Ménandre

Ménandre (342-292)

Statue de Ménandre au théâtre Dionysos d'Athènes

Statue de Ménandre au théâtre Dionysos d’Athènes

Biographie

Né à Athènes la même année qu’Épicure, en 342 ou 341, le poète comique Ménandre écrivit en trente ans une bonne centaine de comédies. Il fut l’élève de Théophraste, successeur d’Aristote à la tête du Lycée et auteur des Caractères, et l’ami de Démétrios de Phalère, qui dirigea la cité de 317 à 307. Il remporta alors de nombreux succès théâtraux, en particulier pour Le Bourru en 316, qui obtint le premier prix.

Lorsque Démétrios de Phalère fut chassé d’Athènes par Démétrios Poliorcète, le poète connut une certaine disgrâce, qui ne l’empêcha pas cependant de continuer sa carrière.

Ménandre est le créateur de la « Nouvelle comédie », ou comédie d’intrigue et de caractères, centrée sur la vie privée et le sentiment amoureux ; il inspirera la comédie latine (Plaute et Térence) et celle de Molière.

Le succès posthume de Ménandre fut considérable, jusqu’au IXème siècle, où la transmission directe s’interrompt ; bientôt il ne sera plus connu que par des fragments, et les imitations de Plaute et de Térence. Mais au XXème siècle, de nombreuses découvertes nous ont permis de retrouver quelques unes de ses pièces : en 1905, la moitié de l’Arbitrage et plus d’un tiers de la Tondue. En 1959, un papyrus a restitué l’intégralité du Bourru et de très larges extraits de la Samienne. Dans les années 1960 et 1970, de nouveaux fragments ont été découverts du Laboureur, des Syconiens et de la Double Tromperie ; les années 1990 ont rendu presque les deux tiers du Bouclier.

La liste de ses œuvres connues s’établit donc comme suit :

Les Adelphes (deux versions)

L’Andrienne

L’Androgyne ou le Crétois

Le Bouclier

La Double tromperie

Le Bourru

L’Arbitrage

L’Eunuque

Le Laboureur

Le Bourreau de soi-même

Le Héros

La Prêtresse

Le Haï

La Tondue

L’Apparition

Le Collier

La Samienne

Les Sicyoniens

Les Femmes au petit déjeuner.

Elles sont éditées en Livre de Poche classique, édition d’Alain Blanchard n° 14302, 2000.

Ménandre, Le Bourru (316 av. J-C.)

Le Bourru ou l’Atrabilaire est la seule pièce qui nous soit parvenue en entier ; son intrigue repose sur deux couples d’amoureux.

Résumé

Sostrate, jeune et riche fermier, est amoureux de la fille de Cnémon ; mais celui-ci est un misanthrope qui ne veut voir personne. Sostrate, heureusement, recevra l’aide de Gorgias, demi-frère de la jeune fille, et des dieux : en effet, Cnémon, qui refuse son aide à quiconque, va tomber dans son puits, et Gorgias va le sauver, le contraignant ainsi à l’écouter : Sostrate épousera donc la fille de Cnémon, tandis que sa sœur épousera Gorgias.

Vers 710-748 : monologue de Cnémon, le « Bourru ».

[…] οὐδ’ἂν εἷς δύναιτο με
τοῦτο μεταπεῖσαί τις ὑμῶν, ἀλλὰ συγχωρήσετε·
Ἓν δ’ἴσως ἥμαρτον ὅτι γε τῶν ἁπάντων ᾠόμην
αὐτὸς αὐτάρκης τις εἶναι καὶ δεήσεσθ’ οὐδένος.
Νῦν δ’ἰδὼν ὀξεῖαν οὖσαν ἄσκοπόν τε τοῦ βίου
τὴν τελευτήν, εὗρον οὐκ εὖ τοῦτο γινώσκων τότε.
Δεῖ γὰρ εἶναι – καὶ παρεῖναι – τὸν ἐπικουρήσοντ’ ἀεὶ.
Ἀλλὰ μὰ τὸν Ἥφαιστον – οὓτω σφόδρα διεφθάρην ἐγὼ
τοὺς βίους ὁρῶν ἑκάστους τοὺς λογισμοὺς θ’ὃν τρόπον
πρὸς τὸ κερδαίνειν ἔχουσιν – οὐδέν’ εὔνουν ᾠόμην
ἕτερον ἑτέρῳ τῶν ἁπάντων ἂν γενέσθαι. Τοῦτο δὴ
ἐμποδὼν ἦν μοι. Μόλις δὲ πεῖραν εἷς δέδωκε νῦν
Γοργίας, ἔργον ποήσας ἀνδρὸς εὐγενεστάτου.
Τὸν γὰρ οὐκ ἐῶνθ’ ἑαυτὸν προσιέναι τῇ μῇ θύρᾳ
οὐ βοηθήσανθ’ ἑαυτῷ πώποτ’ εἰς οὐδὲν μέρος,
οὐ προσειπόντ’, οὐ λαλήσανθ’ ἡδέως, σέσωχ’ὅμως.
Εἶπ’ ἂν ἄλλος, καὶ δικαίως· «οὐκ ἐᾷς με προσιέναι,
οὐ προσέρχομ’· οὐδὲν ἡμῖν γέγονας αὐτὸς χρήσιμος·
οὐδ’ ἐγώ σοι νῦν.» Τί δ’ἐστί, μειράκιον ; ἐάν τ’ἐγὼ
ἀποθάνω νῦν – οἴομαι δέ, καὶ κακῶς ἴσως ἔχω –
ἄν τε περισωθῶ, ποοῦμαι σ’ ὑόν, ἅ γ’ ἔχων τυγχάνω,
πάντα σαυτοῦ νόμισον εἶναι. Τήνδε μοι παρεγγυῶ,
ἄνδρα δ’αὐτῆ πόρισον. Εἰ γὰρ καὶ σφόδρ’ ὑγιαίνοιμ’ ἐγώ,
αὐτὸς οὐ δυνήσομ’ εὑρεῖν· οὐ γὰρ ἀρέσει μοί ποτε
οὐδὲ εἷς. Ἀλλ’ ἐμὲ μὲν οὕτω ζῆν ἐᾶθ’ ὡς βούλομαι,
τἄλλα πρᾶττ’ αὐτὸς παραλαβών. Νοῦν ἔχεις σὺν τοῖς θεοῖς,
κηδεμὼν εἶ τῆς ἀδελφῆς· εἰκότως τοῦ κτήματος
ἐπιδίδου σὺ προῖκα τοὐμοῦ διαμετρήσας θἤμισυ,
τό θ’ ἕτερον λαβὼν διοίκει κἀμὲ καὶ τὴν μητέρα.
Ἀλλὰ κατάκλινόν με, θύγατερ. Τῶν δ’ἀναγκαίων λέγειν
πλείον’ οὐκ ἀνδρὸς νομίζω, πλὴν ἐκεῖνο· πρόσιθι, παῖ.
Ὑπὲρ ἐμοῦ γὰρ βούλομ’ εἰπεῖν ὀλίγα σοι καὶ τοῦ τρόπου –
εἰ τοιοῦτοι πάντες ἦσαν, οὔτε τὰ δικαστήρια
ἦν ἄν, οὔθ’ αὑτοὺς ἀπῆγον εἰς τὰ δεσμωτήρια,
οὔτε πόλεμος ἦν, ἔχων δ’ἂν μέτρι’ ἕκαστος ἠγάπα.
Οὐκ ἴσως ταῦτ’ ἔστ’ ἀρεστά· μᾶλλον οὕτω πράττετε.
Ἐκποδὼν ὑμῖν ὁ χαλεπὸς δύσκολός τ’ ἔσται γέρων.

Ménandre, Le Bourru, v. 709-747.

  • μεταπείθω : faire changer d’avis
  • αὐτάρκης, ης, ες : qui se suffit à lui-même
  • ὀξύς, εῖα, ύ : vif, rapide
  • ἐπικουρέω-ῶ : secourir
  • διεφθάρην < διαφθείρω : aoriste passif : détruire, corrompre
  • τοὺς λογισμοὺς ἔχειν : calculer, appliquer sa réflexion
  • περισωθῶ subjonctif aoriste : être sauvé (περισῴζω)
  • παρεγγυέω-ῶ : transmettre, recommander
  • πορίζω : procurer
  • κηδεμών : défenseur
  • ἡ προίξ, προϊκός : la dot
  • ἀγαπάω-ῶ : aimer
  • ἀρεστός, ή, όν : agréable

Traduction :

Aucun d’entre vous ne pourrait me faire changer d’avis, mais accordez-le-moi ! Peut-être ai-je commis cette seule erreur de penser que je pouvais, seul entre tous, me suffire à moi-même et n’avoir besoin de personne. Maintenant, ayant vu que la fin de la vie était soudaine et imprévisible, j’ai trouvé qu’alors je n’avais pas bien pensé. Il faut qu’il y ait toujours, et qu’il y ait présent, quelqu’un pour vous secourir. Mais par Héphaistos – j’étais si fort choqué en voyant les façons de vivre de chacun, les calculs qu’ils faisaient pour avoir du gain – j’ai cru qu’il ne pouvait y avoir aucun homme au monde bienveillant pour autrui. C’est cela qui m’a fait obstacle. Un seul homme m’a donné l’expérience du contraire, Gorgias, qui a fait un acte digne de l’homme le plus noble. Celui qui ne le laissait pas franchir la porte, qui ne l’a jamais aidé en aucune façon, qui ne lui adressait pas la parole, qui n’a jamais conversé avec lui agréablement, pourtant il l’a sauvé. Un autre aurait dit, et à juste titre : « Tu ne me laisses pas entrer, je n’approche pas ; tu ne nous as jamais été utile, je ne le serai pas  non plus pour toi aujourd’hui. » (Geste de protestation de Gorgias) Qu’y a-t-il, jeune homme ? Si je meurs aujourd’hui – je le crois, et sans doute je vais mal – ou si je suis sauvé, je fais de toi mon fils, considère que ce que je possède est tout entier à toi. Elle (montrant vers sa fille), je te la confie, procure-lui un mari. En effet, même si je guéris complètement, je ne saurais en trouver un moi-même : aucun ne me plaira jamais. Mais laissez-moi vivre comme je l’entends, prends les choses en main et fais toi-même le reste ; grâce aux dieux tu as de l’esprit, tu es le protecteur de ta sœur ; De mon bien, après en avoir mesuré la moitié, donne-la lui en dot, et prenant l’autre, administre mes biens et ceux de ta mère. Mais étends-moi, ma fille. je considère qu’il n’est pas digne d’un homme d’en dire plus que nécessaire, excepté ceci : avance, mon enfant. En ma faveur et sur mon caractère,  je veux te dire peu de mots : si tous étaient comme moi, il n’y aurait pas de tribunaux, on n’emmènerait pas les gens en prison, il n’y aurait pas de guerre, chacun possédant son dû aimerait les autres. Mais cela n’est sans doute pas agréable ; vous préférez faire ainsi. Hé bien, le vieillard difficile et bourru ne sera plus dans vos jambes !