Virgile, Énéide, chant X

 

Virgile écrivant l’Énéide entre Clio et Melpomène, mosaïque du Musée national du Bardo, Tunis

Catalogue des vaisseaux d’Énée (v. 163-189)

         Pandite nunc Helicona, deae, cantusque mouete,
quae manus interea Tuscis comitetur ab oris
165  Aenean armetque rates pelagoque uehatur.
Massicus aerata princeps secat aequora Tigri :
sub quo mille manus iuuenum, qui moenia Clusi
quique urbem liquere Cosas, quis tela sagittae
gorytique leues umeris et letifer arcus.
170  Una toruus Abas: huic totum insignibus armis
agmen et aurato fulgebat Apolline puppis.
Sescentos illi dederat Populonia mater
expertos belli iuuenes, ast Ilua trecentos
insula inexhaustis Chalybum generosa metallis.
180  Tertius ille hominum diuomque interpres Asilas,
cui pecudum fibrae, caeli cui sidera parent
et linguae uolucrum et praesagi fulminis ignes,
mille rapit densos acie atque horrentibus hastis.
Hos parere iubent Alpheae ab origine Pisae,
185   urbs Etrusca solo. Sequitur pulcherrimus Astur,
Astur equo fidens et uersicoloribus armis.
Tercentum adiciunt (mens omnibus una sequendi)
qui Caerete domo, qui sunt Minionis in aruis,
et Pyrgi ueteres intempestaeque Grauiscae.

Ouvrez maintenant l’Hélicon, déesses, et inspirez mes chants, disant quelle troupe, entre temps, des rivages étrusques accompagne Énée, arme ses navires et se transporte sur la mer. Massicus le premier fend les flots de son Tigre1 d’airain : sous ses ordres une troupe de mille jeunes gens qui ont quitté les remparts de Clusium et la ville de Cosa2, qui avaient des traits, des flèches et de légers carquois sur l’épaule et un arc meurtrier. Avec lui le farouche Abas : toute sa troupe resplendissait d’armes remarquables, et sa poupre brillait d’un Apollon d’or. Sa mère Populonia lui avait donné six-cents jeunes hommes experts à la guerre, et l’île d’Elbe, généreuse en métaux extraits de ses mines, trois-cents autres. Le troisième fut Asilas, interprète des hommes et des dieux, à qui obéissent les entrailles des bêtes, et les étoiles du ciel, et les paroles des oiseaux, et les feux prophétiques de la foudre, qui emmène avec lui mille hommes en rangs serrés, aux lances dressées. Pise, Alphéenne d’origine, ville étrusque par son sol, leur ordonne de lui obéir. Suit le très bel Astyr, Astyr confiant en son cheval et en ses armes multicolores. Trois cents hommes s’y joignent (ils ont tous le même désir de le suivre), venus de leur maison de Cære, des champs du Minio, de l’antique Pyrgi, et de la malsaine Gravisca3.

  • 1Les anciens nommaient les navires d’après leur figure de proue.
  • 2Aujourd’hui Ansedonia ; port important non loin de Chiusi
  • 3Gravisca, sans doute port de Tarquinia, était marécageuse et infestée de malaria.

Commentaire

Virgile se distingue de la légende la plus courante, selon laquelle les Étrusques se seraient rangés dans le camp de Turnus, contre de nouveaux arrivants menaçant leur puissance. De ces ennemis, il ne garde que Mézence, un abominable tyran rejeté par sa propre cité, Cære.

Pour combattre Mézence, les Étrusques, selon les volontés des dieux, avaient besoin d’un chef étranger : ce sera Énée, sous les ordres duquel ils se mettent volontairement.

Les noms des chefs, Massicus (italique), Abas (donné plus haut à un Troyen) ne sont pas étrusques ; certains sont inventés, comme Astyr. Mais Virgile, peut-être lui-même d’origine étrusque, connaît bien ce pays : Chiusi, Cære, Populonia et Elbe sont des lieux réels, mentionnés dans leur réalité – historique plus que proto-historique ! Cære, qui fut presque constamment l’alliée de Rome, a la plus belle part, tandis que Tarquinia est à peine mentionnée, et de manière péjorative (« Gravisca la malsaine ») ; d’autres villes sont absentes, car évoquant trop de souvenirs pénibles : Véiès, qui s’opposa à Rome en une longue guerre, Vulci ou Vetulonia, car il s’agit d’un « catalogue des vaisseaux » et qu’il est assez normal que les villes de l’intérieur ne soient pas représentées.

Tous les chefs étrusques sont présentés de manière méliorative ; on remarquera la présence de l’haruspice Asilas, personnage incontournable de la légende étrusque !

Vers 198-214

Virgile cite ensuite un chef ligure, fils de Cyanus métamorphosé en cygne pour avoir trop aimé Phæton, puis il revient à un chef étrusque, Ocnus, originaire de Mantoue, ville natale du poète :

Ille etiam patriis agmen ciet Ocnus ab oris,

fatidicae Mantus et Tusci filius amnis,

200 qui muros matrisque dedit tibi, Mantua, nomen,

Mantua, diues auis ; sed non genus omnibus unum :

gens illi triplex, populi sub gente quaterni,

ipsa caput populis, Tusco de sanguine uires.

Hinc quoque quingentos in se Mezentius armat,

205 quos patre Benaco uelatus harundine glauca

Mincius infesta ducebat in aequora pinu.

It grauis Aulestes centenaque arbore fluctum

uerberat adsurgens, spumant uada marmore uerso.

Hunc uehit immanis Triton et caerula concha

210  exterrens freta, cui laterum tenus hispida nanti

frons hominem praefert, in pristim desinit aluus :

spumea semifero sub pectore murmurat unda.

Tot lecti proceres ter denis nauibus ibant

subsidio Troiae et campos salis aera secabant.

Ocnus aussi se met en mouvement des rivages de sa patrie, fils de la prophétesse Manto et du fleuve toscan, qui te donna, Mantoue, des murs et le nom de ta mère, Mantoue, riche en ancêtres ; mais tous n’ont pas la même origine : elle possède trois tribus, et il y a quatre peuples pour chaque tribu, à la tête de ces peuples, sont les hommes de sang étrusque. De là aussi, Mézence arme contre lui cinq cents hommes, que conduisait sur la mer hostile, voilé d’un roseau vert pâle, Mincius, dont le père est le lac Bénacus. Vient le lourd Aulestès, et, se dressant, il frappe les flots avec cent rames, et les fonds écument, comme un marbre retourné1. L’immense Triton le mène avec sa conque terrifiant les flots bleus ; son front hérissé, tandis qu’il nage, jusqu’au flanc, représente un homme, son ventre s’achève en baleine : une onde écumante murmure sous sa poitrine à demi-sauvage. Si nombreux étaient les chefs choisis sur trois fois dix navires, au secours de Troie, et ils fendaient de leur airain les plaines de sel.
  1. Comparaison entre la mer et un marbre uni, déjà présente chez Homère.