Version : Socrate et les mots de la tribu

Socrate et les mots de la tribu

Portrait de Socrate. Marbre, copie romaine d'une œuvre du IVème siècle, peut-être de Lysippe. Musée du LouvreInformations[1]

Πλάτωνος Ἀπολογία Σωκράτους

Socrate annonce qu'il se refuse à utiliser le langage attendu dans un tribunal, à savoir la rhétorique, et qu'il s'exprimera avec le langage courant, "les mots de la tribu".

Οὐ μέντοι μὰ Δία, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, κεκαλλιεπημένους1 γε λόγους, ὥσπερ οἱ τούτων, ῥήμασί τε καὶ ὀνόμασιν2 οὐδὲ κεκοσμημένους, ἀλλ᾽ ἀκούσεσθε εἰκῇ λεγόμενα τοῖς ἐπιτυχοῦσιν3 ὀνόμασιν· πιστεύω γὰρ δίκαια εἶναι ἃ λέγω· καὶ μηδεὶς ὑμῶν προσδοκησάτω4 ἄλλως· οὐδὲ γὰρ ἂν δήπου πρέποι, ὦ ἄνδρες, τῇδε τῇ ἡλικίᾳ ὥσπερ μειρακίῳ πλάττοντι λόγους5 εἰς ὑμᾶς εἰσιέναι. Καὶ μέντοι καὶ πάνυ, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, τοῦτο ὑμῶν δέομαι καὶ παρίεμαι6· ἐὰν διὰ τῶν αὐτῶν λόγων ἀκούητέ μου ἀπολογουμένου δι᾽ ὧνπερ εἴωθα λέγειν καὶ ἐν ἀγορᾷ ἐπὶ τῶν τραπεζῶν, ἵνα ὑμῶν πολλοὶ ἀκηκόασι, καὶ ἄλλοθι, μήτε θαυμάζειν μήτε θορυβεῖν7 τούτου ἕνεκα. Ἔχει γὰρ οὑτωσί. Νῦν ἐγὼ πρῶτον ἐπὶ δικαστήριον ἀναβέβηκα8, ἔτη γεγονὼς ἑβδομήκοντα· ἀτεχνῶς οὖν ξένως ἔχω τῆς ἐνθάδε λέξεως. Ὥσπερ οὖν ἄν, εἰ τῷ ὄντι ξένος ἐτύγχανον ὤν, συνεγιγνώσκετε δήπου ἄν μοι εἰ ἐν ἐκείνῃ τῇ φωνῇ τε καὶ τῷ τρόπῳ ἔλεγον ἐν οἷσπερ ἐτεθράμμην, καὶ δὴ καὶ νῦν τοῦτο ὑμῶν δέομαι δίκαιον, ὥς γέ μοι δοκῶ, τὸν μὲν τρόπον τῆς λέξεως ἐᾶν – ἴσως μὲν γὰρ χείρων, ἴσως δὲ βελτίων ἂν εἴη – αὐτὸ δὲ τοῦτο σκοπεῖν καὶ τούτῳ τὸν νοῦν προσέχειν, εἰ δίκαια λέγω ἢ μή· δικαστοῦ μὲν γὰρ αὕτη ἀρετή9, ῥήτορος δὲ τἀληθῆ λέγειν10.

Écoutez attentivement la lecture du texte.

Platon : Socrate se défendra avec "les mots de la tribu" (1:46)
Informations[2]

Question

En utilisant le vocabulaire connu et les outils à votre disposition, traduisez la version ci-dessus.

Indice

  1. κεκαλλιεπημένους γε λόγους : "des paroles embellies, ornées". Le mot est difficile à trouver dans les dictionnaires (il ne figure que dans le LSJ, consultable sous Eulexis), mais facile à analyser. On reconnaît un parfait médio-passif en -μενος, du verbe καλλιεπέομαι : "parler de manière séduisante".

  2. ῥήμασί τε καὶ ὀνόμασιν : mot à mot "de paroles et de noms", ou, si l'on considère le langage grammatical, "de verbes et de noms". Mais le verbe κοσμέω indique qu'il s'agit d' "ornements", de "belles paroles"...

  3. Attention ! Ce n'est pas un verbe conjugué à la 3ème pers. du pl....

  4. προσδοκησάτω : impératif aoriste,3ème pers. du sing.

  5. ὥσπερ μειρακίῳ πλάττοντι λόγους : le datif "μειρακίῳ πλάττοντι" est sur le même plan que "τῇδε τῇ ἡλικίᾳ" : tous deux sont compléments de πρέποι : il conviendrait...

  6. παρίεμαι : présent moyen de παρίημι.

  7. Ces deux infinitifs reprennent le τοῦτο de "τοῦτο ὑμῶν δέομαι καὶ παρίεμαι".

  8. Du verbe ἀναβαίνω ; mot à mot "monter" : dans les procès, l'accusé se tenait sur une estrade.

  9. Verbe être sous-entendu, et attraction de l'attribut au genre du sujet : il faut construire "τοῦτό ἐστιν δικαστοῦ ἀρετή".

  10. Il faut sous-entendre ῥήτορος δ'ἀρετή ἐστι τἀληθῆ λέγειν

Solution

Platon, "Apologie de Socrate"

Assurément, par Zeus, Athéniens, vous allez entendre non pas des discours composés de manière séduisante, comme ceux de ces gens, ni ornés de belles paroles et de vains noms, mais des mots dits naturellement, avec des mots courants ; en effet, j'ai confiance dans le fait que ce que je dis est juste ; et que personne d'entre vous ne s'attende à autre chose. Il ne conviendrait nullement, citoyens, qu'à mon âge je vienne devant vous comme un jeune homme qui prépare ses discours. Et assurément, Athéniens, voilà ce que je vous demande et sollicite de vous : si vous m'entendez me défendre par les mêmes discours que j'ai l'habitude de tenir, à l'agora dans les banques, où beaucoup d'entre vous m'ont entendu, et ailleurs, de ne pas vous étonner ni protester à cause de cela. Voilà ce qu'il en est. C'est aujourd'hui la première fois que je suis venu au tribunal, à l'âge de 70 ans. Naturellement donc, je suis étranger au langage d'ici. Si j'étais réellement un étranger, vous me pardonneriez assurément si je parlais dans la langue et dans le style dans lesquels j'ai été élevé ; de la même façon, je vous fais maintenant cette juste demande, me semble-t-il, de permettre ma manière de parler – peut-être plutôt mauvaise, peut-être plutôt bonne – et d'observer cela seul, et d'y prêter attention, si je dis des choses justes ou non. C'est cela la vertu du juge ; celle de l'orateur est de dire la vérité.

Question

Dans le texte de Platon ci-dessus, relevez et analysez les formes de perfectum. À votre avis, pourquoi sont-elles si nombreuses ?

Solution

  • κεκαλλιεπεμένους : participe parfait médio-passif en -μενος, du verbe καλλιεπέομαι, acc. masculin pluriel ; épithète de λόγους.

  • κεκοσμημένους : participe parfait médio-passif en -μενος, du verbe κοσμέω-ῶ, acc. masculin pluriel ; épithète de λόγους. Ces deux parfaits indiquent que ces discours sont "embellis", "ornés", mais que l'auteur a terminé de les travailler : ce sont aussi des discours figés, non-vivants...

  • εἴωθα : indicatif parfait à sens de présent : "j'ai coutume de"

  • ἀκηκόασι : indicatif parfait actif, 3ème pers. du pl. du verbe ἀκούω. On aurait pu attendre un imparfait ou un aoriste ; mais pour Socrate, il semble que ce soit une situation révolue : "vous m'avez entendu"... mais vous ne m'entendrez plus.

  • ἀναβέβηκα : indicatif parfait actif, 1ère pers. du sing. du verbe ἀναβαίνω, "monter". Là encore, c'est le temps du bilan.

  • γεγονώς : participe parfait actif, nominatif singulier, apposé au sujet "je" ; temps du bilan.

  • ἐτεθράμμην : indicatif plus-que-parfait médio-passif, 1ère personne du singulier du verbe τρέφω, nourrir, éduquer. Indique une antériorité par rapport au verbe de la principale, ἔλεγον.

On ne peut qu'être frappé de l'importance des parfaits dans ce texte : Socrate, contraint de se défendre contre des accusations d'impiété et de corruption de la jeunesse qui peuvent lui valoir la mort, choisit d'attaquer plutôt que de se défendre, et d'acculer le tribunal à lui infliger la peine capitale. Ces parfaits, qui indiquent un temps révolu, un bilan, signifient peut-être qu'il se considère comme à la fin de sa vie...

Complément

Pour en savoir plus sur Socrate, voir le site philo-lettres.

Pour une version plus longue du texte.

Sur la philosophie grecque.