Rome au XVIème siècle

Les papes du 16ème siècle

1503-1513 : Jules II succède à Alexandre VI Borgia (1492-1503), dont les enfants, César et Lucrèce, sont tristement célèbres, l’un par son goût immodéré du pouvoir (il aurait inspiré Le Prince de Machiavel), l’autre pour avoir été victime de sa famille : cf. le drame de Victor Hugo, Lucrèce Borgia. Entre Alexandre VI et Jules II, Pie III ne régna que quelques semaines (septembre-octobre 1503). Pape bâtisseur, Jules II choisit le plan de Bramante pour la basilique St Pierre, commanda les « chambres » de Raphaël au Vatican et son propre mausolée érigé par Michel-Ange à Saint-Pierre aux liens. Il fut surtout un pape guerrier.

« Moïse » de Michel-Ange. Saint-Pierre-aux liens, Rome, photographie Michèle Tillard, 2006

1511 : Le Roi de France Charles XII lance la première guerre d’Italie. La même année, Michel-Ange peint la Chapelle Sixtine, à Rome.

1513-1521 : Léon X succède à Jules II ; ami de Michel-Ange, ce fils de Laurent de Médicis est passionné par les arts et les lettres. C’est sous son règne qu’éclatera le schisme de Luther : il n’en comprit ni la raison profonde, ni l’importance, et affecta de traiter l’affaire comme une simple querelle de moines.

1522-1523 : Adrien VI, originaire d’Utrecht, fut le dernier pape non italien avant Jean-Paul II.

1523-1534 : Clément VII, cousin germain de Léon X et allié de François Ier, ne put éviter le sac de Rome par les troupes de Charles Quint (1527), ni le schisme luthérien qui se poursuivit et s’amplifia sous son pontificat.

1534-1549 : Paul III, de la famille Farnese, convoqua le concile de Trente en 1545 ; il confia l’achèvement du palais Farnese (actuelle ambassade de France à Rome) à Michel-Ange, et lui commanda Le Jugement dernier de la chapelle Sixtine.

Le Palais Farnèse, actuelle ambassade de France.

1550-1555 : Jules III del Monte : C’est auprès de lui que se rendit le cardinal Du Bellay, et avec lui son cousin, Joachim du Bellay, qui lui servait d’intendant… (1553-1557). De mœurs douteuses, grand amateur de vin et d’oignons de Gaëte, il s’enferma dans sa somptueuse « Villa Giulia » et se livra aux pires débauches. L’un de ses « mignons », un jeune voyou de 17 ans, dresseur de singe, fut fait cardinal ! Du Bellay y fait allusion (Regrets 105 et 106). Jules III mourut à 67 ans.

9-30 avril 1555 : Marcel II Cervini contraste en tous points avec Jules III : il veut réformer l’Eglise, y compris sur le plan financier, en revenant à une pure doctrine chrétienne – ce qui revenait à renoncer aux prêts à intérêt, donc au plus clair des ressources du Vatican. La cour romaine est épouvantée… Hasard ? Poison ? Marcel II meurt le 30 avril après une courte maladie. Personne n’est vraiment dupe, à commencer par Du Bellay (Regrets, sonnets 94 et 109) :

                                     « Heureux qui peult long temps sans danger de poison
                                      jouir d’un chapeau rouge, ou des clefz de Sainct Pierre ! »

1555-1559 : Paul IV Caraffa : son élection sera l’occasion de la disgrâce du cardinal Du Bellay – et de son secrétaire avec lui. En effet, alors qu’Henri II lui avait ordonné d’œuvrer en faveur du cardinal d’Este, non seulement Du Bellay ne le fit pas, mais il se fit attribuer le poste de doyen qui devait revenir à d’Este, et ne fit rien pour empêcher l’exil de celui en qui le Roi de France voyait son meilleur atout.

Paul IV apparut d’abord comme un autre Marcel II : rigoureux, austère, il contrastait singulièrement avec Jules III. Mais il se révéla vite brutal, incapable et dangereux. Il remet en service l’Inquisition et multiplie les arrestations arbitraires (Regrets, 113), met à l’index les œuvres d’Érasme ; manipulé par ses neveux (voir sonnet 114 des Regrets), notamment Carlo Caraffa très souvent malmené dans les Regrets, (71, 73, 103…), il n’hésite pas à attaquer le Royaume de Naples, aux mains du Saint-Empire romain germanique ; la trêve de Vaucelles, qui met un terme très provisoire au conflit entre la France et le Saint-Empire, est rompue sur l’initiative de Coligny, ce qui aboutit quelques mois plus tard au désastre de Saint-Quentin : Henri II doit rappeler ses troupes d’Italie, et la France est un moment hors jeu. Le duc d’Albe menace alors Rome d’un nouveau sac, Paul IV doit s’humilier devant lui tandis qu’une panique indescriptible gagne la ville… A sa mort, Paul IV sera si impopulaire à Rome que l’on mettra sa statue en pièces.

Durant son règne, non seulement la ville ne s’embellit pas, toutes les ressources financières étant tournées vers la guerre, mais Rome échappa de peu à un nouveau sac.

1559-1565 : Pie IV, de la famille Médicis, conclut le concile de Trente.

1565-1572 : Pie V

1572-1585 : Grégoire XIII

1585-1590 : Sixte V, pape bâtisseur, mais mauvais financier, qui accumule au Château Saint-Ange un fabuleux trésor en numéraire, asphyxiant ainsi l’économie romaine.

Du 15 septembre 1590 au 30 décembre 1591, trois papes se succèdent, pour des règnes de quelques jours à quelques semaines : Urbain VII, mort avant même d’avoir été couronné, Grégoire XIV et Innocent IX.

1592-1605 : Clément VIII, le bien mal nommé, puisque c’est sous son pontificat que Giordano Bruno est brûlé vif à Rome.

Rome entre 1553 et 1557

Alors que le poète français Joachim Du Bellay accompagne son oncle ambassadeur à Rome, trois papes vont s’y succéder : Jules III, successeur du brillant Paul III mort en 1549, Marcel II qui ne règnera que quelques jours en avril 1555, et Paul IV. La papauté connaît donc une crise à ce moment-là.

Rivalité entre Charles Quint et les rois de France

L’empire de Charles Quint

L’empire de Charles Quint Habsbourg occupe l’Espagne, une grande partie de l’Italie (Royaume de Naples, Sicile, Sardaigne, Milanais, grâce aux Sforza), les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche, la Bohème et la Hongrie. Il a l’ambition de reconstituer l’Empire romain.

En face, la France de François Ier puis de Henri II est encerclée ; elle tentera en vain de se désenclaver par les campagnes d’Italie – qui se solderont par le désastre de Pavie en 1525. En 1552, Henri II s’empare des « trois évêchés » (Metz, Toul et Verdun) ; en 1556, Charles Quint abdique : son frère Ferdinand lui succède à l’Empire, tandis que son fils Philippe II devient roi d’Espagne : l’Empire se scinde en deux. Le rêve d’un Empire universel, héritier de l’Empire romain, s’effondre.

Les États pontificaux (en blanc sur la carte d’Italie) sont donc encerclés, eux aussi, par le Saint-Empire : les Papes joueront sans cesse un jeu diplomatique entre Charles Quint et les rois de France, pour asseoir leur propre pouvoir.

Au XIVème siècle les États pontificaux sont à leur extension maximale et les Constitutions égidiennes établissent en 1357 sept provinces dans l’ensemble central de l’Italie : Rome, la Campanie et la Marittima au sud, le Patrimoine de saint Pierre en Toscane, la Sabine, la marche d’Ancône et le duché de Spolète ; auxquels il faut ajouter les enclaves de Bénévent et de Pontecorvo dans le royaume de Naples, Avignon et le Comtat Venaissin.

Pendant les guerres d’Italie, le pape Jules II prend possession des villes que César Borgia avait conquises en Romagne et dans les Marches. Léon X  y ajoute les villes d’Émilie : Modène, Parme, Plaisance et Reggio.

Mais ces possessions restent fragiles, dans une Italie morcelée.

Règlement du schisme luthérien et concile de Trente

Né le 10 novembre 1483, Luther est d’abord un moine ordinaire. Son conflit avec l’Église éclate en 1517, à propos de l’indulgence décrétée par le pape Léon X pour la construction de la basilique Saint-Pierre, indulgence soutenue en Allemagne par l’archevêque Albrecht de Mayence. Le 31 octobre, Luther écrit à l’archevêque pour lui demander de ne pas cautionner cette indulgence et joint à sa lettre les 95 thèses destinées à clarifier la doctrine des indulgences. On dit que ces 95 Thèses, également appelées Thèses de Wittenberg, auraient été placardées sur la porte de l’église du château de Wittenberg, mais on n’en a aucune preuve. En revanche, elles sont imprimées à la fin de l’année, provoquant agitation et scandale. Luther est dénoncé à Rome par l’archevêque Albrecht. Un an plus tard, commence contre lui un long procès qui aboutira à son excommunication en 1520. Mis au ban du Saint-Empire en avril 1521 par l’édit de Worms, il sera soutenu par un certain nombre de princes allemands qui le mettent à l’abri.

En 1545, un concile est convoqué à Trente pour régler les problèmes religieux : on l’attendait depuis 1521 ! Il durera 18 ans, se déroulera dans trois villes, et marquera la rupture avec l’église médiévale, et le début de la Contre-réforme. Il entérinera surtout le schisme entre catholiques et protestants, en Allemagne (paix religieuse d’Augsbourg : cuius regio, eius religio, principe qui stipule que tous les sujets d’un État doivent embrasser la religion du Prince), et en France, où les guerres de religion se déchaînent jusqu’en 1598 (Édit de Nantes).

Constructions, vie artistique et culturelle.

La ville que trouve Du Bellay en 1553 a de quoi le décevoir. Voici en quels termes la décrit Jean Delumeau (Rome au 16ème siècle, voir bibliographie) :

« Rome devint, à la fin du XVIème siècle, la plus belle ville d’Europe, mais non sans effort. Au milieu du siècle, elle présentait encore un aspect lamentable. La zone des collines avait été abandonnée et la majeure partie de la population – 35 000 habitants sur quelque 55 000 –  s’entassait dans la bouche du Tibre, sur deux kilomètres carrés. En revanche, les deux  tiers de la zone comprise dans l’enceinte d’Aurélien restaient inhabités. Les basiliques Saint-Jean-de-Latran ou Sainte-Marie-Majeure se trouvaient ainsi à la campagne et le Forum républicain, qui nous semble si central, était connu sous le nom de Campo vaccino, le « champ aux vaches ». Les loups venaient rôder jusque sous les murs du Vatican.

A l’intérieur de l’enceinte devenue trop large, les monuments antiques se dégradaient : le Colisée était transformé en carrière, l’arc de Septime Sévère était surmonté d’une tour médiévale et celui de Constantin servait d’appui à des maisons. Dans la zone habitée, les rues rarement pavées recevaient les ordures des maisons particulières et, en 1565 encore, un dédale de venelles larges de deux ou trois palmes (48 ou 72 cm) s’insérait entre les maisons des quartiers populeux : détritus et restes d’animaux de boucherie s’y accumulaient.

Les rues étaient tortueuses, étroites, encombrées par toutes sortes de balcons, escaliers, échoppes et portiques débordant sur la chaussée […]

Vers la fin de la Renaissance (1560), Rome demeure donc, malgré certaines innovations édilitaires récentes, telles que le percement des rues Alessandrina et Giulia, et en dépit de quelques grandes constructions de prestige (palais de Venise, du Vatican, de la Chancellerie, des Farnèse), une ville chaotique, d’aspect médiéval. » (p. 59-60)

Saint Pierre et le Vatican.

La Basilique Saint-Pierre est l’expression la plus frappante de la volonté des Papes d’inscrire dans la pierre la grandeur de la Papauté. Avec 211,50 m de long, 44 mètre de haut sous la nef centrale, et une hauteur totale de 142 m, elle est la plus grande église d’Europe.

C’est Jules II qui posa la première pierre en 1506, sur le plan de Bramante. Mais Jules II mourut en 1513, et Bramante l’année suivante ; la querelle des indulgences, le sac de Rome en 1527 par les troupes de Charles Quint retardent considérablement les travaux.

En 1534, Paul III les relance ; Antonio da Sangallo le Jeune, puis Michel-Ange à partir de 1546 en sont les architectes ; celui-ci rejeta le projet de coupole de Bramante, et s’inspira de la coupole de Santa Maria dei Fiori de Florence, plus haute et plus svelte; à sa mort en 1564, les absides étaient terminées, ainsi que la partie centrale de la basilique et le tambour de la coupole.

Les travaux furent définitivement terminés entre 1588 et 1590, sous le pontificat de Sixte Quint. Les dernières finitions seront achevées en 1626. Il aura donc fallu 120 ans pour un chantier aussi gigantesque : c’est peu, si l’on songe que la cathédrale de Londres fut construite en deux siècle, et celle de Milan en cinq…

La basilique Saint Pierre de Rome © Michèle Tillard

Le palais du Vatican fut commencé au XVème siècle, celui du Latran étant trop délabré. Jules II reprit les travaux, jusqu’au sac de Rome ; et Paul III les continua. Sixte Quint, tout en rebâtissant le palais du Latran, agrandit encore le Vatican.