Le roman de chevalerie en Espagne (1300-1603)

Amadis des Gaules

Comme les romans français, les romans ibériques traitent deux matières :

  1. matière « antique »
  2. matière de Bretagne

Mais à la différence de celui-ci, le roman hispanique mêle la prose et le vers, depuis la Historia Troyana Polimetrica, adaptation espagnole du roman français, L’Éneas datant du 13ème siècle. Ainsi, des vers élégiaques sont insérés dans l’Amadis des Gaules – on en trouvera une parodie dans Don Quichotte, p. 355. On trouvait ces insertions aussi dans le roman français en prose au XIIIème siècle.

Un genre à succès dans la littérature hispanique

Le roman de chevalerie est un genre littéraire qui a connu en Espagne un succès phénoménal pendant trois siècles, de 1300 (Libro del Cavallero Zifar) à 1602 (Policisne de Boecia en castillan, Clarisol de Bretanha en portugais).

Il fut aimé des rois : Pierre IV d’Aragon, Isabelle la Catholique furent de fervents lecteurs. Le roi François Ier fit traduire en français Amadis de Gaule dans les années 1530, Charles Quint se fit lire Bélianis de Grèce en 1545…

Mais il fut apprécié aussi d’un lectorat plus modeste : des lectures collectives eurent lieu jusque dans les années 1550.

Le genre essaima même hors d’Espagne : dans les colonies américaines, la Californie doit son nom au royaume des Amazones évoqué dans les Sergas de Esplandián, et la Patagonie au pays barbare décrit dans Primaleón.

Enfin, ce fut un genre connu et apprécié de Cervantès, dont pourtant le Don Quichotte va en accentuer le déclin au 17ème siècle. Il se contente en effet de nommer une petite vingtaine d’œuvres… et toutes les autres seront condamnées à l’oubli !

La diffusion des romans de chevalerie

De 1501 à 1650, on compte environ 270 éditions, dont la moitié avant 1550. C’est la production la plus massive du Siècle d’or. Même si la production se ralentit fortement dans la deuxième partie de la période, elle demeure extrêmement importante. Si l’on songe que chacune de ces 270 éditions a été tirée à environ 1000 exemplaire, on se rend compte qu’elles ont pu atteindre une grande partie de la population espagnole.

Quant aux écrivains, même si une grande partie reste inconnue, ils représentent également à peu près toutes les classes sociales.

  • 1501-1550 : 135 éditions environ
  • 1551-1600 : environ 90
  • 1601-1650 : 30 seulement.

Les plus grands succès :

  • Amadis de Gaule : 18 impressions (+ 70 réimpressions de ses continuations)
  • Palmerín de Oliva : 12 éditions
  • El Caballero de la Cruz : 11
  • Sergas de Esplandián : 10
  • Amadis de Grecia : 7
  • El Caballero de Febo : 6, dont la dernière en 1617.

Un genre décrié

Dès l’époque de sa floraison, le roman de chevalerie a subi de nombreuses critiques et censures, dont le chanoine, dans le roman de Cervantès, se fait l’écho.

Il subira les condamnations réitérées de l’Église, au même titre que les autres romans, en particulier après le Concile de Trente et la Contre-Réforme : c’est un passe-temps dangereux, plein de mensonges et de surnaturel païen… Mais une telle critique demeurera inefficace.

À ces critiques s’ajouteront celles, tout aussi inefficaces, des humanistes : Montaigne, par exemple, méprise ce genre et l’exécute en deux lignes dans ses Essais.

Mais le plus grand ennemi des romans de chevalerie, c’est l’usure du temps et le manque de renouvellement. On réimprime inlassablement les vieux livres, mais on n’en écrit pas beaucoup de nouveaux. Voici ce que dit La Fontaine, dans une lettre à sa femme, datée d’août 1663 :

« Vous n’avez jamais voulu lire d’autres voyages que ceux des Chevaliers de la Table Ronde… Vous ne joüez, ny ne travaillez, ny ne vous souciez du menage, et hors le temps que vos bonnes amies vous donnent par charité, il n’y a que les romans qui vous divertissent. C’est un fonds bientost épuisé. Vous avez leu tant de fois les vieux que vous les scavez ; il s’en fait peu de nouveaux, et parmi ce peu tous ne sont pas bons : ainsy vous demeurez souvent à sec. »

Enfin, les romans de chevalerie espagnols suscitent très peu d’études savantes et universitaires jusque dans les dernières années du 20ème siècle. La faute en est à Cervantès : sur plus de 60 ouvrages, il n’en cite qu’une poignée (25, en comptant les simples allusions), et n’en sauve que très peu.

  • Deux sont « sauvés » : Amadis de Gaule et Palmerin d’Angleterre
  • Trois sont condamnés avec sursis, mais retirés de la circulation : Espejo de Caballeriás, Tirant le Blanc et Bélianis de Grèce.
  • Sept autres seront brûlés avec le plus grand mépris.

Dernier handicap pour les romans de chevalerie, leurs dimensions : il s’agit d’ouvrages énormes, plus gros que les 1000 pages du Don Quichotte.

  • 70 titres, comptant plus de 1000 pages chacun
  • Une prolifération de personnages :
    • Amadis : 270 personnages
    • Tirant : 290 personnages
    • Palmerin d’Angleterre : 350 personnages

Les principaux romans de chevalerie espagnols

  • Libro del cavallero Zifar (1466)
  • Tirant le Blanc, du valencien Joanot Martorell, (1465), traduit en Castillan en 1511
  • Belianis de Grecia, de Jeronimo Fernandez (1505)
  • Amadis de Gaule, de Garci Rodriguez Montalvo (1508) et ses 7 continuations :
    • Sergas de Esplandián, de Montalvo (1510)
    • Florisando, de Ruy Perez de Ribera (1510)
    • Lisuarte de Grecia, de Juan Diaz (1526)
    • Amadis de Grecia
    • Florisel de Niquea (1532)
    • Rogel de Grecia (1546)
    • Don Silves de la Selva (1546)
  • Palmerines
    • Palmerin de Oliva de Francisco Vazquez (1511)
    • Primaleón de Francisco Vazquez (1512)
    • Platir (1533)
    • Palmerin d’Angleterre de Francisco Moraes (1547-1548)
    • Duardos de Bretanha (en portugais, 1582)
    • Clarisol de Bretanha (en portugais, 1582)
  • Clarian de Landanis de Gabriel Velazquez de Castillo (1518)
  • El Cavallero del Febo, d’Esteban Corbera (1598)
  • Policisne de Boecia, dernier roman de chevalerie publié (1603)