Stendhal, « Le Rouge et le Noir » (1830)

La politique dans le roman

Dans le XXIIème chapitre de sa seconde partie, Stendhal affirme que

« La politique […] est une pierre attachée au cou de la littérature, et qui, en moins de six mois, la submerge. La politique au milieu des intérêts d’imagination, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert. Ce bruit est déchirant sans être énergique. Il ne s’accorde avec le son d’aucun instrument. Cette politique va offenser mortellement une moitié des lecteurs, et ennuyer l’autre qui l’a trouvée bien autrement spéciale et énergique dans le journal du matin. »

Mais voici ce qu’il fait répondre par l’éditeur :

« Si vos personnages ne parlent pas politique, ce ne sont plus des Français de 1830, et votre livre n’est plus un miroir, comme vous en avez la prétention… »

La passion de la politique est un héritage des Lumières et de la Révolution ; même avec un suffrage censitaire très restrictif, et sous un régime autoritaire comme celui de Charles X, elle est extrêmement animée et souvent violente. Or le roman épouse très précisément les dates de ce règne de Charles X, puisqu’il commence en 1824 et s’achève en 1830, avant la révolution de Juillet.

Un paysage politique contrasté

De l’extrême droite à l’extrême gauche, la vie politique est très polarisée :

Les Royalistes

  • Dès l’époque de Louis XVIII s’opposent les partisans d’une monarchie modérée et constitutionnelle, acceptant la Charte, et donc un certain partage du pouvoir, et ceux qui veulent une restauration sans condition de la monarchie absolue, et l’abandon de tout ce que la Révolution et l’Empire ont créé. Ces derniers, sous le nom d’Ultras, soutiennent le Comte d’Artois, futur Charles X, contre Louis XVIII ; en 1824 ils croient leur triomphe absolu avec l’élection d’une « chambre introuvable » et le ministère de Villèle ; mais, déçus de la persistance de la Charte, ils complotent pour son abolition, en tentant de s’appuyer sur l’Angleterre et les monarchies du Nord. Dans le roman, M. de Rênal appartient à ce parti, de même que le marquis de la Mole, véritable chef de conspiration.
  • De leur côté, les Orléanistes, autour du futur Louis-Philippe, soutiennent que leur chef est tout aussi légitime pour régner que les frères de Louis XVI.

Les Bonapartistes

Les partisans de Napoléon Bonaparte, après Waterloo et l’exil de l’Empereur à Sainte-Hélène, n’ont pas disparu pour autant, même s’ils sont réduits à la clandestinité. Ils font vivre le mythe napoléonien, et méprisent profondément les royalistes, portés au pouvoir par l’occupation étrangère.
Dans le roman, Julien, qui cache sous son oreiller un portrait de Napoléon, et fait du Mémorial de Sainte-Hélène son livre de chevet, incarne ce parti.

Les Libéraux

Souvent républicains, ou monarchistes modérés, ils veulent, eux, qu’une libéralisation politique accompagne le libéralisme économique. Ils se battent contre la censure, et souhaitent un élargissement du scrutin censitaire, encore largement fondé sur la fortune foncière (donc favorable à l’ancienne noblesse).

Les Jacobins

Eux aussi sont réduits à la clandestinité ; eux non plus n’ont pas disparu, ni renoncé. Pourtant ils sont honnis de tous, et l’accusation de « jacobinisme » peut suffire à briser une carrière politique (c’est ce qui menace M. de Rênal à la fin du roman), ou même mener en prison.