Introduction au théâtre romain | Biographie de Sénèque | La métrique de Phèdre |
L’exposition :
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Premier épisode :
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Deuxième épisode :
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Troisième épisode :
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Quatrième épisode :
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Bibliographie sur Phèdre |
Exposition
Premier monologue d’Hippolyte (1-84)
- planta, ae, f. : plante des pieds, pied
- Parnes, Parnethis : le Parnès, mont de l’Attique
- Thriasius, a, um : de Thrie, bourg de l’Attique
- scando, is, ere, scansi, scansum : monter
- Riphaeus, a, um =Rhiphaeus : du mont Riphée, en scythie
- alnus, i, f. : aulne
- texo, is, ere : tisser, entrelacer
- rado, is, ere, rasi, rasum : effleurer
- trames, tramitis, n. : chemin, sentier
- laeuus, a, um : de gauche
- Acharneus (mons) : mont Acharnien (Acharnes est un bourg de l’Attique)
- Phlye : nom d’un dème de l’Attique
- lorum, i : lanière de cuir, laisse
- latratus, us, m. : aboiement
- plăga, ae : piège [ne pas confondre avec plāga, ae : plaie]
- rarae plagae : les pièges à larges mailles
- linea, ae : cordon
- cludo, is, ere = claudere : enfermer : « qu’un cordon coloré d’une plume rouge enferme les bêtes, par une terreur vaine ». Technique de chasse consistant à rabattre le gibier avec une corde.
- robur : le rouvre, chêne très dur ; ce qui est fait en chêne : la lance…
- subsessor : celui est à l’affût
- culter, cultri, m. : couteau
- uirago, ginis : femme masculinisée, héroïne guerrière ; désignation d’Artémis… et seul type de femme qu’Hippolyte puisse apprécier ! Ce terme désigne aussi les Amazones : or Hippolyte est le fils de l’Amazone Antiope, première épouse de Thésée.
- uillosus, a, um : couvert de poils
- urus, i : aurochs
- argutus, a, um : ici, « à la voix claire »
Curieuse géographie, où cohabitent lions, tigres, aurochs, daims, bisons… Là encore, Stace imitera Sénèque.
Il s’agit d’une partie chantée, qui ouvre la tragédie, en mettant en scène Hippolyte, sous l’aspect d’un jeune chasseur assez sauvage. Stace s’en souviendra dans l’Achilléide. Les vers sont en dimètres anapestiques : ils sont composés de deux mètres, de deux anapestes chacun : UU — / UU — // UU —/ UU —. Aux anapestes peuvent se substituer le dactyle (— UU), le spondée (— —) et même le procéleusmatique (UUUU)
Scène II : Phèdre, sa nourrice (v. 85-273)
Tirade de Phèdre (85-128)
Les parties parlées (diuerbium) sont en sénaires iambiques, un vers équivalent au trimètre iambique des Grecs. Il est composé de six iambes (U –) ; aux iambes peuvent se substituer le procéleusmatique (UUUU), surtout au premier pied, le dactyle, l’anapeste (UU —), le tribraque (UUU) ou même le spondée.
Le premier vers se scande ainsi :
māg/nă uās/tĭ Crē/tă // dŏmĭ/nātrīx/ frĕtĭ
On relève 4 iambes, un tribraque et un spondée ; la coupe peut être penthémimère (après uasti), ou plus probablement hephtémimère (après Creta), mettant en valeur l’invocation « dominatrix » et le nom de la terre natale (Creta)
- tenus (+ gén. ou abl.) : jusqu’à
- peruium, ii : passage (adj. peruius, a, um : accessible, ouvert)
- inuius, a, um : inabordable, inaccessible
- procus, i : amant, prétendant
- solium, ii : trône
- torus, i : coussin, couche, lit nuptial, amour
Allusion à la légende selon laquelle Thésée, lié d’amitié avec Pirithoüs, accompagna celui-ci pour enlever Perséphone, déesse des Enfers. Mais ils furent pris par Hadès, et demeurèrent prisonniers 4 ans ; c’est Héraklès, descendu lui aussi aux Enfers pour dompter le chien Cerbère, qui les retrouva ; mais s’il libéra Thésée, il ne put rien faire pour Pirithoüs.
- exundo, as, are : couler abondamment, déborder
- pensum, i : quantité de laine qu’un esclave doit filer en une journée
- Atthis, Atthidis : Athénienne (mot poétique)
- gaesa, orum : mot gaulois désignant le javelot de fer
- (v. 116) efferus, a, um : farouche, sauvage, cruel (mot de Lucrèce et Virgile)
- remeo, as, are, aui, atum : revenir
- Mopsopia, ae : la Mopsopie = l’Attique
- perosus, a, um : qui déteste
A comparer avec la célèbre tirade de Phèdre chez Racine.
Tirade de la nourrice (129-177)
- tumor, oris : trouble, emportement, orgueil
- aggrauo, as, are, aui, atum : rendre plus lourd
- tutus ~ securus : oppose la sécurité physique (tutus : protégé, couvert)et la sécurité morale (securus)
- compesco, is, ere, cui : retenir, arrêter
Dans un premier temps, la Nourrice se montre respectueuse de l’ordre, des lois, et incarne la vertu stoïcienne. Elle rappelle à Phèdre, dès le premier mot, son statut : Thesea coniunx. Elle l’enjoint de renoncer à sa passion criminelle, car il est impossible d’échapper au jugement des dieux – son père Poséïdon, son grand-père maternel Jupiter lui-même – et encore moins à sa propre conscience. « poena praesens, conscius mentis pauor / animusque culpa plenus et semet timens« …
L’amour de Phèdre pour Hippolyte, son beau-fils (qui nous semblerait, à nous, plutôt banal) est marqué par l’opprobre religieux : les termes « monstrum » et « nefas » reviennent constamment. Phèdre brise l’ordre de l’univers, et menace celui des générations : où l’on voit que l’unique but du mariage est la procréation. (cf. v. 171-172).
Dialogue agonistique (177-273).
- in praeceps uadere : aller à l’abîme
- pronus, a, um : en pente, rapide (pour un fleuve)
- uadum, i : bas-fond, fond d’un fleuve ; poét. : eaux, flots (Virgile)
- uolucer (deus) : dieu ailé, Mercure ou Cupidon
- polleo, es, ere : être très puissant
- Gradiuus, i : Gradivus, un des noms de Mars
- trisulcus, a, um : à trois pointes
- caminus, i : fourneau, fournaise
- uerso, as, are, aui, atum : faire tourner
- neruus, i : corde de l’arc, d’où arc
- uolito, as, are, aui, atum : voltiger
La première réplique de Phèdre (177-194) présente une conception de l’amour, et de la passion en général, à l’opposé de la philosophie stoïcienne, mais qui séduira infiniment, à l’époque classique, un Racine imprégné de jansénisme : l’amour est une plaie, une passion qui s’impose à l’être de l’extérieur, sans qu’il puisse lutter. Sa raison alors est impuissante, ou pire, source d’illusion et d’erreur. « Quid ratio possit ? »
- proteruus, a, um : impudent, effronté (proterua… tela / tenera… manu)
- asciui < ascio, is, ire ou ascisco, is, ere : appeler à soi, admettre au droit de cité
- exulto, as, are, aui, atum = exsultare : être transporté d’allégresse, s’enorgueillir
- fluo, is, ere, fluxi, fluxum : couler, se relâcher, s’amollir
- fultus, a, um : participe de fulcio, is, ere, fulsi, fultum : soutenir
Réplique « rationaliste » de la nourrice (195-216), proche ici des stoïciens… et des Épicuriens : le « Dieu Amour » est une invention mythologique bien commode pour dissimuler la faiblesse ou la perversité de la raison. Et cette perversité est le produit du luxe ! Sénèque semble ici préfigurer Rousseau, dans son opposition des « demeures modestes » fidèles à la vertu, et des « maisons luxueuses » tentées par l’ennui, donc par le vice… Songeons aussi que Sénèque vit à la cour de Néron : pointe satirique ? (« diuites regnoque fulti » : les riches et les favoris du Roi…)
Puis le dialogue se fait de plus en plus vif, allant jusqu’à la stichomythie.
- mergo, is, ere, mersi, mersum : plonger, pénétrer dans
- licet + subjonctif se traduit ici par « même si » ou « il peut bien » : « Ne fais pas confiance à Dis ; il peut bien avoir fermé son royaume, et le chien du Styx peut bien surveiller les sinistres portes : Thésée trouve tout seul les voies qu’on lui refuse ».
Un portrait peu flatteur de Thésée et de son fils : le premier apparaît à la fois comme un héros, capable de vaincre l’Hadès en personne, mais aussi comme un tyran domestique, brutal et injuste : « immitis », « saeuam manum » (v. 226-227). Quant à Hippolyte, fils de l’Amazone, il se caractérise par une haine et une peur des femmes quasi pathologique. Racine adoucira considérablement ce caractère, déjà dessiné dans le premier monologue, (il n’aime que les viragos !) et qui rend le héros-victime bien peu sympathique.
- dabit sese mulcendum : il se laissera caresser. Phèdre est ici en plein délire !
- exuo, is, ere, ui, utum : se débarrasser de
- Patris memento — meminimus matris simul : « la fille de Minos et de Pasiphae… »
- paelex, icis = pellex, icis < πάλλαξ, πάλλακις : concubine, maîtresse, rivale
Phèdre, ici, ne résiste absolument pas à sa passion ; elle veut même à toute force s’y livrer, trouvant prétexte dans la relation de son mari avec Pirithoüs — dont Sénèque fait une liaison homosexuelle — ; elle a bien conscience de la faute, mais cela ne l’arrête pas : « Vadit animus in praeceps sciens » : mon esprit court à l’abîme en toute conscience.
- altrix, icis : nourrice
- autumo, as, are, aui, atum : dire, proclamer
Retournement de situation aussi brutal qu’inattendu : Phèdre, brusquement, veut se suicider, comme seule issue à sa passion. Est ainsi annoncé le dénouement. La nourrice, en la détournant de ce projet, sera donc responsable des malheurs à venir. Elle aussi change brusquement de discours, et se fait complice de l’amour de Phèdre pour Hippolyte. Les caractères présentent ici une certaine incohérence.
Premier chant du chœur (274-359)
Partie chantée en dimètres anapestiques, célébrant la toute-puissance de l’Amour, en écho à la tirade de Phèdre (et réduisant à néant l’argumentation rationnelle et sage de la Nourrice, qu’elle-même d’ailleurs avait abandonnée.
- renidens : participe présent de renideo : souriant
- moderor, aris, ari, atus sum : être maître de, diriger
- colonus, i : cultivateur, paysan, habitant
- luteus, a, um : jaune orangé, couleur de feu
- claua, ae : massue
- ferax, acis : fertile, fécond
- stamen, minis, n. : chaîne, fil, tissu
- spiculum, i, n. : dard, pointe de flèche
- India decolor : transposition d’Ovide (Tr. 5, 3, 24) Indus decolor : l’Indien basané.
- uirgatus, a, um : rayé
- Luca bos : éléphant (improprement appelé bœuf de Lucanie par les Romains)
Hymne à l’amour, au fils de Vénus – à comparer à l’hymne à Vénus de Lucrèce (I, 1-43) : mais chez le poète, l’amour est producteur de vie, élan vital ; ici il n’est plus que vaine passion et source de souffrance. En revanche, la condamnation de l’amour dans le livre IV est plus proche de ce texte-ci. Nombreuses allusions mythologiques : Phébus transformé en bouvier, Zeus enlevant Europe sur son dos, Artémis même confiant son propre char de la lune à son frère, Hercule enfin soumis à Omphale…
Le chœur, la nourrice, Phèdre (358-405)
Partie parlée en sénaires iambiques.
- gena, ae : paupière
- fastigium, ii: faîte, pente, partie du haut
- reclinis, is, e : appuyé sur, couché
- inlitus, a, um = illitus : participe parfait d’illino, is, ere, illeui, illitum : enduire
- Seres, um : les Sères, peuple d’Asie centrale, Chinois. Allusion à la soie.
- niueus lapis : probablement la perle.
- Tanaïtis, idis : habitante près du fleuve Tanaïs, Amazone (hapax)
- Maeotis, idis : scythique,
- lunatus, a, um : en forme de croissant
- pelta, ae : pelte, petit bouclier en forme de croissant, primitivement porté par les Amazones et les Thraces
- seponere : bannir, exclure
Phèdre semble ici sombrer dans la démence – ce qui d’ailleurs ne lui donnera aucune excuse. Pour séduire Hippolyte, elle veut se transformer en Amazone, ce qui est assez juste psychologiquement : l’on veut ressembler à celui qu’on aime, pour lui plaire. Espoir vain, et assez dérisoire. Contrepoint religieux du chœur : le seul espoir consiste à tenter d’apaiser la déesse, ici Artémis.
Premier épisode
La Nourrice, Hippolyte (406-579)
L’épisode commence par une prière de la nourrice à Artémis-Hécate, seule déesse capable de fléchir la misogynie du farouche Hippolyte.
- innecto, is, ere, nexui, nexum : lier, attacher
Belle invocation à la déesse, qui s’achève par un aparté : la Nourrice a aperçu Hippolyte, elle s’apprête à remplir sa mission de messagère et de corruptrice. Sentence désabusée et satirique : quand on craint les rois et qu’on les sert, il faut renoncer à tout sens moral… Aveu autobiographique ? Constat actuel, sous la forme d’une vérité générale – toujours à méditer ?
Tirade de la nourrice à Hippolyte :
- molior, iris, iri, itus sum : mettre en mouvement
- iugum : attelage, couple de chevaux. Hippolyte parle de ses demi-frères Acamas et Démophon en termes animaliers !
- quis (v. 443) = quibus
- fenus, fenoris, n. : rapport, produit, gain, bénéfice
- uegetus, a, um : vif, bien vivant
- truculentus, a, um : farouche, bourru
- suboles, is, f. : descendance, rejetons
Cette leçon de morale n’est pas si scandaleuse que l’on pourrait croire, et constitue même un lieu commun. Souvenons-nous de Cicéron affirmant dans le Pro Caelio « qu’il faut que jeunesse se passe », et que des fautes vénielles sont plutôt la marque d’un bon tempérament ! Mais la tirade de la nourrice élargit le débat, avec des accents quasi lucrétiens : sans l’amour, sans la force vitale, la vie disparaîtrait, le monde s’écroulerait. Hippolyte, en refusant l’amour et la sexualité, est un agent de Thanatos, il n’aime au fond que la mort et la destruction… ce qui fait écho à sa toute première tirade, où il n’exaltait que le sang et le carnage.
Réponse d’Hippolyte (483-564) :
- aura populi : la faveur du peuple
- fluxus, a, um : fluide, éphémère
- edax, acis : vorace, glouton
- liuor, oris, m. : envie, haine
- trabs, trabis, f. : poutre
- sufficere : fournir
- frux, frugis, f. : blé, céréales, moisson
- struo, is, ere, struxi, structum : disposer, dresser, édifier
- foueo, es, ere, foui, fotum : baigner, purifier
- metor, aris, ari : mesurer, arpenter, parcourir
- uulsus, a, um : participe parfait de uello, is, ere, uulsi, uulsum : arracher, cueillir.
- fraga, ae : fraise ; ici mûre
- dumetum, i : ronceraie
- agger,eris, m. : levée de terre pour protéger un camp, rempart
- balista, ae : baliste, engin lanceur de pierre à torsion et à deux bras. Hippolyte use ici d’un lexique technique précis. La baliste gréco-romaine (Ier siècle av. J.-C.) fonctionnait suivant le même principe que la catapulte : elle pouvait envoyer des projectiles de 2 kg à plus de 450 m.
Une baliste romaine ; http://medieval.mrugala.net/Armes%20de%20siege/Baliste.htm
- v. 535 : « la baliste bandée n’avait pas encore brisé les portes closes sous le poids d’une pierre »
- pauere < pasco et non < paueo !
- cornus, i, f. : cornouiller (dont on fait les javelots)
- mucro, onis : pointe, épée
- crista, ae : crête, aigrette, panache
Une interminable tirade de 80 vers – les héros de Sénèque ont avant tout la passion du discours ! Dans une première partie, Hippolyte donne une image à nouveau « rousseauiste » avant l’heure du caractère corrupteur de la civilisation urbaine : dans l’isolement et la nature, il cherche en réalité la vertu, à l’écart des complots du pouvoir et du luxe. Allusion au mythe de l’âge d’or, repris d’Hésiode et d’Ovide (v. 525-39).
La rupture de l’âge d’or suit d’abord le modèle classique : goût de la richesse et du pouvoir menant à la haine et aux combats, luttes fratricides ou opposant parents et enfants… Cf. Hésiode, les Travaux et les Jours. Puis le discours prend un tour plus personnel, lorsque Hippolyte fait des femmes le pire fléau (v. 559) ; là encore on peut penser à Hésiode et au mythe de Pandore ; mais la haine du jeune homme semble plus personnelle, et quasi pathologique.
- Médée, épouse d’Égée : après s’être vengée de Jason, son mari infidèle, en tuant ses enfants, Médée s’était réfugiée à Athènes, où elle avait épousé Égée ; Thésée se trouvait alors à l’étranger. Au retour du jeune homme, Médée jalouse s’était efforcée de le présenter comme un ennemi à Égée, et avait même proposé de l’empoisonner au cours d’un repas. Mais Thésée reconnu in extremis, Médée fut chassée d’Athènes.
Après une brève relance (faible protestation de la Nourrice), Hippolyte se lance dans un véritable réquisitoire, haineux et hystérique, contre les femmes : Detestor omnis, horreo, fugio, execror. La réalité se situe sans doute plutôt du côté de la peur, une frousse intense devant l’étranger, ou peut-être devant lui-même… Il est d’ailleurs lucide, qualifiant lui-même sa répulsion de « dirus furor« .
Survient alors Phèdre.
Phèdre, Hippolyte : l’aveu (580-718)
Une scène enfin un peu plus animée : Phèdre arrive, s’évanouit, se jette aux pieds d’Hippolyte ; celui-ci tire l’épée…
- cautes, is, f. : roche, écueil
- uergo, is, ere : pencher vers, tendre vers
- v. 601 : il n’y a pas de didascalies dans le texte ; les indications scéniques figurent dans le texte dit par les acteurs. On peut supposer ici que la Nourrice est sortie un instant : En locus ab omni liber arbitrio uacat : voici que le lieu est libre de tout témoin.
- actutum : incessamment. Réaction typiquement romaine : Phèdre ayant prononcé le mot de « veuve », Hippolyte rejette aussitôt ce présage involontaire (?) ; les Romains, plus encore que les Grecs, croyaient en la puissance magique des mots.
- Ambiguïté involontaire des paroles d’Hippolyte, ironie tragique : « tibi parentis ipse supplebo locum. » C’est exactement ce que souhaite Phèdre !
- v. 645 et suivants : Racine réutilisera l’ambiguïté : c’est Phèdre elle-même qui dira « je brûle pour Thésée ». Quant à Hippolyte, il laissera jusqu’au bout à Phèdre la possibilité que l’aveu n’ait pas eu lieu, qu’il ne se soit rien passé. Il fait preuve d’une élégance morale, d’une délicatesse dont le lourdaud héros de Sénèque est bien incapable. Serait-ce l’influence d’Aricie ?…
- colligo, is, ere, legi, lectum : rassembler
- torus, i : ici, renflement, muscle saillant
- incomptus, a, um : non peigné, sans apprêt
- neui : parfait de neo, es, ere, neui, netum : filer
- polus, i, m. : pôle, d’où ciel
Hippolyte ici se montre brutal et aveugle – comme le sera son propre père envers lui : obnubilé par sa haine des femmes, il ne voit même pas que Phèdre n’est pas responsable de son délire. A la « furor » de Phèdre répond le dirus furor d’Hippolyte : deux monstres qui s’affrontent.
- radiatus, a, um : rayonnant
- Colchide nouerca : la marâtre colchidienne. Nouvelle allusion à Médée.
- focus, i : maison, feu, foyer
- compos, otis : maître de. compos uoti : dont le vœu s’est réalisé.
Intervention de la nourrice (719-735)
- segnis, is, e : indolent, apathique
La nourrice, probablement poussée par son affection pour Phèdre, reprend ici l’initiative ; cynique et déterminée, elle n’a plus rien de la conseillère moraliste des premières scènes ; elle est ici l’archétype du « mauvais conseiller » (cf. Narcisse dans Britannicus…)
Deuxième épisode
Deuxième chant du chœur (736-834)
- pernox, noctis : qui dure toute la nuit.
- cuspis, cuspidis, f. : pointe, objet pointu, épieu, javelot, dard
- pampineus, a, um : couvert de pampre
- Bromius, ii : surnom de Bacchus
- anceps : incertain, douteux (« à deux têtes »)
- rota, ae : roue
- tinnitus, us, m. : tintement de l’airain
- caesaries, iei, f. : chevelure (mot poétique)
- cornipes,pedis : qui a des pieds de corne, cavale, cheval (mot virgilien)
- mobilis, is, e : agile, prompt
- Cyllaros ou Cyllarus : Cyllare, nom d’un Centaure (Ovide) ou du cheval de Castor (Virgile, G. 3, 89)
- ammentum, i = amentum, i : courroie adaptée aux javelots
- docilis, is, e : qui apprend aisément
- harundo, dinis, f. = arundo [noter le goût de Sénèque pour les orthographes compliquées ou archaïques] : roseau, flèche
829-834 : annonce d’un nouvel épisode : l’arrivée de Thésée.
- Pittheus, a, um = de Pitthée, de Trézène ; désigne donc Thésée
- squalor, oris, m. : saleté, état négligé
Thésée, la Nourrice, Phèdre : dénonciation et malédiction (835-958)
835-902 : dialogue.
- quarta Eleusin dona… Thésée est resté quatre ans emprisonné, assis de force sur la « pierre de l’oubli » avec Pirithoüs, qui, lui, n’a pas été libéré par Hercule.
- expromo, is, ere, prompsi, promptum : manifester, montrer, dire, exposer.
- postis, is, m. : jambage de porte. Au pl., porte
Stichomythie en style sentencieux, surtout de la part de Phèdre, qui retarde ainsi la révélation, et met Thésée sur le gril :
« alium silere quod uoles, primus sile »
« mori uolenti desse mors numquam potest »
« Mors optima est perire lacrimandum suis »
Cette dernière sentence a quelque chose de cruel (ironie tragique) : Phèdre, elle, ne sera pas pleurée…
Thésée se révèle tel qu’en lui-même, brutal et impitoyable, menaçant de mettre la vieille nourrice à la question. Ce qui nous rappelle que probablement celle-ci n’était qu’une esclave, et que c’était le sort commun des esclaves, torturés systématiquement dès qu’un fait divers se produisait dans la maison. Dans ses Lettres à Lucilius (V,47), Sénèque a dénoncé ces mauvais traitements.
- praetentus, a, um : participe parfait de praetendo, tendre devant
- optego, is, ere, texi, tectum = obtego : couvrir, protéger
- Jubar, aris, n. : lumière
- capulus, i,m. : manche, poignée
903-958 : la malédiction de Thésée.
Aucun doute n’effleure Thésée devant l’accusation de Phèdre, il n’organise aucune confrontation, mais fonce tête baissée dans son propre malheur. Il condamne son propre fils sans l’entendre : à ce titre, il fait partie des « monstres ». Sa « furor » égale celle de Phèdre, et fait de lui un criminel.
- lues, is, f. : calamité, malheur public
- infandus, a, um : dont on ne doit pas parler, abominable
- cieo : mettre en mouvement
Troisième épisode
Troisième chant du chœur (959-990)
Le chœur représente ici l’humanité ordinaire, qui se lamente devant le sort de l’humanité. Pourquoi les Dieux, qui mettent tant de soin à régler l’ordre du monde, admettent-ils ou provoquent-ils tant de désordre dans la vie humaine ?.
- citus, a, um : prompt, rapide
- cardo, inis : gond, pivot, point cardinal
- perennis, is, e : qui dure toute l’année, durable, constant
Ce tableau désolé d’un monde sans justice fait tragiquement écho à la tirade d’Hippolyte, qui fuyait les hommes pour échapper à leur méchanceté.
- rigo, as, are, aui, atum : arroser, baigner
Thésée, le messager (991-1122)
- luctificus, a, um : triste, qui cause de la peine
- quassus, a, um : fracassé, brisé
- occubo, as, are : mourir, être mort, reposer
Bref dialogue, où perdure l’aveuglement du père ; le messager, quant à lui, ne sait rien d’autre que la mort à laquelle il a assisté. Puis commence le long récit (114 vers !) dont s’inspirera Racine dans le fameux « récit de Théramène ».
- substrictus : participe parfait de substingo, is, ere, strinxi, strictum : lier par en-dessous, passer un licol au cou d’un cheval
- pelagus, i, neutre : la mer
- Scironides petrae : les roches Scironiennes, où Thésée tua un brigand (en Attique)
- adstrepo, is, ere : frémir en écho
- physeter, eris, m. : baleine (mot grec, d’où la finale longue)
- iuba, ae : crinière
- hispidus, a, um : hirsute, hérissé
- hiulcus, a, um : fendu, ouvert
- haustus, us, m. : fait de boire, d’avaler
- palear, aris, n. : fanon de bœuf
- muscus, i : mousse
- pone : en arrière, derrière (+ acc.)
- tergus, oris, n. : dos d’un animal
- coeo, is, ire : s’associer, faire alliance, s’unir
- pistrix,icis, f. : poisson-scie ou baleine
- sorbeo, es, ere, ui : absorber, engloutir
Hippolyte ignore tout du retour de son père, de l’accusation de Phèdre, et de la malédiction proférée par Thésée : ses invocations à son père (v. 1005, 1067) sonnent comme une ironie tragique. Son sang-froid, son héroïsme font de lui l’égal de Thésée, et devraient suffire en eux-mêmes à plaider pour son innocence.
- ambustus, a, um : participe passé de amburo, is, ere, ussi, ustum : brûler tout autour, roussir
- sude < sudis, is : pieu, piquet
- inguen, inis, n. : ventre
- rogus, i : bûcher
Mélange de réalisme (le corps déchiqueté par la course folle des chevaux) et de fantastique (la description du monstre) ; Thésée commence à fléchir : il est déchiré entre l’amour paternel et sa haine d’un rival. Il ne va pas tarder à être détrompé – et à plonger au plus profond du malheur : de justicier, il devient infanticide.
Quatrième épisode, dénouement
Quatrième chant du chœur (1123-1155)
Curieux écho de la philosophie épicurienne : « aurea mediocritas » ; du danger d’être trop grand… Athéna, fille de Zeus, avait donc pour oncle Poséidon et Hadès, frères de celui-ci. C’est à ce dernier qu’il est fait allusion : il a rendu le père, mais reçu le fils en échange.
Phèdre, Thésée (1156-1198) : l’ultime révélation.
- planctus, us, m. : action de se frapper, coup
- nece < nex, necis, f. : mort violente, meurtre
- Sinis, is, m. :brigand tué par Thésée
- exuuiae, arum : ornements, dépouilles enlevées d’un corps
- inferiae, arum : sacrifice offert aux mânes de quelqu’un
Une nouvelle fois, en l’absence de didascalies, c’est le texte qui contient les indications scéniques. Phèdre surgit d’abord en plein délire, réclamant que le monstre la tue, elle ; puis elle aperçoit Thésée (« O dure Theseu semper« ) et lui dit ses quatre vérités – et l’on remarquera que le tyran, si prompt à se mettre en colère, ici ne dit rien : il sait trop bien qu’elle a raison. Enfin, elle se tourne vers Hippolyte, multipliant les questions oratoires (elle croit à peine l’horrible spectacle qu’elle a sous les yeux), et replonge dans son délire : même aux Enfers, elle le suivra !… Multiples allusions au « fer », au « poignard » qu’elle tient à la main et dont elle se frappe : Sénèque ne recule pas devant une mort bien sanglante, sous les yeux des spectateurs. Au nom de la bienséance, Racine atténuera la scène : Phèdre se sera empoisonnée en coulisse, et viendra expirer, doucement et élégamment, sur scène. Ce n’est que dans les derniers vers qu’elle porte le coup de grâce à Thésée : Hippolyte est innocent, elle a menti. Elle meurt, et Thésée reste seul en scène, avec le chœur.
Thésée, le chœur (1198-1280)
- fauces, ium, f. pl. :gorge, défilé
- specus, us, m. : grotte, caverne
- ouo, as, are, aui, atum : triompher, être joyeux
- caelebs : célibataire
Thésée, toujours furieux et fidèle à lui-même, imagine pour lui-même les pires supplices, ce qui permet une revue à la fois baroque (il se voit propulsé comme par une catapulte vers le ciel…) et cruel (allusion aux suppliciés Sisyphe, Tantale, Tityos…)
- orbitas, tatis, f. : perte de ses enfants
Goût immodéré de Sénèque (et des poètes latins) pour les détails morbides : Thésée et le chœur se livrent à un véritable travail de médecin légiste, en reconstituant le cadavre sous les yeux des spectateurs !
Bibliographie
- Euripide : Hippolyte (Tragédies, tome II, édition des Belles-Lettres)
- Racine, Jean : Phèdre – une comparaison indispensable.
- Dupont Florence, Le théâtre latin, Armand Colin, coll. « Cursus », 1999, 176 p.
- Nougaret Louis, Traité de métrique latine classique, Klincksieck, 1963, 134 p.