Platon, La République

 

Biographie de Platon Résumé de la République Livre I Livre II
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La République de Platon, en grec Περὶ πολιτείας (au sujet de la Constitution), est l’un des dialogues les plus célèbres et les plus importants du philosophe.

Résumé du dialogue

Livre I

Le dialogue commence par un dialogue entre Képhalos (père de Lysias), puis son fils Polémarque, et Socrate au sujet de la justice, dont on cherche une définition pertinente ; Thrasymaque intervient, pour affirmer que la seule justice est la loi du plus fort, et qu’il n’y a pas d’autre définition du Bien.

Livre II

Interviennent alors deux frères de Platon, Adimante et Glaucon, qui soutiennent la thèse de Thrasymaque : la justice n’est bonne que pour les faibles, qui n’ont pas la force d’être injustes.

Livre III

C’est là qu’intervient l’invention de la « Cité idéale » : Socrate, pour définir la justice, part d’abord de ce que doit être une cité juste :

Une stricte hiérarchisation des hommes en catégories, dont ils ne sauraient sortir : les « gardiens », les « hommes du peuples », artisans et paysans… chacun recevant une éducation spécifique à sa « nature » ;

Une censure rigoureuse de la poésie, et de la production artistique en général, rejetant tout ce qui est susceptible de démoraliser ou d’amollir le peuple – avec une grande méfiance à l’égard de la fiction…

Livre IV

Platon traite de la justice dans l’individu – résultat de l’équilibre de l’âme – puis revient à la définition de la Cité idéale, dont il définit les quatre vertus cardinales : sagesse, tempérance, courage et justice.

Livre V

Dans ce livre, Platon affirme que chez les gardiens, femmes et enfants doivent être communs et éduqués par la communauté entière ; les femmes doivent recevoir la même éducation que les hommes (ce qui devait choquer ses contemporains, même si cette « communauté » est limitée à l’élite constituée par les gardiens !) ; mais pour qu’une telle cité existe, il faudrait qu’elle soit dirigée par un Roi-philosophe.

Livre VI

Socrate et ses interlocuteurs consacrent ce livre à donner une définition du philosophe.

Livre VII

Ici se situent deux passage extrêmement célèbres :

  1. L’allégorie de la caverne
  2. L’enchaînement des 5 régimes politiques, qui représentent chacun une étape dans la dégradation de la Cité, aristocratie, timocratie, oligarchie, démocratie, tyrannie.

Livre VIII

Le livre VIII reprend et développe les cinq régimes politiques précédemment cités, et leur succession. Il s’attache particulièrement à décrire le tyran.

Livre IX

Socrate récapitule alors sa démonstration, et montre que seul le philosophe est apte à diriger la Cité, car lui seul sait distinguer le juste et le bien. Mais il montre aussi que si une telle Cité existe, cela ne peut être que sous la forme de l’Idée…

Livre X

Ce dernier livre comporte trois grandes parties :

  1. Une nouvelle condamnation de la poésie, qui doit être bannie de la Cité ;
  2. L’affirmation de l’immortalité de l’âme
  3. Le mythe d’Er le Pamphilien, sur l’au-delà après la mort.

Livre IV

Du bon usage des lois et règlements, 425c-426c.

Socrate cherche à convaincre son interlocuteur Adimante que l’instruction et l’éducation sont primordiales : elles mettent les jeunes citoyens en mesure d’acquérir les principes fondamentaux qui leur permettront de résoudre toutes les questions qui se poseront à eux. Elles leur inculquent également l’amour de la loi. Adimante approuve, et Socrate poursuit :

Τί δέ, ὦ πρὸς θεῶν, ἔφην, τάδε τὰ ἀγοραῖα, συμβολαίων τε πέρι κατ’ ἀγορὰν ἕκαστοι ἃ πρὸς ἀλλήλους (425d) συμβάλλουσιν, εἰ δὲ βούλει, καὶ χειροτεχνικῶν περὶ συμβολαίων καὶ λοιδοριῶν καὶ αἰκίας καὶ δικῶν λήξεως καὶ δικαστῶν καταστάσεως, καὶ εἴ που τελῶν τινες ἢ πράξεις ἢ θέσεις ἀναγκαῖοί εἰσιν ἢ κατ’ ἀγορὰς ἢ λιμένας, ἢ καὶ τὸ παράπαν ἀγορανομικὰ ἄττα ἢ ἀστυνομικὰ ἢ ἐλλιμενικὰ ἢ ὅσα ἄλλα τοιαῦτα, τούτων τολμήσομέν τι νομοθετεῖν; ᾿Αλλ’ οὐκ ἄξιον, ἔφη, ἀνδράσι καλοῖς κἀγαθοῖς ἐπιτάττειν· (425e) τὰ πολλὰ γὰρ αὐτῶν, ὅσα δεῖ νομοθετήσασθαι, ῥᾳδίως που εὑρήσουσιν. Ναί, ὦ φίλε, εἶπον, ἐάν γε θεὸς αὐτοῖς διδῷ σωτηρίαν τῶν νόμων ὧν ἔμπροσθεν διήλθομεν. Εἰ δὲ μή γε, ἦ δ’ ὅς, πολλὰ τοιαῦτα τιθέμενοι ἀεὶ καὶ ἐπανορθούμενοι τὸν βίον διατελοῦσιν, οἰόμενοι ἐπιλήψεσθαι τοῦ βελτίστου. Λέγεις, ἔφην ἐγώ, βιώσεσθαι τοὺς τοιούτους ὥσπερ τοὺς κάμνοντάς τε καὶ οὐκ ἐθέλοντας ὑπὸ ἀκολασίας ἐκβῆναι πονηρᾶς διαίτης. Πάνυ μὲν οὖν.

[426] (426a) Καὶ μὴν οὗτοί γε χαριέντως διατελοῦσιν· ἰατρευόμενοι γὰρ οὐδὲν περαίνουσιν, πλήν γε ποικιλώτερα καὶ μείζω ποιοῦσι τὰ νοσήματα, καὶ ἀεὶ ἐλπίζοντες, ἐάν τις φάρμακον συμβουλεύσῃ, ὑπὸ τούτου ἔσεσθαι ὑγιεῖς. Πάνυ γάρ, ἔφη, τῶν οὕτω καμνόντων τὰ τοιαῦτα πάθη. Τί δέ; ἦν δ’ ἐγώ· τόδε αὐτῶν οὐ χαρίεν, τὸ πάντων ἔχθιστον ἡγεῖσθαι τὸν τἀληθῆ λέγοντα, ὅτι πρὶν ἂν μεθύων καὶ ἐμπιμπλάμενος καὶ ἀφροδισιάζων καὶ ἀργῶν παύσηται, (426b) οὔτε φάρμακα οὔτε καύσεις οὔτε τομαὶ οὐδ’ αὖ ἐπῳδαὶ αὐτὸν οὐδὲ περίαπτα οὐδὲ ἄλλο τῶν τοιούτων οὐδὲν ὀνήσει; Οὐ πάνυ χαρίεν, ἔφη· τὸ γὰρ τῷ εὖ λέγοντι χαλεπαίνειν οὐκ ἔχει χάριν. Οὐκ ἐπαινέτης εἶ, ἔφην ἐγώ, ὡς ἔοικας, τῶν τοιούτων ἀνδρῶν. Οὐ μέντοι μὰ Δία. Οὐδ’ ἂν ἡ πόλις ἄρα, ὅπερ ἄρτι ἐλέγομεν, ὅλη τοιοῦτον ποιῇ, οὐκ ἐπαινέσῃ. ἢ οὐ φαίνονταί σοι ταὐτὸν ἐργάζεσθαι τούτοις τῶν πόλεων ὅσαι κακῶς πολιτευόμεναι (426c) προαγορεύουσι τοῖς πολίταις τὴν μὲν κατάστασιν τῆς πόλεως ὅλην μὴ κινεῖν, ὡς ἀποθανουμένους, ὃς ἂν τοῦτο δρᾷ· ὃς δ’ ἂν σφᾶς οὕτω πολιτευομένους ἥδιστα θεραπεύῃ καὶ χαρίζηται ὑποτρέχων καὶ προγιγνώσκων τὰς σφετέρας βουλήσεις καὶ ταύτας δεινὸς ᾖ ἀποπληροῦν, οὗτος ἄρα ἀγαθός τε ἔσται ἀνὴρ καὶ σοφὸς τὰ μεγάλα καὶ τιμήσεται ὑπὸ σφῶν; Ταὐτὸν μὲν οὖν, ἔφη, ἔμοιγε δοκοῦσι δρᾶν, καὶ οὐδ’ ὁπωστιοῦν ἐπαινῶ.


– Mais, au nom des dieux, dis-je, les affaires du marché, comme les contrats que les parties font entre elles à l’agora, et si tu veux, aussi les conventions avec les artisans, les insultes, les voies de fait, les plaintes en justice, les constitutions de juges, les impôts à lever ou à payer dans les marchés ou les ports, et en général une quantité de pratiques relatives à la police des marchés et des rues ou au mouillage des vaisseaux et toutes autres du même genre, sont-ce là des points que nous nous chargerons de régler par des lois ?

– Non, dit-il, ce n’est pas la peine d’en faire des prescriptions à d’honnêtes gens : ils trouveront facilement la plupart des règlements qu’il faudra faire.

– Oui, mon ami, dis-je, si le dieu leur donne de conserver les lois que nous avons exposées plus haut.

– Sinon, dit-il, ils vont passer leur vie à faire et à refaire sans cesse une foule de règlements semblables, en s’imaginant qu’ils trouveront le règlement parfait.

– Tu veux dire qu’ils vivront comme ces malades qui par intempérance ne veulent pas abandonner un mauvais régime.

– Tout à fait.

– Et assurément ces gens-là passent leur vie de manière charmante : en se soignant ils n’arrivent à rien, sinon à rendre leurs maladies plus complexes et plus graves, et en espérant toujours, si on leur conseille un remède, que grâce à lui ils recouvreront la santé.

– Tout à fait, dit-il, de tels maux sont ceux de ces malades.

– Hé quoi ? dis-je. N’est-il pas plaisant, qu’ils considèrent comme leur pire ennemi celui qui dit la vérité, à savoir que tant qu’ils ne cessent pas de s’enivrer, de s’empiffrer, de se livrer à la luxure et à la paresse ni remèdes, ni cautérisations, ni coupues, ni incantations ni amulette ni rien de semblable ne leur profitera ?

– Ce n’est pas du tout plaisant, dit-il ; il n’y a aucune grâce à se fâcher contre celui qui donne de bons conseils.

– Tu n’es pas partisan, dis-je, à ce qu’il semble, de tels hommes.

– Pas du tout, par Zeus.

– Et si une cité toute entière se comportait comme nous venons de le dire, tu ne la louerais pas. Or ne te semble-t-il pas que les États font exactement la même chose, eux qui, mal gouvernés, interdisent aux citoyens de toucher à la constitution toute entière de la cité, sous peine de mort pour celui qui le ferait ; celui qui flatte le plus agréablement ceux qui sont ainsi gouvernés et cherche à les séduire et devinant leurs volontés est habile à les satisfaire, celui-là sera un homme de valeur et un grand sage, et sera honoré d’eux ?

– C’est cela qu’ils me semblent faire, dit-il, et je ne les approuve nullement.

Livre X

Séduisante et dangereuse poésie !

La poésie est « imitation d’une imitation du vrai », et Platon l’exclut de sa République

– […] εἴ τινα ἔχοι λόγον εἰπεῖν ἡ πρὸς ἡδονὴν ποιητικὴ καὶ ἡ μίμησις, ὡς χρὴ αὐτὴν εἶναι ἐν πόλει εὐνομουμένῃ, ἅσμενοι ἂν καταδεχοίμεθα, ὡς σύνισμέν γε ἡμῖν αὐτοῖς κηλουμένοις ὑπ’ αὐτῆς· ἀλλὰ γὰρ τὸ δοκοῦν ἀληθὲς οὐχ ὅσιον προδιδόναι. Ἦ γάρ, ὦ φίλε, οὐ κηλῇ ὑπ’ αὐτῆς (d.) καὶ σύ, καὶ μάλιστα ὅταν δι’ ῾Ομήρου θεωρῇς αὐτήν;

– Πολύ γε.

– Οὐκοῦν δικαία ἐστὶν οὕτω κατιέναι, ἀπολογησαμένη ἐν μέλει ἤ τινι ἄλλῳ μέτρῳ ;

– Πάνυ μὲν οὖν.

– Δοῖμεν δέ γέ που ἂν καὶ τοῖς προστάταις αὐτῆς, ὅσοι μὴ ποιητικοί, φιλοποιηταὶ δέ, ἄνευ μέτρου λόγον ὑπὲρ αὐτῆς εἰπεῖν, ὡς οὐ μόνον ἡδεῖα ἀλλὰ καὶ ὠφελίμη πρὸς τὰς πολιτείας καὶ τὸν βίον τὸν ἀνθρώπινόν ἐστιν· καὶ εὐμενῶς ἀκου(e.)σόμεθα. Κερδανοῦμεν γάρ που ἐὰν μὴ μόνον ἡδεῖα φανῇ ἀλλὰ καὶ ὠφελίμη.

– Πῶς δ’ οὐ μέλλομεν, ἔφη, κερδαίνειν;

– Εἰ δέ γε μή, ὦ φίλε ἑταῖρε, ὥσπερ οἱ ποτέ του ἐρασθέντες, ἐὰν ἡγήσωνται μὴ ὠφέλιμον εἶναι τὸν ἔρωτα, βίᾳ μέν, ὅμως δὲ ἀπέχονται, καὶ ἡμεῖς οὕτως, διὰ τὸν ἐγγεγονότα μὲν ἔρωτα τῆς τοιαύτης ποιήσεως [608] ὑπὸ τῆς τῶν καλῶν (608a) πολιτειῶν τροφῆς, εὖνοι μὲν ἐσόμεθα φανῆναι αὐτὴν ὡς βελτίστην καὶ ἀληθεστάτην, ἕως δ’ ἂν μὴ οἵα τ’ ᾖ ἀπολογήσασθαι, ἀκροσαόμεθ’ αὐτῆς ἐπᾴδοντες ἡμῖν αὐτοῖς τοῦτον τὸν λόγον, ὃν λέγομεν, καὶ ταύτην τὴν ἐπῳδήν, εὐλαβούμενοι πάλιν ἐμπεσεῖν εἰς τὸν παιδικόν τε καὶ τὸν τῶν πολλῶν ἔρωτα. ᾈσόμεθα δ’ οὖν ὡς οὐ σπουδαστέον ἐπὶ τῇ τοιαύτῃ ποιήσει ὡς ἀληθείας τε ἁπτομένῃ καὶ σπουδαίᾳ, ἀλλ’ εὐλαβητέον (b.) αὐτὴν ὂν τῷ ἀκροωμένῳ, περὶ τῆς ἐν αὑτῷ πολιτείας δεδιότι, καὶ νομιστέα ἅπερ εἰρήκαμεν περὶ ποιήσεως.

– Παντάπασιν, ἦ δ’ ὅς, σύμφημι.

– Μέγας γάρ, ἔφην, ὁ ἀγών, ὦ φίλε Γλαύκων, μέγας, οὐχ ὅσος δοκεῖ, τὸ χρηστὸν ἢ κακὸν γενέσθαι, ὥστε οὔτε τιμῇ ἐπαρθέντα οὔτε χρήμασιν οὔτε ἀρχῇ οὐδεμιᾷ οὐδέ γε ποιητικῇ ἄξιον ἀμελῆσαι δικαιοσύνης τε καὶ τῆς ἄλλης ἀρετῆς.

Platon, République, 607c-608b

– Si la poésie pour le plaisir et la poésie imitative avait quelque argument pour prouver qu’elle doit exister dans une cité bien gouvernée, nous l’accueillerions volontiers, car nous avons conscience de subir nous-mêmes son charme ; mais il est impie de trahir ce qui nous semble vrai. Certes, mon ami, n’es-tu pas charmé par elle, toi aussi, surtout quand tu la contemples à travers Homère?

– Beaucoup ;

– Il est donc juste qu’elle rentre d’exil, après s’être défendue en vers ou en quelque autre mètre ?

– Tout à fait.

– Nous donnerions même à ses défenseurs, qui ne sont pas poètes mais amateurs de poésie, de parler pour elle en prose, en disant que non seulement elle est agréable mais aussi utile pour la politique et la vie individuelle ; et nous les écouterons avec bienveillance. Nous y gagnerions en effet, si non seulement elle nous apparaissait agréable, mais aussi utile.

– Comment n’y gagnerions-nous pas ?

– Sinon, mon cher camarade, comme ceux qui se sont aimés, s’ils pensent que leur amour n’est pas utile, par force certes, mais ils y renoncent, et ainsi nous, à cause de l’amour d’une telle poésie, qu’a fait naître en nous l’éducation de nos belles constitutions, nous serons tout disposés à la voir se montrer la plus belle et la plus vraie, mais tant qu’elle ne sera pas capable de se défendre, nous l’écouterons en chantant à nous même le raisonnement que nous avons dit et cette contre-ode, en nous gardant de tomber à nouveau dans cet amour d’enfance qui est aussi celui de la plupart des gens. Nous chanterons donc qu’il ne faut pas s’appliquer à une telle poésie comme si elle était sérieuse et touchait à la vérité, mais il faut que celui qui l’écoute s’en garde, s’il craint pour le gouvernement de soi-même, et il faut appliquer les lois que nous avons dites au sujet de la poésie.

– Je suis tout à fait d’accord, dit-il.

– Grand en effet, dis-je, cher Glaucon, est le combat, grand non comme on le pense, qui consiste à devenir bon ou méchant, afin de n’être entraîné ni par l’honneur ni par l’argent ni par aucun pouvoir, pas même celui de la poésie à négliger la justice ou une autre vertu.

Pour cette version, revoir les règles des conditionnelles : l’éventuel (ἐὰν + subjonctif) et le potentiel (εἰ + optatif, optatif + ἄν). Voir le «kit de survie de l’helléniste » sur la Plateforme Sillages, onglet « autres », domaine « grec ».

Le mythe d’Er le Pamphilien

Ce récit de Socrate constitue la fin de l’œuvre.

᾿Αλλ’ οὐ μέντοι σοι, ἦν δ’ ἐγώ, ᾿Αλκίνου γε ἀπόλογον ἐρῶ, ἀλλ’ ἀλκίμου μὲν ἀνδρός, ᾿Ηρὸς τοῦ ᾿Αρμενίου, τὸ γένος Παμφύλου· ὅς ποτε ἐν πολέμῳ τελευτήσας, ἀναιρεθέντων δεκαταίων τῶν νεκρῶν ἤδη διεφθαρμένων, ὑγιὴς μὲν ἀνῃρέθη, κομισθεὶς δ’ οἴκαδε μέλλων θάπτεσθαι δωδεκαταῖος ἐπὶ τῇ πυρᾷ κείμενος ἀνεβίω, ἀναβιοὺς δ’ ἔλεγεν ἃ ἐκεῖ ἴδοι. Ἔφη δέ, ἐπειδὴ οὗ ἐκβῆναι, τὴν ψυχὴν πορεύεσθαι μετὰ πολλῶν, καὶ ἀφικνεῖσθαι σφᾶς εἰς τόπον τινὰ δαιμόνιον, ἐν ᾧ τῆς τε γῆς δύ’ εἶναι χάσματα ἐχομένω ἀλλήλοιν καὶ τοῦ οὐρανοῦ αὖ ἐν τῷ ἄνω ἄλλα καταντικρύ. Δικαστὰς δὲ μεταξὺ τούτων καθῆσθαι, οὕς, ἐπειδὴ διαδικάσειαν, τοὺς μὲν δικαίους κελεύειν πορεύεσθαι τὴν εἰς δεξιάν τε καὶ ἄνω διὰ τοῦ οὐρανοῦ, σημεῖα περιάψαντας τῶν δεδικασμένων ἐν τῷ πρόσθεν, τοὺς δὲ ἀδίκους τὴν εἰς ἀριστεράν τε καὶ κάτω, ἔχοντας καὶ τούτους ἐν τῷ ὄπισθεν σημεῖα πάντων ὧν ἔπραξαν. Ἑαυτοῦ δὲ προσελθόντος εἰπεῖν ὅτι δέοι αὐτὸν ἄγγελον ἀνθρώποις γενέσθαι τῶν ἐκεῖ καὶ διακελεύοιντό οἱ ἀκούειν τε καὶ θεᾶσθαι πάντα τὰ ἐν τῷ τόπῳ. Ὁρᾶν δὴ ταύτῃ μὲν καθ’ ἑκάτερον τὸ χάσμα τοῦ οὐρανοῦ τε καὶ τῆς γῆς ἀπιούσας τὰς ψυχάς, ἐπειδὴ αὐταῖς δικασθείη, κατὰ δὲ τὼ ἑτέρω ἐκ μὲν τοῦ ἀνιέναι ἐκ τῆς γῆς μεστὰς αὐχμοῦ τε καὶ κόνεως, ἐκ δὲ τοῦ ἑτέρου καταβαίνειν ἑτέρας ἐκ τοῦ οὐρανοῦ καθαράς. Καὶ τὰς ἀεὶ ἀφικνουμένας ὥσπερ ἐκ πολλῆς πορείας φαίνεσθαι ἥκειν, καὶ ἁσμένας εἰς τὸν λειμῶνα ἀπιούσας οἷον ἐν πανηγύρει κατασκηνᾶσθαι, καὶ ἀσπάζεσθαί τε ἀλλήλας ὅσαι γνώριμαι, καὶ πυνθάνεσθαι τάς τε ἐκ τῆς γῆς ἡκούσας παρὰ τῶν ἑτέρων τὰ ἐκεῖ καὶ τὰς ἐκ τοῦ οὐρανοῦ τὰ παρ’ ἐκείναις.

[615] Διηγεῖσθαι δὲ ἀλλήλαις τὰς μὲν ὀδυρομένας τε καὶ κλαούσας, ἀναμιμνῃσκομένας ὅσα τε καὶ οἷα πάθοιεν καὶ ἴδοιεν ἐν τῇ ὑπὸ γῆς πορείᾳ — εἶναι δὲ τὴν πορείαν χιλιέτη — τὰς δ’ αὖ ἐκ τοῦ οὐρανοῦ εὐπαθείας διηγεῖσθαι καὶ θέας ἀμηχάνους τὸ κάλλος. Τὰ μὲν οὖν πολλά, ὦ Γλαύκων, πολλοῦ χρόνου διηγήσασθαι· τὸ δ’ οὖν κεφάλαιον ἔφη τόδε εἶναι, ὅσα πώποτέ τινα ἠδίκησαν καὶ ὅσους ἕκαστοι, ὑπὲρ ἁπάντων δίκην δεδωκέναι ἐν μέρει, ὑπὲρ ἑκάστου δεκάκις — τοῦτο δ’ εἶναι κατὰ ἑκατονταετηρίδα ἑκάστην, ὡς βίου ὄντος τοσούτου τοῦ ἀνθρωπίνου — ἵνα δεκαπλάσιον τὸ ἔκτεισμα τοῦ ἀδικήματος ἐκτίνοιεν, καὶ οἷον εἴ τινες πολλοῖς θανάτων ἦσαν αἴτιοι, ἢ πόλεις προδόντες ἢ στρατόπεδα, καὶ εἰς δουλείας ἐμβεβληκότες ἤ τινος ἄλλης κακουχίας μεταίτιοι, πάντων τούτων δεκαπλασίας ἀλγηδόνας ὑπὲρ ἑκάστου κομίσαιντο, καὶ αὖ εἴ τινας εὐεργεσίας εὐεργετηκότες καὶ δίκαιοι καὶ ὅσιοι γεγονότες εἶεν, κατὰ ταὐτὰ τὴν ἀξίαν κομίζοιντο.

Traduction

Ce n’est point, dis-je, le récit d’Alkinoos que je vais te faire, mais celui d’un homme vaillant, Er, fils d’Arménios, originaire de Pamphylie. Il était mort dans une bataille ; dix jours après, comme on enlevait les cadavres déjà putréfiés, le sien fut retrouvé intact. On le porta chez lui pour l’ensevelir, mais le douzième jour, alors qu’il était étendu sur le bûcher, il revint à la vie; quand il eut repris ses sens il raconta ce qu’il avait vu là-bas. Aussitôt, dit-il, que son âme était sortie de son corps, elle avait cheminé avec beaucoup d’autres, et elles étaient arrivées en un lieu divin dans lequel se voyaient dans la terre deux ouvertures situées côte à côte, et dans le ciel, en haut, deux autres qui leur faisaient face. Au milieu étaient assis des juges qui, après avoir rendu leur sentence, ordonnaient aux justes de prendre à droite la route qui montait à travers le ciel, après leur avoir attaché par devant un écriteau contenant leur jugement ; et aux méchants de prendre à gauche la route descendante, portant eux aussi, mais par derrière, un écriteau où étaient marquées toutes leurs actions. Comme il s’approchait à son tour, les juges lui dirent qu’il devait être pour les hommes le messager de l’au-delà, et ils lui recommandèrent d’écouter et d’observer tout ce qui se passait en ce lieu. Il y vit donc les âmes qui s’en allaient, une fois jugées, par les deux ouvertures correspondantes du ciel et de la terre; par les deux autres des âmes entraient, qui d’un côté montaient de la terre, couvertes d’ordure et de poussière, et de l’autre descendaient, pures, du ciel ; et toutes ces âmes qui sans cesse arrivaient comme d’un long voyage ; elles gagnaient avec joie la prairie et y campaient comme dans une fête. Celles qui se connaissaient se souhaitaient mutuellement la bienvenue et s’enquéraient, les unes qui venaient de la terre, de ce qui se passait au ciel, et les autres qui venaient du ciel, de ce qui se passait sous terre.

Celles-là racontaient leurs aventures en gémissant et en pleurant, au souvenir des maux sans nombre et de toutes sortes qu’elle avaient soufferts ou vu souffrir, pendant leur voyage souterrain – voyage dont la durée est de mille ans –, tandis que celles-ci, qui venaient du ciel, parlaient de plaisirs délicieux et de visions d’une extraordinaire splendeur. Elles disaient beaucoup de choses, Glaucon, qui demanderaient beaucoup de temps à être rapportées. Mais en voici, d’après Er, le résumé. Pour tel nombre d’injustices qu’elle avait commises au détriment d’une personne, et pour tel nombre de personnes au détriment de qui elle avait commis l’injustice, chaque âme recevait, pour chaque faute à son tour, dix fois sa punition, et chaque punition durait cent ans – c’est-à-dire la durée de la vie humaine – afin que la rançon fût le décuple du crime. Par exemple ceux qui avaient causé la mort de beaucoup de personnes – soit en trahissant des cités ou des armées, soit en réduisant des hommes en esclavage, soit en prêtant la main à quelque autre scélératesse – étaient tourmentés au décuple pour chacun de ces crimes. Ceux qui au contraire avaient fait du bien autour d’eux, qui avaient été justes et pieux, en obtenaient dans la même proportion la récompense méritée.