André Breton, « Nadja » (1928)

André Breton en 1924

La structure du livre

Le livre se présente comme un triptyque, formé de trois volets assez inégaux :

  1. un long préambule, de la page 9 à la page 69
    1. Qui suis-je (texte 1)
    2. La critique littéraire et la biographie : Breton veut connaître l’homme dans sa réalité ; il cite une anecdote concernant V. Hugo, et attaque le roman, psychologique et fictif.
    3. Il précise son dessein : connaître la réalité de sa vie, par la relation des « faits-glissades » et des « faits précipices » (p. 19-22, texte 2)
    4. Suivent toute une série d’anecdotes pouvant s’apparenter à de tels faits : la rencontre de Paul Eluard, la vue des « boutiques bois-charbon », la venue de Benjamin Péret, l’écriture sous hypnose de Desnos, le film L’Etreinte de la Pieuvre, la pièce Les Détraquées jouée par Blanche Derval (p. 43-55), un cauchemar de Breton, la « Dame au gant », l’illusion d’optique concernant la « Maison rouge » (p. 67), et enfin l’explosion de la tour du manoir d’Ango.
      Toutes ces rencontres préfigurent et annoncent ce que sera la rencontre avec Nadja.
  2. La partie centrale est consacrée à Nadja, de la page 71 à la page 172.
    1. On remarque d’abord un récit traditionnel, au passé : « le 4 octobre dernier… », qui va jusqu’à la page 87 ;
    2. puis le texte prend la forme d’un journal, du 6 au 12 octobre, jusqu’à la page 127 ; la fin en est marquée par une ligne de points. C’est là que se situera le texte 3, p. 94-103.
    3. L’on revient alors au récit rétrospectif, p. 127-157
    4. Enfin, toujours sur le mode narratif, Breton nous fait part de sa rupture avec Nadja, et de sa folie (p. 157-172 : texte 4)
  3. Un épilogue plus court, en trois parties, de la page 173 à la page 190.
    1. Breton tire d’abord un bilan, jusqu’à la page 184, revenant même sur les lieux de la rencontre ; première allusion à la Merveille.
    2. Irruption d’un nouveau personnage, non prévu dans le plan de départ, mais qui change la perspective du livre : « Toi », la « merveille », dont Nadja n’était donc que l’ambassadrice. C’est le même personnage qui est désigné par X dans les Vases communiquants
    3. Enfin, un excipit (ou explicit) qui est une méditation sur la Beauté, marqué par une coupure de journal : le dernier message d’une aviatrice américaine qui s’est abîmée à l’Île au Sable… Ce sera notre texte 5, pages 184-190.

Texte 1, p. 9-10 : incipit

Ce texte est l’incipit de Nadja :

Il s’agit d’un texte d’ouverture, qui pose les questions auxquelles le livre est censé répondre, et notamment la 1ère question : « qui suis-je ». Il y en aura deux autres dans le livre :

  • « qui êtes-vous » p. 82, adressée à Nadja
  • « qui vive ? » p. 172, après le départ de Nadja.

Le texte ne donne aucune réponse à cette première question ; il expose cependant ce que sera le projet du livre : il s’agit de trouver un sens à son être, et à sa vie, et de répondre, donc à une question d’identité : « je m’efforce, par rapport aux autres hommes, de savoir en quoi consiste, sinon à quoi tient, ma différenciation. » Une question qui rattache le texte, a priori, à une tradition d’introspection propre à l’autobiographie, de Rousseau à Leiris.

L’unicité du « moi », sur laquelle insiste Breton, évoque d’ailleurs beaucoup l’incipit des Confessions de Rousseau, et son orgueilleux « moi seul » ! cf. « événements qui n’arrivent qu’à moi » (l. 51) ; « émotions que je suis seul à éprouver » (l. 53), « entre tous les autres » (l. 59) ; « de quel message unique je suis porteur » (l. 60-61)…

Mais cette unicité n’est pas ici sentie comme une supériorité : chaque « moi » est ainsi, unique.

Un texte d’introspection, la recherche philosophique de la vérité d’un « je »

André Breton fait tout d’abord référence à l’adage « Dis-moi qui tu hantes, je dirai qui tu es », mais il donne au verbe hanter son sens fort, et non simplement le sens de « fréquenter » qu’il a dans l’expression populaire. Hanter… comme un fantôme ; et c’est déjà l’irruption du « surréel », de ce qui échappe à la logique (« la plus haïssable des prisons », p. 169) et au bon sens.

Le « je » que va décrire Breton n’est donc nullement celui de Rousseau ou de Leiris, parfaitement transparent à lui-même, mais au contraire un « je » fait de strates successives (« ce qu’il a fallu que je cessasse d’être, pour être qui je suis », l. 12), un « je » dont les « manifestations objectives » ne constituent que l’apparence, la manifestation énigmatique « d’une activité dont le champ véritable m’est tout à fait inconnu » : irruption de l’inconscient ! Les Surréalistes se sont beaucoup intéressés à Freud et à la psychanalyse (il y sera fait allusion plus loin) : les manifestations conscientes ne sont que le signe d’autre chose, d’une autre forme de vie psychique qui nous échappe, mais dont le rêve, par exemple, ou l’écriture automatique ou sous hypnose peuvent donner une idée.

Breton revient ensuite (l. 20-32) sur l’image traditionnelle du fantôme, dont il rejette le caractère moralisateur (le fantôme est puni pour ses fautes), mais dont il retient une vague idée de réincarnation ; noter le rythme ternaire l. 29-32 : revenir en croyant explorer, essayer de connaître ce que je devrais reconnaître, apprendre ce que j’ai oublié ; c’est le phénomène de la réminiscence, cher à Platon, dans lequel l’âme, éternelle, ne peut que reparcourir le chemin déjà parcouru et oublié, et qui se manifeste, parfois, par des sensations de « déjà vu ». Mais Breton repousse à la fois l’aspect temporel de la réincarnation (des incarnations successives), et surtout la notion de morale qui s’y associe.

Le « je » dont il est question peut donc à la fois s’identifier au « je » personnel d’André Breton (c’est de sa différenciation qu’il sera question, au travers d’anecdotes autobiographiques, en particulier la rencontre, très réelle, avec Nadja), et au « je » universel utilisé parfois par les philosophes. Ce tout premier texte ne permet pas de trancher entre les deux, car il ne contient aucun élément biographique.

La question du genre

  • L’aspect philosophique interdit de penser que l’on aura affaire à un simple récit – le caractère narratif n’interviendra d’ailleurs que plus tard, après des considérations sur la critique et la biographie des auteurs (un retour assez paradoxal au biographisme, et une curieuse manière d’instrumentaliser les œuvres au service de la connaissance de l’homme…), et un exposé sur les « faits-glissades » et les « faits-précipices », sur lequel nous reviendrons dans le texte 2, et qui confirme la perspective bien particulière qu’a choisie Breton : tout ce qui, dans les rencontres et les événements d’une vie, relève du « signal », de la prophétie ou de l’anticipation.
  • La narration proprement dite intervient p. 24, avec la mention des lieux, et du « point de départ ».
  • par ailleurs, le caractère autobiographique, en supposant le « pacte autobiographique » (auteur, narrateur, personnage principal sont une seule et même personne, et les événements racontés sont vrais et vérifiables), interdit de voir dans Nadja une forme quelconque de fiction romanesque – d’autant que Breton, ici (cf. p. 18) et dans les Manifestes du Surréalisme, condamne ce genre.

L’incipit laisse donc attendre un texte assez inclassable, à mi-chemin entre le récit de vie et la méditation philosophique, mais aussi dans l’optique du surréalisme : attention au hasard, aux coïncidences, aux rencontres, et grande disponibilité à l’égard de l’extraordinaire.

Texte 2, p. 19-22 : « faits-glissades » et « faits-précipices »

Texte important, car il introduit les deux notions de « faits-glissades » et « faits-précipices » essentiels pour la compréhension de ce qu’a pu être la rencontre avec Nadja.

Le texte se présente comme un exposé théorique :

Dès les premiers mots, il apparaît comme l’exposé d’une conception philosophique de l’existence : « ma vie telle que je peux la concevoir hors de son plan organique » (les italiques sont de l’auteur) : prise de parti contre la logique traditionnelle (« l’idée commune »). On peut avoir l’impression que Breton décrit sa vie de l’extérieur, comme une succession d’événements survenus hors de sa volonté, et qu’il observe avec l’œil d’un scientifique : »épisodes », « hasards », « rapprochements », « coïncidences », « faits » (le terme revient plusieurs fois, lignes 16 et 26, avec la répétition « il s’agit de faits » qui scande une longue période, 35, 50, 51 et 52). Celui qui les vit, le narrateur, n’est plus alors que le témoin (l. 53), et non plus l’acteur, d’une vie qui semble se dérouler en dehors de lui.

L’auteur insiste sur le caractère objectif de sa description :

  • importance des connecteurs logiques tels que « soit » (= c’est-à-dire) l. 5, « sans doute… mais » (l.17), « fussent-ils » (concession) l. 26, « en revanche », « ainsi »
  • importance du vocabulaire de l’analyse : « valeur intrinsèque contrôlable », « constatation pure », « hiérarchiser ces faits », « du plus simple au plus complexe », « entendement », « activité raisonnée », « on pourrait établir quantité d’intermédiaires »…
  • Raisonnement par analogie, dans les dernières lignes (56-75) : les « faits-précipices » sont aux faits rationnels ce que l’écriture automatique est à l’écriture consciente.

Pourquoi cet aspect scientifique ?

  • Pour établir la réalité de ces « faits-précipices », qui sont effectivement des faits, et à ce titre doivent être pris en compte (réponse à l’objection des rationalistes qui n’y verraient que des illusions)
  • Par rejet de la littérature « psychologique » : Nadja (pas plus que l’Amour fou ou les Vases communicants) ne sont des autobiographies ordinaires – pas davantage que des romans !

Mais il s’intéresse à l’irruption de l’extraordinaire :

Breton insiste en effet sur le caractère stupéfiant des faits qui l’intéressent – et par là même leur caractère incroyable, incommunicable.

  • sa vie, livrée aux « hasards, au plus petit comme au plus grand », « l’introduit dans un monde défendu », et l’on peut remarquer l’insistance de Breton sur le vocabulaire de l’extraordinaire : « pétrifiantes coïncidences », « valeur peu contrôlable », « caractère absolument inattendu, violemment incident » (l. 19), « invraisemblables complicités » (l. 31) ; plus loin, il est question de « certains enchaînements, certains concours de circonstances qui passent de loin notre entendement » (l. 43-46) ; et tout le préambule sera constitué de tels hasards ou concours de circonstances.
  • On reconnaît ici l’idée surréaliste selon laquelle le hasard, le rêve, les associations d’idées plus ou moins volontaires révè lent une autre réalité que le réel rationnel. C’est cette idée que l’on retrouve dans des jeux tels que les « cadavres exquis » ou l’écriture automatique.
  • Ces faits, cette ouverture fulgurante (image de l’éclair, qui fait voir, l. 14), le surréaliste les recherche, ou plutôt, il est à leur égard dans une attitude de disponibilité. C’est cette disponibilité que Breton reconnaîtra en Nadja. On les reconnaît au trouble qu’ils provoquent – et on peut remarquer que Breton abandonne alors le « je » au profit du « nous » (p. 21) : le phénomène ne lui est pas propre, il a un caractère universel, mais il est occulté par la raison, le réalisme. Toute l’œuvre du surréalisme consiste précisément à refuser ces refoulements, ces tabous liés à la raison, et à se rendre disponible à de telles rencontres. C’est pourquoi Rimbaud a eu une telle importance pour eux, notamment la « Lettre du Voyant » dans laquelle il était question du « dérèglement de tous les sens », précisément pour tenter d’atteindre une telle vérité. Mais il y avait chez Rimbaud un volontarisme qui n’existe pas chez Breton.
  • Enfin, de tels faits sont à la fois inquiétants (« faits-glissades », « faits-précipices », image de l’araignée dans sa toile…) et magiques : s’il est question de « l’instinct de conservation » qui nous en détourne – et l’histoire tragique de Nadja témoigne que de telles rencontres peuvent être dangereuses, et toucher à la folie – toute la fin du texte témoigne du plaisir inégalable que procurent de telles rencontres – comparables aux trouvailles de l’écriture automatique, qui nous satisfont plus que les images trouvées lucidement.

Pour témoigner de ce caractère incommunicable, stupéfiant, Breton n’a plus recours au langage scientifique, mais aux images, ou aux analogies :

  • accords plaqués comme au piano
  • éclairs
  • fil de la vierge et toile d’araignée (à la fois « scintillante » et « inquiétante »)
  • analogie entre ces coïncidences et l’écriture automatique

On peut noter toutefois qu’aucune de ces images n’est une image surréaliste (c’est à dire une image où le rapport entre le comparant et le comparé est le plus éloigné, le plus énigmatique possible). En ce sens, Nadja est un texte sur le surréalisme, mais n’est pas un texte surréaliste.

Conclusion

Ce préambule pose un certain nombre de paradoxes :

  • Un texte qui n’obéit nullement aux règles de composition surréaliste, qui n’a rien ni d’une écriture automatique, ni d’un abandon aux images, mais qui se présente au contraire comme un exposé quasi scientifique, la recherche d’un connaissance de soi ;
  • Mais cette connaissance de soi n’a pas lieu par une introspection psychologique, mais au contraire par l’abandon à l’inconnu, qui se manifeste par le hasard, les « pétrifiantes coïncidences », l’irruption de l’irrationnel – des faits face auxquels, comme dans le cas de l’écriture automatique, le « moi », loin d’être acteur conscient, n’est plus que le « témoin hagard » : la connaissance de soi passe par une dépossession de soi.
  • Enfin, cette dépossession, pour inquiétante qu’elle soit, déstabilisante, est aussi source d’un plaisir inégalable, d’une intense satisfaction. C’est dans cet espace livré à l’imaginaire et à l’irrationnel que Breton et Nadja évolueront, ensemble, un temps.

Texte 3, pages 94-103

Repérez sur le plan le trajet du couple, et notez les connecteurs temporels :

  • De la place Dauphine, au bout de l’île de la Cité, à la Conciergerie, puis le Louvre et les Tuileries, et enfin la rue Saint-Honoré : haut lieu de l’Histoire de la révolution, notamment de l’époque royale : palais-royal, prison de Marie-Antoinette…
  • Notations temporelles : « durant le repas », « plus d’une demie-heure s’est passée », minuit.

Quels personnages (réels) rencontre le couple ? Quelle est leur signification, et leur rôle ?

Deux personnages :

  1. l’ivrogne, personnage assez sinistre ; sert essentiellement à créer une atmosphère irrationnelle et lugubre.
  2. L’homme qui a proposé le mariage à Nadja, p. 102 : souligne toute la part obscure de la vie de Nadja, sa précarité : elle mentionne des « amis » peu sûrs, qui n’ont même pas de nom, et qui tous la quittent (y compris Breton !). Et, par association d’idées, Nadja repense à sa fille, dont le comportement est lui aussi assez inquiétant…

Voyance ou folie ? Relevez les différentes manifestations de la « voyance » de Nadja, en essayant de les classer :

Véritables manifestations de voyance : la fenêtre qui s’éclaire en rouge, le jet d’eau (reprise d’un livre que lit Breton + photo), la réaction de Breton sans qu’il ait rien dit.

Confusion des époques et allusion à la réincarnation : le souterrain, la prison, l’époque de Marie-Antoinette : pour Nadja, cela semble apparaître comme quelque chose de naturel (cf. Le 2ème texte)

Hallucinations : la main de feu sur la scène, le vent bleu porteur de mort (mais prémonition de sa propre tragédie ?), l’inquiétante mosaïque dans le bar…

Sentiments éprouvés par Nadja : le trouble et la peur : visions inquiétantes et menaçantes ; cf. « baiser qui contient une menace », « toute tremblante »… En même temps, confiance enfantine à l’égard de Breton.

Le texte permet-il de trancher entre une interprétation « rationnelle » (la maladie mentale) ou la « voyance » ? Nadja évoque elle-même l’hypothèse de la maladie. Breton en revanche, ne semble pas s’en inquiéter : il l’observe, comme un témoin, parce qu’elle confirme les « coïncidences » et les « faits-précipices » qu’il recherche.

Une rencontre manquée : noter les différentes réactions du narrateur devant le comportement et les paroles de Nadja. Peur, puis lassitude (« de guerre lasse » p. 98) ; mais en même temps, dès que Nadja ne lui apparaît plus comme un pur phénomène surréaliste, il s’en désintéresse : « ce qu’elle dit m’intéresse moins » ; Nadja n’a été pour lui qu’un relais, un phénomène, mais il ne s’est pas vraiment intéressée à sa personne, et il ne l’a pas vraiment aimée : cf. P. 103.

Cf. p. 158 : « Tout ce qui fait qu’on peut vivre de la vie d’un être, sans jamais désirer obtenir de lui plus que ce qu’il donne, qu’il est amplement suffisant de le voir bouger ou se tenir immobile, parler ou se taire, veiller ou dormir, de ma part n’existait pas non plus, n’avait jamais existé. »

Les images dans Nadja

Tableau des différentes photographies

Les lieux Les statues Les portraits Textes & affiches
  • Hôtel des grands hommes p. 23
  • Colombier manoir d’Ango p. 25
  • boutiques bois-charbon p. 30
  • Porte Saint-Denis p. 37
  • intérieur du théâtre moderne p. 50
  • Marché aux puces de Saint-Ouen p. 60
  • Librairie de l’Humanité p. 70
  • Hôtel « la Nouvelle France » p. 86
  • Restaurant place Dauphine p. 95
  • Jet d’eau des Tuileries p. 99
  • boutique des « camées durs » p. 119
  • Sphinx hôtel p. 121
  • château de Saint-Germain p. 131
  • enseigne lumineuse Mazda p. 156
  • « Les Aubes » à Avignon p. 181
  • Etienne Dolet p. 27
  • Henri Becque p. 170
  • mannequin du Musée Grévin, p. 178

  • Paul Eluard p. 28
  • Benjamin Péret p. 32
  • Robert Desnos p. 34 (photomontage de Man Ray)
  • Blanche Derval p. 56
  • Mme Sacco p. 91
  • les yeux de Nadja (photomontage) p. 129
  • Professeur Claude p. 162
  • André Breton p. 174
  • L’Etreinte de la Pieuvre p. 39
  • Lettre de L. Mazeau à propos du théâtre moderne p. 41 (recto) et p. 42 (verso)
  • Texte de Berkeley p. 101
  • images populaires de l’Histoire de France p. 112
Tableaux

Objets

Dessins de Nadja
  • La Profanation de l’hostie, de Paolo Ucello p. 110
  • Tableau de Braque p. 150
  • Tableau de Chirico p. 151
  • Tableau de Max Ernst p. 153

Objets surréalistes :

  • le cylindre p. 61
  • le gant de bronze p. 66

Objets d’arts premiers :

  • « chimène » p. 152
  • « je t’aime » p. 154
  • p. 123
  • p. 139
  • p. 141
  • p. 142
  • p. 144
  • p. 145
  • p. 147
  • p. 148
  • p. 163 : « l’âme du blé », sans référence au texte.

Soit 48 pages de photographies sur environ 185 pages : 26 % du volume !

Parmi ces photos, 44 datent de la première édition de 1928, et 4 ont été rajoutées en 1963.

L’introduction des photos dans le texte constitue une grande nouveauté à cette époque ; André Breton continuera par la suite, avec l’Amour fou et les Vases communicants ; mais les photos seront moins nombreuses, et moins hétérogènes : partant, l’effet produit sera moins violent que dans Nadja.

Quelles sont les fonctions de ces photos ?

André Breton l’indique lui-même dans l’avant-dire : il s’agit d’éliminer toute description, d’une part, et d’autre part de conférer au texte un caractère de véracité qui l’apparente au documentaire.

Éliminer toute description :

La photographie serait donc un substitut de la description. Pourtant cela ne se vérifie pas toujours : parfois un objet représenté (cylindre, dessins de Nadja…) est à la fois photographié et décrit. Inversement, certains objets ou tableaux comme l’Enlèvement à Cythère de Watteau ne figurent ni à titre de description, ni comme photographie.

Donner au texte un aspect documentaire :

C’est le cas notamment avec les nombreuses photographies de lieux, en particulier de lieux parisiens. Breton se serait inspiré du photographe Eugène Atget (1857-1927) qui vivait dans la même rue que Man Ray ; il avait été découvert par le groupe surréaliste, et quelques clichés du vieux Paris en train de disparaître avaient été publiés en 1926 dans la revue La Révolution surréaliste. Mais Breton utilise des photos particulièrement neutres, le plus souvent désertes (sauf Saint-Ouen, inspirée sans doute par l’œuvre d’Atget). Voir la photo du jet d’eau des Tuileries : image fixe qui arrête le mouvement, et extérieur jour, alors que la scène était censée se dérouler la nuit !

Mais on ne peut réduire le rôle des photographies à ces deux aspects. D’autres s’imposent :

Toutes les photos, en noir et blanc et occupant chacune une page, sont donc sur le même plan ce qui permet des rapprochements particulièrement subversifs, correspondant à une refonte des valeurs par les Surréalistes :

  • un grave professeur de médecine, et « Mme Sacco », une voyante
  • Le texte de Berkeley et la planche d’images populaires sur l’histoire de France
  • Les dessins griffonnés de Nadja, et les peintures de Uccello, Braque, Chirico…

Tout ceci est à mettre en relation avec le goût pour des films tels que l’Étreinte de la Pieuvre ou la pièce Les Détraquées, jouée au théâtre moderne et appartenant au genre du feuilleton et du théâtre du Boulevard : le Surréalisme, à l’instar de Rimbaud réhabilitant les « peintures idiotes » et autres « petits livres sans orthographe » (cf. la Saison en enfer), rejette les valeurs établies, en art comme ailleurs, et aime particulièrement les arts populaires. Un classique du genre : Fantômas, feuilleton d’Allain et Souvestre, puis film de Louis Feuillade, et qui sera célébré par Desnos.

La photographie, comme d’ailleurs le cinéma, n’est pas encore tout à fait, elle-même, reconnue comme un art à part entière ; elle se ressent encore des préventions du 19ème siècle.

Les photos se constituent selon plusieurs réseaux : voir tableau ci-dessus.

Les lieux parisiens, déjà évoqués ;

Les portraits : d’abord les amis surréalistes dans la 1ère partie (noter le photomontage de Man Ray sur Desnos, le montrant, comme sur une pellicule, à deux moments de son « sommeil éveillé ») ; puis des femmes, toutes sur fond noir : Blanche Derval, Mme Sacco ; le Docteur Claude, véritable cliché officiel du bourgeois (costume, lunettes…) et en contrepoint, petite concession au narcissisme, la photo d’André Breton, qui s’affirme comme l’auteur (renvoi au texte), mais un auteur problématique ; cela renvoie aussi à la première question : « qui suis-je ? ». On notera enfin l’isolement orgueilleux de Breton, loin de ses amis du groupe surréaliste…

Enfin, ajouté en 1963, la photo à la fois métonymique et métaphorique des yeux de Nadja (on n’est pas sûr que ce soit elle qui ait posé) : les sourcils et l’arête du nez font songer à une fougère (métaphore), tandis que les yeux représentent la personne toute entière, la « voyante » (métonymie). Photomontage à la manière de Man Ray, réalisé par Breton lui-même.

Les objets : deux appartenant aux « objets surréalistes », improbables, trompeurs (le gant), dépourvus de toute valeur d’usage, et qui peuvent faire penser aux détournements d’objets et autres ready-mades chers aux Surréalistes ; deux autres faisant partie de ce qu’on appellera les « Arts premiers », et qui témoignent à la fois de l’intérêt tout nouveau porté à ces arts au début de ce siècle, et de la formidable intuition de Breton collectionneur – une collection qui vient d’être dispersée malgré les efforts de nombre d’intellectuels français, dont François Bon… Ces objets fascinaient Breton par leur caractère magique.

Les textes et affiches : là encore, il s’agit à la fois, de manière subversive, de mettre sur le même plan le littéraire et le non-littéraire, mais aussi de souligner le caractère visuel du texte imprimé ou écrit.

Les tableaux : trois sont d’amis peintres qui ont fasciné Breton : Braque (le Joueur de mandoline, et non de guitare, exemple du « cubisme analytique » du début du siècle : l’objet est vu sous plusieurs angles à la fois, et présenté en arêtes vives), Chirico, qui fascinait les Surréalistes par un univers onirique d’inquiétante étrangeté, mais qui ne tardera pas à les décevoir en revenant à une facture plus classique, et Max Ernst. Le tableau d’Ucello, peintre de la renaissance florentine et l’un des maîtres de la perspective, est à part ; son tableau, une prédelle (partie inférieure d’un triptyque), fait écho au « baiser comme une hostie » donné à Nadja et perçu comme une menace.

Il existe également des réseaux plus subtils, qui traversent à la fois le texte et les images :

Les portes : sombre de « bois-charbon » et lumineuse de Saint-Denis ; closes, comme dans la librairie de l’Humanité, porte menaçante du tableau d’Ucello (dans le tableau complet, des soldats furieux s’apprêtent à forcer la porte de l’usurier à qui l’on a vendu l’hostie), porte entrebâillée des « camées durs » : la porte est l’ouverture vers un ailleurs, un imaginaire, une autre réalité. A mettre en relation avec le projet même du livre, que Breton veut « battant comme une porte » (p. 18) ; et la porte du placard, qui livre à la fois le cadavre et l’explication du meurtre, dans la pièce du Théâtre moderne.

On peut associer à ce réseau la voiture arrêtée que l’on trouve dans plusieurs clichés : mouvement arrêté ? promesse d’un départ ? (p. 23 et 70)

Les yeux, les mains, les gants : le leurre du musée Grévin a les mains gantées ; or c’est « la seule statue qui ait des yeux »… qu’on ne voit pas sur la photo. En revanche, on note les yeux maquillés pour la photo (mais non pour la scène) de Blanche Derval ; le regard de la voyante et celui de Nadja ; le gant de Lise Meyer et le gant de bronze, véritable objet trompe-l’œil, dont l’allure dissimule le poids réel… Les yeux dessinés par Nadja (la fleur des amants), la main qu’elle voit sur l’eau ou qu’elle dessine…

Rupture dans la narration et création d’un rythme

  1. Les photos interviennent tantôt par vagues, tantôt avec une alternance régulière texte / image (p. 23 à 43)
  2. Leur succession semble parfois aléatoire ; elles précèdent ou suivent le texte, créant par là des effets d’anticipation ou de retour en arrière.
  3. Elles rompent de toute façon le cours de la narration, introduisant un autre mode de lecture (tabulaire et non plus linéaire), un temps de contemplation qui s’oppose au temps du récit
  4. Parfois redondantes (boutiques bois-charbon) elles disent à d’autres moments ce que le texte ne dit pas : cf. photo de Jean-André Boiffard p. 70 :
    1. cadrage mettant en évidence l’affiche « on signe ici », blanc qui contraste avec les fenêtres plus sombres : adhésion du groupe au Parti communiste ; allusion à Breton s’apprêtant à signer son livre, insistance sur le mot « signe » ;
    2. la flèche-signe dirige ensuite le regard vers la mention « cartes » ;
    3. « cartes Taride » (marque de cartes routières) : on ne voit que le mot « cartes » : évoque la voyance ?

Une esthétique du collage

Esthétique chère aux surréalistes, que Max Ernst en particulier va pratiquer ; consiste à juxtaposer ou superposer des objets, ou des matières hétéroclites. Un exemple de collage parmi les dessins de Nadja. C’est cette même esthétique qui semble présider ici : photos hétéroclites, dans un ordre aléatoire, et qui s’intercalent dans le texte écrit. Esthétique de la rupture, du rapprochement improbable – c’est cela même que l’on appelle l’esthétique surréaliste. De ces rencontres naît la poésie.

Etude d’un personnage : Nadja

Tout d’abord, Nadja est un personnage réel, qui a vraiment existé, elle est donc tout le contraire d’un personnage fictif de roman.

Grâce à André Breton, on connaît quelques éléments de sa vie. On sait notamment qu’elle a fini sa vie dans un asile à sainte Anne. Son existence est prouvée par les dessins qu’elle a réalisés et qui sont surtout présents à la fin du livre.

Nadja : un personnage réel

Nadja est le début du mot espérance ce n’en est que le commencement  » elle me dit son nom, celui qu’elle s’est choisi : Nadja, parce qu’en russe c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement.  » (p75)

P. 82 : Elle se définit comme une  » âme errante « 

P. 84-85 : un personnage l’appelle LENA au lieu de LEONA en souvenir de sa fille qui est morte.

P.129 : Les dessins de Nadja attestent de sa réalité, notamment un situé en couverture du livre. On dispose également d’un montage de ses yeux introduit dans le livre en 1962 car André Breton était fasciné par ceux-ci et ce n’était pas le seul

On peut trouver les autres dessins pages 123,139,141,142,144,145,147,148 et 163, elles témoignent se son esprit (obsession du mal  » enfer  » et du côté fantastique)

Son histoire :

Elle est d’origine lilloise, elle a quitté cette ville il y a deux ans (p74)

Elle parle de ses parents, s’attendrit au souvenir de son père (p76), elle parle de sa mère comme  » une bonne femme  » (p76. Elle fait croire à sa mère qu’elle est chez les sœurs à Vaugirard à Paris. Elle erre à Paris sans but, elle a des problèmes d’argent (p73 et 106) ainsi que des problèmes de santé (p80. Elle a deux amis à paris et fait la connaissance d’André Breton le 4 octobre.

Nadja : un personnage surréaliste

C’est un personnage énigmatique et étrange. Elle est inquiétante, a un côté sombre, est obsédée par le mal : la main de feu (p100), les baisers lui font peur, elle les voit comme une menace (p98.) Elle est très vite déstabilisée par les gens qu’elle rencontre (p102) C’est également un personnage ambigu et inclassable: son apparence physique change, tantôt élégante (p83, le 5 octobre) tantôt négligée (p72, le 4 et 6 octobre)

Elle passe sans cesse d’un extrême à un autre. Elle passe sans transition de la confiance à la peur et du sérieux au frivole

C’est une femme marginale, ce qui fascine les surréalistes et André Breton, c’est le symbole de la révolte contre un ordre social masculin et oppressif.

Breton s’intéresse à son côté surnaturel. Pour lui, Nadja est comme un génie (p130), ce qui ne l’empêche pas de la trouver immature et frivole et c’est ce qu’il lui reproche.

(P94. Elle va basculer dans la folie, Breton encourage ses visions, il développe son caractère non rationnel et va favoriser sa folie et ne va pas l’arrêter.

Ce qui intéresse André Breton, ce n’est pas l’être en lui-même mais plus son côté surréaliste. Il le dit p104, il n’est pas amoureux d’elle.

Breton ne s’intéresse qu’à son côté surnaturel dés qu’elle

  • a des hallucinations : vision de la main sur la seine (p. 98)
  • confond des époques : conciergerie, palais de justice, palais royal
  • fait une manifestation de voyance : fenêtre qui s’éclaire en rouge (p. 96)
  • Citation d’un texte inconnu de Breton (p. 96)

Analyse d’un de ses dessins :  » la fleur des amants  » (p. 139)

Nadja a inventé  » cette fleur merveilleuse ». C’est au cours d’un déjeuner que cette fleur lui apparut. Nadja voulait donner aux deux regards une expression différente (p. 140) comme si les deux regards représentaient le regard de Nadja et celui de Breton.

Conclusion

En réalité, Nadja n’est qu’une saccade préparant la rencontre avec  » toi « , ce  » toi  » qui sera tout le contraire d’elle. Nadja est comme une énigme pour Breton. Jusqu’à la fin, on pourrait croire qu’elle est le personnage principal mais en réalité elle n’est qu’un personnage secondaire car c’est  » toi  » le personnage principal.