le détail des exécutions (brûlés / pendu « bien que ce ne fût pas la coutume ») ; Cunégonde, la perle des filles / le ventre fendu.

  Conclusion

L’action : Tous les phraseurs sans exception seront pour Candide source de malheurs ou d’erreurs : le Grand Inquisiteur, les jésuites, l’abbé périgourdin. Seul le derviche, à la fin du conte, invitera au silence et au refus des doctrines.

Il lui faudra donc se tourner vers les actifs qui fondent leur vie sur le mérite et le travail personnels. L’école de la vie prime sur toutes les autres.

Les personnages : Candide va refuser de « croire » et d' »admirer ». Son évolution va le conduire à cesser d’être passif. Le scénario logique du conte consiste en une lente maîtrise de Candide sur ses propres gestes, de la béatitude immobile au travail du « jardin », dans le doute désillusionné.

Pangloss retrouvera des guides, mais moins théoriques. Il a besoin de complices, au moins pour poursuivre son apprentissage. Le principe du « roman de formation » fonctionne pleinement : vivre, c’est rencontrer une succession de personnages qui obligent le héros à réévaluer son jugement et à se situer. Les événements ne jouent pas plus que les êtres.   

Chapitres 17 & 18 : L’Eldorado (Lecture cursive)

Que signifie le mot « Eldorado » ? Où se situe cette région ?

Le mot signifie « le doré », allusion à la profusion d’or et de pierres précieuses qu’y trouvent les voyageurs. Cette région est située par Voltaire dans un lieu inaccessible du Pérou.

Qui guide Candide dans ce pays ? Pourquoi ?

C’est Cacambo, le valet, qui guide son maître. En effet il est lui-même d’origine péruvienne, parle la langue du pays. En outre cela renforce la figure de l’inversion : c’est le valet qui domine le maître. « Candide ne jouait plus que le second personnage, et accompagnait son valet » (ch. 18, l. 5-6)

Quels personnages marquants les voyageurs rencontrent-ils ?

D’abord des « petits gueux » avec leur instituteur ; ce ne sont des personnages marquants que parce que les voyageurs les prennent pour des fils de rois.

Puis les aubergistes : l’hôte, ses employés, et quelques clients

puis un savant vieillard qui les initie au pays, à son histoire, ses coutumes, ses lois.

Enfin ils sont reçus par le Roi lui-même, personnage d’une grande bonhommie, très accessible (contrairement à l’étiquette très rigide des cours européennes).

Quelles sont les institutions qui n’existent pas en Eldorado ? Justifiez cette absence

  • le clergé : « nous sommes tout prêtres » (ch. 18) ;
  • les institutions judiciaires, cour de justice, parlement
  • les prisons

=  absence de toute forme d’institution répressive.

Quelles sont les institutions qui existent ?

tout ce qui relève de la culture : arts, théâtres, palais des sciences… Intérêt des Lumières pour les Sciences exactes.

la religion, une « religion naturelle » sans prière, sans dogme, proche du déisme de Voltaire.

Pourquoi Voltaire n’achève-t-il pas le conte au chapitre 18 ? Quel serait alors le sens de l’œuvre ?

Si Voltaire achevait le conte au ch. 18 (si Candide et Cacambo renonçaient à quitter Eldorado), cela aurait plusieurs conséquences :

  • la dénonciation du mal serait incomplète : il manquerait notamment celle de l’esclavage ;
  • Cela laisserait supposer que le bien existe, est possible : même dans un pays imaginaire, Candide aurait donc fini par trouver une société parfaite.
  • la plupart des personnages (notamment Cunégonde) ne verraient pas leur sort fixé.

Relevez des traces d’humour dans ces deux chapitres. Quelle est ici sa fonction ?

  • les « gaffes » de voyageurs ignorants : ils offrent solennellement, en guise de paiement, des cailloux !
  • Le terme inapproprié « moutons » pour « lamas » : on imagine d’étranges attelages !
  • le cérémonial un peu ridicule qui entoure le roi : on l’embrasse sur les deux joues.
  • les exagérations (3000 bons physiciens…) Et le spectacle de « l’ascension » des voyageurs : Voltaire s’amuse ici visiblement, et joue sur les invraisemblances.

Où en est Candide dans son évolution ? Que lui manque-t-il encore pour parvenir à la maturité ?

Candide commence à douter des paroles de Pangloss ; il ne croit plus que la Westphalie soit le paradis terrestre. Mais il pense encore que le « meilleur des mondes » existe ! Il n’en tire pas non plus de conclusion politique : « il est certain qu’il faut voyager ». Enfin, il est toujours obsédé par Mlle Cunégonde. Il manque encore de lucidité, d’esprit critique et de recul.

Chapitre 19 : Le Nègre de Surinam

L’enjeu du texte

Cet extrait, efficace dans sa brièveté, a pour but de faire constater avec intensité l’inhumanité de l’esclavage. Voltaire dénonce une pratique intentatoire à la dignité de l’être humain, et en cela il rejoint un courant de son époque. En même temps, il apporte une nouvelle preuve pour étayer son argumentation contre les doctrinaires de l’optimisme.

Le constat objectif de la cruauté

Dans la 1ère partie du texte (jusqu’à « du sucre en Europe » le narrateur a su émouvoir par un recours calculé à la plus grande simplicité d’expression.

C’est le ton dépouillé de l’horreur brute dans les quelques lignes de description du « nègre », et d’abord pour évoquer sa prostration : « un nègre étendu par terre », comme condamné à végéter à même le sol. Puis son état physique est énoncé avec la neutralité d’un constat : « il manquait à ce pauvre homme…droite. » Pas d’adjectif qui manifeste la pitié, mais la brutalité nue du fait.

La relation maître-esclave est pleinement affirmée par les moyens les plus simples. Déjà, le rapport de soumission est fortement marqué dans le « j’attends mon maître… » Ensuite, le nom-portrait du maître : « Vanderdendur » = « vendeur-dent-dure » accentue l’effet d’une autorité brutalement revendiquée et appliquée. Enfin, une épithète, « le fameux négociant », en énonçant la situation officielle du maître, marque la légalité de sa conduite, comme celle d’un homme de bonne réputation, un notable de la servitude et non un négrier clandestin.

Dans le langage prêté à l’esclave, le choix d’un style nu fait particulièrement ressortir la brutalité des faits : « Quand nous travaillons… la jambe ». Les propositions sont courtes comme des coups. Les verbes concrets ont une charge de violence, « coupe » répété 2 fois. Usage du présent = habitude. Impersonnel « on » = relation déshumanisée, l’anonymat d’un tortionnaire sans visage. L’absence d’adjectifs souligne la simplicité, l’objectivité d’un constat. Et l’absence de pathétique apparent dénonce une ingénuité dans la cruauté : « c’est l’usage », remarque l’esclave, présentant les mauvais traitements comme des faits habituels, donc anodins.

La simplification du réel accentue encore la rigueur des sévices : on passe directement de « …nous attrape le doigt » à « on nous coupe la main » en économisant l’explication (l’amputation pour éviter la gangrène). Idem pour « on nous coupe la jambe » : on coupait le jarret des fuyards pour éviter la récidive sans trop nuire à leur rendement.

Enfin, la soudaineté de la chute fait éclater l’inhumanité en soulignant la disproportion de l’effet à la cause : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe » ; la juxtaposition est insoutenable entre les membres coupés et la friandise !

Le système de l’énonciation

Pour persuader, Voltaire ne veut pas seulement démontrer, il veut aussi émouvoir, d’où le recours au style direct.

Le choix de la 1ère personne permet de conférer un pathétique discret à l’évocation. Le narrateur limite la partie descriptive à la 1ère phrase. Puis il ouvre un dialogue, qui implique Candide, mais donne surtout largement la parole à la victime —> plus de retentissement affectif pour nous. De plus, le Nègre dit souvent nous, soulignant ainsi son appartenance à une communauté souffrante dont il est solidaire.

Voltaire et Montesquieu : un même thème, mais un traitement opposé. Montesquieu donne ironiquement la parole à des défenseurs de l’esclavage. Dans ce cas, c’est la stupidité des arguments qui marquent la condamnation de l’esclavage.

Voltaire derrière son personnage

La tonalité change, à partir de « Cependant lorsque ma mère » : plus pathétique, et analyse plus intellectuelle de la situation. L’esclave adopte alors le langage d’un homme rationnel et sensible dans lequel on reconnaît Voltaire lui-même.

Le pathétique trop lucide de la victime. L’esclave analyse et excuse fort bien la décision des parents-vendeurs : ils sont victimes :

  • de leur misère
  • de leur confiance dans leurs prêtres
  • de l’excessive considération pour les blancs.

Dénonciation très (trop ?) lucide de l’exploitation des peuples simples, victimes de leur misère et de leur crédulité.

Son esprit critique lui vient du narrateur. Il sait dénoncer l’hypocrisie du discours religieux sur l’égalité « Nous sommes tous enfants d’Adam… », et retourner l’argument. Termes très soutenus étrangers à l’esclave : généalogiste… prêcheurs… enfants d’Adam… cousins issus de germains… »

Dénonciation virulente, et très voltairienne, de la responsabilité des prêtres dans l’origine et le maintien de l’esclavage.

Les petits progrès de Candide

Ce récit marque un pas important pour Candide dans la conquête d’une certaine autonomie de pensée.

Sa surprise initiale plaide en sa faveur, comme sa curiosité, son désir de comprendre. Le « mon ami » exprime sa compassion, comme « l’état horrible où je te vois ».

Il avance sur la voie de la liberté de jugement. Certes, il prend encore son maître à témoin : « O Pangloss ! s’écria Candide… abomination » ; mais il dénonce tout de même dans l’optimisme « la rage… on est mal ». Il renvoie pourtant son émancipation à plus tard : « il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme ».

Sa sensibilité s’éveille : pour la 1ère fois dans ce récit où le malheur fait rire, un personnage pleure sur la misère d’un frère humain. La rareté de l’émotion rend plus atroce la réalité dénoncée.

Conclusion

Le point extrême de l’inhumanité. Dans la guerre, chaque armée avait du moins le pouvoir de se défendre. Ici, exploitation brutale de faible par le fort.

Le choix d’une écriture polémique dépouillée crée le pathétique. Le texte montre au lieur de discourir, il émeut par des faits plus que par des raisonnements. Emotion de l’auteur, et indignation. Humanisme de Voltaire.

Chapitre 30 : la conclusion.

I- La construction en diptyque : place du récit et du discours, formes du parallélisme.

Deux §, de longueur à peu près égale, et avec des parallélismes ; Structure identique : récit, puis un discours de Pangloss, réponse au discours. Eléments de parallélisme : « il faut cultiver notre jardin », repris deux fois. Interruption de Candide (marqué dans le second § par le passage de l’itératif (Pangloss disait quelquefois…) au singulatif (répondit Candide). Thème du travail, présent dans les deux § ; Des différences : Dans le premier §, le discours l’emporte : trois locuteurs, discours assez long de Candide et Martin, longue tirade de Pangloss. Dans le second, c’est le récit qui domine : deux locuteurs seulement, discours moins long de Pangloss, et le dernier mot revient à l’action.

II- En quoi le 2ème § marque-t-il une progression par rapport au premier ?

Tout le monde s’est mis au travail, et semble avoir trouvé le rôle qui lui convient – à l’exception de Pangloss. Importance considérable des connotations appréciatives : « beaucoup, excellente pâtissière, très bon menuisier… » Candide prend toute sa dimension de leader ; il ne subit plus passivement les discours ni les événements, et c’est lui qui a le dernier mot. Le passage de l’itératif (« Pangloss disait souvent… ») au singulatif (« Candide répondit ») marque le fait que Candide coupe la parole au philosophe, et lui impose silence. C’est le pendant de l’interruption du 1er paragraphe.

Par ailleurs, le temps n’est plus le même : entre « Candide revint à la métairie » et « la petite terre rapporta beaucoup », du temps s’est nécessairement écoulé ; le narrateur prend de la distance par rapport au récit. On ne « colle » plus aux événements !

III – Une réduction de l’espace

Alors que le roman a multiplié les déplacements dans l’espace, ici on « rentre à la métairie ». Il ne s’agit plus que de « cultiver notre jardin » : plus d’ambition de voyage. Petite société, quasi autarcique.

IV – la dernière réplique de Pangloss : une clôture de conte

Il fait le bilan de tous les événements subis par Candide, et en même temps, fidèle à sa philosophie, il établit un lien de

cause à effet entre l’enchaînement des malheurs et le bonheur actuel – qui évoque l’Eldorado : importance de la nourriture,

et d’une nourriture exotique. On a l’impression d’un schéma de conte : toutes les épreuves subies conduisent le prince au

bonheur. Ironie de Voltaire : le bonheur consiste en la satisfaction de la gourmandise ! (il ne pourrait évoquer autre chose, la « princesse » ayant ici piètre allure… On est ici dans une parodie de conte.

V- Le dénouement d’une comédie :

Tous les personnages se trouvent réunis en un seul lieu, et voient leur sort fixé de manière heureuse.

VI – En quoi la métairie s’apparente-t-elle au château de Thunder-Ten-Tronkh ?

Lieu fermé, hors des atteintes du monde, et vivant en autarcie ; mais ici la métairie appartient au réel : une métairie (= ferme) et non un château, et la prospérité décrite est modeste, mais bien réel. Le dénouement de Candide, c’est la perte des illusions, et l’ancrage dans le réel.

VII – Le sens de la formule « il faut cultiver notre jardin »

  • Retour à l’action, à la place des discours creux de Pangloss ;
  • Retour au quotidien, au réel, à des ambitions modestes, mais réalisables ; il ne s’agit plus de courir le monde, ni de chercher l’Eldorado, mais de se contenter de ce que l’on a. A mettre en parallèle avec l’action bien réelle de Voltaire à Ferney.
  • Mais c’est aussi renoncer à changer le monde !   « notre » s’oppose au monde extérieur.
  • « notre jardin » peut aussi être métaphorique : il faut trouver en soi nos propres ressources, et ne pas tout attendre du monde extérieur.

La satire de la religion dans Candide

Les principaux textes

  • ch. 3 : mensonge des religions, discours « charitables » et réalité du sectarisme. Rôle du clergé dans la guerre.
  • ch.5 : noyade de l’Anabaptiste
  • ch. 6 L’autodafé
  • ch. 8-10 : Histoire de Cunégonde : rôle de l’Inquisiteur (et du juif) ; vol des diamants par un cordelier.
  • ch. 14 : les Jésuites au Paraguay
  • ch. 15 : récit du Baron : homosexualité des Jésuites…
  • ch. 18 : la vraie religion de l’Eldorado.
  • ch. 19 : l’esclavage : rôle des « fétiches » hollandais.
  • ch. 22 : l’abbé périgourdin
  • ch. 24 : le moine Giroflée, souteneur ; rôle des couvents.
  • ch. 28 : Homosexualité des Jésuites. L’imam et Pangloss.
  • ch. 30 Conclusion : le Derviche.

La religion pactise avec les puissants

Grief principal de Voltaire : la Religion choisit puissance et biens matériels, aux dépens du bonheur des hommes.

La religion a partie liée avec les aristocrates : Le Baron utilise le curé du village comme aumônier, et son fils fait une carrière confortable chez les Jésuites. On la voit au service des appétits de conquête des Rois (ch. 3), bénissant et justifiant les massacres.

La religion est avide de biens matériels

Tous les personnages religieux sont liés à l’argent. Les « professionnels de la foi » sont le plus souvent des hypocrites et des voleurs : souteneurs (le juif et l’inquisiteur avec Cunégonde, Giroflée avec Pâquette), voleurs (le cordelier du ch.10).Tous ces personnages jouent donc un rôle négatif dans le récit : ils représentent le côté sombre d’une humanité qui ne vit pas en accord avec ses principes, et qui, pourtant, est constamment du côté de l’anathème et de l’accusation. Quand à l’église, elle devient elle-même puissance de domination (ch. 14). Le pouvoir spirituel mène la guerre pour son propre compte grâce aux missionnaires devenus soldats conquérants. Les ordres religieux sont transformés en véritables armées, pour l’exploitation et l’asservissement des peuples d’Amérique latine.

La religion écrase les peuples

Par son enseignement, elle favorise lasoumission des peuplades crédules (ch 19, sur l’esclavage), facilite l’entreprise barbare des négriers, puis inspire aux esclaves, dûment endoctrinés, une entière soumission à leurs maîtres.

La corruption du clergé

Elle est dénoncée en de multiples occasions : Frère Giroflée (ch. 24), l’abbé Périgourdin etc.

La religion est fauteuse d’intolérance

C’est le thème majeur de la critique voltairienne. Voir son action dans l’affaire Calas, le Traité sur la Tolérance…

L’intolérance des prêtres catholiques conduit au supplice les croyants d’autres religions, juifs surtout, et même ses propres fidèles. Dénonciation de l’Inquisition (ch.6)

Le point de vue de Voltaire : l’intolérance, inacceptable sur le plan humain, est en outre sans fondement dans l’ordre de la raison : puisqu’il n’y a qu’un Dieu, et qu’en conséquence les hommes sont tous d’accord sur l’essentiel, les persécutions ne se fondent que sur des différences de rites, qui sont accessoires.

Une religion éclairée bannit les prêtres

Dans ce récit systématiquement pessimiste où sont dénoncées toutes les iniquités du monde,  Voltaire ne décrit qu’une réforme, celle de la religion, par la bouche du vieillard de l’Eldorado (ch. 18). 2 mesures suffisent à instaurer la religion idéale : la disparition du clergé, fauteur d’intolérance et de conflits, et à la place, l’instauration d’un service de la prière laïc, assuré par les pères de famille. (admiration pour la religion Quacker).

Conclusion

Voltaire s’en prend aux prêtres, mais nullement à la religion elle-même : Voltaire est déiste, non athée. Il a besoin d’un Dieu créateur pour comprendre l’existence de l’univers, et l’harmonie de cet ensemble infiniment complexe qui gravite dans le cosmos. Cf la formule de Dieu horloger :

 « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer
Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger. »

La technique romanesque dans Candide

Introduction

Les contes de Voltaires sont des allégories, comme il le dit lui-même dans sa Correspondance. Les idées sont premières.

Cf titres : Candide ou l’optimisme, Zadig ou la destinée… Distance constamment maintenue à l’égard de la fiction par l’ironie qui interdit une lecture naïve : il ne s’agit pas de créer l’illusion, mais d’éveiller la réflexion. Aussi, dès le ch. 1 de Candide, l’univers du conte se fissure.

D’où aussi la présence de nombreux débats, plus ou moins intégrés à la trame narrative : discussion avec Martin sur le problème du mal pour se « désennuyer » durant la traversée ; débat avec le « bon vieillard » de l’Eldorado. Cf dans l’Ingénu les débats avec Gordon enfermé à la Bastille. Le récit permet avant tout de mettre en scène le débat d’idées.

Les personnages n’ont pas d’épaisseur romanesque : ils sont soit des caricatures (Pangloss, Martin), soit de simples fonctions : Candide est victime et spectateur, Micromégas = le point de vue de Sirius, l’Ingénu représente le bon sens et l’absence de préjugés.

Le personnage de Candide comme artifice narratif

C’est un personnage fantoche, incroyablement bousculé par la vie. Il ne fait pas avancer le récit, il le subit.

C’est un héros qui souffre mais ne voit rien. La guerre, l’Autodafé sont vus par un narrateur ; mais nous ne saisissons guère le point de vue de Candide. C’est le narrateur et non Candide qui nous fait comprendre l’absurdité du monde : Candide n’est pas un regard qu’on promène sur le monde.

Pourtant il est présent dans les 30 chapitres, victime, spectateur ou auditeur de récits. Il assure la continuité, l’unité du conte : structure linéaire, sans simultanéité, propre au conte.

Procédé de la mise en abyme : le récit de la vieille

Aux chapitres 11 et 12 apparaît un procédé nouveau : la mise en abyme. Le récit de la vieille est enchâssé dans le conte, et en reproduit les principaux thèmes en les aggravant.

La Vieille (qui n’a même pas de nom), est l’image à la fois idéalisée et aggravée de Cunégonde : celle-ci, fille de petite noblesse, était surtout fraîche et agréable, la vieille était fille de pape et d’une beauté exceptionnelle. Elle est la prémonition de ce que sera Cunégonde dans les derniers chapitres. Elle a connu l’amour absolu, mais une chute bien plus rude que celle de Cunégonde qui se réduisait à des coups de pied aux fesses et aux soufflets de la baronne : la Vieille voit mourir son amant.    

Puis c’est la série des malheurs, comparables à ceux de Cunégonde, et des autres personnages :

la capture, symétrique de la prise du chateau de Thunder-ten-Tronk, et le viol : la vieille sera « violée presque tous les jours »

La violence et la guerre sur les côtes du Maroc (symétriques à la guerre vécue par Candide) : la violence est encore plus grande en Afrique qu’en Europe.

La maladie (évocation de la « grande peste de 1720-1721) ; en somme, elle condense à elle seule les malheurs répandus sur trois personnages : le viol (Cunégonde), la guerre (Candide), la maladie (Pangloss).

La vieille devient une marchandise, vendue et revendue. Là encore, on note l’aggravation par rapport au sort de Cunégonde, qui fut seulement servante et concubine. Elle deviendra même… une denrée comestible, et sera amputée d’une fesse en Russie : nouveau degré dans l’inhumain !

Enfin, elle est condamnée à l’errance.

Le récit n’est pourtant pas pathétique : bien que les formes du mal y soient traitées de manière hyperbolique et concentrée, on sourit de la vieille, comme elle en sourit elle-même !

L’ironie, procédé multiple

A) le Baron : voir ch. 1. Au premier degré, éloge du Baron fondé sur la puissance et la richesse. Or le sens réel est tout autre : dénonciation d’une classe ruinée et parasitaire. L’ironie vise ici la dévalorisation de sa cible.

B) Pangloss, le philosophe génial : même procédé dans le chapitre 1 : éloge apparent pour une réelle dévalorisation. La cible, ici, c’est la philosophie de Leibnitz. On reconnaît l’ironie à l’exagération de l’éloge, l’amplification disproportionnée (« il prouvait admirablement… »)

C) les armées merveilleuses : cf ch. 3 .

D) le spectacle de l’Autodafé : permet de se défendre de la censure en invoquant la lettre de son texte : de même qu’il admire l’armée, il aime les belles cérémonies.

E) Le généreux royaume des Jésuites : en apparence un royaume bien administré; à travers un lexique valorisant : « admirable »… « chef d’oeuvre »… mais dans la réalité, c’est le contraire : l’exploitation des indigènes, qui éclate dans cette seule phrase, qui suffit à démolir l’éloge : « Los Padres y ont tout et les peuples rien. »

Une « histoire philosophique » ?

A) L’Ironie  : il ridiculise la personne de son adversaire (Pangloss) et formule ses idées de manière caricaturale. Le langage de Pangloss est constamment discrédité par son inadéquation à la situation.

B) Le style direct : intégre les idées à la narration. Permet d’exprimer de manière vivante les idées qui lui tiennent à coeur. Donne la parole à de sages vieillards : l’Eldorado pour la question religieuse : dans un cadre paisible, conversation entre les visiteurs et un sage vieillard ; ch. 30 : le sage vieillard qui prêche d’abord par l’exemple.

Enfin, c’est un bon véhicule de l’émotion : cf l’esclavage.

C) Images et descriptions : images données surtout à propos de l’amour. Cf l’épisode des grands singes, qui vaut une longue diatribe lyrique contre les « bons sauvages » de Rousseau.

  • Sur la religion : l’autodafé traité en spectacle ;
  • pour l’inconduite des ordres religieux, description du révérend père commandant : « un très beau jeune homme, le visage plein, assez blanc, haut en couleur, le sourcil relevé, l’oeil vif, l’oreille rouge, les lèvres vermeilles » = quelqu’un qui vit un peu trop bien !

—> les thèses de Voltaires sont véhiculées par les procédés les plus typiques du récit : descriptions et portraits.

D) La démonstration par l’intrigue : le refus de l’optimisme s’exprime non par un discours, mais par les rebondissements d’une histoire. Du coup de pied initial à l’ennui existentiel du dernier chapitre, c’est tout le récit qui a valeur démonstrative.

La précipitation des événements qui bousculent Candide constitue un bon exemple de mise en scène d’une argumentation par des faits pris sur le terrain : la réalité vécue par le héros est en contradiction avec la vision optimiste du monde.

Conclusion

Un récit fictif et non réaliste, mais en prise sur le réel : les contemporains ont lu Candide comme la gazette de leur temps. Il a en effet l’ambition de rendre compte du monde dans sa totalité, et d’en dégager la signification : il est irréductible à une thèse, à une idée : Pangloss, Martin et tous les idéologues sont renvoyés dos à dos. Le mot « conclusion » qui ouvre le chapitre 30 est ironique : le « jardin » n’a pas une signification univoque. Ce ne sont donc pas des fictions destinées à illustrer des abstractions : on y trouve toutes les expériences, toutes les passions de leur auteur.

Personnages et fonctions

Un critique contemporain a déclaré que les personnages des contes de Voltaire étaient des fonctions plus que des êtres. Commentez et discutez ce jugement.

Introduction

On présentera le statut du conte en tant que genre littéraire, en insistant sur son irréalité par rapport au roman. Par ailleurs, on s’interrogera sur la notion de « personnage-fonction » : qu’est-ce que la fonction d’un personnage ? Tout personnage a forcément une fonction dans le récit, au sein d’un schéma actanciel ; que signifie, pour un personnage, n’être qu’une fonction ?

  1- Une représentation physique sommaire

Les héros du conte, contrairement à ceux du roman, sont décrits très sommairement. C’est le cas de Candide (« Sa physionopie annonçait son âme »), de Zadig, paré de toutes les qualités physiques, mais dont on ne saurait tracer le portrait, de L’ingénu même dont on souligne seulement au passage quelques traits fondamentaux (la vigueur du Sauvage, l’élégance de l’Européen…) Une présence physique réduite à quelques traits : la douleur (Candide après les coups de fouet de l’Inquisition…), le désir (Candide, l’Ingénu…), la maladie (Pangloss)…Même les héroïnes connaissent le même traitement. Elles appartiennent à des types : la belle jeune fille (Mlle de Saint-Yves, Formosante), fraîche et sensuelle (Cunégonde, la fille du Pape…) ; leur dégradation physique, dans Candide, répond à un besoin de démonstration : ch. 11 pour la Vieille, ch. 29 pour Cunégonde : c’est une des manières de mettre à mal le « Tout est bien » de Pangloss.Il ne s’agit en aucun cas de produire un effet de réel qui permette au lecteur d’identifier le personnage comme une personne.

2- Des caractères à peine ébauchés.

A) Absence d’individualité morale.

Cunégonde, p. ex, ne manifeste jamais un fond d’esprit ou de sentiment. Son physique, ses mains qui s’égarent annoncent une femme sensuelle, mais ses mésaventures, qu’elle raconte à Candide, ne lui arrachent ni une larme ni un regret. Exigeant à la fin que Candide l’épouse, elle ne dit pas son amour, mais fournit par ce mariage de dégoût une preuve de plus du malheur universel.

B) des personnages-thèses.

Pangloss se réduit à une mécanique verbale, incapable même d’éprouver un sentiment : avec quelle allégresse raconte-t-il au pauvre Candide la ruine du château et le viol de Cunégonde ! Il n’est qu’une caricature. A l’autre extrémité, Martin le Manichéen – on ne dit pas encore le Pessimiste – n’est pas beaucoup mieux loti.On trouve d’autres personnages-thèses dans les contes : les six rois que rencontre Candide, les personnages du banquet, dans Zadig…

C) Des personnages-emplois.

On trouve de tels personnages à profusion dans les contes : l’ami fidèle, Cador ou Cacambo, la femme infidèle (Azora) ; la capricieuse (Missouf) ; le mari jaloux (Moabdar), le père noble ou qui se voudrait tel (Le Baron de Thunder-Ten-Thronck); certains même n’ont pas de nom, seulement définis par leur emploi, au sens théâtral du terme : tel « l’interrogant bailli » de l’Ingénu, ou l’Envieux et l’Envieuse de Zadig.

D) Des personnages fonctions.

Ceux-là ne se définissent que par le rôle qu’ils sont amenés à jouer dans l’action, et ils disparaissent aussitôt : tel l’Empereur Chinois, qui indique à Formosante où est Amazan, ou le Bon Anabaptiste, qui se noie aussitôt accomplie sa mission : emmener Candide et Pangloss à Lisbonne, au moment du tremblement de terre. Sans parler du Baron, dont le « rôle » se limite à un fameux coup de pied au derrière…

De tels personnages interdisent toute forme d’identification au lecteur. Ils sont certainement la condition sine qua non, à la fois du plaisir du conte et du rire qu’il excite (on s’amuse d’un bout à l’autre de Candide, qui n’est pourtant qu’une enfilade de drames et de tragédies…), et aussi d’une distance critique qui permet la réflexion philosophique.   

Les dialogues dans Candide

Importance considérable du dialogue dans Candide, qui s’apparente parfois à une pièce de théâtre. Tantôt le récit laisse place au dialogue (cf. L’Eldorado), tantôt c’est le dialogue qui contient un récit (histoire de la vieille). Cette place très importante donnée au dialogue permet de multiplier les points de vue, et de jouer sur la polyphonie : chacun des principaux personnages fait ainsi entendre sa voix.

Les différents types de dialogue possibles :

dialogue didactique, dont l’objectif est l’exposition d’un savoir : dans ce cas, les interlocuteurs ne sont pas sur le même plan , puisque l’un d’eux détient le savoir qu’il dispense aux autres.

dialogue dialectique : deux personnages sur le même plan discutent entre eux, pour parvenir à résoudre une difficulté commune.

dialogue polémique : affrontement entre deux thèses opposées, chacun des interlocuteurs défendant sa position (parfois avec véhémence).

Les principaux dialogues :

– chapitre 4, entre Candide et Pangloss (p. 51-52) : dialogue didactique, dans lequel Pangloss raconte la maladie qui l’afflige, mais réaffirme que « tout est au mieux »

– chapitre 5 (fin) : bref échange entre Pangloss et un inquisiteur : dialogue polémique. C’est le seul de ce type.

– chapitre 18, le vieillard de l’Eldorado : Candide s’informe, le vieillard répond à ses questions ==> dialogue didactique.

– chapitres 20 et 21 :  Candide discute avec Martin. Dans le premier chapitre, Martin expose ses conceptions philosophiques

à Candide : dialogue didactique  ; même schéma dans le ch. 21,même si Candide se permet parfois quelques objections.

– chapitre 22, « Paris » : nombreux dialogues. Candide, étranger, s’informe auprès de ses interlocuteurs (didactique) ; mais il y a aussi débat (p. 176, p. ex : dialogue dialectique).

– chapitre 24 : Paquette, Giroflée, Martin : Paquette et Giroflée racontent leurs malheurs (didactique), et Martin commente : dialectique.

– chapitre 25 : Pococurante : dialogue didactique (P. Répond aux questions) puis dialectique (Candide et Martin commentent)

– chapitre 26 : les six rois. Chacun à son tour raconte ses mésaventures. : didactique. (on peut se demander si dans ce cas il y a véritablement dialogue, ou plutôt une succession de récits).

– chapitre 30 : deux dialogues didactiques (dont un paradoxal : le derviche refuse de délivrer une leçon !), puis un dialogue qui serait polémique, si Candide daignait répondre à Pangloss.

Conclusion : très grande prédominance du dialogue didactique :  Candide est en permanence en situation d’apprentissage : élève de Pangloss, puis (plus ou moins) de Martin, étranger qui ignore les coutumes locales, auditeur qui écoute les récits des autres personnages… Changement radical à la fin, lorsque justement il refuse d’écouter Pangloss.

En revanche, quasi absence de dialogues polémiques (Martin et Pangloss ne dialoguent jamais, par exemple), et absence totale du dialogue dialectique : cela renforce le caractère caricatural du conte, dans lequel chacun des personnages représente une idée, et est enfermé dans un bloc de certitudes dont rien ne peut le faire sortir. C’est vrai des personnages principaux (Pangloss, Martin, le Baron), et aussi des personnages secondaires : Pococurante, par exemple.

Seul Candide est capable d’écouter ce qu’on lui dit : il est aussi le seul qui progresse.