Biographie de Cicéron | Biographie de Caelius | exorde |
Praemunito II : contre les témoins à charge |
Argumentatio : Probabile ex uita |
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Argumentatio : Probabile ex causa |
Péroraison : |
Le Pro Caelio, un discours « éthique » ?
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=> Si vous aimez la littérature policière et l’histoire romaine, vous pouvez faire connaissance avec le personnage de Caelius grâce à deux romans de Steven Saylor :
- L’Énigme de Catilina (10/18, collection « grands détectives » n° 3099)
- La dernière prophétie (10/18, collection « grands détectives » n° 3824)
Vie de Caelius
85 : Naissance de Marcus Caelius Rufus, probablement dans le Picenum. Son père est un riche chevalier romain.
66-63 : le jeune homme apprend l’éloquence auprès de Cicéron et de Crassus.
63 : Catilina brigue le consulat : Caelius devient son ami – tout en restant plus ou moins lié à Cicéron et à Crassus.
61 : Il s’attache à Q. Pompéius Rufus, adversaire de Catilina en Campanie (il avait levé des troupes pour le combattre) et le suit en Afrique.
60 : Pour se faire un nom, il accuse de concussion Antonius Hybrida, collègue de Cicéron au consulat de 62 ; Cicéron, pour se concilier cet ami de Catilina, lui avait proposé le proconsulat de Macédoine… et Antonius en avait profité pour piller honteusement la province. Caelius attaque Antonius, avec le soutien de César et de Clodius ; Cicéron défend son ancien collègue… et perd le procès. Cf. Pro Caelio VII, 18.
59 : Caelius vient habiter sur le Palatin, non, comme le prétend celui-ci, pour se rapprocher de Cicéron, mais pour Clodia. Il habite un immeuble possédé par Clodius. Il ne tarde pas à se brouiller avec la sœur et le frère…
56 : …s’ensuit un procès, où il sera accusé par le tout jeune Atratinus (dont il attaquait le père par un procès de ambitu), Hérennius et Clodius, et défendu par Crassus et Cicéron. Il sera acquitté.
52 : élu tribun de la plèbe avec Q. Pompéius Rufus – homonyme du Q. Pompeius Rufus proconsul d’Afrique en 61. (cf. Pro Caelio 73, p. 141, note 2)
51 : il fait condamner ledit collègue – encore un retournement spectaculaire !
50 : il est élu édile curule, à l’âge de 35 ans.
49 : Il prend le parti de César contre Scipion, qui voulait obliger César à licencier son armée, ou le déclarer « ennemi public » ; il le rejoint en Espagne.
48 : il n’est pas choisi comme prêteur urbain, et suscite une mutinerie contre son collègue ; il se retourne alors contre César, et rejoint Milon, revenu d’exil, qui tente de soulever l’Italie méridionale ; il meurt à 37 ans, à la bataille de Thourioi, en luttant avec une poignée d’esclaves révoltés contre les légions de César.
Le Pro Caelio de Cicéron
34ème discours de Cicéron, pour un procès qui a eu lieu en 56 (Catilina est mort en janvier 62). Compromis avec Claudia, sœur du tribun Clodius, Caelius commet l’imprudence de rompre avec elle : Clodius l’accuse alors : 1. d’empoisonnement (accusation classique !) 2. de manquement à la piété filiale (voir une accusation comparable chez Andocide, Sur les Mystères : il fut accusé d’avoir dénoncé son propre père !) 3. d’avoir frappé un sénateur ; 4. d’avoir pris les biens de Palla ; 5. d’avoir excité une sédition à Naples ; 6. d’avoir corrompu le vote du peuple ; 7. d’avoir fait assassiner les députés d’Alexandrie ; 8. d’avoir été complice de Catilina ; 9. de libertinage.
Crassus se charge de la défense de Caelius pour les griefs 4, 5 et 7 ; Cicéron le défend pour tout le reste et remporte un succès complet, ce qui n’arrange pas ses rapports avec Clodius, mais lui vaut l’amitié de Caelius jusqu’à sa mort.
Exorde (I, 1-2)
- arguo, as, are, aui, atum : accuser, dénoncer
- quaero, is, ere, quaesiui, quaesitum : terme de droit ; faire une enquête, instruire un procès
Dans ce bref exorde, Cicéron s’adresse aux juges, avec ironie : ils n’ont pas de chance d’avoir à siéger, alors que tout le monde s’amuse ! Et il laisse entendre qu’il y a là une disproportion par rapport à ce qu’aurait pu commettre son client : une manière de disqualifier par avance l’accusation.
Il tente aussi, d’entrée de jeu, de rompre la solidarité des accusateurs : d’un côté Atratinus, jeune homme plein de qualités, mais agissant sous la contrainte ou par naïveté, de l’autre Clodia, même pas nommée, et sur qui se concentreront toutes les attaques.
Praemunitio (II, 3 – XI, 24)
I – Sur les mœurs de Caelius (III, 3 – VII, 18)
Le nom de « praemunitio » vient de l’art de la fortification : il s’agit de fortifier d’avance un lieu, pour se prémunir contre les attaques. Or la personnalité de Caelius pouvait prêter le flanc à de telles attaques : proche de Clodius (qui avait été impliqué dans le scandale de la Bonne déesse), amant de Clodia qui passait pour particulièrement scandaleuse – on l’accusait, à tort ou à raison, d’une relation incestueuse avec son frère Clodius – il avait auparavant été l’ami de Catilina ! Il fallait donc, par avance, corriger les traits défavorables du jeune homme, et si possible en dresser un portrait plus flatteur, pour attirer la sympathie des juges encore traumatisés par la conjuration de Catilina (qui s’est achevée en janvier 62, moins de six ans auparavant)
II – Réponse à une double accusation :
Caelius est aimé et apprécié et de son père, et de ses concitoyens.
- introitus, us, m. : entrée en matière, introduction
- deformo, as, are, aui, atum : défigurer, avilir. « Ce que les accusateurs ont dit pour le déshonorer ».
- notis ac maioribus natu : pour ceux qui le connaissent et pour les plus âgés
- locus criminis : une occasion d’accusation, un grief
- squalor, oris, m. : état sale ou négligé des vêtements, deuil. La présence des proches et de l’accusé lui-même, en vêtements misérables ou en habits de deuil, était un procédé obligé ; pour avoir refusé de renoncer à son élégance, Milon, en 52, indisposera les juges…
Réponse très sophistique à une accusation : Caelius est accusé de manquer d’amour filial, et Cicéron répond en mettant en évidence l’amour paternel à son égard…
III – Sur les mœurs de Caelius : la médisance s’attache aux beaux garçons…
- dimanare : se répandre, s’étendre (hapax ?)
- petulanter : effrontément, impudemment
- conuicium : invective, cri injurieux
- urbanitas : trait d’esprit
Style formulaire : d’abord une définition de l’ Accusatio par opposition à la simple médisance, puis le couple petulantius / facetius, et la « pointe » faisant intervenir l’urbanitas : trait d’esprit admissible dans la bonne société urbaine…
- tuum beneficium : mes obligations envers toi. Cicéron était semble-t-il lié au père d’Atratinus, Calpurnius Bestia, qu’il avait défendu dans une affaire d’ambitus en février 56.
IV-VI – sur l’amitié de Caelius et de Catilina.
IV : dans sa prime jeunesse, jamais Caelius n’a eu contact avec Catilina.
- continuo : directement
- erudiretur < erudio, is, ire, iui, itum : enseigner, instruire, former
- abhorrere : se détourner avec horreur, être incompatible avec
- nequam : adj. indéclinable ; « vaurien »
- si accessit… si discessit… existimetur : l’indicatif parfait semble indiquer un fait réel (Caelius s’est bel et bien approché de Catilina !), et le subjonctif imparfait un irréel du présent.
V : Séduction de Catilina
- merere stipendia : toucher la solde, faire son service militaire
- tirocinium fori (cf. note) : débuts au forum (après la prise de la toge virile). Caelius est resté sous surveillance trois ans, et non un an comme de coutume !
portrait de Catilina
V. 12 – Studuit Catilinae, cum jam aliquot annos esset in foro Cælius ; et multi hoc idem ex omni ordine atque ex omni ætate fecerunt. Habuit enim ille, sicuti meminisse vos arbitror, permulta maxumarum non expressa signa, sed adumbrata virtutum. Utebatur hominibus improbis multis ; et quidem optumis se viris deditum esse simulabat. Erant apud illum inlecebrae lubidinum multae ; erant etiam industriae quidam stimuli ac laboris. Flagrabant vitia lubidinis apud illum ; vigebant etiam studia rei militaris. Neque ego umquam fuisse tale monstrum in terris ullum puto, tam ex contrariis diversisque et inter se pugnantibus naturae studiis cupiditatibusque conflatum. VI. 13 – Quis clarioribus viris quodam tempore iucundior, quis turpioribus conjunctior ? Quis civis meliorum partium aliquando, quis taetrior hostis huic civitati ? quis in voluptatibus inquinatior, quis in laboribus patientior ? Quis in rapacitate avarior, quis in largitione effusior ? Illa vero, judices, in illo homine admirabilia fuerunt, comprehendere multos amicitia, tueri obsequio, cum omnibus communicare quod habebat, servire temporibus suorum omnium pecunia, gratia, labore corporis, scelere etiam, si opus esset, et audacia, versare suam naturam et regere ad tempus atque huc et illuc torquere ac flectere, cum tristibus severe, cum remissis iucunde, cum senibus graviter, cum iuventute comiter, cum facinerosis audaciter, cum libidinosis luxuriose vivere. 14. Hac ille tam varia multiplicique natura cum omnis omnibus ex terris homines improbos audacesque collegerat, tum etiam multos fortis viros et bonos specie quadam virtutis adsimulatae tenebat. Neque umquam ex illo delendi huius imperii tam consceleratus impetus extitisset, nisi tot vitiorum tanta immanitas quibusdam facilitatis et patientiae radicibus niteretur.
Pro Caelio, V, 12 – VI, 14.
Traduction :
Caelius, alors que depuis quelques années déjà il exerçait son activité au forum, soutint Catilina ; et nombreux furent ceux, de tout ordre et de tout âge, qui firent la même chose. Cet homme, en effet, comme je crois vous vous en souvenez, avait en grand nombre les traits caractéristiques, non pas nets, mais esquissés, des plus grandes vertus. Il fréquentait bien des gens malhonnêtes ; mais du moins, il feignait d’être dévoué aux hommes les meilleurs. Il y avait chez lui beaucoup d’attraits pour les passions ; il y avait aussi certains aiguillons qui poussaient à l’activité et au travail. Les vices de la sensualité brûlaient en lui, mais le goût de l’art militaire était également puissant. Je crois pour ma part qu’il n’y eut jamais au monde un monstre tel que lui, constitué par le mélange de goûts et de désirs si contraires, si opposés, et se combattant entre eux par nature. Qui eut davantage l’art de plaire aux hommes les plus illustres à un certain moment, qui fut plus lié aux hommes les plus vils ? Quel citoyen fut jamais d’un meilleur parti, qui fut ennemi plus répugnant pour cette cité ? Qui fut plus corrompu dans ses plaisirs, qui, plus résistant aux fatigues ? Qui fut plus cupide dans ses rapines, plus généreux dans sa largesse ? Ces qualités furent en vérité prodigieuses chez cet homme, Juges : se faire de nombreux amis, les conserver par sa complaisance, partager avec tous ce qu’il avait, mettre au service de tous ses amis en difficulté son argent, son crédit, sa peine, le crime, même, s’il le fallait, et l’audace extrême ; plier sa nature, la régler selon les circonstances, la tordre et la fléchir dans un sens et dans l’autre, se comporter de manière austère avec les gens sévères, de façon charmante avec les enjoués, gravement avec les vieillards, avec entrain avec les jeunes, sans foi ni loi avec les criminels, voluptueusement avec les débauchés. Par cette nature si variée et multiple, il avait d’une part rassemblé tous les gens de sac et de corde venus de partout, et d’autre part il s’attachait même des hommes énergiques et honnêtes par une certaine apparence de vertu simulée. Et jamais n’aurait existé dans cet homme un désir si criminel de détruire cet État, si un si prodigieux assemblage de tant de vices ne s’était appuyé sur quelques racines de souplesse de caractère et d’endurance.
Commentaire :
- Esse in foro : s’occuper des affaires financières ou politiques, ou encore exercer au barreau.
- omni ordine : » de tout ordre « , préciser : de la société. Cela va de la plus haute » nobilitas » au plus modeste » chevalier » – et même, bien sûr, à la plèbe.
- Habuit : traduire par un imparfait. Ce parfait désigne la qualité qu’a possédée un homme mort.
- non expressa, sed adumbrata : expressa = » en relief, en saillie « , d’où » très net » ; adumbrata = esquissé, vague. ces deux termes se rapportent à la sculpture, avec une hypallage : c’est la vertu qui est » esquissée » et non » saillante « .
- Quidem (l. 4) : introduit une limitation, une opposition : » mais du moins «
- lubidinum illecebrae : nombreux attraits pour les passions (génitif objectif)
- tam ex contrariis diversisque […] studiis… : tam porte sur les adjectifs : des goûts si contraires et opposés.
- Cupiditas, lubidines = péjoratifs ~ studia = sens laudatif. Opposition à rendre.
- conflo, as, are, avi, atum : former par mélange, constituer un alliage avec des métaux différents (langage des fondeurs).
- clarior ~ turpior : comparaison entre deux termes positifs ou superlatifs : on emploie le comparatif.
- jucundior : qui exerce un charme sur, qui a l’art de plaire.
- civis meliorum partium = citoyen du bon parti. » qui s’est comporté en meilleur citoyen ? «
- hostis taetrior : qui fut un ennemi plus répugnant pour cette cité ? Catilina partagea avec Hannibal » l’honneur » d’être ainsi désigné : hostis publicus.
- Rapacitas : rapines (sens concret).
- admirabilia : prodigieuses (à mettre en relation avec » monstrum » : le cas de Catilina relève de la tératologie !)
- tueri obsequio : conserver (ses amis) par sa complaisance.
- audacia est plus fort que scelere. » audace prodigieuse, crime éhonté « … notion très péjorative. » audax » désigne celui qui ne connaît pas de limites, qui est » sans foi ni loi » et que rien n’arrête.
- vivere cum aliquo : ici, vivere = se comporter de telle ou telle manière
- omnes homines improbos audacesque : les hommes » de sac et de corde «
- tenebat : tenir sous son charme, s’attacher
- impetus : ambition
- facilitas : souplesse de caractère (lui permettant de passer d’un extrême à l’autre)
La conjuration de Catilina a eu lieu entre 66 et 62 : elle est due à des jeunes gens couverts de dettes, suite à une crise des affaires d’Orient ; ce n’est pas une révolution populaire, mais plutôt » dandy « , qui s’appuie sur les vétérans de Sylla en Etrurie. Le 22 octobre 63, Cicéron obtient le » senatus consultum ultimum » et attaque Catilina en plein Sénat ; celui-ci rejoint les rebelles, et sera finalement tué dans un combat. C’est le triomphe de Cicéron.
Or, en 56, la situation est paradoxale : il doit excuser Caelius d’avoir été l’ami de Catilina ! Il doit donc démontrer qu’une telle amitié n’était pas déshonorante, et que bien des honnêtes gens ont pu se laisser prendre à l’étrange séduction de Catilina… d’où ce portrait, plutôt nuancé.
I – Lignes 1-8 (=> conflatum) : introduction et portrait moral, fondé sur des oppositions : maxumarum non expressa signa, sed adumbrata virtutum ; hominibus improbis multis ~ optumis se viris ; flagrabant vitia lubidinis ~ vigebant studia rei militaris : dans ce dernier cas, noter que les « vitia » (vices) s’opposent à « res militaris » (l’art militaire), en laquelle s’est réfugiée la vertu. Cicéron sacrifie ici à l’idéal « vieux-romain »…. Quoi qu’il en soit, Catilina apparaît comme un » monstrum » impossible à définir, mais où le bien équilibre en partie le mal, et justifie la séduction qu’il exerce.
II – Lignes 8-17 : anaphore de » quis « , marquant le rôle social, contradictoire lui aussi, de Catilina. Celui-ci apparaît comme un véritable caméléon, capable d’offrir à chacun ce qu’il attend. Jeu sur les comparatifs (répétition du son [ior], parallélismes et antithèses, questions rhétoriques. Le passage s’achève sur une longue période (illa vero… vivere) avec une clausule d’hexamètre : luxuriose vivere.
- condicionem respuere : rejeter une condition, une proposition
VII-VIII, 18 – Complot, détournement de fonds etc..
- titubanter : en balançant, en hésitant
- strictim : rapidement, en effleurant
- cohaereo : former un tout solide
Caelius n’aurait donc pas participé à la conjuration de Catilina… dont il était pourtant l’ami. En réalité, il a probablement été agent double, ou triple, trahissant Cicéron pour Catilina et Catilina pour Cicéron, renseignant l’un sur les faits et gestes de l’autre… et servant, en dernière analyse, un troisième larron : Crassus. Telle est en tous cas la thèse, bien séduisante, de Steven Saylor…
Caelius ne perdra d’ailleurs pas cette mauvaise habitude de la trahison : après s’être rallié à César, il le trahira pour… Milon, et mourra pour avoir voulu soulever les légions !
- ambitus, us : « brigue », fait de vouloir obtenir des magistratures par des moyens illicites
- sodalis, is, m. : compagnon de club politique, acolyte
- sequester, tris, m. : intermédiaire, recevant de l’argent pour acheter les juges, ou les électeurs.
Caelius avait intenté un procès pour « brigue », ce qui eût été suicidaire, si lui-même s’était adonné à cette pratique. Un argument quelque peu spécieux…
- uersura, ae : emprunt et transfert de dette : on emprunte à Pierre pour payer Paul.
30 000 sesterces = plus de 500 000 € ??? Voir la monnaie romaine. Une somme exorbitante, même dans les « beaux quartiers » (le Palatin), même pour un loyer annuel !… Les 10 000 sesterces que reconnaît Cicéron représentent 168 000 € environ… soit 14 000 € mensuels. – le prix d’un appartement de luxe à Paris aujourd’hui.
- aedicula, ae : au pluriel, petite maison, appartement.
- era = hera : maîtresse
Jeu érudit sur la Médée d’Ennius, adaptée de la Médée d’Euripide, et qui permet une attaque contre la « Médée du Palatin », Clodia. Ce qui permet déjà, une subtile inversion du thème du poison : de victime, Clodia devient empoisonneuse…
II – « praemunitio » contre les témoins à charge (VIII, 19 – X, 24)
- fretus + abl. : confiant dans
- riuolus, i = riuulus, i : petit ruisseau
- adtrectare : toucher à, palper
- congressus, us : entrevue, rencontre
- fungor : s’acquitter de, accomplir (officio : son devoir)
- nauare : s’empresser ; operam alicui : servir quelqu’un
- condicio, onis : condition, situation
- refello, is, ere, felli : démentir, réfuter
- [X, 23] pulsatio, onis Alexandrinorum : voies de fait sur les Alexandrins
Cicéron paie d’audace en affirmant que Caelius n’est pour rien dans les affaires de Naples et de Pouzzoles, au cours desquelles les ambassadeurs égyptiens, venus demander au Sénat l’annulation de la donation de Ptolémée au peuple Romain, avaient été massacrés, sur l’ordre de Ptolémée Aulète, père de Ptolémée et de Cléopâtre… L’un d’eux, le philosophe Dion l’Académicien, avait échappé au massacre, mais avait été assassiné à Rome, chez son hôte Lucceius.
Cicéron a laissé à Crassus le soin de plaider cette partie de l’affaire.
Argumentatio (XI, 25 – XXIX, 69).
C’est la partie la plus longue et la plus importante du discours. Elle se présente ainsi :
Introduction, réplique à Hérennius (25-30)
Probabile ex uita (30-50)
- Clodia (30-36)
- Caelius (37-50)
Probabile ex causa (51-69)
- L’affaire de l’or (51-55)
- L’affaire du poison (56-69)
Introduction : réponse à Hérennius sur le libertinage (XI, 25-XIII, 30)
- siquidem : si vraiment
- litigare : plaider
Ce Publius Clodius est probablement un parent du frère de Clodia – c’est du moins l’hypothèse de Jean Cousin. A moins qu’il ne faille voir dans le « amicus meus » une ironie cinglante ?
- precario : avec insistance
- qui in hortis fuerit : les « horti » (jardins) étaient de grands parcs que possédaient les riches familles en périphérie de Rome : cf. les jardins de Salluste… Les Clodii avaient naturellement les leurs, au bord du Tibre. On racontait que Clodia invitait de beaux jeunes gens dans ses jardins, et les contemplaient en train de se baigner, nus… Caelius aurait fait partie de ces jeunes gens !
- primoribus labris (labrum, i) : du bout des lèvres
- ad frugem bonam (frux, frugis, f.), ut dicitur, se recipere : rentrer, comme on dit, dans le droit chemin.
- corruptela, ae : action de séduire, de corrompre
- proteruitas : impudence, audace, effronterie
- aculeus, i : aiguillon
- L’introduction (XIII 30-32) se termine par une accusation contre Clodia, avec une allusion à l’inceste (cum istius mulieris uiro – fratre uolui dicere ; semper hic erro) et à sa réputation de petite vertu : « semper amicam omnium potius quam cuiusquam inimicam »…
Argumentation I, probabile ex uita (a) : Clodia (XIV, 33 – XV, 36).
Commence par la prosopopée d’Appius Claudius Caecus, ancêtre de la gens Claudia. Celui-ci avait été censeur en 312 et consul en 307 et 296 ; il fit construire la via Appia, ainsi que l’aqueduc qui porte son nom (Aqua Appia). Cet ancêtre-là est glorieux… le decemuir Appius Claudius (consul, puis decemuir de 451 à 449) l’est moins…
- barbula : les jeunes gens portaient un mince collier de barbe… qui aurait été mis à la mode par Catilina !
- succenseo = suscenseo, es, ere, censui, censum : être courroucé, en colère (alicui)
- minimum enim dolorem capiet, qui istam non uidebit : trait d’ « humour » plutôt choquant pour nous, mais apprécié des Romains. Cicéron met les rieurs de son côté, sans trop d’élégance… mais l’usage de la plaisanterie fait partie des règles de la rhétorique, notamment de la uarietas.
- abauus : trisaïeul
- proauus : bisaïeul
- atauus : père du trisaïeul
- progenies : race, souche, famille
Effet sonore dû à la figure dérivative : les syllabes « [auum] reviennent comme un refrain. On sent l’intense satisfaction de l’ « homo nouus » qui insulte impunément une grande dame !
- disceptator, oris : arbitre, juge
Cicéron renvoie à Clodia l’accusation de libertinage, portée non par elle, mais par Atratinus, contre Caelius. C’est habile, mais ne disculpe nullement Caelius de l’accusation d’empoisonnement…
Accusation d’inceste, qui tient plus du commérage que de l’action judiciaire ; les Romains n’étaient pas encore prémunis par la loi contre les « accusations calomnieuses » : on pouvait impunément tenir de tels propos, et suggérer, par exemple, sans l’ombre d’une preuve, que Catilina avait tué son propre fils, que Clodia avait empoisonné son mari Q. Metellus Celer, ou encore que l’inceste entre frères et sœurs était une pratique courante chez les Clodii…
- calcitro, as, are… : regimber, se montrer récalcitrant. En réalité, Caelius a bel et bien été l’amant de Clodia, acceptant et ses faveurs, et son argent…
Argumentation I, probabile ex uita (b) : Caelius (XVI, 37 – XX, 50).
Cette partie est beaucoup plus longue – dix pages, contre quatre pour Clodia : Caelius est le personnage principal de cette histoire.
- Caecilius : poète comique latin, de la génération précédant Térence.
- inlecebra = illecebra, ae : attraits, charme
- dido, is, ere, dididi, diditum : distribuer, répandre, prodiguer
- dissicio, is, ere = disjicio : dissiper sa fortune
- oblectare : se distraire, prendre du plaisir
- quotus quisque : combien peu…
Bel exemple, comme le dit la note 1, d’amplificatio et de minutio :
amplificatio : Clodia, avec une prétérition d’une mauvaise foi grandiose, est représentée comme une courtisane, dans un paragraphe entier, avec des rythmes ternaires (quae… quae… cuius… ; hortos, domum, Baias ; uidua, proterua, diues, élargi par libidinosa meretricio more) ; la victime devient coupable, objet d’opprobre.
minutio : l’amant infidèle, débiteur indélicat, et probablement assassin, s’est apparemment contenté de « liberius salutare », lui faire des avances un peu trop libres… sic !!
- [XVII, 39] le « Ego » qui commence la phrase a pour sujet « puto » : longue période.
- secta, ae : ligne de conduite
§ 41 : allusion aux Épicuriens ? Ce serait avec une mauvaise foi confondante, l’Épicurisme se limitant aux seuls plaisirs « naturels et nécessaires », c’est à dire à une ascèse…
- coniueret < coniueo, es, ere, niui ou nixi : se fermer, fermer les yeux
- [XVIII, 42] uirgulta, orum : broussailles
- faenus, oris = fenus, fenoris : intérêt, gain
- probrum : turpitude, honte, déshonneur
- labes, is, f. : ruine, destruction
- [XIX, 45] : cum pro se diceret : lorsqu’il plaidait pour lui-même : Caelius a présenté lui-même une partie de sa défense.
- optero = obtero, is, ere, triui, tritum : écraser, broyer, fouler aux pieds
- [XX] : redoleo : exhaler une odeur
- persono, as, are, aui, atum : résonner, retentir
- integumentum, i : couverture, enveloppe
- interdictum, i, n. : interdiction, défense
- factitatum < factito, as, are, aui, atum : faire souvent
- flagrantia oculorum : le feu des regards
- proteruus, a, um : effronté, impudent
- procax : provoquant – effet d’allitération avec proteruus.
« obliuiscor iam iniurias tuas… » Cicéron s’adresse à Clodia, mais l’on ne sait à quelles « injustices » ou « injures » il est fait allusion. Cicéron a eu plusieurs fois affaire à Clodius, chef des « populares », et Clodia, très proche de son frère, avait peut-être pris fait et cause contre lui… Cicéron devait à Clodius son exil, après la conjuration de Catilina ; sa maison avait été brûlée. Sa famille, restée en Italie, avait sans doute connu des jours difficiles.
Ne sint haec in te dicta, quae dixi : Jean Cousin voit une obscurité où il n’y en a pas. Ce que vient de dire Cicéron, c’est tout simplement que Clodia est une femme de mauvaise vie. Si c’est le cas, on ne saurait reprocher à Caelius d’avoir fait ce que fait n’importe qui d’autre dans ces circonstances : profiter de l’aubaine… « quando repressum est ? » quand a-t-on blâmé pareille conduite ? cf. § 49.
Argumentation II : probabile ex causa, (a) : l’affaire de l’or (XXI, 51 – XXII, 55)
- labem < labes, is : chute, tache, souillure : labem alicui inferre, jeter une tache sur l’honneur de quelqu’un.
Cicéron nous offre un raisonnement un peu spécieux, reposant sur une prémisse implicite : on ne prête pas d’argent à quelqu’un qui ne vous est pas proche ; et dans le cas contraire, un amant ne cache jamais la vérité à sa maîtresse. Il est bien surprenant à nos yeux aujourd’hui que la faiblesse d’un tel argument n’ait pas sauté aux yeux des adversaires de Cicéron !
[XXII] Cicéron n’introduit que des arguments négatifs : Caelius n’a pas laissé de traces de son crime, et l’on ne sait comment ni quand il a contacté les esclaves de Luccéius ; un bon alibi eût été plus convainquant… Quant au fait que Luccéius n’en ait rien su, cela non plus ne constitue pas une preuve. En outre, Luccéius n’a pas déposé en personne, mais fait lire son témoignage ; et il n’a pas non plus, apparemment, autorisé que l’on interrogeât ses esclaves… Autant d’éléments troublants à nos yeux. En somme, l’unique argument de Cicéron contre l’accusation de Clodia repose sur la mauvaise réputation de celle-ci.
Argumentation II : probabile ex causa, (b) : l’affaire du poison (XXIII, 56 – XXIX, 69)
Caelius est accusé d’avoir voulu empoisonner Clodia ; ce type d’accusation était monnaie courante à Rome et ne donnait pas lieu à des poursuites, même quand elles étaient ouvertement calomnieuses : ainsi Catilina a-t-il été accusé d’avoir empoisonné son propre fils, Clodia son mari Metellus Celer. Toute mort rapide était ainsi suspectée, à tort ou à raison. Il est vrai que le poison fut bien souvent utilisé…
- euoluere : dégager, exposer
- suscipere : défendre une cause
- coniuetis < coniueo, es, ere, niui ou nixi : fermer les yeux (cf. « connivence »)
L’allusion à Quintus Metellus Celer est une tentative de « translatio criminis » : Clodia ne saurait être empoisonnée, puisqu’elle est elle-même empoisonneuse ! Le tout, sans aucune preuve, naturellement.
- furenti fratri suo patrueli : il s’agit de son cousin et beau-frère, Clodius.
- [XXV, 61] pactum, i : pacte, traité
- quid adtinuerit : à quoi bon…
- simultas, tatis : rivalité, inimitié
- prouincia, ae : ici, charge, mission
- contrudo : entasser.
Cicéron use ici de l’ironie par antiphrase, et d’une peinture comique de la scène : cet usage de l’humour lui sera reproché plus tard.
- mulieraria manus : troupe de femmelettes ; jeu de mots sur « manus » (troupe) et « manus » (mains)
- lautus, a, um : élégant, distingué
- alueus, i : baignoire
- subsellium, ii : banc des juges ou des avocats, enceinte du tribunal
- lychnus, i : lampe. Cicéron emploie à dessein un mot grec (λύχνος, ου), pour suggérer que les témoins sont « grécisés ».
- excutio, is, ere, cussi, cussum : scruter
- nauo, as, are, aui, atum operam : servir quelqu’un
- [XXIX, 68] commenticius, a, um : imaginaire
- insulsus, a, um : niais, sans esprit
Péroraison (XXIX, 70 – XXXII, 80)
Récapitulation (XXIX, 70- XXX, 71)
- peroratus, a, um : plaider entièrement. La peroratio (péroraison) désigne soit le dernier discours d’une série de plaidoiries, soit la dernière partie d’un discours.
- status patriae : la stabilité de la patrie
La « Lex de ui » : proposée par Quintus Lutatius Catulus, en 77 (on se souvient que c’est à ce Catulus, du parti des optimates, mais honnête homme, que Catilina a confié sa femme et sa fille dans sa dernière lettre : cf. Salluste, Catilina XXXIV.) : il s’agit d’une loi permettant aux juges de sévir contre les auteurs de troubles publics. Il existait également une Lex Plautia de ui, antérieure, mais qui ne visait que les désordres privés (violence contre des individus).
Amplificatio (XXX, 72- XXXI, 77)
- contruire : ut eundem cursum laudis videretur petere quem optumi ac nobilissumi [petunt].
L’éminent service rendu par Caius Antonius Hybrida, collègue falot de Cicéron durant le consulat de 62 : il partit combattre Catilina à Pistoria… mais prétexta une attaque de goutte pour ne pas prendre part au combat contre son ancien ami ! Par la suite, proconsul en Macédoine, il pilla consciencieusement la province, et dut rendre compte de sa gestion à son retour. Cicéron, qui le défendait, n’a pas digéré sa défaite.
Allusion au procès « de ambitu » (pour brigue électorale) intenté par Caelius contre Calpurnius Bestia, bien que celui-ci ait déjà été acquitté ; c’est pour éviter ce procès qu’Atratinus, fils de Bestia, avait à son tour attaqué Caelius.
- amputare, ecflorescere, inserare : métaphore de jardinier : « élaguer, fleurir, greffer ».
- efferbuisse : infinitif parfait de efferbeo ou efferuesco : bouillonner
Commiseratio (XXXII, 77-80)
« Conservez un bon citoyen à la République.. ». Comparer cet exorde avec la péroraison d’Andocide, rappelant les services rendus par sa famille, et ceux que lui-même pourrait rendre encore. C’est un « topos » de la péroraison.
Les accusations contre Antonius et contre Bestia plaident pour lui : ayant accusé les autres, il ne saurait lui-même se rendre coupable ni de concussion, ni de brigue !… De fait, Caelius se « contentera » de trahir successivement tous ceux qui lui auront fait confiance…
- inquinatus, a, um : souillé, sale, ignoble
Quoi que l’on pense par ailleurs de la personnalité de Sextus Cloelius, probablement l’un des hommes de main de Clodius, il est assez surprenant qu’un avocat puisse ainsi couvrir d’injures un homme acquitté dans un précédent procès, et revenir sur la chose jugée : une telle pratique serait interdite dans nos tribunaux.
Appel final à la pitié pour les vieux parents : encore un « topos », ici particulièrement réussi : rythme très soigné.
Le Pro Caelio, un discours « éthique » ?
Voir Fernand Delarue : « Quintilien et le Pro Caelio« , Vita Latina n° 144, décembre 1996.
L’ ἦθος est une notion rhétorique, définie par Aristote, puis par Quintilien : elle est un moyen de persuasion, par le « caractère » de l’orateur, qui se présente sous son meilleur jour. Le πάθος, lui, cherche à susciter de violentes émotions (colère, pitié, terreur, haine) chez l’auditeur. Ces deux notions existent aussi en dehors de la rhétorique : on oppose ainsi la comédie (ἦθος) à la tragédie (πάθος), l’Iliade (épopée « pathétique », privilégiant l’action, l’héroïsme, et plusieurs personnages) et l’Odyssée (épopée « éthique » centrée sur un seul personnage) ; dans l’œuvre de Stace, la Thébaïde (pathétique, Kriegsepos selon la terminologie allemande) s’oppose à l’Achilléide (éthique, Personenepos).
En Grèce, où l’accusé devait se défendre lui-même – le logographe se contentant de lui écrire son discours – il devait littéralement jouer son personnage, présenter ses qualités, atténuer ses défauts, soigner son apparence. Le cas est un peu différent à Rome, où il est représenté par un avocat. Mais dans tous les cas, l’orateur doit se fonder sur les attentes, les préjugés de son auditoire, et établir une connivence avec lui.
Quintilien finit par voir dans l’opposition ἦθος / πάθος celle entre la « nouvelle comédie » et la tragédie, entre la passion violente et la douceur : la différence devient celle du degré, non de la nature. Et l’ἦθος apparaît finalement comme une forme de discours apaisé.
Aux yeux de Quintilien, le Pro Caelio est l’exemple même du discours « éthique ». Les chefs d’accusation (assassinats, mépris du père, corruption…) relevaient davantage du πάθος, c’est à dire de la tragédie ; tout l’art de Cicéron consiste à amoindrir ces griefs, à transformer un assassinat politique en simple histoire de famille, voire d’alcôve, et à changer ce qu’il aurait pu y avoir de tragique en comique.
Les trois avocats de la partie adverse : ils sont tous excellents orateurs, et des amis ! P. Clodius, amicus meus ira-t-il jusqu’à dire, il est vrai avec un brin d’ironie (§ 27, p. 104) ; Hérennius est un vieillard un peu grognon, mais si brave ! Quant à Atratinus, c’est un petit jeune homme mal conseillé, mais plein de bonnes intentions, et d’un talent prometteur (§ 7-8). Tous ceux qui se trouvent là font donc partie d’une grande famille, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre.
Caelius fait partie de cette famille : bon fils (son père apparaît au début et à la fin), il est un peu un « fils » aussi pour Cicéron, qui l’a formé. Et cela permet à Cicéron de jouer tour à tour le père sévère de la tragédie, et le père indulgent de la comédie. ἦθος / πάθος recouvrent de plus en plus ces deux notions.
Clodia devient, elle, une meretrix de comédie ; en proie à la libido muliebris, elle est la seule « méchante » de la comédie. D’ailleurs, l’épisode de la pyxide, destinée à Caelius, mais interceptée par les agents de Clodia dans les bains publics est une scène d’anthologie, digne des comédies les plus drôles.
L’exorde : Un étranger arrivant à Rome le 4 avril 56, découvre qu’on tient un procès criminel un jour de fête : il éprouve d’abord de l’horreur : miretur profecto quae sit atrocitas... ; puis il s’informe, et éprouve un soulagement moqueur : tout ça pour ça ?? On a alors les trois étapes de la persuasion selon Cicéron : mouere, docere, conciliare. Ce qui paraissait un début de tragédie se tourne en comédie.
L’éloge paradoxal de Catilina : ce nom ne pouvait que susciter des émotions violentes – les événements de 63-62 n’étaient pas si loin. Mais le personnage n’est plus ici le fou furieux des Catilinaires, qu’il fallait éliminer impitoyablement ; il redevient un être humain, doué de qualités contradictoires, et finalement assez séduisant. C’est une façon de dire que l’époque où il faisait peur est révolue, d’une part, et d’autre part de montrer que Caelius, en se laissant séduire, a finalement réagi en individu « normal », quoique candide : la naïveté de Caelius, comme celle de Cicéron lui-même, qui n’hésite pas à reconnaître que Catilina l’a un temps séduit, témoigne de leur humanitas. C’est une manière particulièrement adroite de rendre à l’ἦθος ce qui appartenait au πάθος : l’accusation de complicité avec un criminel d’État.
Est-ce à dire pourtant que le πάθος soit totalement absent du Pro Caelio ? Ce serait faire fi d’une qualité essentielle de l’orateur, aux yeux de Cicéron : la diversité des tons. Si Clodia est une meretrix, elle est aussi une grande dame, et c’est au sein des grandes familles que surgit la violence la plus tragique. Quelques exemples de πάθος :
- La prosopopée de Claudius Caecus (§ 33) commence certes par une plaisanterie assez rude (minimum enim dolorem capiet, qui istam non uidebit), mais elle appartient pour l’essentiel au style sublime, d’ailleurs cité en exemple par Quintilien.
- L’évocation de l’empoisonnement de Metellus Celer, mari de Clodia : le drame familial – dont la véracité est d’ailleurs douteuse – se transforme en crime d’État ; l’épanchement lyrique veut emporter la colère des juges, et l’ensemble transforme Clodia en fille maudite, en monstre.
Le Pro Caelio n’est donc pas seulement un discours romanesque, parfois proche de la comédie, ou du polar ; il est aussi une œuvre de combat, dans la lutte qui oppose Cicéron et Clodius, et qui s’achèvera avec l’assassinat de celui-ci – et l’exil de Milon. Cette lutte, initiée par l’exil de Cicéron, obtenu par Clodius et ses hommes de mains (il est fait allusion, § 78, à un certain Cloelius qui avait fait incendier les maisons de Marcus et Quintus Cicéron en 58) se poursuit donc sur plusieurs années. On peut penser que la principale cible de l’orateur, ici, c’est Clodia, et à travers elle son frère : allusions à l’inceste, portrait épouvantable de la dame, comique, tragique, tout est bon pour briser Clodia – au mépris, bien souvent, de la vérité.
La justice est instrumentalisée, au service d’un parti. Il n’est pas sûr, malgré le tableau final d’une Rome apaisée, que la République en sorte grandie.